Jean-Loup
Chiflet
Dictionnaire
amoureux
de
l'Humour
Plon
JEAN-LOUP CHIFLET
DICTIONNAIRE
AMOUREUX
DE L'HUMOUR
Dessins d 'Alain Boiddouyre
PLON
www.plori.fr
Collection dirigec par
Jean-Claude SlmoCn
O Pkm, 2012
Photomontage Mona Lisa, c. 1503-6 (detail) par Leonard de VincL Louvre, Paris. 6 Giraudon C images.com/CQRBIS
EAN : 978-2-259-21955-6
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// est poli d 't'fre gai.
Voltaire
Prolegomenes
Je le concede, voila un mot rare, et je rappelle a ceux qui l'auraient oublie qitil s'agit d\< une ample
preface contenant des notions preliminaires necessaires a ('intelligence d'un livre ». Je precise aussi
qu'en dehors de mon editeur Jean-Claude Simoen, de Chateaubriand qui prefacait ainsi ses Memoires
d'outre-tombe, en 1809, et de Kant avec ses Pmlegomenes a toute metapkysique future, nous ne
sommes pas nombreux a en faire usage.
Et voila que j'allais ecrire « treve de plaisanterie ». . . Un comble pour un livre d'humour, et comme
j'ai voulu etre drole des ces premieres Iignes, pour etre de circonstance, que ceux qui me taxeraient
d'outrecuidance sachent qu ils se sont trompes d'ouvrage. Ce choix pedant est plus a propos que ces
synonymes preambulatoires, du genre Preface, Prologue, Averlissement, Avant-propos ou Introduction,
qui ne cherchent le plus souvent qua excuser ce qui va suivre, alors que je voudrais plutot vous aider a
comprendre les motivations qui m'ont conduit a rediger ce livre.
Pourquoi aime-je autant rhumour, pour avouer presque en rougissant, telle une nymphe emue, que
j'en suis amoureux ? Humour, mon amour, peut-etre, mais quest-ce que r humour ? On a assez dit que
cette denree rare est indefmissable. A vouloir definir r humour, on ne peut en effet que craindre d'en
manquer, et ce que Ton remarque d'habitude, c'est plutot son absence des qu'il est question de sens tie
I humour.
L' humour ne se definit pas, parce que ce n'est pas une institution, mais une maniere de voir et de
donner a voir des idees re?ues. On le verra, il existe nombre d 1 humours paralleles : esprit francais,
humour juif, comique, agressif, naif, engage, cerebral et absurde, mon prefere.
Un dictionnaire qui se veut « amoureux » implique par definition un choix subjeetif. U humour ou les
gens d'humour que j"apprecie ne seront pas forcement a vou*e gout. C'est un sujet ideal de conflit qui
varie d' individu a individu, et ce qui fait sourire M. Dupont ne fera pas necessairement rire Mme Dubois,
etvlce versa* Cette selection par r humour presente done le risque d'offenser ceux ou celles qui n'y
figurentpas, etje me reserve sans doute des matins qui dechantent. pour avoir provoque l'ire des recales.
J'ai neanmoins le sentiment d'avoir fait la part des choses, mais non d'avoir ete impartial.
11 n'en demeure pas moins que, de tons les livres que j'ai conmiis, celui-ci sera sans doute le plus
marque par des oublis ou des negligences.
J'ai d'ailleurs au moment oil je relis ces Iignes quelques regrets bien cibles, ceux par exemple de ne
pas avoir pris le temps d'evoquer comme ils le meritaient des ecrivains comme Eric Chevillard dont le
style epoustouflant me rejouit ou encore ce fabuleux inventeur de langue qu'est Valere Novarina.
Alors, que dire pour ma defense, si ce n'est que Terreiir est humaine et rappeler que rhumour n'est
sans doute pas une science exacte ?
Je me suis aussi attache a faire Finventaire des fonctions de ce que j'appelle rhumour salutaire :
Thumour qui desangoisse, pour se proteger du desespoir, rhumour autoderision, pour lutter conire le mal
de vivre, ou rhumour qui rend plus sage et plus intelligent, comme celui qui perrnet de s'instruire en
s'amusant.
L* humour est leger, mais il n'est pas a prendre a la legere, et s'il est futile, il rfest ni frivole ni
gratuit, car il a une vraie portee morale. Andre Breton se plaisait a rappeler a ce sujet « le singulier
pouvoir de domination sur soi-meme et sur les autres que coniere r humour ». La tres respectable
Academie des sciences morales et politiques n'est pas en reste, puisqu'en 1994 elle affirmait
solennellement que « 1' humour doit etre pris au serieux » et qu'il « enseigne la moderation et un certain
mepris de la vanite. II peut s'il persiste devenir un trait de caractere, voire un art de vivre. Plus qu'unmot
d'esprit, c'est avant tout une tournure d'esprit ».
L'ecriture de ce livre m'a permis aussi de faire un constat affligeant sur le ricanement generalise qui
est de mise dans le paysage mediatique francais ; je partage a ce sujet le point de vue des philosophes
Francois L'Yvonnet et Alain Finkielkraut. qui deplorent la banalisation d'un rire institutionnalise par les
pseudo-champions d'un humour formate par le marche ou la politique. Ah, elle est loin, cette bonne
vieille tradition francaise oil la satire, la ferociteet rinvectivecoulaient encore dans nos veines !...
Desormais la grande presse, eta plus forte raison la radio et la television, se mefient des expressions
trop tranchees, des turbulences de pensees et des truculences de langage. ce qui risquerait de choquer
telle ou telle partie du lectorat oude l'auditoire. De nos jours, Pecriture est de plus en plus aseptisee, et
les plumes se trempent de moins en mo ins dans le vitriol. Les journalistes, les orateurs et les ecrivains
qui carburent a P adrenaline font scandale. Comme s'il etait devenu obscene d'ecrire tels les Goncourt
dans Pelan de ces « belles coleres nerveuses qui fouettent le sang et qui trouent le papier ». C'est mal
connaitre notre histoire, lorsqu'on pense aux brillants polemistes de la Renaissance que furent Rabelais et
Montaigne ou, plus tard, les courageux auteurs de libelles et autres mazarinades. Que dire aussi de Pascal
etrillant les jesuates et de Moliere arrachant leur faux nez a ses contemporains ? Est-il necessaire
d'aj outer les Montesquieu, \foltaire, Beaumarchais, et tous leurs emules qui porterent le bel art de la
polernique, et avec quel talent ? Et dans ce carnaval de pamphletaires, comment ne pas citer encore ces
me'morialistes au curare que furent Saint-Simon, Retz ou La Rochefoucauld ?
\bila pourquoi je n'ai donne ici que peu de place aux comiques profess ionnels contemporains qui
font semblant de deranger alors que leur rire n'a rien a voir avec P humour.
Plus delicat et plus difficile a justifier, peu de femrnes a V horizon. Un debut de scandale ? Une
insupportable misogynie ? Je sens deja la rumeur des protestations s'elever. Pourtant, ce n'est pas faute
d'avoir vouluratisser large, entre Mme de Sevigne et Valerie Lemercier. par exemple ! Mais je reconnais
que je n"ai pas trouve assez de femmes d'esprit pour respecter la parite, si « tendance » par les temps qui
courent. Evidemment, je les ai ecoutees et appreciees, et je pense a celles qui « squattent » les plateaax
de television, les studios de radio, les theatres et les cabarets : Anne Roumanoff, Julie Ferrier, Florence
Foresti, Elisabeth Buffet, ces filles naturelles de Sylvie Joly, Chantal Ladesou et de Muriel Robin, de
vraies comiques de scene, mais moias bricoleuses de mots que certains de leurs petits carnarades que je
leur prefere.
Cet ouvrage se rapproche plus d'une anthologie que d'un dictionnaire. Qui dit anthologie dit citations,
et j' imagine queje suis le premier dans celte prestigieuse collection a en abuser, entoute connaissance de
cause, car une bonne citation vaut mieux qu'une longue explication. Le meilleur livre jamais ecrit sur
rhumour n'est-il pas cette Anthologie de 1 'humour noir d' Andre Breton, consideree comme la bible des
amoureux du genre ? Entre le florilege et P anthologie, la frontiere est etroite mais significative. Le
florilege est un simple « recueil de pieces choisies », et Panthologie est un « recueil des productions les
plus caracteristiques d'un ensemble ». Nous y sommes, et grace a Pordre alphabetique, on pourrait
Pintituler Dictionnaire amoureux et anthologique de I 'humour. Ce serait une premiere.
Autre innovation, un « plus produit », comme disent tres disgracieusement les publicitaires, labellise
pompeusement Pantheon, ou Jean-Claude Simoen et moi avons voulu sacraliser les persiflages, saillies,
faceties et citations d'humour qui nous paraissent meriter notre plus fervente admiration.
Je vous laisse maintenant badiner avec rhumour et ces humoristes rassembles ici pour vous.
D'AIphonse Allais a Montesquieu, de Bourvil a \bltaire, de Francis Blanche a Jonathan Swift, vous
n'aurez que Tenibarras d"un choix eclectique a travers cette anthologie egoiste et drolatique. Qu'ils
soient anthumes ou posthumes, poetes, romanciers, misanthropes, comiques, truculents, sarcastiques,
aphoristes euphoriques. saltimbanques langagiers ou princes sans rire, ils sont la pour vous faire sourire,
voire plus si affinites, en vertu de ce principe imparable enonce par Prevert : « LThumour est nenarrable,
solite, decis, ponderable, commensurable, tempestif et trepide. »
Qui dit mieux ?
Agelaste
« Le rire est un des plus surs agents de retouniement du cercLe vicieux de la maladie au cercle
vertueux de la sante », affirme le docteur Rubinstein dans La Psychosomatique du rire, poursuivant ainsi
la tradition, puisque depuis FAnti quite les medecins preconisent dix minutes de rire par jour pour se
maintenir en bonne sante. En 1939, les Francais riaient parait-il dix-neuf irrinutes par jour, en 1983 six
minutes, en 2000 une minute, en 2012 d'aucuns disent quails ne rient plus du tout Serions-nous tous
devenus des agelastes ?
Ce mot cree au xvi e siecle par Francois Rabelais, repris du grec, signifie : « Celui qui ne rit pas, qui
n'a pas le sens de r humour. Rabelais detestait les agelastes. n en avait peur. II se plaignait que les
agelastes fussent si "atroces contre lui" qu'il avait failli cesser d'ecrire, et pour toujours » (Milan
Kundera, L 'Art du roman).
Agelastes celebres : Isaac Newton, qui n'aurait ri qu'une seule fois dans sa vie, Staline, Margaret
Thatcher ou le personnage cree par Buster Keaton au cinema et d'autres, tels :
— Ignace de Loyola, « Ne dites rien qui provoque le rire ».
— Louis de Blois, « Fuyez les rires eclatants comme un precipice oil Tame tombe et se perd ».
— Le cure d' Ars, « Le rire est la corde par laquelle le demon entraine le plus d'ames en enfer ».
— Saint Louis de Montfort, « Le rire est condarnnable a regal de la fornication ».
— M. Carreidas dans Les Aventures de 77/7////, « L'homme qui ne rit jamais ».
La question est de savoir si Ton peut soigner les agelastes, mais aussi si le rire peut etre considered
comme une therapie serieuse.,4 priori je dirais oui. Je me souviens d'avoir lu en 1980 un best-seller
americain, Comment je me suis soigne par le rire de Norman Cousins, qui racontait qu"avec la
complicity de son medecin qui ne lui donnait qif une chance sur cinq cents de guerison il avait reussi a
sortir de ce mauvais pas grace au rire, en se faisant projeter plusieurs films comiques par jour, tout en se
gavant de vitarnine C.
La Bible nous apprend qu*« un cceur joyeux peut faire ceuvre de medecin ». Francis Bacon parlait,
lui, des « caracteristiques physiologiques de la gaiete » et Robert Burton il y a quatre siecles dans son
Anatomie de la melancalie affirmait que « l 1 humour purge le sang, rendant le corps plus jeune, plus vif et
apte a toutes sortes d'emplois ». Emmanuel Kant dans sa Critique de la raison pure ecrit que le rire
« renforce les phenomenes physiques vitaux, raffectionqui remue les intestins etles diaphragmes ». Cela
confirme ce que pensent d'eminents gastro-enterologues de ma connaissance, les gens qui rient de bon
coeur ne sont jamais constipes !
Plus serieusernent Freud pensait, sans rire, que la gaiete etait un excellent moyen de reagir contre la
tension nerveuse.
D'autres eminents specialistes attribuent a Lendorpliine, cette substance proche de la morphine que
Ton trouve dans le cerveau humain, une faculte determinante dans le processus de lutte contre la douleur.
lis pensent que ce sont les emotions positives qui les slimulent et permettent leur deversement dans la
circulation sanguine.
Alice au pays des merveiDes
En aucun cas Alice au pays des merveilles ne saurait etre reduit a un livre pour enfants, bien que
l'heroine en soit une fillette. Son auteur, le rigide Charles Lutwidge Dodgson (1832-1898), n'avait rien
d'un amuseur public : professeur de rnathernatiques au Christ Church College d'Oxford, on le disait rabat-
joie. Gaucher, ce qui etait pris pour une anomalie a l'epoque, et begue, il etait mal a raise parmi ses
etudiants auxquels il dispensait des cours ennuyeux. II flryait les adultes et recherchait la compagnie des
enfants, surtout des petites fllles, qu'il aimait photographier. D'apres un psy de mes amis, il etait autiste
et pedophile. Pas etonnant si les ladies de la societe victorienne s'enmefiaient. Mais comme dans chaque
docteur Jekyll il y a un Mr Hyde qui soinmeille, cet individu austere et asocial s'est revele un ecrivain
talentueux du nonsense. Presse par une petite fille, Alice Liddell, de fixer dans un livre Thistoire qu ? il
venait d'improviser pour elle et ses petites sceurs, il cent Alice au pays des merveilles (1865), recit d'un
voyage au bout de Fabsurde. Et e'est ainsi que Charles Dodgson est devenu Lewis Carroll.
Alice reve au lieu d'apprendre ses Iecons. Elle s'ennuie, les livres scolaires sont tristes, ils n'ont
jamais d'images. Alors quand elle apercoit un petit lapin blanc elle decide de le suivre. Elle penetre daas
son terrier, et une chute interminable Tentraine dans un monde souterrain, peuple de creatures
invraisemblables : les jardiniers ont un corps de cartes a jouer, on peint les rosiers blancs en rouge,
quand on joue au croquet on remplace les boules par des herissons et les maillets par des flaniants roses,
et il y a un chat qui n'arrete pas de sourire. Habituee aux codes et aux principes de sa famille et de la
societe victorienne, Alice est destabilisee. Elle essaie en vain de dormer une apparence de logique a ces
situations inattendues, mais ne sait plus que croire entre ce qu'elle voit et ce qu'on lui a appris. Et dans
ce monde qui n'est pas le sien, Alice ne sait plus qui elle est.
Cet univers qui nous semble absurde est Teeuvre d'un etre inadapte a son epoque. Emprisonne dans
les convenances, coniraint de museler ses emotions et d'etouffer ses pulsions. Lewis Carroll s'est cree un
monde a Tenvers ou ranormal est devenu la nonne. Le professeur de mathematiques defenseur de la
geometrie euclidienne est passe de Tautre cote du miroir. Et ce pays des merveilles qui se moque de la
vraisemblance me faitpenser au genie creatif du Facteur Cheval... Je doute qu'il seduise, mais je suis sur
qu'il interpelle.
Je ne lirais pas Alice au pays des merveilles a un enfant, le trouvant assez derangeant pour un jeune
lecteur. Certes, le linguiste buissonnier que je suis vous dira que Wonderland (le pays d'Alice) vient de
wonder qui signifie « merveille ». Mais laissez-moi preciser que le verbe to wonder peut signifier
egalement « s'etonner », « se demander ». Or il me semble qu' Alice s'interroge aulant qu'elle
s'emerveille.
Je Iaisserais volontiers Tincongru et Tabsurde aux adultes pour offrir plutot aux enfants un bon conte
de fees bien de chez nous ou de chez Andersen, meme s'il y a bien sur des mechants qui font peur, genre
ogres ou sorcieres, mais ils sont toujours punis, et grace a la magie du « II etait une fois », Thistoire est si
eloignee du reel que meme pas peur ! Alors que dans ce pays des merveilles il n'y a ni bien ni mat, ni
bon ni mechanic que du bizarre, et 1 'enfant ne trouve aucune reponse a ses Pourqitoi ?
Vbus I'aurez sans doute compris, entre Alice et Nounours, je choisis plutot le second. Bonne nuit Ies
petits !
Allais, Alphonse (1854-1905)
Ceux qui pensent que Madame Soleil, Elizabeth Teissier ou Francoise Hardy ne racontent pas que
des carabistouilles persistant a donner a Fastrologie ses Iettres de noblesse ne vont pas etre degus.
Le 20 octobre 1854, une curieuse conjonction de planetes faisait venir au monde deux genies de la
litterature : un petit Artliur dans la famille Rimbaud a Charleville et un adorable blondinet. Alphonse, au
premier etage de la pharmacie Allais, sise a Honfleur, chez des « parents francais, mais honnetes ». Un
comble pour le jeune Allais qui plus tard se delecterajustement aimaginerdes combles qu'il publia dans
L 'Hydropaihe et qui lui valurent les debuts de sa celebrite.
— « Quel est le comble de la politesse ? S'asseoir sur son derriere et lui demander pardon. »
— « Quel est le comble du cynisme ? Ne pas sortir de chez soi et jouer sur son piano toutes les
heures et toutes les demies pour faire croire aux voisins qu'on a une pendule. »
— « Quel est le comble de la bonte d'ame ? Refuser qu'on pende la cremaillere. .. »
Mais qui etait ce petit Allais qui ne prononca pas un mot jusqu'a Page de trois ans, avant d'accoucher
d'une ceuvre de plus de cinq mille pages nornmee fort joliment CEuvres anlhurnes, avant de mourir jeune
en 1905, non sans avoir ete le plus pille de tous les ecrivains, au point d'etre surnomme •« La vache
Allais »?
Comment cet infatigable « tueur a gags », ce moustachu misanthrope (personne ne se souvient de
Tavoir vu rire) et qui n'airnait ni les chiens ni les chats, a-t-il pu commettre autant de contes, d'histoires,
de fables-express, de calembours et de pensees comme celles-ci ?
— Metaphysique : « Dieu a agi sagement en placant la naissance avant la mort : sans cela, que
saurait-on de la vie ? »
— Geopolilique : « Ce qui frappe le plus le voyageur quand il arrive a Venise, c'est F absence totale
de parfumde crottin de cheval. »
— Economists : « 11 faut demander plus a Fimpot el moins au contribuable. »
— Philosophique : « Tout est dans tout, et vice versa. »
Comment, disais-je, le pote Allais (sic) s'est-il impose comme Tun des plus grands ecrivains de
notre temps ? C'est en tout cas mon opinion et je ne suis pas seul a la partager, car ce precurseur du
foisonnement litteraire poetique et ludique du XX 6 siecle a beaucoup influence des Queneau, Prevert,
Desproges ou Devos, et d'autres encore.
Bien avant 1'OuLiPo, il avait deja songe a reformer rorthographe pour laquelle il avait une
veneration, tout en fustigeant ceux qui pretendaient la reformer :
« La kestion de la reform de lortograf est sur le tapi.
[...] Koi kil en soi, ce proje de reform a le plu grande chans d^tr adopte, sinon ojourdui, du moin
dan peu de tan.
On ecrira com on pari, e person ne san trouvera plu mal.
KLi nou dit ke no peti neveu ne se railleron pa de notr mani dimpose tel form a tel mot pluto que tel
otr?
Cet reform, je ne me le dicimul pa, a contr el de puissan zennmi, Leconte de Lil, Frangoi Cope et
dotr. Cope, lui, pleur de ce kil ny a kun h a ftisi. Si on lecoule, on ecrire phthisie, pourkoi pa phthishie
pendant kil y e ?
Tou 9a, ce son de zanfantiyaj, e tene pour certin ke si lortograf ne pa morte, o moin el a du plon dans
lei.
De zespri moyen, de zoportunist com on di en politic, propoz timideman de respecte le non propr.
Pourkoi don ca ?
Kan on fe une reform il fo la fer radical ou ne pas san meler, voila mon avi ! »
Patrice Delbourg, orphelin d'Allais, qu'il appelait « Uidiome du village » rappelle que tout ce qui
reste d'Alphonse, c*est du papier : « Des idees imparables, des phrases rudement bien balancees, des
metaphores aventureuses, le mot au cordeau, du souffle a revendre, de la prose sans reproche qui se
transforrne en bruit incessant, un munnure qui accompagne nos nuits et nos jours. »
Francois Caradec, qui a consacre une partie de sa vie a publier les ceuvres d'Alphonse, sans compter
une monumentale biographie, pense qu'il etait Tun de ceax qui surent le mieux mettre le doigt sur toutes
les ressources qu'offre le langage, ses secrets et ses pieges, que ce soil le calembour (« Comrne il faisait
chaud. l*affaire transpira »), les a-peu-pres (« Apres s'etre assure que Fairer qu'on lui servait etait bien
de Tamer Michel et le curacao du vrai curacao de Reischoffen »), le zeugme (« Je fiis presente a la
famille ou je plus tout de suite, a verse »)etmeme ranglomanie :
« hamlet : Qu'avez-vous fait de la bouteille de gin ?
le fossoyeur : J'ai tout bu.
hamlet : Tout bu or not to bu ? »
Mais ce sont surtout les curiosites et excentricites de la Iangue francaise qui font sa joie et la mienne :
« Je me rappelle Tamusante boutade de mon pauvre vieil ami Hippolyte Briollet : On dit "Francfort-
sur-le-Main" et "avoir le cceur sur la main". Comment voulez-vous que les etrangers s'y reconnaissent ?
Moi aussi, je me demande comment les etrangers peuvent s*y reconnaitre. »
Ou encore : « C'est la premiere fois que j'ecris "Suissesses" et je suis epouvante par la quantite
d'"s" absorbee par ce simple mot (6 s pour 1 lettres). »
Sans compter les mots qu'il cree pour le plaisir :
« L'ivre-mortisme », « la funebrerie », « la rythmosite », « la moyenagerie », « le tronicule », « la
faroucherie », « rambigulativite », « le pas-de-bilisme », « Texasperabilite », « le rendonnissement »,
« le pataugeage », « le bluffage », « desastrifere », « catasrrophore », « crapuliforme ».
Lorsqu'il etait journal iste debutant, Allais avait pris F habitude chaque mois de venir toucher son
appointement, car, disait-il : « Je ne vais quand meme pas deranger Ie pluriel pour si peu de chose. »
Un autre jour, se trouvant dans une minuscule gare de province, il felicita le chef de gare :
« Bravo, pour votre ravissante petite gare. \bus auriez cela rue Saint-Lazare a Paris, vous auriez un
inonde fbu ! »
Notre Alphonse national qui avait effectue son service militaire au 119 e de ligne se signala par
quelques hauls faits... linguistiques :
« Bonjour m'sieurs dames », s'ecria-t-il en entrant dans une salle d'officiers superieurs, en reclamant
la pennission de nuit attribuee aux hommes maries, et une autre « de jour » en pretendant qu'il etait
bigame...
Dans son appartement du 24, rue Royale a Paris, il se vantait d'avoir rassernble quelques belles
pieces :
— une tasse avec arise a gauche pour gauchers ;
— le crane de Voltaire enfant ;
— un veritable morceau d'une des nombreuses fausses croix authentiques de Notre-Seigneur Jesus-
Christ
En 1902, il pubheLe Captain Cap, sous-litre Ses aventures, ses idees, ses hreuvages, que Tristan
Bernard, Jules Renard, Sacha Guitry, Andre Breton et Raymond Queneau constderaient comme Touvrage
d'« un tres grand ecrivain ».
Dans son avant-propos, Allais previent le lecteur : « Le Captain Cap n'a jamais existe, assure-t-on
couramment au sein de certaines spheres d'habitude mieux informees. Eh bien, il importe de dissiper une
des plus grossieres erreurs de ce temps. Le Captain Cap a bien existe. »
Nous voila prevenus. Mais qui etait le Captain Cap ? Un ancien aventurier des mers et du Far West,
oil il decouvrit d'importantes mines de charcuterie, et qui, une tbis rentre en France, se lance dans la
politique pour lutter contre le mensonge, rhypocrisie, la fraude et la betise. Arme d'un humour absurde et
d'une batterie de cocktails antidepresseurs, dont on trouve la liste complete en annexe de l'ouvrage, le
Captain Cap va s'escrimer a deboulonner les fausses valeurs de la France etemelle en se presentant a la
deputation. Non sans avoir auparavant expose son programme ou il est question d'etablir un fort sur la
butte Montmartre, de transformer la place Pigalle en port de mer, de supprimer la bureaucratie et Timpot
sur lesbicyclettes...
Je retiendrai aussi son projet de diviser la France en douze tranches latitudinales dont chacune
porterait le nom d'une heure de Thorloge :
« Le Midi sera toujours le Midi ; la tranche situee immediateiTient au-dessus s'appellerait l'Onze
heures, celle d'au-dessus le Dix heures, et ainsi de suite jusqu'auNord.
La derniere tranche (ultima ratio), celle situee le plus au nord, s'appellera, par consequent. Time
heure. Paris, par exemple, si je ne me trompe, se trouverait dans le jeudi - cinq heures vingt. Mon projet,
comme vous le voyez, est simple, trop simple meme pour etre adopte par ces messieurs du
gouvernement »
Mais dans ce Iivre, le Captain Cap ne se contente pas de faire miroiter son programme electoral. II
narre avec force details ses aventures autour du monde, en particulier dans la region du Haut-Niger ou les
girafes lorsqu'elles sont atteintes de laryngite se couchent en exhalant une sorte de plainte melodieuse qui
a la propriete d'attirer le boa constrictor :
« Ce reptile arrive a pas de loup, si j'ose m'exprimer ainsi, et doucement, sans rien brusquer,
s'enroule autour du cou de la jeune malade, du ras des epaules jusqu'au-dessus de la tete. Nos elegantes
Parisiennes portent des boas en plume ou en fourrure. Les girafes portent des boas en boa, ce qui est bien
plus pres de la nature. Quarante-huit heures de ce traitement et la girafe est plus vaillante que jamais !
Hein!
Qifest-ce que vous dites de 9a ? »
Pour en finir avec ce drole de Captain, car je ne peux que vous inciter a le lire, ou a le relire,
j'ajouterai qu'il preconise aussi de remplacer « le pigeon » qui comme son nom Findique est un
imbecile... par « le poisson voyageur » pour transporter Ies depeches militaires, en faisant attention
cependant de menager leur caviar... et a suggerer aux artilleurs d'utiliser des « crocodiles pontonniers »
pour franchir les ponts sur leur dos. ..
Une solide formation scientifique le conduira a s'interesser serieusement cette fois a la photographie
en couleurs, a la synthese du caoutchouc et au cafe soluble par lyophilisation pour lequel il deposera un
brevet, sans compter une foule d'autres inventions d*une incontestable utilite :
— des prairies verticales permettant aux girafes de brouter plus facilement ;
— un appareil a detacher la moutarde des parois du pot a moutarde ;
— un aquarium en verre depoli pour poissons timides.
Comme il ecrivait toujours au cafe, P absinthe (Ies absinthes ont toujours tort...), qui en ce temps-la
faisait des ravages, n'epargna pas ce membre eminent du club des Hydropathes ou il s'etait inscrit,
croyant que ce terme designait ceux qui ont a souffrir de Teau, ce qui ne flit pas prouve.
En 1905, il Hit victime d'une grave phlebite et bien qu'un rnedecin lui cut ordonne six mois de lit, il
prefera se lever et aller au cafe. Le 27 octobre, il rencontra un ami et lui demanda de le reconduire a
1' hotel Britannia, au 24, rue d'Amsterdam a Paris, ou il habitait en Tabsence de sa femme.
« Demain, je serai mort. lui dit-il. \bus trouvez 9a drole, mais moi, je ne ris pas. Demain, je serai
mort ! »
Le lendemain, 28 octobre, vers 8 heures, il mourait d'une embolie foudroyante a cinquante et un ans.
On Tenterra au cimetiere de Saint-Ouen.
Sa tombe disparut en 1944, au cours d'un bombardernent allie sur la gare de La Chapelle. II n'en est
rien reste, pas meme un eclat de marbre...
Comme il avail l'habitude de dedicacer lui-meme ses livres en ces termes : « A Alphonse Allais,
avec le regret de ne pas 1'avoir connu. Vbltaire », j'aurais aime lui dedicacer celui-ci : « A Alphonse
Allais, avec le regret de ne pas P avoir connu. »
A lie 11. Woody
Nom : Konigsberg, prenom, Allen Stewart, fils de Martin et de Netty, frere de Letty. Origines :
descendant de juifs immigrants d'origine russo-autrichienne parlant allemand. Ne a New York en 1935, il
passe Ies premieres annees de sa vie a Tecole judaique avant d'integrer l'ecole publique, 011 il
impressionne ses petits cainarades avec ses tours de magie. II commet des sketches pour des stars du
stand-up, se produit dans des shows et commence a ecrire pour certains magazines dont The New Yorker.
Premier coup de genie, comprendre que ses defauts psychologiques sont un plus pour batir et installer
son personnage d 1 intellectuel nevrose, ce qui lui vaut en 1969 de faire la couverture de Life, a Toccasion
de la sortie de sa piece Play It Again, Sam.
Son premier film ? Quoi de neuf, Pussycat ? en 1965, ou il est a la fois scenariste et acteur.
Sa passion pour le jazz ? Un coup de cceur pour Sidney Bechet quand il a quatorze ans. apres avoir
tate du saxophone, ce qui explique le choix de son prenom. Woody, comme son idole le musicien Woody
Herman, bien qu'il choisisse plus tard la clarinette.
Les femmes de sa vie ? Trois epouses officielles. Harlene Rosen, epousee en 1956, puis Louise
Lasser, qui jouera dans plusieurs de ses films dont Prends I'oseille et tire-toi. Ensuite, il ne se marie pas
avec Diane Keaton avec qui il reste dix ans, ni avec Mia Farrow, douze ans, mais il epouse Soon-Yi, sa
fille adoptive, en 1997.
Ses autres films ? Une bonne vingtaine, avec pour moi une nette preference pour Annie Hull, Hannah
et ses saeurs et Manhattan.
Les films preferes de Woody ? Citizen Kane, Un tramway nomme desir, Cris et Chuchotements, Les
Quatre Cents coups , A bout de souffle, Le Voleur de bicyclette, Chantons sous la pluie et La Soupe au
canard, entre autres.
Le plus, mauvais de ses propres films selon Iui ? Le Sortilege du scorpion de Jade dans lequel on
voit David Stiers hypnotiser un detective d'assurances, joue par... Woody lui-meme.
Woody Allen est-il vraiment genial ? Pour moi, cela ne fait aucun doute. En fait, j'envie Woody
Allen... \foila, c'est dit. Je Tenvie parce que chaque fois que je le lis, et apres avoir vu tous ses Films,
certains meme plusieurs fois, j'enressors ebloui et... frustre, en me demandant pourquoi je n'ai pas eu la
meme idee, pourquoi je ne suis pas capable d'ecrire et d"exprimer les memes choses, puisque je les
ressens comme lui, bref, pourquoi je ne suis pas, excusez du peu, le Woody Allen frangais... ? "Vaste et
pretentieux debat, mais interessant. Si je nfidentifie tani a lui, c'est que nous avons peut-etre quelques
points communs. Ses lunettes ? Tai eu les memes il y a une trentaine d'annees. Son pessimisme foncier ?
Je l'ai frequente a une certaine epoque janseniste de mon adolescence, oil je croyais que tout etait deja
joue dans mon existence et qu'il n'y avait plus qu'a attendre la fin du monde. Depuis je me suis soigne,
mais a ma connaissance, pas Allen, qui a fait du catastrophisme ambiant le fond de sauce de la plupart de
ses films. II va meme beaucoup plus loin : « Je ne vois pas plus le verre a moitie plein comme les
optimistes que le verre a moitie vide comrne les pessimistes. Le verre est vide. Completement vide. »
Dans un ouvrage tres documente, le journaliste Laurent Dandrieu, qui connaft apparernment bien
Allen, remarque : « Pres de la moitie de ses films se terminent rnal, soit que le heros soit
sentirnentalement delaisse : Tombe les ft lies et tais-toi, Annie Hall, Manhattan, La Rose pottrpre du
Caire, Maris et Femmes, Celebrity^ Accords et Desaccords^ Anything Else ; soit que les mechants soient
recompenses et les justes punis : Crimes et Delits, Match Point ; soit que les personnages demeurent face
au vide ou a Tabsurdite de leur existence : Interieurs, September, Une autre femme ; soit que les
heros.. . meurent : Le reve de Cassandre. »
Pour eeux - peu nombreux j "imagine... - qui voudraient savoir si je m'identifte a cette facon qu'a
Allen d' analyser les choses de la vie, de camoufler l'indicible sans pour autant le nier et permettre une
veritable reflexioa oui. cela me seduit beaucoup. J'aimerais comme lui savoir vehiculer les memes
messages avec autant de talent. Je m'y attelle pourtant depuis des annees apres avoir commis une
soixantaine d'ouvrages dliumeur. Le resultat n'est pas encore tres probant, a moins que la publication de
ce Dictionnaire amoureux ne me permette d'inverser la vapeur.
Mais pour Woody, il y a pire que le pessimisme, il y a bien sur la mort omnipresente qui l'obsede.
On se souvient que dam Annie Hall, Alvy Singer, alias Woody Allen, est amoureux d'une provinciale
coincee, Diane Keaton, qail va initier a prendre des cours et a entreprendre une carriere de chanteuse
lout en lui proposant des lectures dont chaque titre de livre contient le mot mort. On retrouve aussi ce
theme tres present dans Stardust Memories. Uhistoire d'un homme qui a tout pour etre heureux mais
n'accepte pas l'idee quMl estmortel.
De la inort au suicide, il n'y a qu'un pas. si je puis dire. Et, toujours dans Annie HalL le fameux
Alvy- Woody affirme : ■« Je me serais bien suicide, mais j'etais en analyse avec un freudien de stride
obedience et ils vous font payer les seances manquees. » Du pur, de Texcellent Woody, du grand art, ou
Ton voit ce prince de la pirouette exorciser avec un humour colossal ses propres obsessioas, tant il est
evident que le personnage d 1 Alvy est autobiographique.
Suis-je moi-rneme obsede par la mort ou le suicide ? Certainly not... La, je ne rejoins plus mon
mentor, mais je le retrouverai rassurez-vous sur d'autres themes qui me sont chers, la culpabilite,
Texistence de Dieu, le sexe, ramour et, dans un registre plus leger, l'observation de ses contemporains et
des bobos new-yorkais comme dans Manhattan. Non seulement ce film est une declaration d 'amour a la
ville de New York, qui est aussi pour moi une des villes les plus exaltantes du monde, mais c'est, comme
il le dit lui-meme, la description « des habitants de Manhattan qui se creent constamment des problemes
nevrotiques pour eviter de se poser des questions plus terrifiantes et insolubles sur la marche de
Punivers ». Ce film est d'autant plus etonnant qu'il est une satire universelle des inlellos autoproclames,
donl votre serviteur, qui n'a aucune fausse honte a dire qu'il s'y retrouve un peu, et ceux qui pensent
comme Allen que New York est une metaphore de la decadence de la culture contemporaine me
comprendront. Et Dieu dans tout ca ? II est present, presque partout dans ses films, comme l'ecrit Laurent
Dandrieu : « Toute religion, quelle qu'elle soit — a commencer par celle dont il est issu et qui Pa
profondement marque, le judai'sme — , est impuissante a repondre aux grandes angoisses qui structurent la
vision du monde et notamment a deux enigmes primordiales : Pexistence de la souffrance et du mal, et
Pombre portee de la mort. »
Je Pai dit. Woody a recu une education juive tres orthodoxe. et que lui en reste-t-il ? Une obsession
de Pantisernitisme et une malediction inherente a cette religion, qui pour lui est incapable de repondre a
ses questions existentielles.
D'oii ces innombrables saillies pour encore et encore exorciser cette nevrose. Par exemple : Zelig,
hypnotise par le docteur Fletcher, alias Mia Farrow, raconte cette anecdote de son enfance : « J'ai douze
ans, je fais irruption dans une synagogue. Je demande au rabbin le sens de la vie. II m'explique le sens de
la vie. Mais il me Pexplique en hebreu. Je ne parle pas Phebreu. Alors, il essaie de me vendre des cours
d'hebreu a 600 dollars. »
En fait Allen pretend ne pas croire en un Dieu mais « // » lui manque et il le cherche partout. Sur ce
point je me sens, la encore, proche de lui. Pour ce qui concerne la culpabilite judeo-chretienne.je le suis
en partie et j'admire sa facon de poser ce probleme comme dans Broadway Danny Rose, ou Pon voit
Danny Rose (Woody) expliquer a Tina (Mia Farrow) :
« La culpabilite est importante, c'est important de se sentir coupable. Sinon tu sais, tu es capable de
choses terribles.
[...] Je me sens coupable tout le temps et je n'ai rien fait. Mon rabbin, le rabbin Perlstein, disait
toujours que nous sommes tous coupables aux yeux de Dieu.
— Tu croi s en Dieu ?
— Non. non, mais ca me donne un sentiment de culpabilite. »
La psychanalyse ? On la retrouve aussi partout, normal quand on est soi-meme en analyse depuis des
decennies, et je rne contente d'observer avec bonheur comment il traite ce qu'il considere comme une
drogue essentielle et vitale, et meme s'il salt qu'il n'en terminera jamais avec ce substitut de la
confession ;
« Je n'ai pas vu mon analyste depuis deux cents ans. Si j'y etais alle tout ce temps, je serais presque
gueri » (Miles, alias Allen, dans Woody et les Robots). Et notre homme d'avouer dans un entretien au
Figaro, en 2005 : « Si je n'avais pas ete en analyse, je n'aurais pas realise un film par an. Lorsque vous
etes obsede par vos problemes, inquiet, deprime, vous n'arrivez pas a vous concentrer. Une seance de
divan, c"est corrntie une seance de gym. La psychanalyse a ete mon entraineur personnel. »
Je n'ai moi-meme jamais ete sur un divan, peut-etre aurais-je du. .. Mais si Woody me le demandait,
j'irais, of course, les yeux fermes, ne serait-ce que pour verifier toutes ces allegations distillees dans ses
dialogues, comme dans Hannah et ses samrs ou Mickey- Woody confesse : « J'ai ete en psychanalyse
pendant des annees et il ne s'est rien passe. Mon pauvre analyste etait si frustre qu'il a fini par ouvrir un
bar a salades. » Un bel exemple du paradoxe allenien, classique du genre : « Je ne peux pas me passer de
la psychanalyse, rnais je mets tout en ceuvre pour la denigrer. »
Quant aux femmes et Tamour^ on se demande s'il ne trouverait pas la des raisons de ne pas
desesperer tout a fait. Meme s'il a eu une vie sentimentale agitee, et s'il fait l'apologie de la legerete
sexuelle dans Vicky Cristina Barcelona, oil il vante les bienfaits du triolisme et. dans Whatever Works,
ceux de l'homosexualite, on le sent mal a Faise sur le sujet, a croire qu'il est nostalgique du manage et
du couple parfait. Comme dans la plupart de ses films, on retrouve le meme processus, faire l'eloge, en
P occurrence, du seducteur ou de Tobsede sexuel, pour denoncer ce qu'il reprouve au profit d'un retour
vers la morale. Et quand, en juillet 2012, Christine Haas lui demandait pour Match quelle etait la phrase
qui resumait le mieux son sentiment sur la vie, il repondait : « Dans Harry dans tous ses etats, je disais :
"Tout le monde cormait la verite et chaque vie se distingue par la maniere dont nous deformans cette
verite." Etje crois que c'est vrai. Chacun de nous deforme la verite selon qu'il estreligieux, scientifique,
artiste ou... communiste. Mais quand on est seul chez soi et qu'on se reveille en sueur a 3 heures du
matirL on sait quelle est la verite, et c'est la meme pour tout le monde. »
Comment conclure ? Et quitter un personnage aussi complexe et attachant ? Je lui laisserai le dernier
mot en le citant dans to Inrockuptihles, en fevrier 1997 : « Ce n'est pas un desastre, mais il faut
apprendre a vivre avec la douleur... Accepter qu'il n'y a pas d' issue, que toutes les solutions
traditionnelles, toutes les philosophies avec lesquelles nous avons grandi sont non valables : la
psychiatrie ? la religion, le marxisme, rintellectualisme. »
Et Laurent Dandrieu confirme : « Uceuvre de Woody Allen nous enseigne que le pessimisme n'est
pas fatalement ravageur, mais il peut etre aussi un levier pour interroger le sens de Texistence. mettre a
bas les fausses valeurs d'etablissement et tenter de retrouver le sens profond des choses. »
Almanac hs
C'est a la fin des annees 1980 que j'ai vraiment realise que j'etais atteint d'une curieuse addiction
qui me conduisait chaque week-end de brocantes en marches aux puces, pour satisfaire des pulsions
bizarres. J'ai dit bizarre ? Le mot est lache. Qui dit bizarre dit aussi insolite, curieux, remarquable, rare,
original, etonnant, surprenant, inauendu, etrange, incroyable...
J'ai ressenti les premiers symptomes de ce mal a l'aube blafarde d'un jour de cliine. Le faisceau
glauque de ma torche electrique guidait ma main d"une page a l'autre, et la decouverte de chaque feuillet
declenchait en moi une excitation grandissante. (Test ainsi que j'appris ce jour-la, en feuilletant de vieux
almanachs Hachette, qu'un verre de bordeaux peut tuer un enfant de dix ans, que les porteurs de grandes
oreilles sont des nai'fs, que le cepe a une duree de vie de quinze jours alors que le rossignol peut vivre
douze ans, qu'il ne iaut pas mettre de ceinture ni ernprunter le chemin de fer si Ton veut vivre cent ans et
que, a rinterieur de ces cent ans, cinq ans sont consacres a la marche et vingt-quatre au sommeil. Je
decouvrais enfin que, en 1909, il y avait en Bretagne treize maris possibles pour une seule femme, alors
qu'en Alsace il n'y avait que deux tiers d'hommes pour une candidate au manage.
Lorsqu'en 1984 ralmanach Hachette fait sa premiere apparition, on est loin de se douter que pendant
une soixantaine d'annees ce petit Iivre bleu va organiser, rythmer et enchanter la vie quotidienne de notre
douce France.
II existe en effet a ma connaissance peu d'ouvrages qui, sous un aussi faible volume, aient ete tout a la
fois « religieux, manuel d'histoire, de geographic et de sciences naturelles, magazine sportif ou
economique, guide de loisirs et bien d'autres choses encore ».
Et rhumour, me direz-vous ? Un livre etonnant et insolite n*est pas forcement distrayant. Justement si,
car ce qui fait le sel de ralmanach, c'est Teffet produit par la lecture de ces textes passeistes, qui a
Tepoque de leur publication n'etaient pas forcement amusants. Mais avec le recul, la lecture que Ton en
fait plus de cent ans apres devient vraiment cocasse.
D'autres que moi ont bien percu rhumour qui pouvait se degager de ce genre d' informations
revisitees a travers le spectre de la nostalgie. Alexandre Vialatte, ce qui n'est pas etonnant vu son amour
du terroir, a ete un des premiers a se livrer a cet exercice de style, avec son Almanack des quatre
saisons, publie en 1960 en feuilletons pour le magazine Marie-Claire.
Desproges lui aussi s'estpris aujeuet cela n'etonnera personne. II publia un almanach juste avant sa
disparition en 1988, dont le principal trait de genie est d'avoir pendant cinquante-deux semaines fait
apparaitre une tres mauvaise reproduction du Guernica de Picasso en imaginant chaque fois une legende
diiferente. Par exemple : « Le dentiste est dans l'escalier », « Ouverture a Chantilly de la premiere
boucherie chevaline », « Le Prado de la meduse vu par Chantal Goya » ou « J r ai guere nique qu'a
Guernica dixit le general Franco ».
Autre theme recurrent dans ce petit bijou, Le con tie la semaine, oil Ton retrouve pele-mele Jacques
Medecin, Philippe Sollers, le professeur Schwartzenberg et BrigLtte Bardot, parce qu\< elle ne sail pas
reconnaitre une bombe insecticide d'un vibromasseur ».
Enfin, Desproges n'est pas avare de conseils pratiques pour les centenaires :
« Depechez-vous... », leur suggere-t-il. Noas, on aurait bien aime qu'il prenne son temps et ne
disparaisse pas quelques jours avant d* avoir pu terminer cet almanach.
Anselme, Jean L' (1919-2011)
« Ne a mimiil le 3! decembre 1919, dam la plus grande gare de triage de France, la meme ou, le
28 septembre 1873, Jules Verne atterrit, venant d 'Amiens, a bord du Meteore, apres un voyage de
vingt-quatre minutes en ballon. Bete de Somme en quelque sorte... Et non a Marigtum, en 1515,
comme certains biographes ou commentateurs le situent Son pere "le quitta " dans son plusjeune age,
ce qui le fit douter, des tors, du pere eternel. Sa mere fut successivemeni femme de peine (et pour
cause) puis femme de chambre, puis femme de menage. »
Avec les extraits de ce CV original, vous savez tout ou presque de cet homme delicieux mais quasi
inconnu du grand public, de son vrai nom, je crois, Jean-Marc Minotte, ne en 1919 et mort le
30 decernbre 201 1, a la veille de ses quatre-vingt-douze ans.
J'avais la chance de le croiser une fois par an a la remise du Grand Prix de 1' humour noir dont il etait
un pilier du jury. II faisait aussi partie du jury du prix Apollinaire et de l'Urbaine de poesie. En 1945,
Dubuffet l'avait initie a Tart brut, ce qui Tarnena easuite a experimenter Tart pauvre. Tart moche et Tart
con en poesie {sic). Bosquet disait de lui : « L'impertinence est sa seconde nature et il fait de la
rouspetance sa muse principale. » II privilegiait le banal et Pordinaire, et toute son ceuvre poetique est
rythmee par des pensees sur ce theme, et ses amis pensaient qu' il avail invente « un vaccin contre r esprit
de serieux».
La poesie etait sa passion et il la celebrait a sa facon :
— « La poesie, c'est comme la Bledine, on Paime avant de pouvoir en parler. »
— « Peu importe le vers, pourvu qu'on ait P ivresse. »
— « La poesie, c'est notre violon de dingue. »
— « Un cure qui a Line crise de foie me semble une situation aussi triste qu' un poete qui persevere. »
— « Les marins ont une femme dans chaque port, les poetes dans chaque pore. Les poetes sont plus
cochons que les marins. »
Pour en savoir plus sur le personnage, il faut lire sans plus tarder Le Ris ait laid (2004) ou quelques-
uns de sespoemes cons publies dans La Chasse d'&tu, en 2001 .
Extra it :
« L' amour fou »
« Je Sttis a toi comme la sardine est a I'kuile, le maquereau au vin blanc, le loup an fenottil, le
brocket au heurre bianc.
Je Sttis a toi comme la glace est a la pistache, le potttet aux hormones, la soupe a la grimace, man
pere avec la bonne.
Je suis a toi comme le vinaigre est a I 'estragon, la peche a I 'espadon, la salade aux lardons, les
gattes a I 'escadron. [...] »
Audiard, Michel (1920-1985)
« Les gens sont a cote de la plaque. Je deteste P argot, c'est une convention litteraire, un jargon
artificiel de tartarins et de matamores. Moi, je trace enlangage populaire, c'est different ! »
Ainsi parlait Michel Audiard, realisateur, ecrivaia, dialoguiste, gouailleur, anarchiste de droite,
amateur fervent du Die tionna ire des idees recues de Flaubert et admirateur de Celine, Marcel Ayme,
Calet, Vialatte et Jacques Perret ; sans oublier ses potes Fallet, Blondin et Boudard ; pour lui ce sont des
« feles » et il les aime, parce que « au travers on voit la lumiere ».
Lautner, de Broca viennent regulierement prendre livraison des joutes oratoires de leurs prochains
films. On Pappelle le Christian Dior du dialogue, car il garantit toujours du sur-mesure. La scene
mythique de la cuisine dans Les Tbntons jlingueurs, par exemple, devrait figurer dans le Lagarde et
Michard. une des rares sequences humoristiques que plusieurs generations connaissent par cceut. Et il y
en a d'autres dont on ne se lasse pas non plus :
« Mais y connait pas Raoul, ce mec. Y va avoir un reveil penible. J'ai voulu etre diplomate a cause
de vous tous, eviterqu'le sangcoule, mais maint'nant c'est fini ! Je vais l'travailler en ferocite ! L'faire
marcher a coups d'latte, a ma pogne je veux l'voir ! Et j'vous promets qu'il demandera pardon ! Et au
garde-a-vous ! »
Ou encore :
« Patricia, mon petit... Je voudrais pas te paraitre vieux jeu,ni encore moins grossier. L'homme de la
Pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la verite rn' oblige a te le dire : ton Antoine commence
a rne les briser menu ! »
Difficile de citer les quelque cent vingt films auxquels Audiard a contribue en insufHant ses celebres
dialogues railleurs et goguenards, mais aussi fins que spirituels. faut dire que cet ancien coureur
cycliste savait de quoi il « jactait », surtout lorsqu'il ecrivait des textes sur mesure pour Gabin, Ventura,
Blanche ou Belmondo.
Lorsque Ton pense Audiard, on pense bien sur aux Tontons jlingueurs (1963), de Georges Lautner,
avec lequel il signa quatorze films.
Gilles Grangier le fit travailler aussi sur une dizaine de films, entre 1954 et 1962 : Les Vieux de la
vieille QiLe cave se rebiffe, sans oublier Henri Verneuil avec Un singe en hiver la meme annee, et
Melodic en sous-sol ( 1963).
Que de chefs-d'ceuvre pour ce titulaire d'un simple certificat d'etude, qui savait aussi tricoter de la
fine dentelle, comrne le huisclos sensible etattachantdu film de Claude Miller Garde a vwe(1981).
Mais Audiard etait avant tout le roi de la repartie :
— « Faut pas parler aax coas, ca les instruit. »
— « Le bonheur on s'y fait, le malheur on s'y fait pas, c'est 9a la difference. »
— « La frequentation des salons m'a appris une chose : a ne plus chercher a acheter au coin des rues
ce que Ton trouve gratuitement aupres des femmes du monde. »
— « Les conneries, c'est comme les inipots, on finit toujours par les payer. »
Ce qu'il prefere, ce sont les ripostes. Un classique : « Les cons, ca ose tout. C'est meme a ca qu'on
les recormait. » Plus sentimental : « Pendant douze ans, on a fait chambre commune mais reve a part »
Grincant : « Si fas pas de grand-pere banquier, veux-tu me dire a quoi ca sert d'etre juif ? »
Misanthrope : « Uete, les vieux cons sont a Deauville, les putes a Saint-Tropez, et les autres sont en
voiture unpeu partout » Lucide : « Ualcool ne procure pas la gaiete mais la cirrhose. » Ravageur : « Je
suis ancien combattant, militant socialiste et de bistrot. C'est dire si dans ma vie j'ai entendu des
conneries. » Decisif : « II vaut mieux s'en aller la tete basse que les pieds devant » Chirurgical : « Entre
truands, les benefices ga se partage, la reclusion ca s'additionne. » Professionnel : « Dans les situations
critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus. Y a des statistiques
la-dessus. » Messianique : « Conduire dans Paris, c'est une question de vocabulaire. » Caritatif : « A
partir de novembre, pour les clochards, il n'y a plus que deux solutions : la Cote d'Azur ou la prison. »
Humaniste : « A la guerre, on devrait toujours tuer les gens avant de les connaitre. »
Michel Audiard a realise des films, dont les titres parlent d'eux-memes : Faut pas prendre les
enfants du bon Dieu pour des canards sauvages (1968), Une veuve en or (1969), Elle boil pas t elle
fume pas, elle drague pas r mais ... elle cause, Le drapeau noir flatte sur la marmite (1971), Elle cause
plus... elle Jlingtie (1972), Comment reussir dans la vie quand on est eon et pleurnichard (1973) et
Bans baisers, a Itindi (1974).
Ce misanthrope sait qu'on Ie taxe souvent de misogynie et il s"en defend : « On dit que je ne sais pas
faire parler les femmes, que j'en fais des connes ou des salopes. Qu'est-ce que vous voulez, j'arrive pas
a penser sous des nartes. » Son unique roman, meconnu. La Nuit, le Jour et toutes les autres nuits, est
une petite merveille, pudique et emouvante, ou il revisite ses souvenirs d'Occupation.
Modeste, il reconnait qu'il n'ecrit pas avec facilite : « Je n'ai pas Ie souffle hugolien, je souffre daas
la corvee de lettrine, je ne descends pas des rames de verge comme des canettes de biere. »
Le succes populaire d'Audiard repose sur une regie d'or : ecouter les gens et s* imbiber de leurs
echanges, parce que, disait-il : « Le dialogue est une espece de verite des mots a Finterieur d'une
situatioa »
Pour Tun de ses amis disparu, il avait eu cette jolie boutade : « Quand un type comme pa se retire, y a
pas de place a prendre. »
Audiard se retire, lui, le 28 juillet 1985, et personne heureusementn'a ose depuis prendre sa place.
Ayme, Marcel (1902-1967)
Difficile d'etre plus franc-comtois que lui, et ses romans majeurs sont fortement enracines dans sa
terre d'origine. La Table aux creves, prix Renaudot (1929), La Jument verte (1933), Le Moulin Je la
Sourdine (1936), Za Vouivre (1941). Atnsi, il se defendait de ne pas subir le snobisme et les idees
recues des clans parisiens et echappait aux faa\-semblants de ce microcosme. Paradoxalement, il savait
se transformer en titi parisien pour mettre en scene les classes populaires, comme dans La Rue sans nam
oxiLe Bceufclandestin.
II y aurait beaucoup a dire et a ecrire sur le personnage politiquement ambigu, gauche, droite, puis
anarchiste de droite, sur Tecrivain prolifique, avec des textes inoffensifs comme Les Conies du dial
perche ou plus militants comme son plaidoyer contre la peine de mort dans La Tele des autres ou sur
Tecrivain grincant dans Cleramhard eXLucienne et ie Boucher. Ce qui irfinteresse chez lui, c'est son
humour caracterise par la mise a distance des impostures de toutes natures, meme et surtout quand elles
sont camouilees sous les justifications les plus flatteuses. Ainsi dans Uranus, paru en 1948 et qui traite
des exces commis a la Liberation par le camp des vainqueurs. Cet antic onforrniste denonce avec un rare
courage les basses manoeuvres des resistants de la derniere heure qui s'attaquent aux plus faibles, aux
plus candides, pour cacher aux yeux de tous, mais surtout a eux-memes, leurs ambitions mediocres et
leurs lachetes. Lors de la parution d* Uranus, Marcel Ayme fut traite d'iniame reactionnaire par la plupart
des critiques et des bien-pensants, ce qui n'emut pas notre anarchiste. N'avait-il pas eu deja 1'audace de
defendre Celine, seul contre tous, eu egard a la qualite de ses premiers romans ? Marce] Ayme, alors,
etait le seul a avoir montre assez de recul pour ne pas ceder aux fureurs partisanes des nouveaux
proprietaires de la bonne parole.
Si de nos jours c'est le politiquement correct qui a force de loi, Tadoration de Staline etait
obligatoire apres la Liberation. Dans Uranus, le professeur Jourdan, fervent communiste, veut faire
oublier a ses camarades ouvriers la home de ses origines bourgeoises en etant deux fois plus dogmatique
qu'eux.
Pour ne pas lasser le lecteur. Marcel Ayme sait mil anger a la satire politique, forcement noire, un
humour plus Ieger, voire trivial. Ainsi, dans Uranus toujours, il peint im chasse-croise amoureux entre un
homme recherche pour collaboration, Maxime Loin, la femme d'Archambaud, qui a eu la generosite, plus
ou moins forcee par les circonstances, de le cacher quelques jours, et Marie- Anne, la fille de son hole.
Revenue chez elle plus tot que prevu, Marie- Anne surprend sa mere et le collaborates dans une position
sans equivoque. Elle s'enfuit, rencontre le professeur Watrin qui lui recommande d'etre indulgente envers
sa mere et de ne rentrer chez elle qu'a Theure du repas. . .
II etait aussi a raise avec VargQt dans Le Chemin des icoliers (« Le boucher a une creche a 250
balles et une poiile qui ne decarre pas du cercle, deux jours sur trois ») qu'avec le beau-parler de la
bourgeoisie des beaux quartiers.
Marcel Ayme ne se trouvait aucun talent : « Petit provincial cornichon, pas plus doue pour les lettres
que ne Tetaient alors les dix mille garcons -de mon age, n'ayant seulement jamais ete premier en
composition frangaise. [...] Je n'avais meme pas ces fortes admirations qui auraient pu trfentrainer dans
un sillage. »
II restera pour moi Tauteur de La Traversee de Paris, de Finoubliable Jambier du 45, rue Poliveau,
immortalise par Autant-Lara en 1 956.
Marcel Ayme, le mal-aime qui refusa la Legion d'honneur et TAcademie francaise, aurait sans doute
apprecie ce que Blondin disait de lui : « II disposait de beaucoup d'indulgence pour rhumanite tout
entiere. Sa frequentation vous amelioraiL Sa disparition nous rend a un monde sans indulgence oil les
nains ne grandiront plus, ou les fossoyeurs n^auront plus de Iyrisme, ou les huissiers ne s'abandonneront
plus au demon de la charite. »
Baxter, Glen
— « Glen Baxter est genial » (Telerarna).
— « Champion toutes categories de l'autoderision et de rhumour plat. Baxter est passe maitre dans
Tart de deconcerter » (Le Nouvel Observateur).
— « Si Marcel Duchamp ou Groucho Marx avaient eu un gosse dessinateur, il serait anglais et
s'appellerait, a coup sur. Glen Baxter » (L 'Express).
— « Le contact des legendes et des images est dangereusement hilarant » (Lire).
Apres une telle rafale d'eloges, ceux qui ne connaissent pas Glen Baxter, ne en Angleterre en 1944,
brxilent sans doute d'en savoir plus sur ce champion de dessins surrealistes et absurdes.
Difficile de vous faire partager son univers sans vous montrer ses ceuvres colorees, souvent publiees
dans Le Monde et dans Ies magazines Tlie New Yorker, Vanity Fair, The Independent on Sunday. Un
premier indice quand meme, Baxter est un specialiste du decalage entre le dessin et la legende. Deuxieme
indice, ses dessins montrent en general des cow-boys, des gangsters, des explorateurs ou des ecoliers qui
prononcent des propos savants et incongrus sur Tart ou la philosophie.
Imaginez par exemple trois cow-boys en train de jouer aux cartes... Un quatrieme fait irruption,
revolver au poing : « Les gars, pas de groupe de lecture de Michel Houellebecq ici, au ranch des chiens
noirs. »
\bus en voulez d'autres ? Un horrane transforme en coucou, qui declare : « J'ai eu de la chance de
trouver un emploi stable en Suisse. » Ou cette femme en moto petaradant sur la table de la salle a manger
avec cette legende : « Manifestement Ruth etait contre la cigarette apres le diner. » Et un homme qui
essaie de passer du roquefort de contrebande devant une souris tenue en laisse par un douanier. Enfin un
homme qui joue du ukulele en scaphandrier au fond de r ocean, afin de ne pas importuner ses
conteinporains.
Si ce n'est pas du surrealisme matine de dadai'sme, avec un zeste de Beckett, de Queneau et de
Roussel. ga y ressemble fort.
Baxter pretend, entre autres choses, avoir depose un « brevet d'utilisation de I 'ennui » ou du « vide »,
c'est selon, et adorer chanter des yodles en mangeant du tofu sur du linoleum.
Alors, Baxter, roi du burlesque ? Prince de Tabsurdite ? Maitre du non-sens ? Tout a la fbis sans
doute.
Rappelons enfin que cet ancien professeur de football et de poterie est un fan de boogie-woogie, de
musique mexicaine, de poisson exotique cuit dans son wok.
II nage tous les jours, boit du sancerre et son mot francais prefere est « coquillage ».
Glen Baxter, c'est d'abord pour moi le « Colonel Baxter », heros de son^//a^ publie en 1979, ou il
passait en revue « les grands fiascos de notre temps », conune le premier parachute. Ou. dans la categorie
« grandes catastrophes culinaires », Ies filets de caneton au Cherry Marnier, pour deux personnes.
Glen Baxter vit a Londres, et il va bien.
Beaumarchais (1732-1799)
Romain Gary disait de lui : « Cetait un homme tisse d'eclairs. Eclairs de genie, de canaillerie, de
grandeur, de petitesse, de courage, de mythomanie, de maquereautage et de generosite, faquin sublime et
parvenu altier, requin et anguille, toute une epoque, une Europe, c'etait un etre en caoutchouc, mais
inebranlable, melange de Rastignac, de Manon Lescaut, de Casanova et de Cagliostro, qui fait du
bonhomme une des grandes creations Iitteraires de la vie. »
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ne serait done pas settlement un auteur de textes d'operas de
Mozart et de Rossini ? Evidemment non. Ce fils d'horloger donne l'impression d'avoir passe sa vie a
courir contre la montre. II disait : « J'ai vecu deux cents ans. » II etait aussi ecrivain, journaliste,
dramaturge, inventeur, professeur de harpe, homme d'affaires, armateur, magistral revolutionnaire et
collectionneur de femmes : « Les femmes sont comme les girouettes. quand elles se fixent. elles se
rouillent. »
II admirait \oltaire : « Quel homme ! 11 reunit tout la plaisanterie, Ie serieux, la raison, la gaiete, la
force, le touchant, tous les genres d'eloquence ; et il n*en recherche aucun, et il confond tous ses
adversaires, et il donne des lecons a ses juges. »• Et, comrne lui, e'etait un visionnaire qui affirmait deja, a
r epoque : « Le temps approche oil les Americains seront maitres chez eux. »
Mais Beaumarchais etait-il un humoriste ? Mieux que ca, e'etait un genie de la bouffonnerie et de
r invention langagiere. J'en veux pour preuve la celebre tirade de Basile sur la calomnie dans Le Barbier
de Seville : « D'abord un bruit Ieger, rasant Ie sol comme hirondelle avant Forage, pianissimo murmure
et file, et seme en courant le trait empoisonne. Telle bouche Ie recueille, et piano, piano vous le glisse en
l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe. il chemine, et rinforzando de bouche en bouche
il va le diable ; puis tout a coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s'enfler,
grandir a vue d'ceil ; elle s'elance, etend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraine, eclate et
tonne, et devient, grace au ciel, un cri general, un crescendo public, un chorus universel de haine et de
proscription. Qui diable y resisterait ? »
Et quand Figaro raconte sa vie, le Comte lui demande : « Qui t'a donne une philosophic aussi gate ? »
II repond : « L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'etre oblige d'enpleurer. »
Pierre-Augustin avait connu en 1770 son lot de catastrophes : il perd sa fille en bas age, son
protecteur Paris Duverney, sa seconde fernme Genevieve, puis deux ans plus tard son fils Augustin et sa
sceur, Mme de Miroa II faul ajouter a cela des proces en serie, la disgrace, Ie deshonneur, la prison et la
ruine !
11 se disait « oseur » plus qif« auteur ». II est surtout remarquable pour avoir ete coupable aux yeux
de ses contemporains d"ecrire des chefs-d'ceuvre, sans prendre la litterature au serieux Sur sa tombe, au
Pere-Lachaise, il fit graver : « Enfin je me repose. » Et n'osa pas Ie : « Tout finit par des chansons ». du
Manage de Figaro.
Beckett, Samuel (1906-1989)
Ne en Irlande, il debarque en France en 1928. II est nornme Iecteur d'anglais a PEcole normale
superieure de Paris ou il fait la connaissance de James Joyce. II s'y installe definitivement et se met a
ecrire en francais. Fait rarissime dans la litterature mondiale : un ecrivain abandonne sa langue
maternelle et en choisit une autre pour s'exprimer.
La naissance, disait-il, avait ete pour lui une veritable tragedie, ce qui explique le clirnat d'angoisse
et de doute qui caracterise son ceuvre abondante couronnee par Ie prix Nobel en 1969 : romans et recits
parmi lesquels Molfoy (1951), L'lnnommable (1953), Premier Amour (1970) et des pieces de theatre
mondialement connues : En attendant Godot, Fin departie ou Oh les beaux jours.
Beckett, obsede par Terrance, Tattente. la decheance et la mort, etait aussi habite par un humour tres
noir.
Maitre de Fabsurde en pointille qui se refusait a s'accepter comme tel, il savait impregner son theatre
d'une cocasserie permanente et cultivait le denuement extreme de ses decors et la simplicite de ses
personnages de faux clowns, dont les noms comrnencent par M : Molloy, Mai one, Murphy, Mahood,
Moran, des paumes grandioses ou des clochards celestes.
Dansf/j attendant Godot, il annonce la fin de Fart qui ne peut plus chercher a embellir le monde
comme par le passe. Dans L Innommable, il denonce les mots qui sont des corps etrangers : « II faut dire
des mots tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'a ce qu'ils rne trouvent, jusqu'a ce qu'ils me disent
etrange peine [...]. Ala fin demon tEuvre, il n'y a rien que poussiere ; lenommable... »
Une vie austere comme ses reuvres, faite d'allers et retours entre Dublin et Paris, peu d'amis,
quelques rares amours, bref une totale indifference au monde, mais une grande lucidite sur rhomrne « qui
s'en prend a sa chaussure alors que e'est son pied le coupable », et une phrase culte, tout au moins pour
moi : « Mais que foutait Dieu avant la creation ? » Bien vu pour un athee mystique, a moins que ce ne soit
un saint mecreant.
Beckett aimait a dire : « Je ne suis pas anglais. Au contraire. » Mais il adorait a tout moment
ressusciter son enfance irlandaise : « Tout etait calme. Pas un souffle. Des cheminees de rnes voisins, la
furnee montait droite et bleue. Des bruits de tout repos, un cliquetis de maillets et de boules, un rateau
dans du sable de gres, une lointaine tondeuse, la cloche de ma chere eglise. Et des oiseaux bien entendu.
merle et grive en tete, aux chants se mourant a regret, vaincus par la chaleur, et qui quittaient Ies hautes
branches de Taurore pour Pombre des buissons. Je respirais avec plaisir les exhalaisons de ma verveine
citronnelle. »
II disait : « Le plus grand peche est d'etre ne. C'est le coinmencement qui est le pire, puis le milieu,
puis la fin ; a la fin, c*est la fin qui est le pire. » Et disait aussi : « Si je me mets a reflechir, je vais rater
mon dec es. »
Atteint de la maladie de Parkinson, ce ires bel homme humilie et diminue meurt dans une maison de
retraite a Paris le 22 decembre 1989.
Bedos, Guy
On l'aime ou on ne l'aime pas, probablement parce qu'il fait partie de ceux qui ne laissent jamais
indifferent, il n'a pas que des amis, et c'est un euphemisme, mais il assume plutot bien ses inimities, que
ce soit la droite, toute la droite en general et en particuKer. .. et aussi quelques individus isoles qu'il ne
porte pas vraiment dans son cceur, comme Guy Lux, Michel Sardou ou Thierry Ardisson, qui avait lance
sur un plateau de television : « II n'est pas mort, Bedos ? »
Pour moi, Bedos, c'est d'abord rhomme des sketches de mon adolescence, avec M. Ramirez ou ses
duos avec la delicieuse et regrettee Sophie Daurnier. Je crois rnerne qu"a l'epoque j'etais amoureux
d'elle. meme si dans la scene culte de La Dragiie (1973) Bedos ne la trouve pas «. terrible » :
« bedos : EHe est pas mal ma cavaliere, elle est pas terrible, terrible, mais elle est pas mal. Pour une
fois, j'ai pas herite de la plus moche. Y a pas Iongtemps, j' me suis coltine une geante toute la soiree. Au
moins celle-la elle est a ma taille. Elle est pas terrible, mais elle est a ma taille !
daumier : Pas du tout mon genre, ce garcoa Moi, j'aime les grands blonds, alors j' suis servie,
comme meteque on ne fait pas mieux. J* suis sure qu'il doit etre libanais ou quelque chose... Quelle
horreur ! Et puis, alors, il me donne chaud a me coller comme 9a, et vas-y que j' te colle, et vas-y que j'
te colle ! »
Guy Bedos, c'est aussi Tacteur de cinema. Cela peut paraitre etonnant, mais Guy est d^abord, tout au
moins pour moi, un rnagnifique acteur tragi-comique, que ce soit lorsqu'il incarne le personnage dubegue
dans Le Caporal epingle^ Gerard dans Dragees au poivre, Simon dans Un elephant ca trompe
enormement et dans Nous irons tons au paradis, ou encore Germain dans Le Bal des casse-pieds, pour
ne citer que ces films.
J'airne ses sketches politiques Lorsqu'il flingue des gens que je n'aime pas, meme s'il est parfois un
peu trop virulent a mon gout. Ce qui m'interesse plus chez lui. c'est safratrie avec Desproges et
Fournier. Trois paranos, trois grognons, trois psychopathes, bref trois grandes gueules incontournables
dans le PHF (Paysage Humoristique Francois).
Pour ce qui concerne Bedos et Desproges, Jerome Garcin et Patrice Delbourg ne s'y sont pas trompes
dans un portrait croise des deux comperes, paru en 1 986 dans L 'Evenement dujeudi :
« Uun reflechit un peu et parle beaucoup. L'autre marmonne dans son coin et ne se livre qu'a regret.
Uun est plutot schizo et laisse ses mots gambader en toute liberie. L' autre est franchement parano, tatillon
sur la restitution de son discours, en lisiere du vieux beau.
Tous deux portent des mocassins. L'un est plus elegant que r autre. Uun est de gauche, r autre n'est
pas de droite. L'argent bien sur, ils pemsent qu'il en faut, sinon la pauvrete serait insupportable. Devant
son aine, volontiers professeur d'instruction civique, Pierrot fait semblant d'acquiescer a tout, mais il
n'en pease pas moins. Dur d'etre en menage avec un reactionnaire de gauche.. . Le plus type a biberonne
Zola, le plus chafouin ne jure que par Vialatte. Tous deux ont un fond artisan, voire paysan. Une paire de
jolis solos. Pierrot hait les vieux, les jeunes et n'aimerait jouer que pour son iniroir. Quand ils n'auront
plus qu'une paire de fesses pour grincer, ils iront dormir au square. »
Ce portrait s'etait prolonge en donnant la parole aux interesses :
desproges : « Tu es engage, je suis degage. Je ne vois pas une virgule de difference entre la gauche et
la droite, ce qui prouve que j'ai la fibre plus republicaine que toi. »
bedos : « T'as qu'a f engager dans la garde a cheval. Mais nous avons en comrnun d'etre tout a fait
libres, de n' avoir aucun contremaitre. D'ou le label artificiel, parce que les gens ont besoin de toujours
toutclasser. »
desproges : « Anar de droite ! »
bedos : « Libertaire de gauche ! »
Guy Bedos est ne le 15 juin 1934 a Alger, c'est un pied-noir d'ascendance espagnole. Son pere
dirigeait une scierie, II raconte avoir eu une enfance difficile car son pere s'est suicide lorsqu'il avait
douze ans, parce qu'il etait « revenu d^Auschwitz dans un terrible etat de delabrement physique et
mental ».
A quinze ans, il monte a Paris et passe par Tecole de la rue Blanche. On connait la suite, elle va
bien. .. et lui aussi grace au ciel. Bedos aime la vie : « La bourse je m'en foiis, j'ai choisi la vie. » Je
partage aussi son point de vue sur rhumour : « L'hunwur est une langue etrangere ; pour certains il
faudrait rajouter des sous-titres. »
J'espere que ce livre contribuera a prouver le contraire.
Benchley, Robert (1889-1945)
Humoriste, scenariste et acteur americaia Je n'en dirai pas davantage. Je passerai sous silence ses
brillantes etudes a Harvard ainsi que Ies quatre-vingts films dans lesquels il a joue. \bus ne saurez rien
de son premier court metrage How to Sleep qui rut prime en 1935. Je ne vous parlerai pas des nombreux
essais et articles publies dans Vanity Fair et The New Yorker, ni du fameux cercle litteraire de Thotel
Algonquin auquel il appartenait. Je prefere vous faire decouvrir la necrologie-canular qu'il s'est
concoctee, « mousse a Page de huit ans, arrete pour bigamie et meurtre a Port-Said deux ans plus tard,
marie a une princesse, auteur de La Case de I 'ancle Tom et des Miserable* dont Victor Hugo achevera
les derniers chapitres ». Et comme tout, meme le delire, a une fin, il s'invente une tombe dans l'abbaye de
Westminster. Mythomane, Benchley ? Surement pas ! Mais, dit-il, « divagation bien ordonnee commence
par soi-merne ». Et puis, il n'y a rien de mieux qu'une biographie de fou pour provoquer des lecteurs.
Voila qui va me donner des idees.
Ses heros sont des gens normaux, II gonfle leurs defauts juste pour rire. Inspire, il a ecrit des
centaines d'essais, mais comrne je suis allergique aux (Euvres completes, je me suis contente du best de
ses best of. Le Suppfice des week-ends est un florilege d'histoires courtes redigees pour The New
Yorker. C'est surtout le titre d'une nouvelle qui semble avoir ete ecrite pour vous. Lorsque vous passez le
week-end chez des amis, a quelle heure osez-vous vous lever le matin ? \fotre travail d'espion commence
vers 8 heures. Coince dans votre chambre, vous guettez Le moindre bruit tout en regardant les photos qui
decorent les murs et en feuilletant quelques livres insipides. Les memes precautions ridicules assaillent
vos botes. Leves a la meme heure que vous, ils vont ecouter a votre porte puis regagnent leur chambre sur
la pointe des pieds. lis parlent tout bas a leur femme, « en enfournant des ours en peluche dans la bouche
de bebe pour qu il ne reveille pas le dorrneur ». L'attente se poursuit jusqu'a ce que, tirailles par la faim,
ils viennent vous reveiller. \bus attendiez 9a depuis des heures... D'ouunechange de paroles faussement
polies et franchement exasperees. Ensuite, il est question d'une famille qui, « vers 3 heures de Tapres-
midi, oublia tout souci d'hospitalite et alia prendre son petit dejeuner sans se douter que leur invite
feuilletait pour la neuvieme fois ralmanach qui se trouvait sur la table de nuit et envisageait d'accrocher
un drap a la fenetre pour s'evader et aller prendre le train ». Les echanges de politesse subie se
poursuivent jusqu'a rapres-midi, avec une invitation a la promenade. Apres s'etre traine un ou deux
kilometres, Fhote dit d"un ton plein d'espoir : « Ecoute, je ne voudrais pas te crever. Des que tu en as
marre, tu me le dis, et on rentre. » Le copain n'en peut plus, mais repond qu'il est en pleine forme et
suggere meme de faire la course. ..
« Supposez qu'aucun d*ea\ n'ose proposer de rentrer, ils peuvent aller comme 9a jusqu'au Canada. »
Une alternative a la promenade de sante, un plongeon dans une piscine glacee, a 7 heures du matin, « dans
un brouillard epais troue de temps en temps par une averse glaciale ». Tout 9a parce que, lorsque son
hdte lui a suggere un bain matinal, Tinvite lui a repondu avec enthousiasme, « croyant qu'il faisait
allusion a un bon bain chaud dans une salle de bains ». SMI vous arrive de fornenter des idees
d 7 infanticide, Les Enfants, pour quor faire ? devrait vous faire du bien, vous y reconnaitrez votre
progeniture dans ces ados desceuvres qui passent leur temps a entrer et sortir sans raison apparente.
Toujours en bande, ils vont faire un tour dans la rue puis, au bout d'une demi-heure, rentrent a la rnaison.
« Certains s'assoient, plas ou moins avachis. D'autres tournent en rond dans la piece. D'autres encore
restent debout, adosses au mur. Puis au bout de cinq minutes, tous s'en vont. Et cela continue toute la
journee. Cliaque fois qu'ils reviennent, il y en a deux ou trois de plus... Si au moins ils faisaient un peu
plus de bruit et se mettaient a crier de temps en temps ! » Petri de « aime ton prochain comme toi-meme »,
il supporte tous ceux qui Tinsupportent. Les seules creatures qu'il ait envie de tuer ce sont. .. les pigeons.
Et il traite ces sales betes de « malfaiteurs a raffut d'un mauvais coup ». II en devient parano : « Je suis
convaincu qu'ils me persecutent... On s'est rrds a chuchoter chez les pigeons que Benchley etait anti-
pigeon. » Si cela peut le rassurer, moi aussi ! Meme ceux de la place Saint-Marc l'attaquent : « Tellement
violemment que ma vie se trouva en danger. » Pourtant il aime les animaux : « II m'est arrive de recueillir
des chiens et de payer leurs etudes. Je suis une poire pour les chatons, meme si je sais qu'un jour ils me
trahiront. J'ai meme ete jusqu'a cajoler un petit tigre, c'est pourquoi j'ecris cet article de la main
gauche. »
Bernard, Tristan (1866-1947)
On a ecrit qu'il fut Pun des qwtre moiLsquetaires de 1' humour de la Belle Epoque, avec Feydeau,
Capus et Courteline.
On a ecrit aussi que la fameuse definition de mots croises « Entracte : vide les baignoires et remplit
les lavabos » etait de lui. HeTas, elle est de Renee David, par contre, nul ne songe a lui attribuer : « Si le
nez de Cleopatre avail ete moins long, la face du monde en eut ete changee », faussernent citee comrne
etant d'Alphonse Allais, alors qu'elle est de lui.
Je tenais en preambule a rendre a cet excellent Tristan Bernard ce qui lui appartient Cela fait, voici
en prime quelques precisions sur son prenom II s'appelait Paul, mais choisit plus tard Tristan, « du nom
d'un cheval qui m'avait fait gagner de r argent. Et c'etait rudement rare car, lorsqu'aux courses je suivais
un cheval, mon cheval suivait les autres ! ». Accra aux courses, il y perdit souvent sa culotte, ou plutot sa
casaque. Unjour qu'il arpentait les rues de Deauville avec une super casquene de yachtman, il expliqua a
ceux qui le felicitaient pour sa prestance : « Oui, je me suis paye ca avec mes gains au casino... mais
avec ce que j'ai perdu, j'aurais pu me payer le bateau ! »
Paul, alias Tristan, etait ne en 1866 a Besancon, dans la meme rue que Victor Hugo qui naquitau 138,
alors que Bernard etait plus modestement ne au 23. « On a mis des plaques sur les deux immeubles, mais
la mienne a ete apposee par la Compagnie du gaz. »
Eleve rnoyen, qui faisait deja rire ses camarades de classe avec ses jeux de mots et calembours, il
rapporte de son service militaire une longue barbe qu'il ne rasera jamais. Avocat encore plus moyen, il
jette Teponge pour celle du Velodrome Buffalo a Neuilly, oil il cree le Journal des veiocipedistes. En
1891, il commence a collaborer a la Revue blanche de Felix Feneon. Sa premiere piece Lev Pieds
nickeles fiit un flop, mais son premier roman Vous m'en direz tanl !, public en 1894, connait un honnete
succes.
Ce jouisseur a la barbe en eventail, qui lui servait souvent de garde-manger, collectionnait les enfants
illegitimes, naturels et adopnfs. C'etait un humoriste heureux, conlrairement a certains de ses confreres
qui, on le verra dans ce dictionnaire, etaient parfois plutot du genre desesperes.
Apres le four de sa premiere piece, il renversa la vapeur avec L'anglais tel qu 'on le parte ( 1 899),
Triplepatte (1905), Amants et Voleurs (1905) qui Laborieusement mais surement commencerent a le (aire
connaitre. Pourtant, ce n' etait pas toujours gagne. II avait achete le theatre Sarah- Bernhardt et, un jour ou
le public r avait boude, le rebaptisa « Sahara Bernard ». Tristan avait une passion pour les mots croises.
Parmi ses trouvailles : « Agent de circulation : aorte », « Frequente le palais et menace la couronne :
caramel », « Moins cher quand il est droit : piano », « Suit le cours des rivieres : diamantaire », « Arrive
souvent au dernier acte : notaire ».
On dit que Fhomme, humoriste patente, toujours de bonne humeur, etait profondement gentil. Leon
Blum, son ami, etait admiratif de sa capacite a observer la societe : « C'est un personnage singulier. II
promene dans la vie un corps absent et des yeux distraits mais dont Finsouciante apparente sante penetre,
retient. On sent en lui comrne un mecanisme d'observation autornatique et un travail perpetuel de
reflexion et d'ajustement. »
raurais aime connaitre cet homme qui disait : « Uhurnour, c'est un exces de serieux. » J'aurais aime,
je crois, r avoir comme grand-pere. Rassurant, doux. tendre et drole.
A un jeune auteur lui ayant demande conseil pour un titre qu'il devait donner a sa piece il repondit :
« Voyons, mon jeune ami, est-ce qu'il y a des tambours dans votre piece ?
— Non, maitre ! dit Fautre, ahuri.
— Et des trompettes ? Y a-t-il des trompettes ?
— Non plus.
— Eh bien, a votre place, j'appellerais ma piece ""Sans tambour ni trompette". »
Eta cette jeune comedienne qui lui demandait de Faider a se choisir un nomde theatre :
« Comment vous prenommez-vous ?
— Maud.
— Que penseriez-vous, mademoiselle, de Maud Cambronne ? »
A la sortie d'une piece de theatre :
« La jeune premiere n'est pas fameuse.
— Exact, rnais c'est la petite amie du directeur.
— D'accord, mais ce n'est pas assez bien explique au premier acte. »
Et quand on lui demande : « Si le Louvre brulait, quel tableau sauveriez-vous ? », il repond : « Le
plus pres de la porte, »
Lorsque la guerre eclate, il n'en rate pas une : « En 1914, on disait : "On les aura !" Eh bien
maintenant, on les a ! » Et : « Tous les conptes sont bloques. tous les Bloch sont comptes. »
D'origine juive, il est deporte a Drancy en 1943 : c< Jusqu'a present nous vivions dans Fangoisse,
desormais nous vivons dans Fespoir. »
Tristan Bernard Hit epargne, mais pas son petit- fils, qui disparut a Mauthausen. II ne s'en remit jamais
et mouruta Paris peuapres la Liberauon, le 7 decembre 1947.
Un jour, il avait arrete un corbillard : « Cocher, etes-vous Iibre ? » Ce soir-la, il etait peut-etre pret a
rejoindre ce Dieu dont il disait : « II est plein de bonte tant qu'on ne lui demande rien. »
Bierce, Ambrose (1842-1913)
Originaire de FOhio, Ambrose Bierce etait un ecrivain a F humour ravageur, personnage complexe,
alcoolique, moralisateur mais immoral, gentil mais capable de mechancete grincante. Apres avoir quitte
Farmee de F Union dans Iaquelle il s'etait engage a dix-neuf ans pendant la guerre de Secessioa il
s'etablit a San Francisco oil il collabora au News-Let ler & California Advertiser. En 1872, il part pour
Londres et travaille pour \eSiw etLe Figaro , mais son genre d' humour n'est pas du gout des
Britarmiques. De retour a San Francisco en 1877, il ecrit des romans et des recits tres noirs et devient
redacteur au journal V Examiner de William Randolph Hearst. Ses chroniques ou il denoncait la betise,
Fhypocrisie, la violence, 1' injustice, le racisme et ou il s'attaquait aux elus, aux capitalistes et aux
notables etaient redoutables et redoutees, et on a meme dit de lui qu'il etait peut-etre le meilleur satiriste
depuis Voltaire.
Mark Twain lui-meme n'osait egratigner « Fhomme le plus mechant de San Francisco », tant il savait
que la riposte serait impitoyable.
Son ceuvre la plus connue c'est le fameux Dictionnaire du diable :
— Antipathic : sentiment inspire par Kami d'un ami.
— Ble : cereale dont on arrive, non saas peine, a tirer un assez bon whisky et qu'on utilise pour faire
du pain.
— Chat : automate doux et indestructible fourni par la nature pour prendre des coups de pied quand
quelque chose ne va pas dans le cercle familial.
— Des ti nee : justification du tyran pour ses crimes, excuse de rimbecile pour ses echecs.
— Epousee : femme qui a un bel avenir de bonheur derriere elle.
— Felicitations : politessede la jalousie.
— Imbecile : membre d'une grande et puissante tribu, dont rinfluence dans les affaires humaines a
toujours ete preeminente.
— Immigrant : individu mal informe qui pense qu'un pays est meilleur qu'un autre.
— Journaliste : ecrivain qui tente de trouver sa voie dans la verite, et qui la disperse dans une
ternpete de mots.
— Kilt : costume quelquefois porte par les Ecossais en Amerique, et par les Americains en Ecosse.
— Logorrhee : maladie qui rend le patient incapable de tenir sa langue quand vous avez envie de
parler.
— Nihiliste : Russe qui nie Texistence de tout sauf de ToIstoY. Le fondateur du rnouvernent est
Tolstoi'.
— Optrmiste : adepte de la doctrine selon laquelle le noir est blanc.
— Raseur : personne qui parle quand vous souhaitez qu'elle ecoute.
— Voyante : personne du sexe feminin capable de voir ce qui est invisible pour son client, a savoir
qu'il est un imbecile.
A la fin de sa vie, il partit pour le Mexique, alors en pleine revolutioa rejoindre les rangs de Farmee
de Pancho Villa, avec F intention de s'y faire tuer : « Ah ! etre un gringo au Mexique, r;a c'est de
Feuthanasie. » Dans ses lettres d'adieu, il s'avouait vieux et las : « Si vous entendez dire que Ton m'a
mis le dos contre un mur inexicain et fusille en loques, sachez que c'est la meilleure facon de mourir, qui
surmonte vieillesse, maladie et chute dans Fescalier. »
Biraud, Maurice (1922-1982)
Je vous; Faccorde, ce n' etait pas un ecrivain et il n'a pas Iaisse d'ceuvre litteraire memorable, mis a
part deux recueils parsemes de foons mots et autres fariboles : Fatit I' faire etAllons-y gaiement. Mais
quand meme, F humour de « Bibi » fleurait bon le calembour, pas force'ment fin, mais toujours efficace. A
fallait Fentendre cliaque matin sur Europe N° 1, vers 9 heures, avec son accent faubourien, amical,
toujours proche de Fauditeur, qui en redemandait* et qui flit exauce puisque, en 1957, il battait tous les
records de participation en etant present a Fantenne vingt-cinq fois par semaine !
Ne en 1922, il entre comme planton de nuit a la Radiodiflusion nationale en 1939, puis aide-
comptable et assistant metteur en ondes, avant d'obtenir un role secondaire dans une emission
hebdomadaire. « Pour mon bagage intellectuel, je n'ai jamais eu besoin de porteur », avait-il coutume de
dire a ses amis. II devient vite le pilier des meilleures emissions, en s'imposant comme Ie precurseur des
« meneurs de jeu ». jamais pris au depourvu, toujours sur la breche, « Faut 1' faire, petite madame »
devient sa ritournelle. EvidernmenL, son cote ras des paquerettes ne plait pas a tout le monde et, si ses
producteurs le plebiscitent, certains patrons de radio n'hesitent pas a faire de Iui un symbole de
rabrutissement des masses ; pourtant les metteurs en scene de theatre et de cinema le sollicitent et il joue
dans plusieurs pieces, dont la plus marquante tut sans conteste Monsieur Manure avec Francois Perier et
Francoise Soulie, qui allait devenir sa femme. A noter aussi Bobosse, Am strain gram et, en 1953, Quai
des blondes, dont le dialoguiste Michel Audiard lui confie un role fait sur mesure, cocardier. raleur,
hableur, mais foncierement honnete. C'est le meme Audiard qui lui demande de camper un soldat
angoisse dans Un taxi pour Tobrouk en lui mettant en bouche cette celebre replique : « Mon pere esl a
Vichy. C'estunhomme qui a la legalite dans le sang. Si les Chinois debarquaient, il se ferait mandarin...
Si les Negres prenaient le pouvoir, il se mettrait un os dans le nez. Si les Grecs arrivaient, il se ferait... »
(Test ainsi que Ie cinema venait de rnettre la main sur une figure emblematique de Francais moyen
depasse par les evenements, une espece d'antiheros, mais qui donne la replique au grand Gabin daas
Melodic en sous-sol d'Henri Verneuil en 1962 et qui incarne aussi le commissaire Socrate dans la serie
cultissime et radiodiffusee Signe Furax.
II est Tun des premiers a detourner les messages publicitaires. Alors que sa complice Anne Perez
entre deux fous rires legendaires debite a I'antenne telle ou telle reclame, il s'empare du texte d'une
lessive super blanchissante, le triture et lui artribue un effet comique devastateur. meme si c'est aux
depens de Tannonceur. Rien ne lui resiste. II lui vient merne un jour Fidee de dormer la parole a une
poule, Coquette, qui Taccompagne chaque matin au studio. L'hiver venant, il lance un appel pour habiller
Coquette. Resultat : des centaines de petites echarpes tricotees par les audi trices arrivent par courrier au
standard d'Europe N° 1 dans les jours qui suivenL Une autre fois, son technicien debarque avec les mains
couvertes de cambouis, a la suite d'une panne de voiture, et il a besoin d'un boulon de huit pour effectuer
la reparation Nouvel appel aux chers z'auditeurs, qui apporteront des kilos de rondelles dans le hall de
la station. Mais Fun des grands moments de sa carriere d'animateur radio reste le 27 juin 1967 ou,
pendant pres de vingt-quatre heures, il tint Fantenne lors d'un extraordinaire marathon des ondes. Le
succes flit tel qu'une foule de deux mille personnes s'etait donne rendez-vous aux Champs-Elysees,
devant la vitrine du pub Renault oil se deroulait le challenge, pour encourager leur aniinateur vedette en
train de diner en tete a tete et aux chandelles avec Mireille Dare.
Mais, apres 1968, le ton de Ficonoclaste ne plait plus trop en haul lieu. Le pouvoir politique le lui
fait savoir. On lui demande de s'assagir. Biraud prend la mouche et claque la porte. Des petitions affluent
pour dernander son retour. Rien n'y fait
Sans jamais avoir reussi Ie grand retour radiophonique que le pays attendait, il s'eteint en
decernbre I9S2, la veille de Noel, d'une crise cardiaque au volant de sa voiture. II est inhume en
Dordogne, dans le petit cimetiere de Collonges-la-Rouge.
Blanche, Francis (1921-1974)
« Chez moi, disait-il, le spectacle n'est pas une vocation : e'est une charge hereditaire I »
Francis Blanche etait en effet un veritable enfant de la baile, puisqu'il etait fils et petit-fils de
comediens. II pretendait etre ne « pendant la paix de 18-39 » ! Ce qui etait en fait assez vague, rnais des
recherches poussees m'ont permis de verifier qu'il etait ne le 20 juillet 1921.
Que retenir de lui, si ce n'est son fameux « Bonjour chez vous ! » qui poncluait tous ses gags, que je
nreffbrcais de ne jamais manquer le dimanche matin sur les antennes d' Europe N° 1, dans les
annees 1 970 ?
Si nous aimons aujourd'hui r humour insolent, insolite, incendiaire et irrespectueux, c'est en grande
partie a ce petit bonhomme que nous le devons, et aussi a son complice Pierre Dae, avec lequel il realisa
entre autres la fameuse interview du Sar Rabindranaih Duval.
Francis Blanche, c'est aussi le personnage de Papa Schultz dans Bahette s'en vti-t-en guerre, oil ce
gestapiste d'operette faisait avouer a un Japonais qu'il etait juif et le menacait de le « fusilier
severement ».
« Je suis presque aussi celebre que de Gaulle ; vous en connaissez, vous, des acteurs dont on a donne
le nom a une rue et a une place de Paris. . . et de lew vivant ? », blaguait-il.
Ce saltimbanque. ce touche-a-tout n'a jamais helas connu la consecration officielle qu'il aurait
meritee. Peut-etre parce qu'il etait inclassable et qu'il s'eparpillait au gre de ses nombreux delires
publicitaires :
— « Pour rentrer chez vous, une seule adresse : la votre ! »
— « Si vous ne vous sentez pas bien. . . faites-vous sentir par un autre ! »
— « Madame ! N'achetez plus de tissus ecossais. Ecossez vous-meme vos tissus ! »
— « Etudiants, etudiantes, ne vous presentez plus au bac : prenez le pont de Tancarville. »
— « Mesdames : si votre poitrine toinbe. .. posez-la par terre ! »
— « Marny.. . le bas qui fait parler la jambe !
— Andre... la chaussure qui fait parler le pied !
— Rasurel... le slip qui fait parler le... »
— « Qui aime bien ses lunettes menage sa monture ! »
Autres delires : ses sketches radiophoniques avec les Aveniures de Furax dans Malheur uux barbus
{ 195 1 ). La France entiere, ou presque, retenait son souffle tous les jours vers midi, pour ecouter dans son
transistor la suite des aventures de 1 'ignoble Furax. Et de qui, la mise en ondes ? De Pierre-Arnaud de
Chassy-Poulay, bien sur.
Ce petit farceur rondouillard etait aussi 1'auteur de plus de six cents chansons, parmi lesquelles la
fameuse « Pince a linge », d'apres la cinquieme symphonie du regrette Ludwig, Blanche etait parait-il un
bourreau de travail et un stakhanoviste de F humour qui ecrivait ses sketches le matin, tournait pour le
cinema l'apres-midi, animait une emission en debut de soiree, jouait au theatre le soir et courait ensuite
au cabaret pour ne dormir que trois ou quatre heures. Comme tous les obsedes par la mort, il en
plaisantait souvent pour l'exorciser, ou plutot pour l'apprivoiser.
Apres un premier infarctus, il faisait remarquer : « C"est le seul mot irregulier de la langue frangaise.
On dit : un infarctus, des obseques. » Ou encore : « Si vous n'aimez pas les cercueils, on vous fera
monler de la biere. » II mourut a cinquante-trois ans, non sans avoir lui aussi pense a son epitaphe : « Pas
piquee des vers », avait-il prevenu.
Blondin, Antoine (1922-1991)
Ne a Paris Ie II avrtl 1922 au 33, quai \bltaire, fils de Pierre, correcteur d'imprimerie qui se
suicidera en 1948. Sa mere Germaine, issue de la grande bourgeoisie, ecrit des poemes. Gravement
brulee dans un accident domestique^ elle reste alitee pendant une dizaine d'annees et Antoine se retrouve
en pension, dilettante mais surdoue : concours general et Sorbonne, ou il enseigne la philo. Prisonnier en
Allemagne puis requis au STO, sa vraie vie commence en 1949 avec un premier rornan,/,' Europe
buissonniere. En 1952, i! publie Z.e.v Enfants du ban Dieu, puis L' Hit men <r vagabonde et ce que je
considere comme son ceuvre majeure, Un singe en hirer, prix Interallie 1959. film ou Ton retrouve un
Gabin et un Belmondo au meilleur de leur forme, shootes au. . . Picon-biere.
Blondin- romancier ? Oui, mais avec une ceuvre relativement mince comme il le disait lui-meme :
« Je suis reste mince, mon ceuvre aussi. »
Blondin, homme de droite ? Tendance anarchiste mais peut-etre electeur de gauche, puisqu'il avait de
K admiration pour Francois Mitterrand. Blondin, pour qui P ami tie etait une religion, ne s*etait jamais
remis de la mort accidentelle en 1962 de Roger Nimier, qu'il considerait comme son frere, d'ou la
legende des fameux « Hussards », en homrnage au Hussard bleu de Nimier. Un club d'ecrivains de droite
oil Ton retrouvait Michel Deon, Jacques Laurent, Roland Laudenbach. Kleber Haedens et Albert Vidalie.
Blondin, veritable ecrivain ? « Cest la rnagie d'une patte qui fait de lui un des plus grands ecrivaias
de sa generation » (Pierre Assouline).
« Nous avons affaire a Tun des rares auteurs contenporains qui pratique le francais comme une
langue maternelle. Si notre langue n'existait pas, il aurait ete capable de Tinventer. Jamais le mecanisme
d"une phrase ou d'un livre d'Antoine Blondin ne saurait etre decouvert. Sa prose est souveraine, parce
que les longues patiences de r effort se sont metamorphosees en vif-argent » (Jacques Laurent).
Blondin et l'alcool ? Vrai debat evidemment, mais j'allais ecrire « telle ment assume » et, de fait,
touchant. Blondin, le poivrot noctambule du VF arrondissement de Paris qui s'est fait embarquer trente-
trois fois par les flics, ne se cachait pas de cette addiction, mais il avait des excuses : « Je vais dans les
bistrots pour me creer des freres et sceurs » (qu'il n' avait pas eus).
Blondin ne pouvait pas, je 1'ai dit, vivre sans ses amis, qu'il assirnilaita ses copains de bistrots qu'il
retrouvait dans son estaminet de predilection. Ie Bar Bac. au 13, rue du Bac a Paris, oil une plaque a sa
memoire flit d'ailleurs inauguree enjuin20I 1, vingt ans apres sa mort.
Jacques Bens, qui edita et prefaca les ceuvres de Blondin, analyse bien le pourquoi du comment de
celui qui privilegiait au bar les « verres de contact » et qui lancait quand il s'asseyait a sa table de travail
(et de bistrot) : « Et maintenant, au goulot ! » ou encore : « N'oublie pas que Ton ecrit avec un
dictionnaire et une corbeille a papier, tout le reste est litres et ratures. »
« Mais que Ton se sent fort et rassure, ecrit Bens, quand la biere, le scotch et Ie vin blanc allument
les yeux et incendient le discours. [...] Les compagnons de comptoir apportent a celui qu'angoisse la
solitude physique la chaleur un peu artificielle et pourtant si reelle du coude a coude, tout en respectant
sonquant-a-soi. »
Antoine Blondin a toujours regarde en face sa dependance a Talcool, en la mettant meme en scene
dans Un singe en hiver, ou Ton voit Quenlin-Gabin assunier superbement son retour a I'enfer alcoolique,
qu'il avail pourtant reussi a quitter : « Des ivrognes, vous ne connaissez que Ies malades, ceux qui
vomissent, et les brutes, ceux qui recherchent ragression a tout prix ; il y a aussi Ies princes incognito
qu'on devine sans les identifier. [...] Pour ea\ la boisson introduit une dimension supplementaire dans
F existence. »
« La grande loi, ecrivait-il aussi, c'est qu'on boit pour etre ensemble, entre amis. Mais on est soul
tout seul, c'est triste. »
Blondin, sportif ? Bien sur ! II aurait, dit-on, pratique un peu de football et le huit cents metres, "Vbila
pour Texercice purement physique. Pour le reste, et pour ceux cornme moi qui n'ont jamais luZ, 'Equips
Antoine Blondin est le plus grand sportif de tous les temps. A force de relire quelques-unes de ses sept
cents brillantissimes chroniques deL'Imnie du sport (1954-1982), j'ai 1" impression d'avoir couru
cornme lui vingt-sept Tours de France et participe a sept Jeux olympiques, huit championnats d'Europe
d'athletisrne et autres competitions d'escrime, de rugby, de gymnastique, d'halteres, de patinage, de
basket, de bobsleigh, d'equitation et je n'en peu\ plus... de reconnaissance pour celui qui n'a jamais
cesse de m'emerveiller par son ecriture legere, ses trouvailles irresistibles, ses clins d^ceil et ses
raccourcis, ses tentatives de causticite desesperees mais jamais mechantes, cornme ses calembours qui lui
otaient toute velleite de paraitre sentencieux Lorsqu'il suivait le Tour de France, la plupart de ses
chroniques etaient pretexte, en fonction de la ville-etape ou de la region parcourue, a des titres
« calembourgeois » a faire palir de jalousie Alphonse Allais, Patrice Delbourg ou Ies journal istes de
Liberation les plus talentueux :
— « Ne me faites pas rire, j'ai les levres gersoises. »
— « L^Agenais pour des prunes. »
— « Ras le col. »
— « Un calvaire breton. »
— « Sophia Lorraine. »
— « Du pi n et des j eux. »
— « Cepage est sans pitie. »
— « L' affaire est dans le sacre. »
Pour lui, « Texercice de la bicyclette est une activite ou toutes les fonctions naturelles, honnis celles
de la reproduction, sont appelees a jouer un role », et quand apres quelques jours de Tour de France il
constate que Tintendance ne renouvelle guere le menu des suiveurs, a qui Ton sert tous les soirs une
inevitable pintade, il ne tient plus : « Si cette pintade doit faire le Tour, je suggere qu'on lui mette un
dossard ! »
II meurt Ie 7 juin 1991, peu de temps apres qif on Iui eut decouvert une « grosse tache noire au
cerveau ou au foie », il ne sait plus tres bien. . .
Le jour de son enterrement, Jean-Claude Lamy. journaliste a France-Soil- et fervent adrnirateur,
n'hesite pas a titrer : « Meme l'eglise etait bourree. »
Boulevard, Le
Le theatre dit « de boulevard » n'a pas tres bonne reputation tant il est souvent identified comme un
sous-genre de la comedie, qui n'aurait ni sa profondeur ni son ambition morale, cherchant Peffet, au
detriment de toute valeur litteraire, facilite, situations liees a une conception bourgeoise du couple et de
la famille, mises en scene convenues, decors stereotypes, etc. Mais avant le theatre dit « de boulevard »,
il y avait les theatres « des boulevards », situes sur le boulevard, fort de ses heures illustres, qui avait vu
passer les bambochards et aussi la charrette qui menait Louis XVI a Fechafaud. Le boulevard du Temple,
ainsi nomine a cause de la proximite de l'enclos du Temple, etait grouillant de vie, la foule s'entassait
devant les treteaux et dans les petits theatres ou souvent la plaisanterie tournait en satire politique. Peu
ont survecu pour des raisons diverses, Tincendie pour rAmbigu-Comique, la faillite pour le Panorama-
Dramatique. ou on montait des melodrames effroyables, et puis la jalousie des nationuitx, alors royaitx
ouimperiaux. Opera ou Theatre francais, qui avaient reussi a faire interdire aux acteurs et actrices de
dialoguer...
Mais le pire predateur fiit Le baron Haussrnann, surnomme Attila par les Parisiens, qui livra aux
pioches des demolisseurs tes Funambules oil se produisait le mime Debureau qui « renouvela entierement
la comedie », et dont Sacha Guitry fit un merveilleux film Demolis aussi. La Gaite et le Theatre
historique, que fonda Alexandre Dumas et qu'il inaugura avec sa piece La Reine Margot* pour laquelle
certains spectateurs avaient fait la queue pendant trente-six heures.
Certains ont survecu, coinme les Bouffes-Parisiens, Le theatre de la Porte-Saint-Martin, qui vit Marie
Dorval, et la Renaissance, dont la plus belle epoque tut celle sous la direction de Lucien Guitry. « La
qualite des pieces qui y etaient jouees. celle des artistes qui les interpretaient en faisaient une des
premieres scenes de Paris, chaque soir ou presque, dans la loge de Lucien Guitry se reunissait une bande
de gens d'esprit, Alfred Capus, Tristan Bernard, Maurice Donnay, Georges Feydeaiu Courteline ou Jules
Renard » (Jules Bertaut).
Le theatre ne se jouait pas seulement sur scene, mais aussi en coulisses. Un raseur etait arrive a
arracher a Lucien Guitry la promesse d'un dejeuner, lorsque celui-ci se tourne vers son secretaire :
« Alfred, vous allezecrire a ce crampon qu'il m'est impossible d'aller demain dejeuner avec Iui... »
En se retournant, comme il voit que ledit crampon est encore la, il ajoute, royal : « Parce que je
dejeune avec monsieur. »
Une autre fois, alors qu'on Iui recommandait une petite actrice qui jusque-la n^vait fait que
des Madame est servie et apporter des lettres, il repondit : « Desormais, elle n'apportera que des Iettres
recorranandees. »
Eugene Labiche (1815-188S) va perfectionner le genre et apporter grand soin a ragencernent des
evenements, a la progression des intrigues de plus en plus complexes, imbriquees les unes dans les autres
a la fagon des poupees russes ; il multiplie les imprevus, les bavures des personnages aux noms cocasses,
Dardard, Pontbichet, Cravachon. II mene ses cent soixante-treize pieces a un train d'enfer.
A I'entree du passage de l'Opera, on trouvait le theatre des Nouveautes, disparu Iui aussi en 1832,
puis reconstruit quelque trente ans apres. C*est la que triornpha Georges Feydeau, ou toutes ses pieces
furent creees. Depuis, Courteline, Guitry, Pagnol, Achard, Anouilk Roussin, Camoleni, Barillet et Gredy,
Framboise Dorin et bien d'autres ont pris la releve de ce genre, qui a pour unique objectif de faire rire.
Alors. denigrer les pieces dites « de boulevard », c'estpeut-etre jeter le bebe avec Feaudubain
Bourvil (1917-1970)
Les vrais comiques sont de plus en plus rares, et les plus grands ont disparu. Ainsi Bourvil, genial
protagoniste avine d'un spectacle memorable qui nous entrainait dans Teloge de Feau ferrugineuse. Le
sketch n'a pas vieilli, florilege de demarche titubante, de jeux de mots et de begaiements de poivrot. On
rit de cette situation grotesque ou les vertus de Teau sont vantees par un ivrogne, tout delegue de la Ligue
antialcoolique qu'il soit.
Ceflet comique n'est pas produit par le cours de chimie desarmant qui fait passer et repasser Teau
sur le fer. A mon avis, il reside moins dans les jeux de mots proferes par une bouche pateuse (« Le fer a
dissous. Et le fer a dix sous, c'est pas cher ») que dans la situation elle-meme. Qu'un ivrogne parle de
gros rouge, soit. Mais s'il s'aventure sur un terrain de sobriete et d ? abstinence, il ne peut que faire rire
avec ses phrases qui titubent. Chapeau, Bourvil, pour ce moment d'ivresse.
Et que dire de cet autre sketch, moins connu. qui se resume a une seule phrase : « Cest Thistoire d'un
jockey qui entre dans une salle de bains. » II ne lui faut pas moins de huit minutes pour venir a bout de ces
quelques mots. Ici rebriete n*y est pour rien. Mais ses paroles hachees sont interrompues par ses rires et
fous rires, annonciateurs d'une histoire irresistible. Uhistoire n'en est pas une, mais comme elle est « a
mourir de rire », son recit est un veritable jeu de massacre. On ne compte plus les victimes : avec trois
morts sur la conscience, son copain qui l'avait racontee avant lui s'est suicide dans sa cellule. Sa
premiere victime avait ete une petite serveuse, suivie du commissaire et de son subalterne. Malgre leurs
« Arretez, vous allez me faire mourir ! », il avait fmi sa phrase. Desespere, le pauvre copain a decide de
se supprimer. E s'est raconte son histoire drole et il est mort... de rire. Ces morts en serie ont droit a une
oraison funebre sous forme de rires et de hoquets, puis Bourvil se lance une derniere fois dans la phrase
fatale, s'etrangle et s"effondre en direct. Ce qui me semble interessant. ce n'est pas rhistoire elle-meme,
bien que sa banalite soit embellie par ses effets devastateurs, c'est cette prouesse de nous faire rire du
rire. Les emotions sont contagieuses. Les larmes appellent les larrnes, et le rire provoque le rire. II suffit
de choisir son spectacle, de fuir le « bon melo » qui trempe les mouchoirs et de rechercher la compagnie
du comique qui fait du bien. Or Bourvil, si accessible avec son visage de naif bon enfant, nous entraine
dans son fou rire.
II s'esclaffe, il begaie, il bafouille, il eructe de facon irresistible. Veritable rnagicien du rire qui fait
rire, il illustre bien pour nous ce credo de Jacques Prevert : « Rire de mourir et mourir de rire. »
Breffort, Alexandre (1901-1971)
Que de talents, que de sourires perdus pour ne pas avoir decouvert certaias humoristes plus tot et leur
avoir fait perdre leur temps a courir les petits metiers ! Alexandre, qui ne travaillait pas bien a Tecole,
racontait que ses parents lui avaient predit qu'il « mourrait de fairn sur Techafaud ». II rapporte avoir eu
quatorze emplois, dont employe de bureau pour une maison fabriquant des appareils electriques,
correcteur d'imprimerie a Orleans, photograveur a Paris, debardeur de peniches sur la Seine, dechargeur
des camions aux Halles, representant en machines a ecrire, vendeur de toiles a peinture, camelot en toiles
et couvertures, chauffeur de taxi. II racontera d'ailleurs cette experience avec son humour habituel dans
Mori taxi et moi. C'est ainsi qu'il fit ses classes. Puis, grace a I'envoi de petits textes et de fables, il
devient collaborateur et pilier d\i Canard enchaine\ ou son humour et son talent pour les calembours
deviendront rapidement proverbiaux :
— « J'etais tombe sur une indecente de lit »
— « La Bible ne fait pas le moine. »
— « Trop au lit pour etre honnete. »
— « Le mariage est une condamnation de drap commun. »
— « Que dit le volatile ? », s'lnformait chaque semaine le general de Gaulle en parlant du Canard,
oil Breffort signait « Valentine de Coin-Coin » ou « Sansandre » et ou il avait installe une bibliotheque
dans les toilettes car : « Je ne peuxpas lire sans lunette. »
Bon public, j'avoue user et abuser sans moderation de ces calembours pour relever mon quotidien et
faire croire quej'ai unpeud'esprit :
— « Ote-toi de la que je m'humecte. »
— « L' amour avec un grand las. »
— « Ton corps est tatoue. »
— « C'est beaumais c'est twist ! »
— « Mes illusions sont des truites ! »
Mais le grand succes d'Alexandre Breffort, c'est sans conteste sa comedie musicale Irma la douce,
cosignee avec Marguerite Monnot, reprise au cinema en 1963 par Billy Wilder et interpretee avec brio
par Shirley MacLaine et Jack Lemrnon.
Grand moment aussi quand une pointure comme Michel Audiard decrit « Breffort ou la farce
tranquille » ; « Deux levies gourmandes, au nez fiireteur, au regard de matou grassouillet sans cesse pret a
bondir sur un bon mot ou une jolie nana. De nous tous il etait de loin le plus elegant et le plus soigne.
Costume raye trois-pieces, le pli du pantalon impeccable, chaussures cirees, pochette discrete, cheveux
lustres, il donnait Timpression d'etre retire des affaires avant d'y etre entre. »
L* argent gagne avec Irma la Douce permit a notre maitre es calembours de se retirer en Suisse. Le
climat ne lui reussit pas, de genereux il devint avare, et de joyeux, depressif : « Le malheur d'etre riche,
c'est qu'il faut vivre avec des gens riches », disait Logan Smith...
Breton et le surrealisme en France
Quand on pense que le si gentil petit garcon ne en 1896, fils d'un secretaire de gendarmerie, fut
eduque selon les grands principes de la petite-bourgeoisie catholique, par une mere tres rigide, on a du
mal a croire que ce bon eleve et futur medecin allait devenir le pape du surrealisme, Tun des plus grands
mouvements artistiques du xx e siecle.
C'est pendant la guerre de 14-18, ou il etait etudiant en medecine, que le jeune Andre, qui se piquait
de poesie, decouvrit Paul \falery, Apollinaire, Rimbaud, Lautreamont et Freud, dont il eut la revelation
dans un ouvrage de « psycho-analyse », puisque c'est ainsi qu'on la denommait a l'epoque, et se persuada
qu'elle pouvait avoir une influence decisive sur la recherche poetique.
S'ensuivit une longue periode agitee dans la vie de Breton, oil Ton croise a la fois Eluard, Desnos,
Tzara, fbndateur du mouvement Dada, Soupault, Vache, Crevel, avec lequel il lanca une experience de
sommeils hypnotiques, supposes liberer le discours de l'inconscient. Pourtant, Freud, que Breton
rencontra, ne manifesta aucun interetpour ce type d'experience. Le substantif « surrealisme » imagine par
Apollinaire. qui hesitait avec « surnaturalisme », admiratif des travaux de Picasso, flit repris par Andre
Breton, convaincu du lien enlre le monde reel et celui des reves. Et convaincu aussi qu'il existait une
continuite entre Fetal de veille et Fetat de sommeil.
Dans le premier Mamfeste du surrealisme, il definit ainsi ce nouveau mouvement artistique :
« C'est un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement. soit
par ecrit, soit de toute autre maniere, le fonctionnement reel de la pensee. Dictee de la pensee, en dehors
de toute preoccupation esthetique ou morale [...]. Le surrealisme repose sur la croyance a la realite
superieure de certaines formes dissociations negligees jusqu a lui, a la toute-puissance du reve, au jeu
desinteresse de la pensee. II tend a ruiner definitivement tous les autres mecanismes psychiques et a se
substituer a eux dans la resolution des principaux problemes de la vie, »
II est interessant de constater qu'a la meme epoque d'autres professions de foi « surrealistes » se
manifestent a travers le monde, en Tchecoslovaquie. en Roumanie, en Angleterre, aux Etats-Unis, en
Espagne aussi, avec le courant « ultraiste » de la Generation de 27 ou Ton retrouve Garcia Lorca, en
Scandinavie, en URSS et merne au Japon, ou les ecrivains etatent d'ailleurs plus sensibles au dadaisrne
qu'au surrealisme. En Belgique enfin, dont il est question plus loin (voir : Surrealisme en Belgique).
Breton s'etait inspire de certains mouvements precurseurs presents dans les ceuvres de Jarry pour
recriture, et de Gustave Moreau et d'Odilon Redon pour les ceuvres picturales. A travers ce mouvement,
les surrealistes voulaient explorer de nouvelles techniques de creation, qui laisseraient le champ libre a
Tinconscient. C'est ainsi qu'ils inventerent « Fecriture automatique », qui est pour moi le cote le plus
interessant du surrealisme francais a ses debuts. Principe qui consistait a dieter la pensee en l'absence de
tout control e enonce par la raison.
Ce qui resume le mieux cette technique, c'est le dernier chapitre des Champs magnetiques, coecrits
en 1919 avec Soupault et en quinze jours. lis s'etaient donne pour but de remplir des pages d'une
« ecriture sans sujet », en dehors de toute censure et au mepris de ce qu'il en resulterait. Le dernier
chapitre. « La fin de tout », avec en exergue « Andre Breton et Philippe Soupault / Bois et Charbons », est
une espece de dictee oil la voix de chacun n'est plus identifiable. Resultat, des phrases etonnantes,
formees de mots semantiquement inconpatibles :
« Notre squelette transparait a travers les aurores successives de la chair », ou : « Tu m'as blesse
avec ta fine cravache equatoriale, beaute a la robe de feu. »
Breton s'en explique. bien que ce soit difficilement explicable, en pronant Tapplication du processus
de ['association d'idees. Interessant, mais pas vraiment grand public. La preuve, ce texte, dit precurseur
de Tecriture automatique, n"a connu qu'un tirage de trois cents exemplaires en cinquante ans. En
revanche, le jeu du « Cadavre exquis », base sur le principe du jeu des petits papiers est universellement
reconnu. Pourquoi « Cadavre exquis » ? Parce que le premier resultat poetique obtenu par les surrealistes
utilisant cette technique flit : « Le cadavre exquis boira le vin nouveau. »
La vie de Breton se partagea entre une belle experience litteraire, avec des ouvrages remarques
(Nadja ou Clair de terre) et une carriere politique mouvementee a travers un engagement au parti
communiste. qui le contraignit a s'exiler aux Etats-Unis en 1941 pour echapper au regime de Vichy. Mais
l'essentiel de sa vie consacree au surrealisme lui valut de memorables combats avec les dadai'stes de la
premiere heure, antibourgeois, antinationalistes et provocateurs, alors que les surrealistes, eux, se
sentaient plus concernes par 1 'engagement politique.
D'aucuns ont ecrit que, si le nom Breton etait indissociable du surrealisme, pour le rneilleur,
rehabilitation de la magie en litteralure, il r etait aussi pour le pire : exces d'un dogmatisme doctrinaire,
et bien pire parfois si Ton en croit cette diatribe de Georges Bataille qui visait Breton : « Je regrette
seulement qu'il ait si longtemps encombre le pave avec ses idioties abrutissantes. Que la religion creve
avec cette vieille vessie religieuse. Cela vaudrait la peine, cependant, de conserver le souvenir de ce
gros abces de phraseologie clericale, ne serait-ce que pour degouter les jeunes gens de se chatrer dans
des reves. »
Andre Breton meurt subitement a Saint-Cirq-Lapopie en 1966. II avait soixante-dix ans.
Bruant, Aristide (1851-1925)
Au premier regard on l'identifie avec son feutre a large bord et sa longue echarpe rouge rejetee dans
le dos, c'est bien lui, immortalise par le crayon de Toulouse-Lautrec, devant le rideau rouge d*un music-
hall. La degaine d'Aristide Bruant fait desormais partie du patrimoine de la chanson populaire, au rnerne
litre que la petite robe noire d'Edith Piaf ou le canotier de Maurice Chevalier.
Ne en 1 867 dans une famille bourgeoise, il doit vite faire face aux graves revers de fortune d'un pere
alcoolique en gagnant sa vie comme apprenti dans des arriere-boutiques de bijoutiers, puis se met a
frequenter les cafes d'ouvriers, cotoyant les malheureux, les revoltes, les filles et Les mauvais garcons,
ecoutant leurs confidences et s'initiant a leur jargoa Mobilise pendant la guerre de 1 870, il travaille a la
Compagnie des chemins de fer du Nord. La encore, il va regarder vivre les ouvriers et se passionner pour
le langage populaire.
Bruant n'est pas seulement Tauteur de la celebre « Nini Peau d'chien », ecrite a Toccasion du
centenaire de la prise de la Bastille, c'est aussi celui qui va s'approprier r argot et le transformer en
folklore urbain. Avec lui, les mots rebondissent, et pas seulement dans les troquets de la classe ouvriere,
il est adule par la bonne societe, bien qu'il fasse appareinment tout pour scandaliser le bourgeois. Sa
vraie carriere commence dans la celebre guinguette Darelli a Nogent-sur-Marne (son passage a Farmee
lui avait inspire la fameuse « Marche du 113 e », au timbre de laquelle defileront par la suite des classes
entieres de pioupious). Engage dans le legendaire cabaret de Rodolphe Sallis Le Chat noir, il cree une
serie de rengaines, que Ton pourrait presque comparer a un catalogue du syndicat d'initiative de Paris :
« A Batignolles >►, « A la Bastoche », « A la Goutte-d*Or », « A la place Maubert » ou « Menilmontant ».
Pionnier d'un grand metissage de la langue en mouvement, il se pose en chroniqueur social et il inspirera,
plus tard, les Brassens, Lemarque et Renaud. C'est I'inventeur de la chanson realiste, et sa presence en
scene, sa voix rauque et puissante y sont pour beaucoup.
II n'hesitait pas a monter sur une table du Chat noir pour dormer ses instructions aux gens de la haute :
« Tas de cochons ! Gueules de miteux ! Tachez de brailler en mesure. Sinon fermez vos gueules ! » Et si
quelques jolies dames se montraient offensees, il n'hesitait pas a les invectiver : « Va done, eh,
pimbeche ! Tes venue de Grenelle en carrosse expres pour te faire trailer de charogne ? Eh bien ! Tes
servie ! »
Comme un bonheur n' arrive jamais seul, il ne se contente pas d'etre un homme connu et adule, il
devient aussi tres riche grace a de confortables droits d'auteur que lui rapportent entre autres « Nini Peau
d'ehien » et « La Filoche », un hyinne a la gloire d'un marlou heroi'que, qui mourut sur rechafaud.
Dans Portraits intimes, le critique Adolphe Brisson raconte sa visite a Courtenay, oil Bruant s'est
achete un magnifique chateau avec fermiers, domestiques, meubles de styles, inoulin, etc. Et, il n'hesite
pas a s'en rnoquer, en le traitant de nouveau « marquis de Carabas ».
Bruant assume, il est meme pret a renier son passe de chanteur populaire :
« Pendant huit ans, j ' ai passe mes nuits dans les bocks et la fumee ! J'ai hirle mes chansons devant un
tas d'idiots qui n'y conprenaient goutte et qui venaient, par desceuvrement et par snobisme, se faire
insulter au Mirliton. .. Je les ai traites comme onne traite pas les voyous des rues... lis m'ont enrichis, je
les meprise : nous sommes quittes ! On respire ici !... Ce n'est pas comme a Montmartre !... Je suis
rudernent content d'etre sorti de ce cloaque ! » Pourtant, il ne resiste pas a Tappel d'une nouvelle
carriere. II est persuade que le bon peuple I'artend pour le celebrer a nouveau et il profite d'elections
legislatives pour se presenter a Belleville, dans le quartier de Saint-Fargeau. Ce n*est plus le chatelain
qui se presente, mais le candidat du peuple. Erreur colossale de casting, car il a beau s'escrirner a
chanter une partie de son repertoire au cours des reunions electorales, il essuie un echec cuisant en ne
recueillant que 525 voix.
L'homme au large chapeau est mort a Paris le 1 1 fevrier 1925.
Francis Coppee 1'avait fait recevoir a la Societe des gens de Iettres, a la suite de la publication de
ses ceuvres, monologues et chansons, dont le premier volume, Dans la rue^ avait fait sensation, en
particulier aupres de Maurice Barres et Anatole France.
Coppee admirait sa sensibilite et sa pudeur, ce qui lui faisait dire : « Ce poete sincere jusqu'au
cynisme, mais non sans tendresse, cherche des inspirations dans le ruisseau, mais il voit aussilot briller
un reflet d'etoile. »
Burlesque, Le
L'une des formes les plus anciennes de rhumour, puisque des Fage des cavernes, l'homme a ri :
« Parce que le rire est le propre de 1* ho mine ». coinme disait Rabelais. Le chef de la tribu glissait et
tombait cul par-dessus tete, les autres rnembres riaient mecaniquement, rnalgre la crainte que le chef lew
inspirait. Et un beau jour, un petit rnalin s'est avise de rrrimer de facon grotesque la chute du chef, Les
rires ont explose, le burlesque etait ne, rupture fantaisiste du ton employe auparavant, discordance entre
le fond et la forme, contraste complet entre deux personnages.
Le cinema muet a explore ce filon jusqu'a plus soif. Buster Keaton, Mack Sennett, Laurel et Hardy
s'agitent frenetiquement pour echapper aux evenements extraordinaires qui font irruption sans raison dans
leur vie quotidienne. Dans Les Fiancees en folic. Buster Keaton doit a tout prix se marier pour pouvoir
toucher un gros heritage. L'innocent met une annonce dans le journal local et s'endort dans l'eglise, dans
Tattente d'une eventuelle fiancee. Quand il se reveille, Teglise est envahie par des femmes de tous ages,
revetues de robes de mariee extra vagantes. II se cache, mais elles le decouvrent et se ruent sur lui.
Epouvante, il s'enfuit, poursuivi par la meute en folie. reussit a les semer, mais chaque fois qu'il se
croit hors de danger, elles ressurgissent avec une ardeur renouvelee. Ses poursuivantes demolissent un
mur pour lui tirer dessus. II leur echappe, evite une avalanche de rochers, s'essuie le front, soulage, et
meurt frappe par un ultima et minuscule caillou qui le fait basculer dans le vide.
Meme procede dans la bande dessinee lorsque Ton voit par exemple le capitaine Haddock essayer en
vain de se debarrasser d'un sparadrap qui fait le tour des passagers de Tavion avant de revenir sur lui...
Du pur burlesque.
Des le Moyen Age, les comediens melaient aux mysteres religieux des intermedes bouffons joues par
des fbus, ce qui excusait leur liberte de langage et de pensee. Le burlesque devenait alors un espace de
liberte, la rneme ou l'Eglise etait toute-puissante. Plus tard, les acteurs prirent r habitude de jouer, avant
la grande piece tragique, quelques paradoxes burlesques : eloge du cocufiage, de la pauvrete, de la
laideur, du crachat. lis raillaient les pedants et les censeurs et demontraient que les ferrures avaient le
droit de desobeir. C'est a ce jeu que Moliere triompha, comme dans Les Fourberies de Seapiti, ou un
pere monstrueusement avare est berne et roue de coups par un valet aux mille ruses. C'est Scarron qui
introduisit veritablement le burlesque en France, quelques annees avant Moliere, Diderot ou \bltaire, et
si quelqu'un a su reprendre le flambeau aux^ siecle, c'est bien Brassens, au rnarche de Brive-la-
Gaillarde, lorsque des « megeres gendarmicides » se jettent sur la marechaussee appelee en renfort pour
un « crepage de chignons » general :
« Freneticfit ' I 'une d 'elles attache
Le vieux marechal des logis
Et ltd fait crier : "Mort aux vaches,
Mort aux lots, vive I 'anarchic f"
Une autre f outre avec rudesse
Le crane d 'm de ces lourdauds
Entre ses gigantesguesf esses
Qu 'elle serre comme un etau... »
Du burlesque frondeur et anarchiste qui viole la bienseance du style et de la forme.
Cabu
Ses cibles sont faciles a reconnaitre : elles portent souvent im uniforme ou line soutane, a rnoins
qu'elles ne soient issues de sa planete de predilection, celle oil Ies « beaufs » (catogan, boucle d'oreille,
santiags et petit gilet de grand reporter) sont rois. Mais ce grand duduche septuagenaire (eh oui ! deja) est
un mystere. Pourtant, c'est mon ami et je devrais pouvoir resoudre cette enigme : comment peut-il etre
aussi gentil dans la vie et aussi cruel des qu'il se met a croquer les gens qu'il n'aime pas ? II vous
repondra sans doute avec son grand rire sonore qu'il n'est pas cruel, mais qu'il se contente de cibler les
« cons >k D'ailleurs, la seule banderole que cet anar— car e'en est un- puisse encore tolerer, e'est : « A
bas les cons ! » Pas facile de definir la cormerie, mais Cabu, lui, a trouve la solution en inventant le
« beauf de comptoir », son premier specimen decouvert un jour dans un bistrot de Chalons-sur-Marne.
On a dit de lui qu'il etait aussi prolifique que Balzac (plus d'une centaine d' albums, trente mille
dessins) maisonoublie de dire qu'il est beaucoup plus drole...
Cabu se moque des nudistes, mais il adore les bouchers, il deteste Tadjudant Kronenbourg, mais il
venere les cyclistes, les amoureux, les rues de Paris et les timides bien sur. . .
11 a deux passions, Charles Trenet et le jazz ; attention, pas n'importe lequel. celui du swing et des
« big bands », et certainement pas cette horrible musique des surplus americains nommee « rock'n roll ».
D est fou de Cab Calloway, le maitre de ceremonie du Cotton Club, et son fameux « Minnie the
Moocher » qui le rendit celebre, parce qu'un jour oui 1 avait oublie les paroles, il se livra a une fabuleuse
legendaire improvisation, en introduisant dans la chanson des « Hi de ho » qui allaient devenir sa
signature indelebile.
Cabu ne boit pas, a tel point qu'il a failli etre mis a pied au Canard enchaine pour « antialcoolisrne
aggrave » !
Cabu deteste Farmee, et ses trois ans en Algerie lui donnent le droit d'avoir une opinion sur la
question : « Uarmee, c'est totalement bidon. Sous runi forme Ies strates sociales restent inlactes. La
realite du service militaire, c'est I' esprit de chambree : abrutissement, alcoolisation, photos pour
bidasses, bravo. A Farmee on apprend surtout 1' ennui. »
Je ne vous revelerai rien en vous disant que Jean Cabut alias Cabu est un pilier de Hara-Kiri et du
Canard enchaine, apres avoir ete celui de Pilot e ; qu'il a ete aussi le complice de Dorothee dans
« Recre A2 », qu"il a travaille pour des dizaines de journaux, qu'il a illustre des tonnes de Iivres et qu"il
est incapable de dire non.
II ne touche pas les cheques auxquels il a droit pour remunerer ses prestations, soil parce qu'il les
perd ou alors parce que l'argent ne Finteresse pas.
Nous sommes devenus amis apres avoir commis un livre ensemble sur une de nos detestations
communes, le football. L'ouvrage s'intitulait Rien afoot. Tout un programme.
Cabu ne sort jamais de chez lui sans son carnet de croquis et son eternelle « parka », meme en ete.
Frederic Pages, un de ses fideles complices duCanard. le connait bien et en parle encore mieux :
« Cabu n'est pas un dessinateur qui travaille dans des journaux, c'est un journaliste qui dessine. Tout le
temps, partout, a la terrasse des cafes, au cinema, le crayon court sur le papier. Reportage dessine,
cabaret, compte rendu de proces, Cabu a pratique tous les genres. Tous les jours, il avale des kilos de
journaux. Sans presse, pas d'idee, et sans idee, pas de dessia Et pourtant l'artiste fait dans la broderie
("Ce qui est long, c'est la finition"). Avec lui les dessins sont ecrits comme des saynetes, avec un decor,
une mise en scene, des personnages secondares, et, comme a la commedia del F arte, ces figures
intemporelles que sont le beauf, le Grand Duduche, Catherine, Fadjudant Kronenbourg, etc. Et sans
cliches ! »
Alors, comme dirait, ou plutot chanterait, r autre Cab : « Just skeep-beep de bop-bop beep bop bo-
dope skeetle-at-de-op-day ! »
Comprenne qui pourra, et Iongue vie au Grand Duduche.
Calembour, Le
Le principe du calembour, c'est le jeu de mots spontane, fonde sur rhomonymie ou Fhomophonie,
mots qui s'ecrivent ou se prononcent de la meme facon, mais differents par le sens, la paronymie. mots
dont Fecriture ou la prononciation est tres proche, ou encore la polysemie, mots ayant plusleurs sens. S'il
n'ya pas recherche, s'il echappe a son auteur, c'est ce fameux lapsus cher a Freud.
Le calembour n'a pas toujours eu bonne presse. Moliere le disait : « rarnasse parmi les boues des
Halles et de la place Maubert », \bltaire le voua aux gemonies et Victor Hugo le fustigea dans Les
Miserables. Le marquis de Bievre (1747-1789), mousquetaire puis marechal des logis des camps et des
arniees et collaborateur de VEncyclopidie, frit un des premiers maitres es calembours. Notre marquis,
auteur de la Lettre a la comtesse Tation , des Sentiments et Reflexions utiles de I 'abbe Quille ou encore
des Amours de I'ange Lure et d'une tragedie en calembours, Vercingetorixe, etait honni des philosophes
qui pensaient qu'ecrire des phrases comme r « Une secrete horretir me glace au chocolat » ou « Je vais
me retirer dans ma tente ou ma niece » deniait tout serieux a la langue de la raison. Pourtant Diderot et
d'Alembert deciderent de le mentionner dans le supplement de V Encyclopedia, mais la commande
tardive les obi igea a renoncer a le mettre a la lettre C, et ce fut done Kalembour :
« Kalembour ou calembour (gramm), e'est Fabus que Fon fait d'un mot susceptible de plusieurs
interpretations, tel le mot piece, qui s"emploie de tant de manieres, pieces de theatre, pieces de plain-
pied, pieces de vin, etc. Par exemple, en disant qu'on doit donner a la comedie une fort jolie piece de
deux sols, on fera de ce mot Fabus que nous appelons kalembour » (supplement a F Encyclopedic, 1777).
C'est peut-etre en cornposant ce papier qu'il apprit que le ciel de lit s'etait detache pendant le
sommeil de Monsieur de Calonne et qu'il commenta par : « Juste ciel ! » L'homme etait redoutable et
n'arretait pas, quand son patissier chantait, de lui conseiller de faire un « gateau de sa voix », quand il
voyait un enterrement, il arretait ses chevaux de peur qu'ils ne prennent le « mort aux dents » et, ayant
plante six ifs dans son jardin pour y conduire certaines jeunes filles, il disait : « C'est Fendroit decisif. »
Les puces etaient selon lui de la secte « d* Epicure », et les poux « d'Epictete ». Mais, il savait se justifier
de son « mauvais gras gout » : « Le gout des calembours n'est point une maladie chez moi, mais au
contraire un remede pour repousser rennui et rappeler la gaiete. »
Daniel Pennac donne F absolution aux amateurs de calembours : « II ne faut pas cracher sur les jeux
de mots. Les plus mauvais sont nos meilleurs amis. C'est Fineffable prix de Fintirnite. »
Jean-Paul Grousset, ancien journaliste da Canard enchaine et grand « calembourier » devant
FEternel, nous tranquillise : « A notre connaissance, aucune loi. dans aucun pays, n'interdit de pratiquer
le calembour. » Quoique.au train ouvont les interdictions...
Ce calembour est-il fils nature! de Fabbe de Calemberg. auteur medieval ? De calembredaine et de
bourde ou de Fitalienoz/c/mq/o burlare. plaisanter avec la plume ? Toujours est-il qu'il existait avant
que notre marquis ne lui donne un patronyme, car Jesus en avait fait un joli sur saint Pierre : « Tu es
Pierre, et sur cette pierre je batirai mon Eglise. » De nos jours le calembour continue a bien se porter, si
Ton enjuge par « Shell que j'aime » et autres « Palais des thes ».
Le xix e siecle en ralTolait. on en mettait sur les cartes postales, les assiettes, les pots a tabac, il y eut
meme un Diet ioimu ire des ea/embours. Alphonse Allais, specialiste du genre, donnait des norns
« calembouresques » a ses personnages, « Tony Truant », « Tom Hart », « Mac Larinett », « Fabbe
Trave » ? etc. II adorait ies classer par genre. Son cardiologue Finspirait :
— « Fermez Faorte SVP. »
— « Que Dieu myocarde. »
— « Avoir le peage de ses arteres. »
— « Le dernier des bustes. »
Des « calembourgeois » nous ont quittes, Breffort, Antoine Blondin, Cami, Commerson, Frederic
Dard, Raymond Devos, Pierre Desproges, Feydeau, Sacha Guitry, Max Jacob, Henri Jeanson, Jacques
Offenbach, Jacques Prevert, Mozart, Boby Lapointe, Willy. Mais d'autres, grace a Dieu^ sont encore bien
la, comme Patrice Delbourg, qui pense que : « Si Paris vaut bien une messe, I'Hexagone vaut bien
quelques calernbourgs » :
— « L'erreur est du Maine. »
— « Gueret paix ! »
— « La Venus de Millau. »
— « Fecondation in Vitrolles. »
— « A Nice au pays des merveilles. »■
— « Sedan Fete dernier. »
— « Apres vous madame la Garonne. »
— « A Fombre des jeunes filles d* Honfleur. »
— « Aix irihilo. »
— « Le petit maire d'Eu. »
— « Etre pompier a Bonneuil. »
— « L' amour tarde a Dijon. »
— « Le dernier Chalons oil F on cause. »
— « Signore ! Que Cahors ! »
Et Jean-Paul Grousset, daas unregistre plus varie, n'estpas enreste :
— « C'est beau mais e'est twist ! »
— « Les choses etantce calecon... »
— « Un peu d'Eire, 9a fait Dublin ! »
— « Un seul hetre vous manque et tout est des peupliers ! »
— « Ne lachons pas lamproie pour l'omble... »
— « Chassez le naturiste, il revient au bungalow. . . »
A noter que le calembour est de plus pure tradition gauloise. Intraduisible, il ne s'exporte pas et on ne
pourra jamais le confondre avec le portmanteau-word, en francais « mot- valise », invente par Lewis
Carroll. Voila qui rejouira les partisans du« franco-francais ».
Cami (1884-1958)
Etes-vous un « camisard » ? C'est ainsi que Raymond Devos proposait d'appeler les admirateurs de
Pierre-Louis-Adrien-Charles-Henry Cami. qui n'eut pas 1'aval de son pere quand il declara vouloir etre
toreador et dut opter pour le theatre, et des roles secondares, de cocu, de muet ou de hallebardier. Mais
le journalisme Pattirait et il fonda en 1910 Le Petit Curbillard illustre, organe corporatif et humoristique
des pompes funebres. Des le deuxieme niunero il lanca un concours de funerailles amusant et facile avec
un premier prix original, un enterrement de premiere classe. Le ton etait donne avec des rubriques
pratiques du genre : « Comment faire sortir un cul-de-jatte les deux pieds devant » Ce journal, veritable
recueil d'« exercices de stele » humoristico-morbides, rendit Tame au septieme numero. Ie jour de la
Toussaint.
Cami ne restera pas longtemps desceuvre car on s'arrachait sa collaboration dans des journaux tels
que L 'Excelsior, Paris-Soir, Le Pelit Parisien, et le fameux Journal ou, pendant vingt ans, il tiendra la
rubrique de la « Vie drole », creee par Alphonse Allais. Partout il impose son humour noir loufoque et
absurde. On dit qtt'il est probablement le precurseur d'une generation d'humoristes tels que Cavanna,
Devos, le professeur Choron, Francis Blanche, lonesco ou Roland Dubillard. Chaplin alia jusqu'a dire
qu'il etait « le plus grand humoriste in the world ».
Les titres de ses publications donnent bien le ton :
— Dupanloup on les Prodiges de I 'amour
— Quand j 'etaisjeune jille, Memoires d'un gendarme
— La Ceinture de dame Alix, roman a cle
— Le Scaphandrier de la tour Eiffel
— Pour lire sous la douche
— Les Amours de Mathusalem
— Christophe Colomb ou la Veritable Decouverte de I 'Amerique
— L 'CEuf a voiles
— Vierge quand meme !
— Le Fils des Trots Mousquetaires
Chaque semaine, un public conquis altendait Ies Aventures de lafamille Rikiki ou les faceties de « la
semaine camique ». Dans Le Calvaire d'une mere ou la Perseverance recompensed , la prostituee qu'on
nomme « l'aveugle joyeuse » retrouve enfin « le bon vieillard », le pere de son enfant. Dans une saynete
dont Robinson Crusoe est le heros, on assiste au dialogue suivant :
« vendredi : Bonjour mon bon maitre !
Robinson : Brave Vendredi !! Ta petite famille est-elle toujours en bonne sante ?
vendredi : Oui, mon maitre. Mon petit Mercredi a ete un peu souffrant lundi, mais comme il a la
bonne sante de son papa Vendredi, des mardi Mercredi etait completementretabli ! »
A noter, tous les personnages de Cami exercent des metiers pour le moins originaux : accordeur de
castagnettes, accordeur de participes, perceur de mysteres, tailleur au regard oblique, ramoneur de
volcans fabriquant des locomotives en chambres, cul-de-jatte presse-papiers dans bureau, broyeur de
noir, casseur de faux-cols. tailleuse de bavettes, et Tinalterable cloueur de choucroute, dont le travail
consiste a planter des clous de girofle dans des choucroutes avec un marteau de feutre mou.
Comme la vengeance divine est implacable, ce precurseur de V humour bete et mechant qui s' etait
beaucoup moque des culs-de-jatte le devint a son tour peu de temps avanl sa mort, en 1958.
Canard enchaine, Le
Le Canard enchuine, par sa Iongevite (ne en novembre 1915, il est l'un des plus vieux titres de la
presse francaise). peut acceder au pantheon des traditions francaises, avec le beret et la baguette. Cree
par Maurice et Jeanne Marechal en reaction contre les outrances de la censure, les exces de la
propagande. les mefaits du conformisme et le bourrage de crane, il a la peaudure, et H.-P. Gassier Tavait
prevu en 1915 lorsqu'il imagina sa superbe devise : « Tu auras mes plumes, tu n'auras pas ma peau ! »
Henri Jeanson, qui collabora au journal, disait de Maurice Marechal ; « On le voyait peu parce qu"il
ne vivait que pour son journal dans son journal. II ne se montrait pas dans les lieux ou d'ordinaire les
gens s"exhibent. C'est dire qu'il ne mettait jamais les pieds dans les banques, les officines de presse,
qu'il n*allait guere a la Chambre et qu'il ne hantait pas les ministeres. II n'avait rien a demander a
personne. » Longtemps, la salle a manger du modeste appartement qu'il occupait rue de Bondy, servit de
salle de redaction avec le service des abonnements dans la cuisine. Le premier numero parut le 6 juillet
1916, et on devine Taccueil que lui reserverent les poilus dans les tranchees. Enfin quelqu'un qui ne leur
racontait pas d'histoires... car depuis aout 1914, le bourrage de crane avait commence. On lit par
exemple dans Le Petit Parisien de Tepoque : « Certaines tranchees sont relativement confortables ! »
Cette longue vie, Le Canard la doit a une aisance, a un ton special, a son engagement, son
independance et a son cote « rinspecteur mene l'enquete » (les affaires Boulin, Bokassa, de Broglie, les
impots de Chaban, Paffaire Aranda, les avions renifleurs, les faux electeurs parisiens, Taffaire Urba, le
sang contamine, etc.), le tout trernpe dans une encre de journal istes pleins d'esprit. Parrni les lecteurs du
mercredi matia certains tremblent d*y retrouver leurs noms.
Les titres annoncent Firreverence des articles parfois cruels, dans une expression simple et
gouailleuse. Ici, contrairemenl a la chasse, c'est le canard qui tire :
L'Eglise?
— « Jusqu"ou ira Benoit XVI 7 L'an prochain. il celebrera. . . la fete de la nazi vite ? »
— « Benoit XVI a en loupe pas une, le pape va de Charybde en sida ! »
Les politiques ?
— « Sarko s'offre de belles defaites cetle fin d"annee ! »
— « D va bronzer au Bresil pendant les fetes. »
— « La crise s'aggrave et Sarko samba Fceil ! »
— « Sarko a peut-etre "la banane" mais la France est au regime ! »
— « Bruxelles impose le faux rose - Jean-Louis Borloo reclame un plan Vigipicrate ! »
— « Apres avoir epuise une generation de magistrats, il est finalement rattrape — Chirac T le repris de
justesse. »
— « Royal et Aubry a la baionnette - Apres le massacre de Reims, le chemin des Dames ! »
L 'international ?
— « Ahmadinejad regne... entirant »
— « Le dialogue Bush-Hussein — £a tourne a la surenchere a canons. »
— « Ou se cache Ben Laden ? Mystere et Kaboul de gomme ! »
Le monde des affaires ?
— « Total propose de verser seulement 1 % de ses benefices : c'est une offre bidon ! »
— « Apres la fausse attaque de PepsiCo, r affaire Danone vire a FOP A bouffe ! »
Le Canard a toujours eu un style bien a lui. II y a des « expressions Canard », un « vocabulaire
Canard », un « esprit Canard » : « de quoi se marrer, comme son nom l'indique, a se tapoter le menton,
pan sur le bee, comme de juste, a se taper le derriere par terre »... font parue du folklore Canard.
Ici, on accorde des « noix d'honneur », on franchit le « mur du con » et on contribue a
renrichissement de la langue irancaise.
Pierre Benard, directeur du Canard, avait emprunte au vocabulaire de son ami le journaliste Paul
Gordeaax le « bla-hla-bla », cette onomatopee qu'il avait inventee pour se moquer d*un discours creux et
interminable. Peu a peu, Benard utilisa bla-bla-hla dans ses articles et Fexpression s'irnposa rapidement
aux lecteurs du Canards e'est-a-dire au public francais.
A Torigine de tout scandale il faut trouver un coupable. A defaut, on doit designer un bouc emissaire.
Pierre Benard Tavait decouvert et n 1 avait pas hesite a denoncer ses agissements : tout ce qui ne va pas en
France est la faute d ? un seul homme, « le lampiste ».
Dans le quartier de TOpera, au coin de la rue Daunou et de la rue Louis-le-Grand, se trouvait le Cafe
du Cadraa ou Fequipe de redacteurs du Canard avait ses habitudes avant la guerre. Le plus populaire
des garcons de ce cafe etait un denomme Papillon qui, lorsqu'on l'appelait, ne manquait jamais de
repondre : c< Minute, j'arrive ! », devenu Fequivalent poetique de : « Y a pas le feu au lac. »
Presque cent ans apres etre sorti de Fceuf, Le Canard enchaine a su conserver son independance, son
mordant et son humour, tout en s'adaptant a un monde en mutatioa Aujourd"hui, Fexemple qu'il a donne,
la derision, le calembour, le jeu de mots ne sont plus des exclusivites Canard. Son originalite est
ailleurs : comme hier et comme toujours, Le Canard est le seul grand journal a reiuser la publicite pour
ne vivre que grace a ses lecteurs. Attitude courageuse qui Foblige, pour les conserver, a prouver chaque
semaine son independance.
En 2012, on ne peut que constater que Le Canard s'est toujours applique a garder Fesprit frondeur et
anticonformiste de ses debuts.
Le Canard
enchame
Jacques Lamalle, qui fut longtemps redacteur au journal, s^esl attele a eplucher deux mille six cents
numeros du Canard et soixante-quinze dessins pour en tirer un livre monument, publie aux Arenes en
2009.
Dans son introduction, il resume le travail des dessinateurs-journalistes :
« lis ont Tart dans Leur ierocite par la plume qui crisse ou le feutre qui s'epanche de rendre cocasses
des situations et des hommes qui souvent ne le sont guere. lis savent mettre du primesaut dans les fails Ies
plus austeres. Jamais procureurs, n'accusant que les traits, ils deposent de maniere irrefutable. »
Croquer Pevenement n'est pas facile, et si un bon dessin vaut mieux qu'un long discours, il necessite
beaucoup de travail, et ce ne sont pas Cabu, Petillon. Kerleroux, Moisan. Lap* Lefred Thouron et les
autres qui diront le contraire. IsTempeche qu'ils sont a la fois les maitres absolus du dessin politique et du
dessin d'humour qui. chaque mercredi, nous permettent de nous sentir libres, comme le soulignait Henri
Jeanson, celebre pour ses coups de gueule : « libres », disait-il, en rappelant ce mot de \bltaire : « Plus
les hommes sont eclaires, plus ils sont libres. »
Peut-on alors se risquer a considerer Phumour comme une arme... pacifique ? Sans doute, etZe
Canard en est la preuve, avec des munitions telles que Pironie, ou la litote, pour debourrer les cranes et
demystifier tous les pouvoirs.
Canular, Le
Le fait de se rejouir hypocritement d'un bon tour joue aux depens d'un autre n'est pas vraiment a
mettre a mon credit, mais j'ai, je Pavoue, un faible pour ce type de prestation, sans doute parce que mon
adolescence flit marquee par les maitres du genre Francis Blanche et Jean Yanne, rnaitres, certes, mais
pas vraiment pionniers, car d* autres avant eux Pavaient cultive.
Roland Dorgeles par exemple, qui dans les annees 1900 exposa au Salon des Independants un tableau
qu'il avail fait peindre par Lolo, Pane du patron du Lapin agile, en lui attachant un pinceau a la queue.
Devant la toile Scleil levant sur I'Adriaiique, les amateurs d'art promirent un bel avenir a Pauteur. un
pretendu jeune peintre italiea C'est ce meme Dorgeles qui s'amusait a deposer des statuettes a peine
seches dans la salle des antiquites au Louvre, avant de crier au scandale.
Quelques annees plus tot, en 1861, Vrain-Lucas, greffier pres le tribunal de Chateaudua puis commis
au Bureau des hypotheques, se gaussa du celebre mathematicien Michel Cliasles, en se pretendant
detenteur d'une incomparable collection d'autographes et de fausses pieces. Encourage par P extreme
naivete du scientifique, il lui vendit des lettres de Pythagore, d' Alexandre le Grand a Aristote, de Lazare
a saint Pierre et gardait, parait-il, d'autres lettres censees provenir de Judas Iscariote, Ponce Pilate,
Jeanne d'Arc, Ciceron, Dante Alighieri, et deux lettres « inedites » de Pascal sernblant etablir la preuve
que ce savant aurait decouvert, avant Newton, la loi de Pattraction universelle. Parmi ses « tresors », il y
avait une lettre de Cleopatre qui donnait de ses nouvelles a son bien-aime !
« Cleopatre royne a son tres ame, Jules Cesar empereur. Mon tres ame, nostre fils Cesarion va biea
J'espere que bientost il sera en estat de supporter le voyage d'icy a Marseille ou j'ay dessin le faire
instruire. tant a cause du bon air qu'on y respire que des belles choses qu'on y enseigne. »
En 1910, la romanciere Virginia Woolf et quelques amis se Great passer pour des princes
d'Abyssinie deguises apres s'etre noirci la peau et afdibles de turbans, afin de visiter le Dreadnought,
navire amiral de la Royal Navy. La marine les accueillit avec une garde d'honneur. N'ayant pas pu se
procurer un drapeau abyssin, la Royal Navy se resolut a utiliser celui de Zanzibar et a jouer l'hymne de
ladite He. Les princes inspecterent la flotte, ils demanderent des tapis de priere et distribuerent de fausses
decorations militaires a quelques officiers. De retour a Londres, ils revelerent la supercherie en envoyant
une lettre et une photo du groupe au Daily Mirror. Ce firt un enorme scandale.
r
Paul Birault, un autre maitre es canulars, confessa non sans regrets daas L'EcJair du21 Janvier 1914
Tobjet de son delire : « J'avais fini par croire a son existence a force d'entendre des hoinmes d'Etat
prononcer son nom » II voulait parler d'Hegesippe Simon, un personnage totalement imagine,
« educateur de la democratie », auteur de Tadmirable phrase : « Quand le jour se leve les tenebres
s'evanouissent », pour lequel il imagine de creer un comite pour son centenaire. II avait envoye une
invitation a cent parlementaires et a un ministre, en leur demandant de se rendre le 3 1 mars 1914 dans une
ville de leur circonscription (a Poil, dans la Nievre), pretendue ville natale du heros, pour ['inauguration
de la statue de « ce grand precurseur qu'etait Hegesippe Simon ». Paul Birault avait re<;u dix-sept
reponses positives, dont Tune, depassant toutes ses esperances, envoyee par un (utur president du
Conseil ; « J"accepte avec d'autant plus de plaisir que j'ai bien connu Hegesippe Simon, ce grand
Frangais pare de toutes les vertus republicaines. » D'autres avaient regrette de ne pas etre a Poil ce jour-
la ; dommage, car le lendemain, c'etait le l er avril.
En 1 929, a Paris, des deputes de gauche recurent un appel a Taide. On leur demandait d'intervenir en
faveur des malheureux « Poldeves » opprimes, et la lettre etait signee par deux pseudo-Slaves, Lineczi
Stantoff et LamidaefF. L'instigateur de ce canular etait Alain Mellet, journaliste membre de TAction
fran9aise. Parlementaires et academiciens envoyerent de touchantes lettres d'adhesion accompagnees de
cheques... pour soutenir ces pauvres habitants de Poldavie. On voit que la Syldavie d'Herge se profilait
deja a l'horizoa
Celui d'Orson Welles a mal tourne : le 30 octobre 1938, Orson Welles et la troupe du theatre
Mercury difftisent sur une radio arnericaine une adaptation de La Guerre des mondes de H.G. Wells
(1 898), un roman de science-fiction ou Ton voit la terre envahie pour la premiere fois par des Martiens.
Panique parmi les auditeurs, malgre une noise au point des la fin de remission pour expliquer, mais trop
tard semble-t-il, qu'il s'agissaitd'un canular.
Pendant la Seconde Guerre mondiale. le quotidien beige Le Soir avait ete confisque par Toccupant
nazi qui organisa une equipe redactionnelle a sa solde. Mais des resistants reussirent a realiser une
edition pirate qui rendait compte des retraites de Tarmee allemande. magnifiait Taviation alliee et faisait
prononcer a Hitler la phrase desabusee attribuee a rempereur d'AHemagne : « Je n'ai pas voulu cela. »
Les auteurs de ce Soirdejoie parvinrent a le faire distribuer dans les kiosques. C'est done ce journal peu
conforme a la propagande nazde que les Bruxellois purent lire, interloques puis hilares. Malheureusement,
les auteurs du canular heroi'que finirent par eu*e identifies par la Gestapo, lis furent condarnnes a mort ou
envoyes dans des camps dont ils ne revinrent pas.
En 1953, un journaliste redige une biographie de Jean-Sebastien Mouche, pretendu collaborateur du
baron Haussmann, Pinventeur des « Bateaux-Mouches » et createur d'un corps d'inspecteurs de police
specialises dans le renseignement. les « Mouchards ». Nous sommes bien en 1953 et Particle est
publie... le l er avril !
Plus pres de nous, en 1995, mon ami Frederic Pages a reussi un magnifique coup en imaginant un
ecrivain fictif, philosophe de son etat (comme Pages) et auteur d'une pseudo Vie sexuelle d 'Emmanuel
Kant : Jean-Baptiste Botul (1896-1947), se reclamant de la tradition orale, et n'ayant Iaisse du fait meme
aucun ouvrage ecrit officiel, il fallait y penser...
II aurait ete fiance a Marthe Richard, Marie Bonaparte, Simone de Beauvoir et Lou Andreas-Salome !
Mais le plus drole, c'est d'avoir reussi a pieger r immense B.H.L. qui, le plus serieusement du monde,
citait Botul., pour argumenter son ouvrage De la guerre en philosophic (201 0).
Bravo Pages ! Et bravo a ses amis de F Association des amis de Jean-Baptiste Botul, qui contribue a
faire publier des ceuvres permettant « de decouvrir la pensee de J.-B. Botul ».
Capus, Alfred (1857-1922)
II flit le premier humoriste a etre admis a PAcademie francaise : « Un philosophe bienveillant dont
Tironie frequemment incisive mais jamais desolante se dissipe en sourire », ainsi le decrit Edouard
Estaunie, qui prononca son eloge en Iui succedant Quai de Conti.
Dommage que cet esprit petillant connaisse un oubli injuste, car il est un des meilleurs observateurs
des hommes de son siecle :
— « On est vole a la Bourse comme on est tue a la guerre, par des gens qu'on ne voit pas. »
— « Le peuple n'est pas meilleur que les riches, mais, comme il est moins riche, il ne peut pas tout se
permettre. »
— « Certains hommes parlent pendant leur sommeil. II n'y a guere que les conferenciers pour parler
pendant le sommeil des autres. »
— « Les meilleurs discours d'unhomme politique sont toujours ceux qu'il n'a pas ecrits. »
— « II y a de mauvais conseils que seule une honnete femme peut dormer. »
— « Ne sont-ce pas les deux problemes les plus durs a resoudre : gagner sa vie quand on est pauvre,
occuper sa vie quand on est riche ? »
— « L'humour est une disposition d'esprit qui fait qu'on exprime avec gravite des choses frivoles et
avec legerete des choses serieuses. »
— « Si une femrne est jolie, ne lui dites pas qu'elle est jolie, parce qu'elle le sail ; dites-lui qu'elle
est intelligente, parce qu'elle Fespere. »
— « On ne doit jamais dormer d*ordre a une femme que lorsqu'on esl bien sur d*avance d'etre obei. »
— « Mon age ? Cela depend, madame, de vos intentions. »
Avant de trouver sa voie dans le journalisme a L'Echo de Paris, L 'Illustration, au Clairon, au Gil
Bias, cet Aixois, fils d'un avocat rnarseillais. qui avait conserve une petite pointe d'accent du soleil,
avait echoue a Texamen de TEcole polytechnique, mais avait ete recu a I'Ecole des mines dont il
s'echappa au bout d'un an. Devenu parisien, on le croisait dans les cafes litteraires et dans les redactions,
oil il ne pouvait passer sans etre choye et fete par ses pairs : « Avec une sorte d'ivresse il se laissait
porter par ce Hot de sympathie : 'Tai de la veine !", sen±»lait-il dire. Et il distribuait les poignees de
main sans compter.
"fa n'a pas d'importance, disait-il, j'ai serre la main de tous Ies grands voleurs et de pas nial
d'honnetes gens par surcroit" », rapporte Jules Bertaut.
Ami d'Alphonse Allais, ils ecrivirent ensemble une piece, Innocent, et ceci explique peut-etre cela,
il acheta rimmeuble en face du Chat noir.
Sa devise, « Tout s'arrange », n'etait sans doute pas tres fiable, puisqu'il n'echappa pas a une
mechante fievre typhoide qui l'emporta Ie l er novembre 1922.
Caricature
Certains d'entre vous vont peut-etre s*etonner d'un tel article dans cette anlhologie de rnes humoristes
preferes. Si j'estime evident, et meme indispensable, d'evoquer ici la caricature, c'est parce qu'elle est
le fondement dont les humoristes, toutes categories et toutes epoques confondues, ont fait leur miel. En
effet, deja au Moyen Age, sur le tympan de Pabbatiale de Congrues, apparaissent des etres effrayants
mais droles pour fustiger certains moines considered par leurs pairs a Tepoque comme « decadents ».
Des siecles plus tard, les grands Leonardo, Michel-Ange et Raphael decouvrent que ce qui ne
s'appelle pas encore « caricature » mais « bell a maniera » consiste a deformer 1'image du corps pour
pointer avec le pinceau une caracteristique saillante ou morale de la personne representee. La premiere
definition qui normalise cette forme d* expression sera formulee en Italie au xvn c siecle par Baldinucci :
« On dit que des peintres ou des sculpteurs "caricaturent" lorsqu'ils utillsent le dessin de maniere propre
a faire un portrait le plus ressemblant possible, tout en augmentant ou en exagerant les defauts des traits
qu'ils imitent. » On connait la suite, ou plutot ceux qui ont depuis mis leur talent a utiliser la subversion
de r image et ainsi railler. moquer, interpeller et divulguer les realites scandaleuses de ce bas monde, de
Daumier a Wolinski ou a Cabu, de Charles Philipon (l'auteur de la celebre representation de la tete de
Louis-Philippe en forme de poire) aux cartoonistes duAfew Yorker, tous ont compris, comme le dit
George Santayana, que « le monde est une caricature perpetuelle de lui-meme. A chaque instant, il se
moque et contredit ce qu"il pretend etre ».
Tous les moyens sont boas pour caricaturer, que ce soit, on Ta dit, en exagerant les elements de la
physionomie ou en detournant un tableau a Faide d' une legende, comme par exemple Desproges dans son
Almanack, en imaginant chaque semaine une legende farfelue au celebre Guernica de Picasso.
Thomas Schlesser, brillant observateur de Thistoire de la caricature, ecrit ; « Le credo constant de la
charge satirique est rire pour ne pas pleurer, la verite revient toujours derriere le divertissement,
caricaturer c'est photographier la verite. » Ce ne sont pas les auteurs des « Guignols de Finfo » ni les
dessinateurs vedettes de Charlie Hebdo ou du Canard enchaine qui nous prouveront le contraire. Ce que
j'aime chez eux, et je pense bien sur a l'ami Cabu et aux excellenls Willem dans Liberation et Wiaz du
Nouvel Obsewateur, c'est que, non contents de renverser les dominants avec un humour feroce, ils font
preuve d'une belle inventivite que je redecouvre toujours avec ravissement. La satire, tout en nous
divertissant, devoile souvent le cote effroyable de la societe, le fameux Rire de resistance^ defini par
Jean- Michel Ribes.
Sans la caricature et ses valeureux pionniers, les humoristes d'aujourd'hui ne seraient sans doute pas
ce qu'ils sont, mais attention aux debordements !
Parfois cet humour caustique, propre a la caricature politique, peut detourner les citoyens des vrais
problemes. Comme le dit Francois Rollin, « quand rhuinoriste ne reflechit pas a l'avenir de riiomme et
aux choses de son temps, il se contente d'etre un amuseur de fin de banquet ». Le philosophe Francois
L'Yvonnet va encore plus loin en denoncant la trop grande proximite des humoristes d'aujourd'hui avec
les medias : « Ils ont, dit-il, transforme le rire en devoir, le matin a la radio, le soir a la television... II
faut sans cesse se bidonner. Tout est noye dans l'esclaffement, si bien que ce qui se dit de serieux semble
tout aussi derisoire que la derision qui vient d'en etre produite. »
Je laisserai le mot de la fin a Champfleury qui, en 1865, resurnait comment la caricature pouvait
contribuer a la sacro-sainte liberte d'expression :
« La caricature est, avec le journal, le cri des citoyens. Ce que ceux-ci ne peuvent exprimer est traduit
par des hommes dont la mission consiste a mettre en lumiere les sentiments intimes du peuple. Quelques-
uns trouvent la caricature violente, injuste, taquine, hardie, turbulente, passionnee, menacante, cruelle,
impitoyable. Elle represente la foule. Et comme la caricature n'est significative qu'aux epoques de
revolte et d'insurrection, s'imagine-t-on dans ces moments une foule tranquille, raisonnable, juste,
equitable, moderee, douce et froide ? Elle ne meurt jamais. Tapie dans un coin, repliee sur elle-meme, se
nourrissant de ses rancunes comme l'ours vit de sa graisse l'hiver, la caricature dort comme les chats et,
au moindre mouvement politique, son oeil vert apparait a travers les cils de ses paupieres. »
Nous sommes en 2012, et apparemment la caricature vit toujours, comme au premier jour, et c'est tant
mieux.
Celine, Louis-Ferdinand (1894-1961)
Quoi ? Oser parler de Celine, cet abominable antisemite qui a ecrit des pamphlets d'une rare
violence pendant la Seconde Guerre mondiale et qui a echappe de peu a la peine capitale ? Lui qui ne
laissait a personne le soin de tracer son pedigree declarait en 1935 au journal L 'huransigeant : « Je suis
ne a Asnieres en 1894... Je suis du peuple, du vrai... Mon pere, d'abord professeur puis revoque,
travaillait au Chemin de fer, ma mere etait couturiere... On tenait un commerce, on a fait beaucoup de
villes... Cela ne marchait jamais. Faillite ! Faillite ! Faillite ! A douze ans, je suis rentre dans une
fabrique de rubans... Cela m'a mene jusqu'a la guerre... »
II est mort dans un opprobre bien merite. non mais ! Tout le petil monde de la critique fut pour une
fois Linanime. Celine devait payer pour toutes les saloperies commises par d'autres moias flamboyanis
que lui. Seul Marcel Ayme le defendit, car il avait sans doute su trouver un juste equilibre dans sa
denonciation des horreurs de ce triste monde. Dans Voyage au bout de la unit et Mort a credit, on trouve
de la noirceur et du desespoir, mais rien du delire qui envahit progressivement ses pamphlets ni de cet
humour terrible qui fait penser a Swift et a sa Modeste Proposition pour empecher les enfants des
pauvres en Irlande d'etre a la charge de leurs parents ou de lew pays et pour les rendre utiles au
public, sur un ton docte.
Celine, devenu Bardamu, depeint sa premiere experience au front en 1914. II est au milieu d'une
route avec son colonel, tandis que deux ALlemands, au loin, leur tirent dessus : « Lui, notre colonel, savait
peut-etre pourquoi ces deux gens-la tiraient sur nous, mais moi, vraiment, je savais pas. Aussi loin que je
cherchais dans ma memoire. je ne leur avais rien fait, aux Allemands... La guerre, en somme, c'etait tout
ce qu'on ne comprenait pas. »
Celine etait un maniaque du style et ses trois points de suspension sont devenus Iegendaires. Ainsi
dans Guigno/'s Band, ou il evoque Ies airs qu'il dit avoir joues au piano dans les rues de Londres : « D
faut que ca toume !.. . C'est le grand secret... Jamais de ralenti, jamais de cesse ! Que ca s'egrene comme
des secondes [...] mais nomde Dieu Tautre qui la pousse !... D'un trille te la bouscule... Sursaute !...
Que ca vous tinte plein les soucis... \fous triche le temps, vous tille la peine, lutine, mutine, tinte aux
soucis, et ptemm ! pternm ! vous la tourbillonne !... \bus remporte... Constante a galope ! Notes en
notes !... Etpuis Tarpege !... Encore un trille !... Frais mutin Fair anglais devale !... Rigodons grele !...
pedale... tonne !... jamais ne dedit. . . nesoupire... pose !... »
L'homme au gilet en peau de mouton et au pantalon de velours tenu par une ficelle et la braguette
ouverte avait prepare une ultime chronique en prevision de cette mort qu'il attendait dans son pavilion de
Meudon : « Cest pas gratuit de crever ! C'est un beau suaire brode d'histoires qu'il faut presenter a la
Dame... Cest exigeant, le dernier soupir. Le "Der des Def\,. Cinema ! Moi, je serai bientot en etat...
J'entendrai la derniere fois mon toquant faire son pfoutt ! baveux... puis flac ! encore... Cela sera
termine. lis Fouvriront pour se rendre compte... Sur la table en pente... lis la verront pas ma jolie
legende, mon sifflet non plus. .. La Bleme aura deja tout pris... \foila Madame, je lui dirai, vous etes la
premiere connaisseuse !... » Elle se presenta a lui le l er juillet 1961 pour rnettre un point final a ses
points de suspension.
Chamfort (1740-1794)
Nous lui devons cet aphorisme qui devrait figurer dans tous les ephemerides : « La plus perdue de
toutes les journees est celle ou l'on n'a pas ri. » Pourtant, Chamfort n"a pas vecu a une epoque de franche
hilarite.
« Je ne serai jamais pretre, j'aime trop le repos, la philosophic, les femmes, rhonneur, la vraie
gloire, et trop peu les querelles, 1'hypocrisie, les honneurs et Targent. » Sebastien-Roch Nicolas
Chamfort, fils naturel d'un chanoine mais fils legitime d'un epicier, scellait aiasi son destin. 11 aimera la
pauvrete volontaire tout en vivant avec les gens riches et les illusions necessaires alors qu'il vecut sans
illusions.
Celui qui le denoncera pendant la Revolution, Tobiesen-Duby, ne fait pas dans la dentelle : « Point
de demi-mesures, rendez a la poussiere ces etres faits pour y etre. » La posterite s'est vengee, elle a
rendu a la poussiere Duby, mais Chamfort est toujours vivant grace a son ami Pierre-Louis Ginguene, qui
sauva une partie de ses archives qui constitueront les Maximes et Pensees et les Caracteres et
Anecdotes. Comment ne pas inclure dans ce dictionnaire celui qui deelarait : « C'est la plaisanterie qui
doit faire justice de tous les travers des homrnes et de la societe » ? Et : « Celui qui ne sait point recourir
a propos a la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans Pesprit, se trouve tres souvent place entre la
necessite d'etre faux ou d'etre pedant, alternative facheuse a laquelle un honnete homme se soustrait, pour
F ordinaire, par de la grace et de la gaiete. »
Jules Roy ecrivait dans sa preface aux. Maximes et Pensees : « Chamfort a la tristesse gaie, le
decouragementactif, la disillusion grandissante, la ferocite cordiale, la lucidite allegre. »
Chamfort le desenchante n'accuse ni Dieu ni les homines, et encore moins les femmes : « La societe
qui rapetisse beaucoup d'hommes reduit les femmes a rien. » II ecrit en temoin du monde et constate :
— « Je n'ai vu que des diners sans digestion, des soupers sans plaisir, des conversations sans
confiance, des liaisons sans amitie, et des coucheries sans plaisir. »
— « L' amour, tel qu'il existe dans la societe, n'est que Techange de deux fantaisies et le contact de
deux epidermes. »
— « Le divorce est si naturel que, dans plusieurs maisons, il couche toutes les nuits entre deux
epoux. »
— « Uetat de mari a cela de facheux que le mari qui a le plus d*esprit peut etre de trop partout,
meme chez lui, ennuyeux sans ouvrir la bouche, et ridicule en disant la chose la plus simple. »
Et que penser de ce charmant extrait des Petits Dialogues philosophiques ?
« Vous marierez-vous ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que je serais chagrin.
— Pourquoi ?
— Parce que je serais jaloux.
— Et pourquoi seriez-vousjaloirx?
— Parce que je serais cocil
— Qui vous a dit que vous seriez cocu ?
— Je serais cocu parce que je le meriterais.
— Et pourquoi le meriteriez-vous ?
— Parce que je me serais marie. »
Chamfort humoriste, mais aussi visionnaire, quand on lit ce qu'il ecrivait vers 1780 :
— « Les pauvres sont les Negres de I s Europe. »
— « Pourquoi arrive-t-il qu'en France un ministre reste place apres cent mauvaises operations, et
pourquoi est-il chasse apres la seule bonne qu'il ait faite ? »
— « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persecute ceux qui sonnent le tocsin. »
— « Les economistes sont des chirurgiens qui ont un excellent scalpel et un bistouri ebreche, operant
a rnerveille sur le mort et martyrisant le vif. »
La fin de Chamfort est totalement surrealiste ; menace d'etre emprisonne, il se tire une balle dans le
visage, se rate, perd le nez et une partie de la machoire, ne parvient pas a se tuer et tente alors de
s'egorger a l'aide d'un coupe-papier. « fouille sa poitrine » et ses jarrets, mais on parviendra quand
meme a le sauver. Six mois plus tard, le 13 avril 1 794, il quittatt enfin cette vie dont il disait : « Vivre est
une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les treize heures. C'est ur» palliatif. La mort est le
remede. »
Chaplin, Charlie (1889-1977)
Ne a Londres, quatre jours avant Hitler. Un pere chanteur, une mere actrice, Fenfance de Charles
Spencer ressemble flirieusement a celle du garconnet a la casquette Irop grande pour Iui dans Le Kid.
« De sa pauvrete il va faire de Tor », avail ecrit de lui Paul Morand, son voisin de Vevey en Suisse. Et
Woody Allen declara « qu ? il serait toujours drole dans mille ans ».
Chariot, c'est mon enfance, la votre, celle de milliers d'enfants depuis quatre-vingt-dix ans, qui n'ont
pas honte, en tout cas pas moi, d'avouer qu'il fait partie de notre heritage culturel.
A la fois poete, reveur, solitaire, toujours epris de romanesque et d'aventure, il nous a fait rever dans
les salles obscures des patronages ou des salons bourgeois des gouters d'enfants. Chariot, un mythe ?
Surernent. Un monde sans Chariot ? Inimaginable. H a fait notre enfance avec son air chafouin, sa
moustache, son chapeau melon, ses souliers trop grands pointes vers rexterieur, ses minauderies et son
leger dandinement. On a dit de cet hornme, parmi les plus attachants de l'histoire du cinema, qu'il etait
Tun des personnages les plus celebres apres Jesus-Christ. Peut-etre. « Tout ce qu'il me faut pour faire
une comedie, disait-il, c'est un pare, un policier et une jolie fille. »
Chaplin etait tout a la fois Tacrobate, le mime, le danseur, le comedien, et son art essentiellement
visuel se passe de paroles. II pensait que le cinema muet laissait un grand espace de liberte au spectateur
et un veritable espace creatif puisqu'on peut y ajouter son propre monologue interieur : c< Les films
parlants, vous pouvez dire que je les deteste ! lis viennent gacher Tart le plus ancien du monde, Part de la
pantomime. lis aneantissent la grande beaute du silence. Je ne crois pas que ma voix puisse ajouter a
Tune de mes comedies. Au contraire, elle detrulrait r illusion que je veux creer, celle d'une petite
silhouette symbol iquc de la drolerie. non un personnage reel mais une idee humoristique, une abstraction
comique. »
Lors d'une rencontre avec Albert Einstein en 1931, applaudis par les gens qui les entourent, Chaplin
se tourne vers lui ; « lis vous applaudissent parce que personne ne vous comprend, et moi, ils
m'applaudissentparce que tout le monde me comprend ! »
On ne peut oublier « la danse des petits pains » de La Rtiee vers' l'oi\ imaginee sur un coin de table
devant un de ses petits-fils incredule, ni le Fiihrer Hynkel jouant avec un ballon representant le globe
terrestre et glapissant un charabia ponctue de borborygmes et de hoquets.
Le Dictatem\ qui obtint Poscar du meilleur acteur, du meilleur film et du meilleur scenario original,
provoqua la stupefaction des invites, a la premiere, le 15 octobre 1940 a New York : « II est sain de rire
des choses les plus sinistres de la vie, et meme de rire de la mort ». dira Chaplin. Et comme on lui
reprochait de ne pas avoir adopte la meche sur le front du Fuhrer, il se rebiffa en repliquant : « J'etais
dans le show business avant lui. »
Ce fut son premier film parlant mais on avait entendu sa voix pour la premiere fois dans Les Temps
modemes, lorsqu'il interpreta « Je cherche apres Titine ». Ce chef-d'oeuvre sur la deshumanisation du
monde du travail montre aussi a quel point Chariot etait un acteur militant. Ce « citoyen du monde », ainsi
qu'il aimait se definir, cet agnostique aux opinions humanistes, qui n'avait jamais pris la nationalite
americaine, a paye un lourd (ribut pour defendre ses sympathies « gauchistes » : « Je ne suis pas
communiste, je suis un fauteur de paix », declarait-il le 20 juillet 1945 devant la commission des activites
anti-americaines. Le senateur McCarthy et ses sbires reussirent a 1 "expulser definitivement des Etats-Unis
en 1952, pour lui faire payer ses violentes satires du puritanisme et des inegalites sociales. Un roi a New
York Hit le premier long metrage dans lequel il denon^a la chasse aa\ sorcieres et l'intolerance qui
sevissait alors outre- Atlantique.
Le defenseur des laisses-pour-compte, des victirnes du racisme et des taudis surpeuples d'enfants
affames meurt en Suisse le jour de Noel 1977. Sans doute un symbole glorieux pour celui que Jean-Luc
Godard considerait comme « le plus grand au-dessus de tout eloge ».
Charlie Hebdo
Charlie Hebdo avait ete precede par Hara-Kiri* le fameux « journal bete et mechant » lance en 1960
par Georges Bernier et Francois Cavanna.
Tout le monde se souvient de : « Bal tragique a Colombey : un mort », ou : « Si vous ne pouvez pas
Facheter, volez-le. » Mais on se souvient peut-etre nioins du manifeste de la jeurie equipe d" Hara-Kiri,
qui avait decide avec ce nouveau journal de faire table rase de Fhypocrisie et de Fordre moral
preconises par « les cons et les devots » :
« Assez d'etre traites en enfants arrieres ou en petits vieux vicieux ! Assez d'erotisme par
procuration, assez de ragots de garcon coiffeur, assez de sadisme pour gardeuses de vaches, assez de
cancans d'alcoves pour cretins masturbateurs, assez, assez ! Nous sornmes les petits gars qui veulent leur
place au soleil. Nous avons la dent longue et le coude poinru. Nous ne sommes. a personne et personne ne
nous a. »
Ainsi naquit le journal le plus atypique et le plus improbable de la presse francaise, avec dans les
premiers roles Sine, Reiser. Cabu, Wolinski, Fred, Topor, Gebe, Willem, et plus tard Berroyer. Gourio et
Vuillemin. Une bande de fauches, de banlieusards et de prolos. Le premier numero. tire a dix mille
exemplaires, est vendu a 3a criee et uniquement a Paris. Apres dix mois, en 1961, le journal, qui tire
pourtant a vingt-cinq mille exemplaires, est interdit a la vente aux mineurs et a Faffichage jusquen
fevrier 1962. II faut dire que la bande des copains tape fort : « Apprenez le geste qui avorte », avec
dessin a Fappui, ou : « Jumeler le ramassage scolaire avec le ramassage des ordures. » Rien ne les
arrete, que ce soit les fausses pubs ou Fon voit un type qui vomit des pates car elles n'etaient pas des
Lastucru « aux ceufs frais » et, en 1968, une couverture oil un CRS embrassait goulument un etudiant. A
propos de 68, Cavanna, rappelant a quel point Hara-Kiri avait marque Fesprit des Francais, precisait ;
« 68 est ne de Hara-Kiri et non F inverse. » L'esprit du journal etait assez bien resume justement par
Cavanna : « C'est du pire qu"il faut rire le plus fort, c*est la ou 9a te fait le plus mal que tu dois gratter au
sang. La faim, la torture, la misere, F exploitation, la guerre... »
Vulgaire, Hara-Kiri ? \5us plaisantez. Pour Choron, la vulgarite, c'etait plutot lei Paris, France
Dimanche ou Paris Match.
« La vulgarite, disait-il, c^est la merde de l'esprit, c'est la betise, c'est n 1 avoir rien dans la tete. »
L'HEBD0&&-
BALTRAGiQUE
A
C0U3MBEY
1M0HT
En novembre 1970, de Gaulle meuru et avec lui Hara-Kiri et son bal tragique, qui est interdit de
parulion par le ministre de l'lnterieur Raymond Marcellin. Qu'a cela ne tienne, le journal trouve la
parade et devient Charlie Hebdo. A l'epoque, l'equipe recut un soutien unanime de la presse et des
medias, et paradoxalement le nouveau magazine en sortit renforce. Martin Even denoncait dans Le
Monde, en novembre 1970. l'hypocrisie de la mesure d'interdiction :
« La presse d 'opinion se meurt. Veut-on etouffer la presse 6V exasperation ? »
Le Charlie de Charlie Hebdo devait son nom au Charlie Brown americain des Peanuts. C'est Theure
de gloire de Cavanna, qui entame parallelement une nouvelle carriere, celle d'auteur de best-sellers, avec
son autobiographic qui fait un carton. Les Ritais. II tient dans le nouveau Charlie une chronique
hebdomadaire ou il ecrit slit tout et sur rien, mais il fait mouche :
— « Donnez-moi un aller simple pour Lourdes. dit le cul-de-jatte. Je reviendrai a pied. »
— « Les deux seules creatures qui s'accouplent en se faisant face sont rhomme et le sandwich au
pate. »
— « On a longtemps cru que la prodigieuse fecondite des Chinois etait due a ce qu'ils mangent
beaucoup de riz. On saitaujourd'hui qu'il n'enest riea La prodigieuse fecondite des Chinois est due a ce
qu'ils font beaucoup ramour. »
— « Si, debout et les bras ecartes, vous levez votre genou droit a la hauteur de votre menton et si,
dans cette position, vous levez a son tour votre genou gauche, vous vous cassez la gueule. »
— « Si Dieu etait ovipare, il faudrait remplacer les crucifix par des coquetiers. »
Fin 1981, helas, Charlie Hebdo, faute de lecteurs, doit s'arreter au numero 580. Une nouvelle
mouture est imaginee et elle voit le jour en juillet 1992, grace a un financement apporte par Philippe Val,
Gebe, Cabu et Renaud.
Malheureusement, c'est le debut pour Charlie Hebdo d'une Iongue periode de turbulences et de
conflits internes alimentes par des polemiques diverses, sur lesquelles je ne souhaite pas revenir, car
r humour n'y tient pas une place preponderante. Ce que j'aime et que je defends chezCharlie Hebdo,
digne rejeton du grand Hara-Kiri, c'est son esprit caustique, irrespectueux et subversif, mais aussi ce
fabuleux catalogue hebdomadaire de parodies et d'inventions a nul autre pareil.
Longue vie a ses grands dessinateurs qui contribuent depuis des decennies a defendre la liberte de la
presse, et ce n'est pas rien.
Chat noir, Le (1881-1897)
C'est Rodolphe Salis, ne en 1851, modeste et mediocre fabricant d'objets de piete, qui eut I'idee
originale d'associer art et debit de boisson. II imagina un cafe, Le Chat noir : « Du plus pur style
Louis XID... avec un lustre en fer forge de l'epoque byzantine et oil les genulshommes, Ies bourgeois et
manants seraient dorenavant invites a boire 1 'absinthe habituelle de Victor Hugo (celle que preferait
Garibaldi) et de Thypocras dans des coupes d'or. » Pourquoi Le Chat noir ? Parce qu'un specimen
famelique de la gent feline avait ete decouvert devant la porte de l'etablissement lors de son
amenagement. Ce cabaret flit pendant quinze ans une pepiniere d^artistes et d'auteurs au gout prononce
pour l'absurde el la provocation, parmi lesquels, Charles Cros, Albert Samain, Paul Gordeaux, Leon
Bloy, etc.
Bientot, Ies deux pieces du boulevard de Rochechouart ne suffirent plus et Ton demenagea rue
Victor-Mas se en pleine nuit avec « fanfare et cortege », suisses hallebardiers et Rodolphe Salis costume
en prefet. On le vit plus tard en roi (de Montmartre) avant qu'il n' organise son pseudo-suicide, laissant
une note qui accusait Zola de lui avoir vole son idee dans Pot-Bouille. Ses fausses funerailles furent
grandioses.
« Toute vulgarite etait absente du Chat noir, ecrit Herve Lauwick, mais le ton de la maison etait fort
meprisant et dominateur. Les Pinxits (les peintres selon Verlaine) et les malheureux ecrivains y avaient,
comme on dit de nos jours, de la classe. Les Pinxits surtout etaient dechaines. L'un d'eux qui travaillait
par exemple devant les arenes d'Arles s'installait en plein air et peignait sans arret des tours Eiffel. Le
public faisaitcercle autour de lui... »
Le premier merite du Chat noir flit de reconcilier la boheme et la bourgeoisie en donnant a cette
derniere rimpressionde s'encanailler.
Le ton tres caustique des membres, qu'ils soient Zutistes, Incoherents, Jemenfoutistes, Haren^ Saurs,
Hirsutes ou encore Hydropathes, n'enpechait pas les diplornates, les financiers, les politiciens, Ies
princes, Ies rois et autres celebrites de Tepoque de s'y presser. Salis accueillait ses clients par des :
« Messeigneurs », « Mes gentilshornmes », « \bs Altesses electorales », et on recevait un ambassadeur
par : « Ah ! Te voila ! T'as ete libere ? »
Et meme Edouard VII en personne vint :
« Entrez, entrez. Tiens, ce gros, c'est le prince de Galles tout pisse ! »
Ces reparties cinglantes en assuraient le succes, comme ce : « Qu*est-ce que fas fait de ta poule
d'hier ? », adresse a un nouveau venu accompagne de sa femme.
Maurice Mac-Nab, un habitue de retablissement, maniait 1' humour noir comme personne. La
politique, les fails divers, la publicite, Terotisme etaient ses themes de predilection, mais il ne crachait
pas non plus sur les problemes du quotidien :
« Le poele mobile se distingue de tous les aulres en ce que, muni de roues, il peut se deplacer comme
un meuble. On le deroule successivement au salon, a la salle a manger, dans la chambre a coucher. La
prudence exigeant que Ton ne conserve pas de feu dans la chambre ou Ton couche, on le ramene au salon
pour la nuil.
Le prix du rnodele unique est de 100 francs. »
Franc-Nohain, pere de deux enfants celebres, Jean Nohain et Claude Dauphin, createur du Canard
sauvage, ecrivait lui aussi des poemes insolites : une Berceuse obscene, xuieRomfe des neveitx
inattentionnes* un poeme heteroclite : La grue, le hussard, et le proprietaire d'immeubles et un autre a
reciter a son pedicure :
« Void venir les pedicures
Qui de vos nuiux, 6 pieds onl cure,
CEils de perdrix,
Pas de merci ;
Oignons oignons.
Et duri lions.
Saute-, SQUtez,
Callosites f
Comes et cors.
Void la mort ! »
Autre habitue des lieux, Charles Cros, qui inventa le paleophone, plus communement connu sous le
nom de phonographe, ce qui nous vaut aujourd'hui le prix du disque de rAcademie Charles-Cros. prix
qu'il aurait pu avoir aussi avec ses Triolets fautaisistes repris par Brigitte Bardot, dans Vie privee de
Louis Malle :
« Sidonie a plus d'un amant.
Ou 'on le lui reproche ou I 'en loue,
Elle s 'en moque egalement,
Sidonie a plus d 'un amant. »
Ce scientifique etait souvent moque genttment par ses amis, dont Catulle Mendes : « E avait fait
plusieurs trouvailles, assez importantes : le typhlographe, la quadrature de l'azimut et de ralmicantarat,
la direction des montgolfieres par un boulet de canon projete de la nacelle, le phonographe, la
galactotherapie, la correspondance interplanetaire au moyen d'immenses miroirs d'acier, la photographie
des couleurs, la transfusion de Fame, cinq ou six varietes de sideriscopes et le monologue. »
Heureux habitue du Chat noir, a la repartie toujours cinglante, quand on apprend a Alphonse Allais
que Tun des leurs qui prenait des bains de terebenthine pour se soigner avait pris feu, il s'ecrie : « Sa
derniere cuite ! » ou, lorsqu'un autre extravagant venait d'etre enferme a Tasile, Maurice Donnay
rencherit : « II a regularise sa situation. » C'est a lui que Ton doit aussi cette replique : « En general, les
maigres sont plus violemment aimees que les rondes. Elles sont aimees jusqu'au crime, car la passion
s'accroche aux angles. Les rondes, on les pelote. Les maigres on les tue. »
Laurent Tailhade ecrivait : « Le Chat noir, c'etait L 'Assommoir et La Divine Comedie amalgames. »
Et pour Jean Lorrain, c'etait « un quartier de rapins et de poetes, un musee picaresque et baroque de
toutes les elucubrations de bohemes venues s'echouer toutes la durant vingt ans, de toutes ces epaves : le
mauvais gout le plus sur a cote de trouvailles exquises ; statuettes polychromes et fresques de Willette ».
Chaval (1915-1968)
Ou 1 'on va decouvrir que Chaval ecrivain est aussi etonnant que Chaval dessinateur.
Yvan Le Louarn, ne en 1915, avait choisi « Cheval » comme pseudonyme, en hommage au fameux
facteur d'Hauterives, mais une erreur de transcription lypographique en decida autrement.
U esprit de Chaval est aussi acere que ses crayons. II nous regale avec des fables parodiques, des
lettres reelles ou fictives, des dialogues et des autoportraits qui sont un modele du genre : « Maintenant,
je suis un homme arrive, ma fortune est considerable. Je possede : 12 automobiles, 3 fiacres, 30 chevaux
de course, 1 cheval de labour, 2 000 chiens de race (et il en vient toujours), 1 chienne, 4 chateaux
historiques, 2 chateaux sans histoire, 15 fermes, 1 prison, 2 prefectures, 3 boulangeries, 1 yacht. 1
appareil a rouler les cigarettes et de nombreux bijoux. Mon standing actuel me permet d"entrer chez le
pape a n'importe quelle heure, la casquette sur la tete et en fumant. »
On s'apercoit en le lisant quil ne fait pas de difference entre le trait et le mot. Souvenez-vous de ses
dessins : Bleriot s'exercant au revolver a travers sa manche. Napoleon defequant des petites pyrarrrides,
Madame de Sevigne dormant un gros pourboire au facteur, Leonard de Vinci faisant une cene a sa mere ;
sans oublier les objets les plus incongrus nes de son imagination : un phonographe a butane, une boite
d'hosties ernpoisonnees pour detruire les souris de benitiers, un baton de marechal-nous-voila. . .
Vialatte, mon heros, etait, et cela ne rrfetonne pas, un fervent admirateur de Chaval, et voici comment
il en parlait dans une de ses chroniques de La Montague : « Le cou de r homme Chaval ne s'entoure pas
de plumes brillantes. II lui donne pourtant frequemment la forme d'un oiseau polaire, polaire et noir, en
fait un roi, d'un miao scope un illustre savant, d'un fusil un grand militaire. Mais la silhouette reste
affaissee... L'homme de Chaval est un pingouin qui s'est mis un cliapeau de Bonaparte. »
Les personnages de Chaval ne savent pas sourire, sans doute parce qu'ils sont neurastheniques
comme lui, a force de faire des bilans sur la vacuite de la vie.
Dans ses Ecrits on trouve aussi bien des proverbes : « Dis-moi qui tu es et je te dirai qui je suis », ou
« Un essuie-glace ne fait pas le beau temps » ; une lettre de chateau dans laquelle il legue a ses amis ;
« Une ceinture de chastete qui dit papa et maman, un rectangle fa^on trapeze, un heros au sourire si doux
et une tour Eiffel pliante en osier »... Et aussi quelques petites annonces : « Bceuf achete cher photos de
vaches », ou « Rien n. ser. de cour. il f. part a p. »
II ne dedaigne pas non plus brosser quelques portraits, et celui du « Celebre » est cynique certes,
mais criant de verite : « II a le coup d'ceil rapide et discret, guette de s'assurer qu'il est reconna Quand
il lui arrive de tomber sur quelqu'un pour qui il n'evoque rien, il a un regard amuse et indulgent destine a
troubler r ignorant qui se creuse la tete pour deviner. II pense faire plaisir en tutoyant et, en fait, il
rencontre rarement des mufles qui lui rendent son "tu". II ne deteste pas mourir dans un accident
d'automobile ou d'avion. »
Celui qui disait : « Aimer la vie me sernble aussi stupide que d'etre patriote, vive la putrefaction,
vive la mort » aurait helas, si Ton en croit Pascal Ory, realise des caricatures antisemites durant
l'Occupation, en participant activement au journal collabo bordelais Le Progres.
Cela est evidernment inexcusable. La seule circonstance attenuante serait de considerer qu'a
l'epoque, Yvan Le Louarn ne s'appelait pas encore Chaval.
II se suicide au gaz le 22 Janvier 1968, non sans avoir pris la peine d'accrocher une pancarte sur sa
porte : « Attention, danger d'explosion. »
Churchill, Winston (1874-1965)
Un homme d'Etat debordant d'humour ? C'est assez rare pour etre signale.
Humoriste nouveau-ne, il commence sa vie en faisant une farce a sa ravissante Arnericaine de mere. II
arrive sur notre planete en 1874 dans les vestiaires d'un palais, alors qu'elle se rendait a un bal contre
l'avis de son rnedecin ; ecolier, rebelle contre son professeur qui lui demande de decliner en latin : « la
table, de la table, a la table, 6 table ». Exercice qu'il trouvait totalement ridicule. Sa vocation militaire se
forge en bombardant ses soldats de plomb de petits pois ; journaliste au Daily Graphic* a Cuba, pour
commenter la guerre entre I'Espagne et la guerilla cubaine, il se rejouit que son voisin de hamac soit
obese alors qu'on leur tire dessus ! C'est d'ailleurs la qu'il se prend de passion pour les cigares, dont il
disait : « Ne croyez surtout pas que je fume toute la journee ! Je suis bien trop temperant pour cela. II
s'agit enrealite de faux cigares : ils sontcreuxet remplis de cognac a rinterieur... »
Durant sa carriere politique, il ne loupe pas ses collegues, a commencer par les lords : « Un fiacre
vide arriva et lord Attlee en descendit. » Les ministres : « Nous pourrions lui donner le rninistere de la
Guerre et nous serions stirs de l'eviter : pendant la guerre, il etait ministre du Charbon et nous n'avons
jamais eu de charbon. » Et meme son bras droit, Anthony Eden fait les frais de son ironie. Apres un de
ses discours, Churchill commente : « J'ai trouve ga bon. II contenait tous les lieux cornrnuns connus, a
l'exception peut-etre de : "Veuillez laisser cet endroit aussi propre en sonant que vous souhaiteriez le
trouver en entrant". » Les femmes n'echappent pas a son esprit frondeur ; a lady Astor qui pretend que, si
elle etait son epouse, elle mettrait du poison dans son cafe, 11 retorque : « Madame, si j 'etais votre man,
je le boirais. »
Meme motif, merne punition pour les emmerdeurs :
« Monsieur le Premier Ministre, vous ai-je deja parle de mon neveu ?
— Non, jamais, et je vous en suis tres reconnaissant. »
Pour lui, le golf est un sport qui « consiste a faire une belle promenade dans un site exceptionnel, un
moment de quietude gache par une petite balle blanche qui refuse d"entrer dans un trou de deux fois et
demie sa taille », et « jouer au golf, c'est comme chercher une pilule de quinine dans un pre a vaches ».
Et lorsqu'onlui demande quel est P homme politique qu'il admire le plus, il repond :
« Mussolini, parce qu'il a eu, lui, le courage de faire fusilier son gendre. »
Le Vieux Lion vecut jusqu'en !965. a Page de quatre-vingt-onze ans, et il disait devoir sa vitalite a
l'alcool : « Je n'ai dans le sang que des globules rouges : l'alcool a tue depuis belle lurette tous mes
globules blanes... » Ma saillie preferee, c'est celle oil il detourne ce proverbe : « Une pomme par jour
eloigne le rnedecin », en yrajoutant son point de vue : «... a condition deviser juste. »
II ne se souciait guere de la posterite : « L'Histoire me sera indulgente, car j'ai l'intention de
Tecrire. » Et se disait pret a reneontrer le Createur : « Quant a savoir s'il est prepare a Tepreuve de me
voir, c'est une autre histoire. »
Cinema, Le
Est-ce que j'aime le cinema ? Oui, bien sur. Suis-je un cinephile averti ? Pas tout a fait, et je ne me
sens pas d'attaque pour disserter sur l'humour au cinema, si ce n'est a travers quelques coups de cceur,
d'autant plus que j'aborde ailleurs ce sujet avec quelques acteurs ou realisateurs, tels Woody Allen,
Michel Audiard, Louis de Funes, Charlie Chaplin, Jacques Tati, Henri Jeanson ou Sacha Guitry. Sans
remonter jusqu'a La Sortie de I'usine Lumiere a Lyon (1895), j'aimerais d'abord saluer Marcel Pagnol
et ses comperes, Cesar, Panisse, Marius et Escartefigue, qui m'ont aide a decouvrir rhumour au cinema,
puis Fernand Contandin, plus connu sous le nom de Fernandel (1903-1971), dont j'ai du volt Le Petit
Monde de don Camillo je ne sais combien de fois, au gre de mes inscriptions au tableau d'honneur, rnerne
si le camarade Peppone n'etait pzspersonu graia chez les peres jesuites, chez qui j'abordais mes etudes
secondaires.
Je me souviens aussi de Michel Simon, dont le physique m'impressionnait, lorsqu'il incarnait le
clochard dzBoudu native des eaux (1932), recueilli par le brave libraire M. Lesungois, et dans la
comedie de Sacha Guitry La Poison (1951), oil il essaie par tous les moyens d'elimlner sa femme
alcoolique.
Difficile de ne pas citer les comedies d'Yves Robert et de Gerard Oury, et ce serait hypocrite de ne
pas avouer que je me delecte certains dimanches soir en revoyant Le Comiaud (1964), La Grande
Vadrouille (1966), Rabbi Jacob (1973), ou les frasques des copains quadragenaires Rochefort, Bedos,
Lanoux et Brasseur dans Un elephant ca trompe enormement (1976) et Nous irons tous au paradis
(1977), films ou Ton reconnatt la parte subtile de Jean-Loup Dabadie.
PuisquMl est question de coups de cceur, bienvenue a la comedie a l'italienne dont je suis un
inconditionneL On dit qu'elle puise ses racines dans le neorealisme des annees 1950. On la dit feroce,
grincante et iconoclaste, mais surtout servie par d^immenses pointures du rire, comme Gassman, Sordi,
Mastroianni ou Tognazzi, les descendants de Tun des grands acteurs du cinema italien des annees 1950,
Antonio de Curtis, dit Toto (1898-1967), dont Tune des plus belles repliques dans Tata a coiori (1952)
est : « Toute limite a une patience. »
Personne ne peut contester que Divorce a l'italienne ( 1961), Le Pigeon (1958) ouL'Argent de la
vieille (1972), pour ne citer que ceux-ci, sont des chefs-d'oeuvre. Merci a Dino Risi, Ettore Scola,
Vittorio De Sica et Federico Fellini de continuer a nous enchanter, grace a quelques cinemas d'art et
d'essai, courageux. Merci aassi a Roberto Benigni d"avoir si justernent repris le drdle de flambeau de ses
anciens.
Si je ne devais mentionner qu'un seul film americain, je citerais sans hesiter The Shop Around the
Corner (1940). ou Ton retrouve si bien la fameuse « Lubitsch's touch », ce melange sophistique du seas
du detail et de Tellipse.
C'est Pun des rares films de Fepoque qui aborde d'ailleurs le theme du chomage, ou Ernst Lubitsch
met en scene des employes de la boutique de M. Matuschek a Budapest, Alfred Kralik (genial James
Stewart) et Klara Novak (ravissante Margaret Sullavan). On a toujours dit que le film le plus drole de
Lubitsch etait To Be or Not to Be (1942), je lui prefere celui-ci, et je suis bien incapable de vous
expliquer pourquoi, mais quand onaime...
Je me suis amuse a choisir quelques phrases dites « cultes » de Fhistoire du cinema pour vous
detendre :
— « Majeste, votre sire est trop bonne » (Francois F r , de Christian-Jaque, 1937).
— « II se peut que tuaimes la marine francaise... mais la marine francaise te dit merde » (Marias,
d'Alexandre Korda, d'apres Marcel Pagnol, 1931). A prononcer obligatoirementrtvx : I'assent.
— « Salauds de pauvres » (La Traverse? de Paris, de Claude Aulant-Lara, 1956).
— « Nobody is perfect » {Certains I'aiment chaiul, de Billy Wilder, 1959).
— « Si j 'avais su, j 'aurais pas venu » (La Guerre des boutons, d* Yves Robert, 1 962).
— « You talkin' to me ? You talkin'to me ? You talkin' to me ? » ( Taxi Driver, de Martin Scorsese,
1976).
— « Therese n'est pas moche, elle n'a pas un physique facile, c'est toul » (Le Pere Noel est une
ordure, de Jean-Marie Poire, 1982).
Un clin d'ceil aussi a Tami Philippe Mignaval, qui repertorie les poncifs et les repliques telephonees,
qui font notre joie dans un livre decapant, Tous les cliches du cinema (2012) :
— « Le tueur qui trimballe un cadavre dans son cofrre est toujours arrete pour exces de vitesse. »
— « Le gardien qui surveille les ecrans tourne toujours le dos quand les voleurs s'introduisent daas
rimmeuble. »
— « Le nouveau-ne pese generalement hiiit kilos. »
— « Les chiens reconnaissent toujours les salauds en leur aboyant dessus. »
— « Le ftigitif qui se reftigie dans un bar decouvre que la television parle immanquablement de
lui ! », etc.
Enfin. je ne peux nfernpecher de penser a Pierre Desproges qui, dans ses Chroniques de la haine
ordinaire, s'en prenait a un critique qui avait ecrit dans un hebdornadaire, « dans lequel, de crainte qu'ils
ne pourrissent, je n'enfermerais pas mes harengs » (sic), a propos d'un film de Claude Zidi : « C'est un
film qui n'a pas d'autre ambition que celle de nous faire rire. »
Desproges, fou rurieux, ne Tavait pas loupe :
« Mais qui es-tu, zero flapi, pour te permettre de penser que le labeur de clown se fait sans la sueur
de rhomme ? Qui t'autorise a croire que rhumoriste est sans orgueil ? Mais elle est immense, mon cher,
la pretention de faire rire.
Une ceuvre pour de rire, ca se tourne, comme un fauteuil d'ebeniste. ou comme un compliment, je ne
sais pas si tu vois ce que je veu\ dire avec ce trou beant dans ta boite cranienne . . . Moliere, qui fait
toujours rire le troisieme age, a transpire a en mourir. Chaplin a sue. Guitry s'est defonce. [...]
Pauvre petit censeur de joie, tusais ce qu'il te dit, M. Hulot ? »
Haine ordinaire ou non, c'est bien vu, et ce n'est pas Woody Allen ou Mel Brooks qui oseraient le
contredire.
Cingria, Charles-Albert (1883-1954)
Vfous ne connaissez pas Cingria ? \fous n'en avez jamais entendu parler ? Ne vous frappez pas, vous
n'etes pas le seul. Je Fai moi-meme decouvert il n'y a pas si longtemps et, depuis, je ne me lasse pas
d'essayer d'en savoir plus sur lui, et sur les onze tomes de ses CEuvres completes, sans compter les six
tomes de sa Correspondimce generate. Excusez du peu !
Presenter ce personnage, ne en Suisse d'un pere turco-dalmate et d'une mere polono-picarde, est
relativernent simple ; il suffit de decliner tout ce qui a ete ecrit sur lui, et vous aurez une approche
complete du personnage. catholique suisse et romain, levantin, gregorien et lotharingien, boheme,
velocipediste, chroniqueur assassin et intempestif, pieton parisien, antisurrealiste, gamin eternel,
fantaisiste langagier extraterrestre, scoliaste medieval, sybarite en priere, cenobite en extase, virtuose de
Tepinette et inspire sans doute par bien d'autres talents. Charles-Albert etudie la musique a Geneve et a
Rome, puis voyage a travers r Europe avant de s'etablir a Paris en 1915 oil il vegete dans une miserable
chambre de bonne rue Bonaparte. II ne se lave guere et partage sa chambre avec ses chats et son velo.
Apres avoir propose quelques articles a diverses revues, sans succes, il se met a frequenter les salons
litteraires, oil Ton remarque sa brillante conversatioa malgre son look bizarre. Dans un eblouissant
portrait Jerome Garcia qui semble lui vouer une certaine admiration, le decrit ainsi : « Coiffe selon
l'humeur d'un beret basque ou d'un turban indien. le ventre rond moule dans un maillot raye de coureur
cycliste. le crasseux Helvete teiiait du mamamouchi et du Bouddha. Seule chez lui la tete etait dans les
etoiles. Le reste collait comme un loukoum a Texistence. "C'etait un fantome gras", observait
Jouhandeau. "Precieux et priirritif", corrigeait Mandi argues. "Une phosphorescence qui court", ajoutait
Cocteau. "Un personnage de la comedie italienne", adjugeait Leautaud. Fascines, Modigliani et Dubuifet
l'immortaliserent a Tencre de Chine. »
On le voit, Thomme ne laissait pas indifferent, et Jean Paulhan, tres attire par les auteurs qui sortaient
des senders battus, le tenait pour « notre plus grand ecrivain » et lui avait demande de collaborer a la
NRF, malgre l'avis de Gide, qui etait, parait-il, allergique aux « boufFonneries ».
Comment Cingria en etait-il arrive a fasciner a ce point ? Jean Paulhan justifi ait ainsi son admirauon
pour ce styliste qu'il trouvait « gras et onctueux, avec quelque chose de monacal qui se foutait
completement des sujets a la mode, mais parlait joyeusement du temps qu'il fait, des arbres, de Teau, des
aiumaux et surtout des chats... Bref, il savait dire : "il pleut" comme personne ». On disait de lui qu'il
etait tout sauf un auteur pittoresque, qu'il ecrivait sur une foule de sujets inattendus, sur rien et sur tout :
« Je n'aime pas ce qui est charmant. J'aime ce qui est carre, bruissant, enorme, chevalia humain, divin. »
Drieu la Rochelle, qui trouvait sa prose loufoque, le traitait de « mediocre delirant ».
Cingria savait souffler le chaud et le froid entre des chroniques badines et des papiers d'humeur
assassins. II detestait le « moderne voulu moderne » et declarait de facon peremptoire : « Ce qui
nfincendie le bulbe^ rnoi, c'est le neuf. » II detestait les elites litteraires modernistes et se moquait des
« talents veules des mystiques a Teau de Javelle » (sic). Charles-Albert se conduit parallelement comme
un gamin. Avec Leon-Paul Fargue, il est membre actif de l'axmcale des pietons de la capitale et s"aniuse a
traverser les Alpes a velo : « Felicitons-nous qu'a cote, tout a cote - disons une prairie oil s"ebrouent les
bicyclettes -, la vie reste aussi belle. » II aime la nature et en parle tres bien en multipliant les images
cocasses, les expressions rares et recherchees. « Lutin insaisissable et papillon de bibliotheque » pour
Claudel, il est pour Daniel Maggetti, Fun de ses prefaciers, « tout ce qu'il faut pour etre un cas : et un cas
litteraire, ce n* est jamais tres loin du domaine des curiosites [...]. Si on ajoute au tableau son gout du
paradoxe et sa biographie atypique. on comprend qu'il soit identifie au mieux a un original, au pire a un
ludion ou une girouerte ». Les titres de certaines de ses chroniques ont de quoi faire rever les
ecologistes :
« Lettre au verificateur des eaux », « Le carnet du chat sauvage », « Le parcours du Haut- Rhone » ou
« La julienne et Tail sauvage », « Propos animalters », « Pendeloques alpestres », « La Grande Ourse »
ou encore « Bois sec bois vert ». II n'a pas son pareil pour decrire le passage des chalands sur la Loire :
« C'est si agreable que se realise exactement ce que vous aviez prevu, si agreable de faire un petit gouter
ainsi, et puis de revasser rnodiquement, sans fin. sans etre importune par personne I » Certains ont ecrit
que son ceuvre pourrait etre comparee a une immense preface, ou plutol aux notes innombrables en vue de
cette preface. D'autres pensent qu'il est un « formidable moteur a explosion, un baroque, un amoureux
eruptif de la langue ».
Pour Jerome Garcia il etait aussi « moitie Quichotte, moitie Sancho. Une langue en relief qui a ses
plaines, ses montagnes, ses marecages, ses orages, ses saisons, son grand soleil, ses grottes, ses
labyrinthes, ses lacs et ses adrets ». Et pour Michel Crepu, « son ceuvre est bourree de chiffons, de
vignettes curieuses, de papillons vivants, de boites a clown, mitle choses encore ».
De beaux hommages pour celui qui, avec ce « presque » nom de boisson alcoolisee, mourut en 1954
d'une cirrhose.
Cioran,EmiI (1911-1995)
L'homme le plus pessimiste du monde qui deplorait « le malheur d'etre ne » et qui a passe sa vie a
faire Tapologie du suicide n'est mort qu'a quatre-vingl-quatre ans, sans prendre de risques puisqu'il
avait banni le tabac et I'alcool. On a dit que ses livres constituent « Tescroquerie la plus reussie qui lui
aura permis de vivre quatre-vingt-quatre ans sans rien ofrrir a la vie que son pessimisme, et meme de
devenir pour cela une veritable star ». II ne faut pas s'etonner de voir ce « masochiste desespere,
demolisseur d'illusions » figurer dans ce dictionnaire, car celui qui erigeait le rire en therapie
indispensable contre « la maladie de Fame » merite que Ton s'arrete sur lui :
« On me dit souvent : "Malgre ce que vous ecrivez, vous etes un des hommes les plus gais." J^ai
beaucoup ri en effet dans ma vie, mais cela ne prouve rien. Rire est un acte liberateur. Je viens de
recevoir une lettre de Roumanie d'un ami qui pense au suicide. D me demande conseil. Je lui ai repondu :
"Si tu ne peux plus rire, fais-le !" »
Ce fils de pope, ne en Roumanie, avait deux obsessions, devenir plus deprime que la depression elle-
meme et celebrer la langue francaise, seule langue, disait-il, ou on ne devient pas fou. Ce professeur
agrege de philosophie qui repondait a la question : « Que faites-vous du matin au soir ? » par : « Je me
subis ». et dont tous les etudiants echouerent a leurs examens, s'interdisaitde se prendre au serieux. D'ou
ces bonnes le9ons d'enchanternent ironique :
— « Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent. »
— « Nous ne devrioas deran^r nos amis que pour notre enterrement. Et encore. »
— « Ma mission est de tuer le temps et la sienne de me tuer a son tour. On est tout a fait a Taise entre
assassins. »
— « Je reve d'un confesseur ideal, a qui tout dire, tout avouer, je reve d'un saint blase. »
— « Lorsqaon a commis la folie de confier a quelqu'un un secret, le seul moyen d'etre sur qu'il le
gardera pour lui est de le tuer sur-le-champ. »
— « La condition de Tamam n'est pas tres enviable : commencer en poete et finir en gynecologue. »
Dans son celebre Precis de decomposition publie en 1977, ce professeur de desespoir, pour qui
justement « Tespoir est une vertu d s esclave », affirme que : « Toute idee doit etre neutre » et qu'« il faut
detruire chezrhommesapropensiona croireet sa hantise d^un dieu ». Terrifiantmais interessant...
Proche de Beckett, de Ionesco et de Michaux, il se delectait des paradoxes du monde. Georges Banu,
son ami, pensait que son humour se rapprochait de celui « d'un Buster Keaton exerce au quotidien ».
J'airne chez lui sa traque perpetuelle de Tabsurde ; ce que j'aime moins, c'est Tengagenient fasciste
de ses vingt ans : « Celui qui entre vingt et trente ans ne souscrit pas en fanatique a la fureur el a la
demesure est un imbecile. » Philippe Sollers, un admirateur, ne s'y est pas trompe : « La consommation
de Cioran doit se taire a petites doses. Deux ou trois fragments sont regenerants, davantage est vite
lassant, on entend tourner le disque. Rien de plus tonique que dix minutes de desespoir et de poison
nihiliste. Personnellement, les milliards de soleils m'excitent, et la musique de Bach, comme Cioran le
reconnaissait lui-meme, est une refutation de tous ses anathemes. Quel type extraordinaire, tout de meme,
qui voulait ecrire sur sa porte les avertissements suivants : "Toute visite est une agression" ou "J'en veux
a qui veut me voir" ou "N'entrez pas, soyez charitable" ou "Tout visage me derange" ou "Je n'y suis
jamais" ou "Maudit soit qui sonne" ou "Je ne connais personne" ou "Fou dangereux". »
Coluche (1944-1986)
Ne dans le XIV e arrondissement, eleve a Montrouge, son enfance est peu retuisante. Le soir, on
compte les sous : « Le jour ou la merde vaudra de Tor, les pauvres naitront sans trou du cul. » Le ton est
donne. Apres un echec au certificat d'etudes, il decouvre, comme il le confiait plus tard a des amis, qu'il
n'avait jamais ete grand ; d'abord petit puis tout de suite gros.
Rencontre decisive avec Romain Bouteille, avec lequel il monte le Cafe de la Gare. S'y escrimeront
notamment Patrick Dewaere et Sylvette Herry, alias Miou-Miou. Les spectateurs paient Ieur entree selon
une loterie qui leur permet de debourser de a 30 francs, n y a deux entractes ou les comediens font le
service. Le public est conquis. Coluche fonde alors avec des amis la troupe « Le vrai chic parisien ». En
quatre ans, il joue avec succes Tlierese est triste et Ginette Lacaze. La troupe joue egalement
Introduction a 1'esthetique fondamentale, avant que Coluche ne la quitte. « J'ai eu deux coups de pot
dans ma vie : etre decouvert par Bouteille et etre vire par Bouteille », avouait-il quelques mois apres.
Noik sommes en 1974 et tout lemonde se rend compte que lejeune trublionpeutfairerire seul.
II se fait remarquer par une tendance tres prononcee a delourner les lieux communs : « Le travail,
c'est bien une maladie, puisqu'il y a une medecine du travail », et aussi jouer l'elephant dans un magasin
de porcelaine : « Bizarre Mgr Lustiger, toujours en robe et jamais de sac a maia »
Je ne sais plus qui disait de lui : « Synthese de tous les comiques de la radio passes et presents,
Coluche, c'est Maurice Biraud, Jean Yanne, Jacques Martin, Francis Blanche* Stephane Collaro et Jean
Roucas reunis... en cent fois plus mechant. Un immense coup de balai passe sur la carpette des
humoristes qui , jusque-la, restaient bloques au "22 a Asnieres" et aux imitations du general de Gaulle. »
La verve de ce Zorro des mots n'a aujourd'hui rien perdu de sa modemite et nous en sommes tous a
reecouter certains de ses sketches au fil desquels il epinglait journalistes, hommes politiques, militaires.
policiers, etc. :
SOS Racisme ?
— « Yannick Noah rechigne toujoiirs a monter au filet : ga Iui rappelle sa capture. »
SOS Femmes ?
— « Je Tai pas violee. Violer, c'est quand on veut pas. Moi je voulais ! »
AFDPM (Association francaise tie la police municipale) ?
— « Les kepis ca serre la tele des gens, ga empeche le cerveau de se developper. C'est pour ca que
ceux qui ont des kepis sont betes... »
— « Tu sais ce qu'il faut pour faire un bon flic ? Un jeu de cartes et un decapsuleur. »
La Ligue des droits de J 'homme ?
— « Qu'est-ce qu'il fait, l'Ethiopien. quand il trouve un petit pois ? E ouvre un supermarche. »
Les handicapes ?
— « La hausse du petrole entraine des inquietudes chez les handicapes moteurs. »
Lesjttifs ?
— « Pourquoi Dieu a invente les catholiques ? Pour qu'il y en ait quand meme qui achetent au
detail... »
L'Eglise?
— « Les cardinaux, on leur met des petits ronds rouges sur la tete, c'est pour pas les paumer dans les
squares ! »
Les anciens combattants ?
— « La guerre de 14-18 avait fait un civil tue pour dix militaires. La guerre de 39-40, un civil pour
un militaire. Le Vietnam, cent civils pour un militaire. Pour la prochaine, les militaires seront les seuls
survivants. Engagez-vous ! »
Les medecins ?
— « La medecine est un metier dangereux. Ceux qui ne meurent pas peuvent vous faire un proces. »
Lesjeunes ?
— « Pour avoir du genie, faut etre mort ; pour avoir du talent, faut etre vieux ; et quand on est jeune,
on est des cons. »
La politique ?
— « La moitie des hoinmes politiques sont bons a rien. Les autres sont prets a tout. »
Lesjournattstes ?
— « lis ne croient pas aux mensonges des hommes politiques, mais ils les repetent, c'est pire ! »
Les acteurs ?
— « Un metier de ringard ou Ton passe le plus clair de son temps a faire de Tapres-vente comme si
on demandait a un pilote de reparer son avion en cas d'avarie. »
Les sportifs ?
— « Le temps qu'ils passent a courir, ils le passent pas a se dernander pourquoi ils courent. Alors,
apres on s'etonne qu'ils soient aussi cons a l'arrivee qu'au depart. »
Et. comme le titre de son emission rannoneait clairement, sur Europe 1 : « II y en [avait] pour tout le
monde. »
II fut meme un des premiers humoristes a prendre 1' extreme droite en Iigne de mire : « Jean-Marie Le
Pen depasse les borgnes. A la tele il fait Ftihrer. II n'a pas de sang arabe ou alors sur son pare-chocs
peut-etre », ou encore : « Marchais, c'est l'almanach Vermot ! Le Pen, c'est l'almanach Wehrmacht. »
« II faut beaucoup de talent pour faire rire aux eclats avec des mots, mais il faut du genie pour faire
rire aux eclats avec des points de suspension », disait de lui Frederic Dard.
Mais Coluche, c'est aussi un bouleversant acteur dans Tchao Pantin, c'est aussi l'Enfoire, fondateur
des Restos du cceur, car il n'oublie pas qu'il a ete un ancien pauvre avant d'etre un nouveau riche.
Son humour acide louche souvent vers. I'absurde a la Lichtenberg :
« La bonne longueur pour les jambes, c'est quand les pieds touchent bien par terre. »
La gloire est une garce. Le 19 juin 1986, a 16 h 40, un tournant sans visibilite sur la route escarpee
d'Opio, AIpes-Marilimes. Un semi- remor que effectue une manoeuvre. La moto ne roulait pourtant pas si
vite. Coluche pensait-il pouvoir eviter ce putain de camion ? A quarante-deux ans„ on peut encore tout
faire. Surtout quand on est depuis un an recordman du monde de vitesse du kilometre lance sur piste a
gros cube : 252,087 knVhsur une Yamaha 750 OW31.
Coluchienne de vie. C'etaitl'histoire d'unmec, ymeurt a la fin. Salutma poule !
Commerson, Jean Louis Auguste (1802-1879)
Nous devons a Commerson, ecrivain et auteur dramatique assez meconnu, un livre d'aphorismes
humoristiques, les Pensees d'un emballew\ publiees en 1851, et une Petite Encyclopedic baujfoime en
1860, que Theodore de Banville qualifle de « chef-d'oeuvre ».
Jacques Rouviere dans Dix Siecles d 'humour dans fa litterature francaise estime qu'il y a deja de
l'almanach Vermot dans ces ouvrages. II merite bien un hommage dans ce dictionnaire, ne serait-ce que
pour rendre a Cesar ce qui appartient a Cesar, car bien des auteurs lui ont emprunte, sans jamais lui
rendre ses zeugmes, ses jeux de mots et autres citations comme celle-ci, qui a de nombreux peres
adoptifs. mais qui est bien de lui : « Si Ton construisait actuellement des villes, on les batirait a la
campagne, Tair y serait plus sain. »
Mes preferees :
— « A son lit de mort, rhomme songe plutot a elever son ame vers Dieu que les lapins. »
— « Aujourd'hui, tout le monde pose. L'homme propose, la femme dispose, l'industrie expose, le
commerce depose, les sciences composent, et les grands hommes reposent. »
— « Borgne : etre simple et credule qui voit tout d'un bon oeil. »
— « Broche : instrument de cuisine que des feinmes attachent a leur corsage. »
— « C'est toujours par la faimque commence unbon repas. »
— « Epouser une maitresse, c'est mettre en hachis les restes d'un vieux gigot. »
— « E vaut mieux etre perdu de vue que de reputation. »
— « J'airne mieux etre tire a quatre epingles qu'a quatre chevaux. »
— « J'aimerais mieux aller heriter a la poste que d'aller a la posterite. »
— « .Tepouserais plus volontiers une petite femme qu'une grande, pour cette raison que, de deux
maux, il faut choisir le moindre. »
— « La philosophic a cela d'utile qu'elle serta nous consoler de son inutilite. »
— « La superiority des blancs sur les rouges est incontestable. Je n'en veux que les haricots pour
exemple. »
— « Le mariage n'est souvent qu'un echange de grognements reciproques durant le jour et de
ronflements. pendant la nuit. C'est de 1' ennui a deux »
— « Les femmes laides n'ont ete mises sur la terre que pour faire la consolation des aveugles. »
— « Quand je mange des glaces, cela me fait reflector. »
— « Si j'etaisneavantmonpere.j'auraispuetrelesien. »
— « Si jamais j'ai des enfantsjenedemanderai qu une chose : en etre le pere. »
— « Quand ma mere m'a allaite, elle avait un dessein cache. »
— « J'ai dine hier soir avec une femme et un bceuf a la mode. »
Courteline, Georges (1858-1929)
Voici comment Edmond de Goncourt dans son Journal brossait son portrait :
« Un petit hornme de la race des chats maigres, perdu, flottant dans son ample et longue redingote, les
cheveux en baguettes de tambour plaques sur le from, rejetes derriere les oreilles, de peiits yea\ doits
comme des pepins de poire dans une figure palotte. Ce petit homme, un gesticulateur ayant dans le sac de
sa redingote des soubresauts de pantin casse, et cela dans des conversations debout. ou piete sur les
talons, sa parole a la verve comique a froid de ses articles... »
Courteline rate son bac, rnais il est laureat d'un tirage au sort qui Tenvoie dans Tarmee ou il passe
son temps a Finfirmerie, car « la touchante ignorance des medecins y medicamentait [sa] flemrne ».
Plus doue pour etre fonctionnaire vu sa tendance a ne pas trop en faire, ce Ills d'un auteur dramatique
double d'un humoriste, Courteline, de son vrai nom Jules Moinaux, passa une quinzaine d'annees au
ministere des Cultes a surveiller la pendule et a observer ses collegues, ne parvenant pas a s'adapter aux
travaux absurdes qu'on lui confiait, avanl que le succes de ses ceuvres ne lui permette de se consacrer a
recriture.
E)evenu le pilier de l'Auberge du clou, avenue Trudaine, il expliquait : « II est plus facile de changer
de religion que de cafe. » (Test la qu'il rencontre Verlaine et, voyant Tetat dans lequel etait Tauteur des
Poemes saturniens, il propose de le ramener chez lui : « Je vais vous reconduire chez vous, mais
rappelez-moi Le nomde voire rue. »
Verlaine n'etant pas en mesure de se rappeler quoi que ce tut, Courteline se met alors a enumerer
patiemment les noms des rues de Paris :
« Rue Vivienne ? Rue de Courcelles ? Boulevard Voltaire ? Rue du Temple ? »
Enfin, au nom de « la Roquette », il y eut une lueur dans le regard alcoolise du poete. On avait
progresse, mais la suite n'allait pas etre commode.
a A quel nuinero, cher maitre ? »
Courteline commence a compter : « Un, deux, trois... »
Et Courteline, quand il narrait cette histoire, concluait :
« Le bougre, il habitait au 168 ! »
Pour se debarrasser des journalistes, il leur envoyait a tous le meme message :
« Cabinet de Georges Courteline
Concentration des interviews
Monsieur et cher confrere.
En reponse a votre lettre du... par laquelle vous voulez bien me demander mon avis a propos de...
j'ai Thonneur de vous informer que je m'en fiche completement.
Dans Tespoir que la presente vous trouvera de meme, je vous prie d'agreer, etc. »
Apres quelques chroniques dans Les Petites Nouvelles quotidiermes* Ombres parisieimes et a
L'Echo de Paris^ il choisit Tecriture theatrale. II va puiser dans son experience rnililaire pour ecrire
LiJoire, Les Gattes de I'escadron, dans lequel il tourne en derision Tarmee. Et dans Messieurs fes
ronds-de-cuif\ il s'attaque aux employes de bureau qu'il a bien connus.
Misogyne notoire, il n'en ratait pas une :
— « U absence de sens chez la femme est encore le meilleur garant qu'on puisse esperer de sa
fidelite. »
— « II y a deux sortes de feinmes : celles qu'on compromet et celles qui vous cornpromettent. »
— « La femme ne voit jamais ce qu'on fait pour elle ; elle ne voit que ce qu on ne fait pas. »
— « On n' a pas vecu huit ans avec une femme sans etre fixe sur son compte. »
— « La quantite de betises qu'une femme pas bete peut accumuler en peu de temps est une chose
deconcertante. »
Si pour Jean-Claude Carriere Treuvre de Courteline est devenue illisible (« Elle ne nous amuse plus,
et meme souvent elle nous ennuie », ou : « Cest un auteur de boulevard porte sur la gaudriole »), il reste
un maitre pour Colette : « Si j'ai appris le langage des betes avec Sido, je me vante d'avoir appris le
francais avec Courteline... » Et pour Sacha Guitry : « Car nul n'est plus francais que Georges Courteline.
II est tellement francais qu'il n'est pas devenu parisien. II ne doit rien a personne. Ni a Cervantes, ni a
l'humour anglo-saxon, ni meme au snobisme. Son genie lui est personnel. II n'a meme pas de comptes a
rendre a Moliere ! » Meme son de cloche chez Bergson : « Quand on a lu Courteline. on comprend tout ce
qu'il peut y avoir de profond dans le comique, et de philosophic dans le rire. »
Si Courteline a si bien decrit les travers de son temps, c 7 est que, pour lui, « rimbecillite huinaine est
un bien curieux spectacle ».
II est vrai que cerlaines breves de Courteline, passees a la posted te, sont brillantes :
— « II ne faut jamais gifler iin sourd. II perd la moitie du plaisir. II sent la gifle mais il ne I'entend
pas. »
— « Les pianos devraient etre frappes de deux impots* le premier au profit de I'Etat, le second au
profit desvois ins. »
— « Passer pour un idiot aux yeux d'un imbecile est une volupte de fin gourmet. >•>
— « SMI fallaittolerer aux autres tout ce qu'onse permeta soi-meme, la vie neserait plus tenable. »
— « La plupart des histoires que Ton declare d'amour arrivent a des gens qui se sont montre leur
derriere alors qu'ils n'enavaient pas le droit. »
Mai connu et peu reconnu a tort de nos jours, Courteline etait tres apprecie en son temps. La preuve,
sous rOccupation, les gens de son quartier veillerent sur son buste que les Allemands voulaient fondre et,
a la Liberation, le personnel de la fonderie, patron en tete, rapporta a sa veuve le buste de l'ecrivain.
Cowl, Dairy (1925-2006)
Mais pourquoi les radoteurs nf ont-ils toujours fascine ? Au meme litre que Pierre Repp, bafouilleur
professioruiel, Andre Darricau. ou plutot Dairy Cowl, grand zozoteur devant TEternel, est Tun des
comiques qui, lorsque j'etais adolescent, me faisaient de loin le plus rire. Comme pour Pierre Repp, je
connaissais tout son repertoire et j'adorais rimiter, parait-il pas trop mal, puisque mes petites amies de
Tepoque en redemandaient. Merci done a Repp et a Cowl de nV avoir permis d'assurner les affres de mes
premieres annees de puberte.. .
Dairy Cowl, ne en 1925 a Vittel, etait programme pour etre musiciea Excellent pianiste, il
accornpagnait des vedettes comme Bourvil, Devos, Lamoureux ou Jacqueline Fran9ois, mais lorsqu"il
decouvre que son zozotement presque naturel, surtout lorsqu'il est fatigue, fait mouche aupres du public,
il comprend qu'il a de Tor... sur la Iangue. Ajoutez de droles de binocles et un air facilement ahuri, et
vous obtenez Tun des meilleurs comiques cocasses des annees 1970. Plus de cent soixante films entre
1955 et 2006 dans lesquels il joue sous la direction des grands : Guitry, Allegret, Resnais, Verneuil,
Boisrond, Pinoteau, Mocky, Lautner, de Broca. Les plus ancieas d' entre nous se souviendront peut-etre de
Biscoton dans Les Tribulations d'un Chinois en Chine, du commissaire Adrien Bondu dans Elle cause
plus.., elle jlingiee de Michel Audiard, ou du bouquiniste dans Les Miserables de Claude Lelouch.
Un des meilleurs moments de sa carriere est pour moi sa prestation, epoustouflante et begayante,
lorsque, appele comme temoin aux assises dans Assassins et Voleurs de Sacha Guitry en 1957, il secoue
la barre du tribunal en bafouillant « qu'il faut absolument la reparer ». Autre film memorable, Le
Triporfeur, realise par Jacques Pinoteau, ou Antoine, garcon livreur chez Ie boulanger Mouillefarine, est
renvoye pour avoir saccage la boulangerie avec son triporteur. De nornbreuses aventures I'attendent. donl
une victoire imprevue dans uii match de foot, r amour d'une jolie campeuse, Beatrice Altamira, et la
fameuse scene ou Antoine traitera des policiers de « petits canaillous » pour la premiere fois. Une
expression qui deviendra culte chez Dairy.
On n'a jamais vraiment su s'il etait un bon acteur, rnais peu importe, le public s'en fichait et
n'attendait qu'une chose, qu'il s'exprime. C'est la que Ton mesurait son talent, car ce n'est pas facile,
cornme le disait a l'epoque Jean Le Poulain, de begayer et de bafouiller, avec en prime un cheveu sur la
langue.
Lorsque Ton regarde sa Iongue filmographie et ses prestations a la television et au theatre, on
constate qu'a ses debuts il acceptait tout pour des raisons alimentaires et pourvoir justernent a sa passion
du jeu. Ce sont ses apparitions touchantes dans nombre de nanars qui Font fait remarquer par de grands
cineastes, qui lui ont donne des roles plus importants, voire dramatiques. On pease a Resnais qui, en
2003, lui ofrrit un beau role de travesti, la concierge Mme Floin dans Pas sur la bouche.
« Je ne comprends pas. Je ne pense pas le meriter. Resnais est un magicien. Moi je suis un comedien
bouche. J'ai ete bloque sur scene. Je n'ai pas pu dire un seul mot du discours que j^avais prepare »,
declarait-il, Iors de la ceremonie des Cesars, qui le recompensait pour ce role.
Dairy Cowl avait obtenu aussi un Moliere du meilleur second role masculin en 1995, et un Cesar
d'honneur en 2001. II avait ecrit trois livres de souvenirs, dontlc Flamheur en 1986, ou il racontait sa
passion pour le jeu qui le rongeait cornme son cancer du poumon, qui Temporta le 14 fevrier 2006 > a
Neuilly-sur-Seine.
Le « petit canaillou » n'a pas totalement disparu, puisque Tassociation Vive Darry, presidee par son
epouse Rolande Kalis et dont le secretaire general est Francois Rollin, decerne chaque annee un prix a sa
memoire.
Critique, La
Pas facile d'etre drole lorsque Ton decide de critiquer son prochain, surtout lorsqu'il vous fait de
r ombre. Certains pourtant s'y sont frottes avec talent et mechancete, rnais avec une bonne dose
d"hurnour :
Entile Zola sur Alexandre Dumas :
« Ce n'est ni un penseur ni un ecrivain original. II a un style absolument factice, manquant de
veritable haleine, empruntant une fausse chaleur a tout un systeme de phrases exclamatives. On lui a fait
dans la litterature contemporaine une place mensongere, ou il ne se tient que par le gonflement de toute sa
personne, il en descendra vite, et, sur la dalle de dissection, il ne restera qu'un cas curieux. de don
Quichotte bourgeois, hardi, jusqu'a transpercer les moulins a vent, et persuade des graces de sa gloire
jusqu'a faire prendre cette dame pour la plus belle princesse du monde. »
Jean Cocteau sur Paul Claude/ :
« Bete cornme le gros ceil de Jimon. (Eil de platre. (Eil de vache. C'est le Bebe Cadura II avance
avec un rond de paille sur la tete, dans un "pare a roulettes". 11 fait la grimace des enfants sur le pot et qui
poussenL »
Saint e-Beuve sur Balzac :
« M, de Balzac a tout Pair preoccupe a finir comme il a commence, par cent volumes que personne ne
lira. »
Henry de Montherlant sur Flaubert :
« Ni esprit ni nouveaute de pensee, ni coups de sonde imprevus et profonds dans le cceur humain, ni
trouvailles d'expression, ni race, ni drolerie : Flaubert manque de genie a un point qui n'est pas croyable.
C*est un bceuf de labour avec un carnet de notes. Mais si ! n'importe qui sachant ou flairant ce quest un
grand ecrivain aurait vu de soi-meme que Flaubert n'en est pas un. Et Flaubert est un bon chien pataud qui
ne s'irrite pas des mistoufles que Iui fait un marmouset comme moi. »
Barhey d 'Aurevilly sur Flaubert :
« Malheureusement, si M. Flaubert a le bonheur de n'etre pas un esprit facile, il n'a nullement celui
d'etre un esprit fecond. Non ! C'est un homme a pensees rares, qui, quand il en a une, la cuit et la recuiL
et non point dans son jus, car elle n'en a pas. C'est un esprit de secheresse superieure parmi les sees, une
intelligence tout en surface, n'ayant ni sentiment, ni passion, ni enthousiasme, ni ideal, ni apergu, ni
reflexion, ni proibndeur, et d*"un talent presque physique, comme celui, par exemple. du gaudretir ou du
dessinateur a remporte-piece. »
Paul Claudel sur Hugo ;
« Hugo est un grand poete, si on peut Tetre sans intelligence, ni gout, ni sensibilite, ni ordre, ni cette
forme la plus haute de rimaginationquej'appelle Tiinaginationde la proportion. Simplement une enorrne
capacite gazeuse resultant de la possession de beaucoup de mots. Imbecillite de ses petites histoires. »
Sainte-Beuve sur Hugo :
« II est evident que Victor Hugo ne se corrigera jamais [...]. Sa poesie rne fait plus que jamais l'eflfet
d"une plante grasse, dont les fleurs d'une adinirable couleur pourpre n'ont pas d'odeur, ou en ont une
flineste. »
Leon Daudet sur Maupassant :
« Maupassant etait de nature rabougrie et acceptait avec une docilite d'enfant toutes les bourdes qui
lui venaient de Croisset, des medecins, des canotiers et des salonnards. »
Grimarest sur Moliere :
« Comment, Moliere est-il fou et nous prend-il pour des benets de nous faire essuyer cinq actes de
prose ? Le moyen d'etre diverti par de la prose I »
Jean Cocteau sur Proust :
« Dire qifun asthma tique comme Proust veut elaborer une ceuvre de longue haleine ! »
Paul Vaiiry sur Proust :
« Quel delayage ! Que c'est deglingue ! Et du Goncourt un peu partout. Avec ca, trop de pederastie,
musquee ou masquee, comme ils voudront, pour une substance assez maigre et meme, avec ses
amplifications magnifiques, unpeupassee. »
Jacques Prevert sur Montherlant :
« Un bas du cul qui se prend pour un grand d'Espagne. »
Voltaire sur Rousseau :
« On dit qu 'il va dormer Alzire.
Rousseau va crever de depit,
S 'il est vrai qu 'encore il respire.
Car il est mart quant a I esprit.
Et s 'il est vrai que Rousseau vit,
C'est du seul plaisir de medire. »
Kfeber Haedens sur Sartre :
« Sartre a d'abord vulgarise, sous le nom afrreux d'existentialisme, une philosophic demarquee du
Danois Kierkegaard et de rAllemand Heidegger. La portee de cette entreprise nous echappe. Les essais
philosophiques de Sartre, tel L 'Eire et le Neant , sont en effet rediges dans un jargon monstrueux qui les
rend etrangers a toute litterature. [.. .] Mais il est a craindre que ce theatre, terriblement surfait. ne resiste
guere a la pression du temps. Sartre mime les grands ecrivains sans en etre un, et c'est ce qui rend ses
entreprises oppressantes. >>
Jules Janin sur George Sand :
« Homrne et femme changeant de ton et de maniere,
Le matin occupe et le soir occupe. George sur le devanu Dudevant par-derriere :
La d'Agout s % y trompait et Liszt y fut tronpe. »
Paul Claudel sur Paul Valery :
« On dit que It* Cimetiere matin est un chef-d'oeuvre. Oui, comme les chefs-d'ceuvre du
compagnonnage. Quelque chose de dur, sec, sans vibration, sans ame. Une mosaique metallique, dont les
morceaux sont visses, enfonces Tun dans 1 'autre a coups de marteau. »
Entile Zola sur Jules Verne :
« Faut-il deranger la science pour la rneler a un genre de litterature aussi bas ? »
Guy de Maupassant sur Jules Verne :
« Quelques hommes encore aujourd'hui s'acharnent a egrener des histoires aussi invraisemblables
qu interminables. »
Gustave Flaubert sur Voltaire :
« \bllaire est nul comme philosophe, sans autorite comme critique et historien, arriere corrune savant
perce a jour dans la vie privee et deconsidere par 1 'orgueil, la meehancete et les petitesses de son aitie et
desoncaractere. »
Madame de St a el sur Voltaire :
« Candide semble ecrit par un etre d'une autre nature que nous, indifferent a notre sort content de nos
souffrances, et riant comme un demon, ou comme un singe, des miseres de cette espece hinnaine avec
laquelle il n'a riende commun. »
Hugo sur Voltaire :
« Voltaire le serpent le doute, rironie. »
Barbey d 'Aur evilly sur Zola :
« Ernile Zola est le Michel- Ange de la crotte. »
Dae, Pierre (1893-1975)
Pour Jean Yanne, « on n'arrete pas la connerie », mais on peut toujours essayer de la ralentir, non pas
avec 1'aide de maitres a penser, rnais avec celle d'un « maitre 63 » comme dirait Jacques Pessis,
r excellent biographe de Pierre Dae.
Andre Isaac naquit a Chalons-sur-Mame. Apres avoir ete success! vement vendeur de savonnettes a la
sauvette. homme-sandwich, chauffeur de taxi et chomeur, il decide de vaincre sa timidite en devenant
chansonnier et commence tres fort : « Te rappelles-tu, mamour le soir tombait... II tombait bien,
d'ailleurs, et juste a pic pour remplacer le jour qui, e'etait visible, ne passerait pas la nuit. »
C'est ainsi qu'il seduit, pas a pas, le public de cabarets parisiens a la mode, dont Les Deux Anes,
avec des maximes bien senties, en faisant croire qu'il citait La Rochefoucauld : « Parler pour ne rien
dire, ou ne rien dire pour parler, sont les deux principes majeure de tous ceux qui feraient mieux de la
fermer avant de Fouvrir. » II inventa le Biglotron qui. « ne servant a rien, peut done, et par cause de
guerre, servir a tout », et soutint brillamment une these sur « le slip a pont-levis depuis Henri III jusqu'a
vendredi prochain ».
En 1935, il lanca sa « Course au tresor », ou les participants devaient rassembler des objets certes
indispensables, mais inattendus, une puce sauteuse, une epingle de nourrice, un dromadaire. une pomrne
de terre frite, mie macliine a coudre. un ticket de metro de la station Glaciere, un ceuf dur, une table a
dissection, un casque de pompier, une note de gaz.. . La meme annee, il anima sur Radio-Cite « La societe
des loufoques », puis le club du meme nom qui debouchera, le vendredi 13 mai 1938, sur le premier
numero de son journal L'Os a moelle, dont un de ses editoriaux commen9ait ainsi : « Nous sommes a la
veille des jours prochains. » Et quand on lui demandait : « Pourquoi L 'Os a moelle ? », il repondait avec
une logique implacable : « Pourquoi pas L 'Os a moelle ! ? »
D'ailleurs, c'etait un journal serieux puisqu'on y irouvait des informations exclusives : « Le premier
ministere vient d'etre constitue, precise M. Pierre Dae, president du Conseil. Uevenement est
d* importance. Parmi les heureux elus (au poker-dice), on remarque Ies noms de Roger Salardenne
(ministere du Bceuf en daube), de Robert Rocca (ministere des Vieux Dentiers et des Jaunes d'ceuis) et de
Fernand Rauzena (ministere des Moules a gaufre et du Sinapisme). » Et une rubrique « Petites
annonces » :
— « On demande cheval serieux connaissant bien Paris pour faire livraison seul. »
— « Plongeur de restaurant polyglotte demande place traducteur pour assiette anglaise et salade
russe. »
— « Monsieur atteint strabisme divergent cherche monsieur strabisme convergent pour pouvoir
ensemble regarder les choses en face. »
— « \bus qui partez pour la croisade, faites-vous habiller chez Godefroy de Bouillon, le specialiste
du veston croise. »
— « Mere-grand remplacerait bobinette et chevillette par solide verrou dernier cri. Faire offres. »
— « A vendre, cause divorce, thermometre centigrade, etat neuf. tous courants. marquant d'un cote
Reaumur et de F autre Sebastopol. »
Helas, L 'Os a moelle ne depassa pas le numero 108 et cessa de paraitre le 31 mai 1940.
Pierre Dae s'engagea alors dans la Resistance. Apres une guerre courageuse pendant laquelle les
auditeurs de la France occupee pouvaient Tentendre au micro de la BBC chanter ce celebre couplet sur
Fair de « La Cucaracha » : « Radio Paris ment. Radio Paris ment. Radio Paris est allemand », il relance
des le 1 1 octobre 1945 L 'Os fibre qui ne connait pas vraiment le succes de son aine.
La grande rencontre de sa vie, e'est Francis Blanche, avec Iequel il concocte le feuilleton
radiophonique Signe Furax, dont Edgar Morin dira : « C'est bien plus que du Sapeur Camember ou du
Tintin, e'est du Gargantua et du Pantagruel a la sauce Hellzapoppin et au rythme electronique. Je tiens
Furax pour une ceuvre geniale, pour la grande Ilicufe du siecle de P humour. »
Dae est l'auteur d'une ceuvre foisonnante dont je retiendrai surtoutZ^.v Pensees, dignes d^Allais ou
de Vialatte.
Ses messages sont d'une rare modernite. II est le roi de la repartie cocasse, tmis comme tous les
grands humoristes, il est profondement depressif et fera d'ailleurs plusieurs tentatives de suicide.
Les Pensees, e'est la quintessence de Tintelligence et de paradoxes vertigineux, ]e tout mele a de
rejouissants calembours et a des aphorisnies delirants. Sa pliilosophie est tellement proche des grands
penseurs de ce monde que certains, dont Eric Naulleau, n'hesitent pas a affirmer qu'ils en glissaient dans
leurs dissertations d'etudiant sans que leurs professeurs s'en emeuvent : « Ceux qui confondent
rharrnonie preetablie de Leibniz avec rharmonie municipale de La Garenne-Bezons font de la confusion
philosophique musicale et mentale. »
Dae qui disait : « Tout penseur avare de ses pensees est un penseur radin » n'etait pas avare des
siennes :
— « Une femme mariee a un hoinme qui la trompe avec la femme de son amant, laquelle trompe son
mari avec le sien et qui en est reduite a tromper son amant avec celui de sa femme parce que son amant
est son mari et que la femme de son epoux est la maitresse avec la femme de son amant, ne sait plus ou
elle en est ni ce qu'elle doit faire pour ne pas compliquer encore une situation qui Test deja suffisamment
comme ca. »
— « Tous pour un, un pour tous et 25 pour 1 00. »
— « Un sens interdit, en somme, ce n'est qu^un sens autorise, mais pris a Tenvers. »
— « Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la verite ne serait pas loia »
— « Quand onne travaillera plus le Iendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue. »
— « Le carre, e'est une circonference qui a mal tourne. »
En 1974, Pierre Dae songe pendant un moment a ouvrir un bar-tabac au cap Horn, mads il n'en aura
pas le temps, car Ie pere des personnages aussi attachants que Leontine Vazymou, SebastienTumlatouche,
Tabbe Pandemurge, Hubert de Guerlasse et de Tadjudant Tifrice tire sa reverence le 9 fevrier 1975, sept
mois apres son complice Francis Blanche. « On ne meurt pas toujours litteralement d' inanition mais
toujours integralement d' inhumation », disait-il. Et dire, comme se lamentait Frederic Dard, « qu'il existe
encore des gens pour preferer Francois Mauriac a Pierre Dae ».
Dada
Lorsqu'en 1916, au Cabaret Vbltaire de Zurich, TAlIemand Hugo Ball fonde avec le Roumain
Samuel Rosenstock, alias Tristan Tzara, le mouvement Dada, ce n'est pas un hasard. \foltaire ? C'est la
satire des prejuges et le pourfendeur des autorites. Le cabaret ? C'est la fantaisie et le plaisir. \fous y
ajoutez une pointe de mauvais gout et un zeste d'irrespect, et vous obtenez la recette de ce mouvement
iconoclaste apparu, en plus, en pleine guerre mondiale ! Encore un signe qui montre que l'equipe
fondatrice, dont le Roumain Janco et TAlsacien Hans Arp, entrait bien en resistance contre les rnodeles
culturels, sociaux et surtout politiques de l'epoque. Pourquoi ce nom Dada ? La legende veut qu'en
ouvrant un Larousse au hasard, le premier mot tombe sous les yeux de Tzara rut « Dada ». Tzara va
prendre en main le groupe et sera rejoint par Picabia, Duchainp. Man Ray, Soupault. Eluard ou Aragon.
Ce qui m'interesse dans la demarche de Dada, e'est Tarrne de base utilisee pour ftistiger tout ce qui etait
alors fustigeable : les mots.
Dada est une des premieres « confreries. » a avoir saisi V importance du sacro-saint langage venere
jusqu'alors, pour denoncer enfin l'hypocrisie. On se servait en effet deja des mots en 1914 (la premiere
guerre psychologique ?) pour bourrer les cranes, denoncer le pacifisme, les mauvais Francais et exhorter
au patriotisme. Andre Breton, membre du groupe qu"il quitta violemment en 1922, avait bien cornpris
comment retourner ces mots « qui si on les caresse deviennent vicieux, mais qui deviennent Dada si on
les desosse ». Ses amis egalement ; « Dada aime sonner aux portes, frotter les allumettes pour eiu'lamiTier
les cheveux et les barbes. 11 met de la moutarde dans les ciboires, de ! 'urine dans les beni tiers et de la
margarine dans les tubes de couleurs des peintres » (Ribemont-Dessaignes).
En 1916. on le retrouve dans le Manifeste de M. Atitipyrine oil Tzara ecrit : « Dada reste dans le
cadre europeen des faiblesses, e'est tout de meme de la merde, mais noas voulons dorenavant chier en
couleurs diverses, pour orner le jardin zoologique de l'art de tous les drapeaux.de consulats. »
Le langage done, qui pour arriver a ses fins assassines se retrouve malaxe et torture par Duchamp :
« Le systeme metrite par un temps blennorageux », par Picabia, imprevisible et amateur de fernmes : « Le
seul uniforme supportable est celui du bain de vapeur » ; « beaucoup d'hommes portent a leur boutonniere
le souvenir des aventures arnoureuses de leur femme » ; « Dieu a invente le concubinage, Satan Ie
mariage », ou encore par Michel Leiris : « Qui baise son fric baisse son froc. » Lequel Michel Leiris,
faisant fi de toutes les conventions de lexicologie, imaginera un nouveau dictionnaire, le Gfossaire j V
serve mes gloves, ou Ton retrouvera la patrie transformee en « tripe aux latrines » et le catholicisme en
« isthme de la colique ».
Mais il n*y a pas que le langage chez Dada, il y a Fimage. Duchamp frappera fort en 1919, en
rajoutant des moustaches a La Joconde et en la legendant avec ces initiales enigmatiques :
« LH.O.O.Q. » Le message est clair : ridiculiser ceux qui s^extasient devant un simple sourire... En
particulier les critiques d'artde Tepoque.
L'arrivee du surrealisme sonnera la fin de Dada apres de sombres bagarres entre Breton et Tzara,
mais il est indeniable que ce mouvement jubilatoire et courageux aura ete le precurseur d'une nouvelle
ere tres rejouissante.
Dard, Frederic (1921-2000)
Le petit Frederic Dard ne a Jallieu en Isere Le 29 juin 1921 part un beau jour a Lyon, avec ses devoirs
de vacances sous le bras, voir Fecrivain Marcel Gaudry, qui lui dit : « Petit, tu as la gueule a ecrire. » Le
galopin ne se le fait pas dire deux fois et, au hasard de la consultation d'un atlas des Etats-Unis, trouve
son nom de plume : San-Antonio.
Apres une premiere aventure pubere en 1 949, Reglez-lui son compte ! qui est un fiasco, il trouve tres
vite sa voie aux editions Fleuve noir oil il va publier une moyenne de cinq volumes par an. San-Antonio
devient riche et celebre. On lui consacre des theses et des seminaires, ce qui ne rempeche pas d'avoir
des coups de blues, puisqu'il tente de se supprimer en 1965.
Cet obsede textuel aimait les belles voitures et le velo. A Anquetil qui s'excusait de ne l'avoir jamais
111 il retorquait : « Mais je suis precisement la lecture des gens qui n'ont pas le temps de lire. » Et a ceux
qui lui trouvaient du genie : « Du genie, moi ? Mais a cote du cri de Celine, je ne pousse que des plaintes
de chiot qui a envie de pisser ! »
Lorsque j'ai demande a mon ami Eric Bouhier, medecin de son etat, fan et grand specialiste de San-
Antonio, de m' ecrire quelques mots sur son idole, voici ce que j'ai recu :
« Que tous les tenebreux, les attristes, les accables, les bilieux, les acariatres, les rembrunis, les
saturniens, les funebres, les sinistres, les facheux, les desolants, les contristes, les neurastheniques, les
attristants, les piteux, les eplores, les iunestes, les grisatres, les sourcilleux, les preoccupes, les
taciturnes, les atrabilaires, les anemies, les deprimes, les desabuses, les cafardeux, les afFectes, les
penibles, les inamasables, les tragiques, les ennuyeux, les navrants, les regrettables, les lugubres, les
eteignoirs, les cafardeux. mais aussi les bonnets de nuit, les figures de carerne, les pisse-vinaigre, les
tristes a pleurer, les rabat-joie, les trouble-iete, les porte-poisse, les gluants du bulbe, les coinces du
zygornatique, les bonjour-tristesse, les assombris de la coiffe, les affaisses des meninges, les empeches
de la poilade, les austeres qui se marrent pas, sans compter les ceux et ceusses qui broient du noir, qui
font la tronche, qui se prennent la cerise et qui molotent du badoufle changent de chapitre ! Avec San-
Antonio, Antonio le Grand. Santandetonneau, TAntoine, Tonio la-main-preste, TApollonde la Rousse, le
Comrnideux de mes deux saires, le Commissouille de mes deux caires, le tombeur de Saint-Cloud, le
casse-plumard, le beau gosse qui transforme les tetes des femmes en girouette et leur partie inferieure en
lanpe a souder, bref Sana pour les membres de sa garde pretorienne, et Frederic Dard pour le bulletin de
naissance, on touche au grand, au sublime, au convulsif, au contagieux, on ne lit plus, on part en fete avec
175 romans, des milliers de pages et un prodigieux hymne a la derision, au rire, a la jole de vivre et a la
connerie humaine, tous confondus. »
Et voila comment on entre en San- Antonio ! Pret a tout lire, pret a tout rire, meme si l'humour cache
mal, parfois, la desesperance du bonhornme, tiraille entre son amour de r autre et sa grande rnefiance
envers rhumanite. II y a beaucoup de San- Antonio dans les Coluche, les Desproges, les Bedos, tous ces
grands ecorches de la vie chez lesquels r humour, noir ou non, est une forme elegante et desesperee de
dire non.
« N'ayant pas d'autre choix que de divertir, mon mal de vivre, il a fallu, bon gre, mal gre, que je
Fexprime d'une fa9ondivertissante. »
Notre romancier de gare, notre ecrivain de la main gauche, dixit Cocteau (elle etait paralysee depuis
sa naissance !), notre mijoteur de bons mots (« Je suis un petit bistrot a prix fixe, un petit routier oil le plat
du jour est bien mitonne ») est a I'etroit dans la langue academique. II l'aime pourtant, cette langue qui a
nourri ses lectures d'enfant, et il lui consacrera des dizaines de romans, pieces ou adaptations theatrales,
radiophoniques. cinematographiques et rnerne des livres pour enfants. Mais Tinsatisfait, le rebelle,
riasoumis, l'anarchiste guettent, d'oii le bon mot de Richoz : « San-Antonio, c'est Rabelais et Celine qui
se telephoneraient en duplex dans une fete foraine. »
« Ma regie est la suivante : a partir du moment oil j'ecris un Stm-.4jUoiuo, je ne dois rien negliger,
meme le pire, pour faire rire. Je bombarde, je pilonne coute que coiite. ^a tombe dans les pires
calembours, les pires a-peu-pres, les pires contrepeteries, 9a fait du rase-mottes. » Ainsi parlait Frederic
Dard, mort le 6 juin 2000 a soixante-dix-neuf ans d'une hypertrophie cardiaque. Un gros cceur, trop
d'amour ? Fin elegante pour un ecrivain dont les millions de lecteurs, eux, se sont dilate la rate pendant
un demi-siecle. Encore que San-Antonio n'aurait sans doute pas rejete r humour approxirnatif : « Entre
deux mots, il faut choisir le pire », et aurait pu aussi dire : « Entre deux maux, il faut choisir le rire. »
Deambulation
\feus vous demandez pourquoi une telle entree dans ce livre ? Eh bien, je vais vous le dire, comme
disait Fun de nos anciens presidents de la Republique.
« Deani^uler », du latin de, et ambulare : « aller et venir », signifie, si j'en crois Le Robert, marcher
sans but precis selon sa fantaisie, et c'est ce que je vous propose maintenant, au gre de mes coups de
cceur. que je souhaiterais vous faire partager.
Comme un certain nombre de contraintes, dont Fimperatif du nombre de pages, m'obligent dans ce
livre a faire des choix cornel iens en distinguant des humoristes plutot que d'autres, j'airnerais quand
meme ici evoquer brievement des hommes et des femmes d'humour, vivants ou disparus, pour lesquels
j'ai de la sympathie ou de F admiration. Ni chronologie ni ordre de preseance dans cette flanerie enjouee
et badine, a la rencontre de gens de bonne « humeur ».
Pourquoi ne pas commencer par exemple par Poiret et Serrault, qui toutes generations confondues
nous donnent Fimpression de faire partie de la famille, ne serait-ce que pour rincontournable Cage mix
folles, qui etait non seulement un irresistible moment comique, mais aussi une belle lecon de tolerance, en
exorcisant avec intelligence el legerete la cause homosexuelle.
Jean Poiret, qui s"appelait en realite Poire, est mort en 1992 a soixante-six arts. Avec ou sans son
complice Michel Serrault, il etait dans les annees 1950-1960 de tous les nanars, avant de devenir un
grand acteur sous les traits de rinspecteur Lavardin du Paulet cut vinaigre de Chabrol en 1985. Lorsqu'il
etait avec son complice, ils avaient un numero tres au point. Poiret assumait le role du clown blanc, un
peu cerebral, et Serrault lui, etait plus a Paise dans celui de Fauguste. II deviendra lui aussi un acteur
Ires recherche apres sa prestation emouvante dans Garde a vue de Claude Miller en 1981. Deux hommes
complementaires mais diflerents, et deux carrieres exceptionnelles, sous le signe du tact et de la finesse.
Rien a voir, quoique... avec Fabricc Luchini. ce fils naturel de Celine et de Louis Jouvet, frere de
Desproges, cet ancien garcon coifFeur ne m'a jamais decu, meme si parfois ses points de vue presque
reactionnaires peuvent irriter.
Nous avions un ami commun. Philippe Muray, disparu en 2006, dont je suis heureux de saluer la
mernoire. II avait invente une figure emblematique Y Homo festivus. Comme le dit Fecrivain Francois
Tallandier, il etait, lui, le fils naturel de Guy Debord et d'Internet. C'etait un homme qui ne prenait rien au
serieuxetse moquait ducatechisme ambiant, avec une ironie jubilatoire etune verve intarissable. Luchini
et Muray ne se sont helas jamais rencontres, mais trois ans apres sa mort Fabrice decouvre l'ceuvre de
celui qu'il appelait : « Uernpecheur de penser en rond, et le seul veritable ennemi des dirigeants
politiques de droite comme de gauche. »
En rnars 2010, convaincu par Anne, la veuve de Philippe Muray, Fabrice s'installe au theatre de
l"Atelier a Paris et en 2012 au theatre Antoine, ou it va lire a guichets fermes, pendant plusieurs
semaines, une selection de ses textes. Un Luchini plus « luchinesque » que jamais, qui s'attarde sur les
mots et les expressions, en jouissant de la musique qu'ils produisent. II se delecte d'autant plus qu'on le
sent tres complice de Muray, qui tape plus a gauche qu"a droite, ce qui n'est pas pour lui deplaire. Peu
importe, ce qui les reunit, c'est d'abord un immense talent et un humour devastateur.
Luchini, le surdoue qui a fait sienne la formule de Charles Peguy : « II y a quelque chose de pire que
d'avoir une mauvaise pensee. C'est d'avoir une pensee toutc faite », n'a pas fini de nous etonner.
J'ai tout a coup en mernoire, en pensant a Luchini, un etonnant bonliomme qu'il m" arrive encore de
croiser dans les rues de Paris. C'est Jean-Paul Farre. Ce nom ne vous dit peut-etre rien, et ce n'est pas
surprenant, car rhomme, pas si vieux, ne en 1948, ne s'est jamais mis en avant. Je ne Tai vu et entendu
qu'une fois en 1975, dans un spectacle qui m'a marque, lmaginez un comedien coirTe a la Beethoven, en
queue-de-pie, en train de preparer des ceufs au plat, tout en jouant merveilleusement du piano. Un
spectacle aussi sublime que derisoire. Je crois savoir que, depuis, Jean-Paul Farre a fait une belle
carriere : spectacles, concerts. Grand Prix de 1' humour noir et inventeur du « bugdule ». un instrument de
musique revoluuonnaire constitue d'un tuyau d'arrosage et d'un entonnoir. II est aussi capable de dresser
son piano au fbuet qui, telecommande, lui obeit ! II voyage beaucoup et dit a ce propos : <c J'ai vu rnonts
et merguez. » II ne faut pas rater Farre, rnais il ne faut pas seulement aller Pentendre, il faut surtout le
voir.
Et Pierre Daninos, vous vous en souvenez ? Mais si, le pere du major Marmaduke Thompson, qui en
1954 nous gratifia de ses fameux Cornets. Un succes sans precedent a Pepoque, mais qui, avec le temps,
peut paraitre poussiereux et ringard. C'etait un humour gentillet. Daninos avait eu la bonne idee
d'imaginer un Anglais jugeant les mceurs et coutumes de la societe, en insistant sur le decalage entre la
France et PAngleterre. II n'etait pas le premier, car avant lui Montesquieu avait campe deux voyageurs.
Usbek et Rica, ecrivant des lettres a Ieurs amis persans pour leur raconter les traditions francaises.
Daninos utilisa le meme procede que lui, en laissant croire qu'il n' etait que Ie traducteur. Tres inspire par
Art Buchwald, George Mikes ou James Thurber,, Daninos a un autre merite, celui d'etre run des premiers
a initier Ie public francais a V humour britfsh. II est mort en 2005 a quatre-vingt-douze ans.
Dans un tout autre registre, je pense a Bernard Haller, cet hujnoriste Suisse qui voulait etre
veterinaire et qui, apres etre monte a Paris en 1955, se tourna vers la comedie : « J'ai ete chauve tres tot
et ca m'a empeche d'etre un jeune premier. Je me suis refiigie dans le cabaret. » Avec ses longs favoris,
il egrenait ses sketches sur les scenes francophones en se decrivant comme un temoin de son temps. II
etait a la fois poete et surrealiste. J'ai en memoire de grands moments de franche hilarite passes en sa
compagnie, a une epoque ouje ne ratais jamais ses representations, que ce soit ses alliterations : Coco le
concasseur de cacao ou son interminable Sonate au clair de lune ou on le voit compter discretement les
spectateurs, y compris « un cul-de-jatte qui a du payer demi-tarif ». Mais le rneilleur, c'est son Sermon
oil en chaire, il harangue ses ouailles avec deux annuaires du telephone en guise de Bible. Un grand
numero de mime, de grimaces, et un texte excessivement fin. II avail voulu que Ton annonce son deces
ainsi : « Mort d'Haller : merde alors ! » Son souhait fut exauce Ie 24 avril 2009. II avait soixante-seize
ans.
Thierry Lc Luron avait un sacre talent. Son personnage d'Adolf Benito Glandu, concierge rue de
Bievre, qu'il definissait comme « petainiste sous Vichy, gaulliste sous le General et socialiste du 10 au
11 mai », etait immust, Dommage qu'il soit parti si jeune a l'age de trente-quatre ans, car il faudrait
evidemment de nos jours continuer a compter avec lui. II a ete un pionnier en renouvelant le genre
chansonnier en perte de vitesse, en ringardisant les imitateurs qui l'avaient precede et qui trainaient un
repertoire vieillot. Sa meilleure imitation est celle qui l'a fait connaitre au plus grand nombre. la voix si
caracteristique du Premier ministre d'alors, Jacques Chaban-Delmas.
J'aimerais connaitre Willem, ce dessinateur de presse qui me rejouit tous les jours dans Liberation.
Je ne sais pas grand-chose sur lui, si ce n'est qu'il est neerlandais, de son vrai nom Bernhard Willem
Holtrop, qu'il est en France depuas 1967, qu'il a commis des livres et qu'il sevit dans nombre de
journaux dont Charlie Hebdo apres Hara-Kiri, C'est un graphiste qui sait admirablement bien passer au
crible les chaos de l'humanite : politiques. guerres, genocides, extremismes ou religions. II se dit
provocateur mais pas cruel, et quand on lui reproche la durete de certains dessins il repond : « Je ne crois
pas etre plus cruel qu'une boucherie. » II a quand meme I' humour feroce mais il est sauve par Tacuite de
son regard.
Philippe Geluck : tout le monde connait son Cliat. Geluck etait d'abord comedien au Theatre national
de Belgique, avant de devenir le pere de son celebre matou dont la caracteristique majeure est d' avoir un
ego surdimensionne, un avis sur tout et une logique un peu tordue, lorsqu'il invente par exemple une
montre a deux cadrans : « Le premier nous donne I'heure qu'il est, le deuxieme nous dit quelle heure il
sera dans une heure. » Le chat pense « qu'etre pauvre coute moins cher qu'etre riche, et e'est pour 9a
qu'il y en a moins ; d'ailleurs les gens cherchent toujours ce qu'il y a de plus economique ». II propose
aussi une methode originale pour resoudre la crise : « II suffit de se plonger dans un bain d'eau glacee...
et ca fait remonter les bourses. » Et quand Geluck parle a la place de son chat, on decouvre sa propre
logique tout aussi implacable : « Plusje sais ce que je veux, moins je veuxce que je sais. »
Parrni mes autres coups de cceur, je pense a Leo Campion qui n'est pas un perdreau de l'annee
(1905-1992) mais qui a laisse des bons mots, des vers malicieuxetdes ouvrages auxtitres evocateurs, en
commencant par ses memoires, J'ai reussi ma vie, deconnage narcissique (1985), ou-4 toutes fins
inutiles (1946). Rien ne destinait pourtant cet anarchiste et franc-macon a devenir un homme aussi drole,
aux cotes de ses amis Dae, Vian et Michel Simon, avec lesquels il avait fonde la Confrerie des chevaliers
du Taste-fesses en 1959 dont Simon etait rarnbassadeur en Helvetic Campion dirigeait aussi la revue Le
Cul. Tout un programme. Je lui dois de lui avoir emprunte l'idee des cartes de visile farfelues, Iorsque
j'ai decouvert la sienne qui stipulait qiril etait autorise a payer « place entiere dans tous les moyens de
transport du territoire francais, chemins de fer SNCF, chemins de fer metropolitains et autobus existants
et a venir ». Merci aussi a Leo Campion pour quelques definitions dont je ne me Iasse pas :
— « Baisemain : il faut un commencement a tout. »
— « Zebu : animal qui zezaye quand il revient de Pabreuvoir. »
— « Sodomiser : elargir le cercle de ses amis. »
— « Enfant : fruit qu'on fit. »
Et pour cette jolie pirouette :
« De quoi est-il mort ?
— II ne l'a pas dit. »
Dans la meme veine, j'aimerais dire deux mots sur Ferdinand Lop (1891-1974) que je me souviens
avoir croise regulierement dans le Quartier latin avec ses grosses lunettes d'ecaille et son grand chapeau.
Cet ancien journaliste et caricaturiste, auteur dMnnombrables poemes, etait surtout connu pour ses
eternelles candidatures fantaisistes et bidons a Telection presidentielle. Ce « licencie es canulars »
preconisait F installation d'une ligne Maginot dans les Alpes, la construction d'un toboggan dans la cour
de la Sorbonne et d'un pont de trois cents metres de large sur la Seine pour y abriter les clochards,
1'interdiction de La vente de bidets et la coupure d'eau apres 21 heures pour encourager la natalite. Quant
au fameux prolongement du boulevard Saint-Michel jusqu'a la mer, attribue souvent a d'aulres farfelus,
c'est bien lui qui en eut l'idee. Ses meetings rassemblaient des partisans fanatiques dont Charles Trenet,
mais il avait aussi ses detracteurs, les « anti-Lop » evidemment !
lis sont nes en 1923. Tun d'eux nous a quittes en 2010, et Francis Blanche leur repetait : « L'un de
vous deux est formidable ! » Roger Pierre, ne le 30 aout, etait le plus jeune et il est parti le premier.
Jean-Marc Thibault est lui beaucoup plus age, il est ne le 24 aout ! Ces deux lascars m'ont beaucoup
amuse pendant mon adolescence au meme titre que Dairy Cowl, Pierre Repp ou Fernand Raynaud, a cette
epoque benie ou, comme je Tevoque souvent dans ce livre, j'empruntais le meilleur de Ieurs registres
pour seduire mes premieres amourettes. Lew Guerre de Secession etait pour moi un de leurs meilleurs
moments, cette guerre « qui a cesse, c'est sur, n 1 empeche que si les sudistes avaient ete plus nombreux on
auj'ait bel et bien pris la patee ». Je sais, et je m'adresse a vous chers lecteurs jeunes et fringants, avides
d'humour frais, que ces evocations peuvent vous paraitre desuetes, mais croyez-moi, leurs « cours
d'histoire de France » vous auraient seduits au meme titre que le « canard toujours vivant » de Robert
Lamourcux. Est-ce que Thuinour tel que je le ressentais et Tappreciais a cette fameuse epoque de ma vie
est si eloigne de celui qui enthousiasme les jeunes generations d'aujourd'hui ? J'aurais tendance a
repondre qu'il n'est pas si different, si j'en crois les amis que j'evoque dans ce livre a l'article
« Humoristes associes ». Je ne pense pas que je partagerais leurs itineraires en les celebrant ou en les
edilant s'ils ne me faisaient pas vibrer avec le meme enthousiasme que ceux croises durant mon
adolescence. Uoccasion pour moi d'evoquer dans cette « deambulation » de nouvelles generations
d'amuseurs qui meritent d^etre cites : Gad Elmaleh, Jamel Debbouze, Arnaud Tsamere, Elie Semoun ou
Omar et Fred, comme d'autres rnoins jeunes, mais aussi talentueux : Sylvie Joly, Muriel Robin, Pierre
Palmade, Didier Benureau, Jerome Comrnandeur, Marc Jolivet, Shirley et Dino, Patrick Timsit ou Les
Inconnus.
Je les inclus volontiers dans ce Dictionnaire amoweiix car je les « aime » a des degres divers, mais
j'estime que leur actualite qui les propulse regulierement sous les feux de la rampe suffit a les faire
connaitre et apprecier par le plus grand nombre.
Delbourg, Patrice
Si vous ne connaissez pas la face cachee de mon ami Patrice Delbourg, c'est le moment de decouvrir
ce fou... de mots, derriere sa male assurance de calembourgeois gentilhomme. \6us ne serez sans doule
pas decus par celui qui « pense que les sentiers ne devraient pas etre baltus. qu'il y a deux choses inutiles
dans I'existence : la prostate et I'idee du bonheur, que les femmes Iaides onl leur utilite comrne
rhomeopathie et que, si les hommes font moins de conneries en fevrier, c'est parce qu'ils n"ont que 29
jours a leur disposition ».
Alors, qui est vraiment ce chaleureux misanthrope ? Ce brillant poete, romancier, chroniqueur, et qui
flit journal iste auxNouvefles litteraires, a L'Everwment du feudi, est toujours le fidele complice de
remission « Des Papous dans la tete » sur France Culture. II est Tauteur d'une cinquantaine d'ouvrages,
essais, critiques, poemes, et d'une bonne quinzaine de romans ou Ton deguste comme du caviar ses
phrases ciselees. Rien n'est plus excitant et douloureux que de se plonger dans un ouvrage de Delbourg,
car il faut toujours choisir entre le fond et la forme. Et lorsque Ton se laisse entrainer par la forme, c'est
au detriment d'une histoire farfelue, mais unique en son genre. Pour cet hypocondriaque notoire, un seul
espoir de guerison : les mots, qui seuls peuvent soigner ces maux, fideles compagnons des bons et surtout
des... mauvais jours. L'homme n'est jamais aussi a Paise que lorsquil parle des autres et de ses
« jongleurs de mots » qu'il raconte dans une belle anthologie publiee en 2008 : six cents pages brillantes,
ou Ton decouvre sa culture infinie pour nous presenter et nous faire aimer deux cents jongleurs « a titre
posthume », de Villon a Devos, avec une mention particuliere pour ceux qu'il appelle les grands
pionniers, ses idoles et maTtres : Allais, Roussel, Cami, Queneau, Tardieu, Perec et tantd'autres.
Delbourg le poete, couronne par les prix Max Jacob et Guillaurne Apollinaire, mais c'est aussi un
farceur de grand talent. II faut lire ses modeles de critiques Litteraires assassines, ou ses lettres de refus a
un certain M. Petitrobert qui lui aurait parait-il envoye un manuscrit de 2 1 72 pages ! Et si vous souffrez
d'hepatite B, vous ne pouvez qu'etre d'accord avec ce prince du calernbour : « II faut que jaunisse se
passe » pour pouvoir ensuite faire « une super fete a Thouars... »
Enfin, si vous voulez comprendre le pourquoi du comment de ce style superbe, mais indicible, je
vous propose cet extrait du long autoportrait qu'il avait redige en 2003 et qui figure dans le Dictionnaire
des ecrivains de langue fran^aise par eux-memes, imagine par Jerome Garcin :
« On le rencontre souvent dans les gradins des stades de football, dans les coulisses du music-hall-
dans les cabines de peep show, en train de prendre le pouls du neant sur les boulevards de la deglingue.
II affectionne les derives insecurisantes et ses ennuis d'argent sont constants. Une pharmacie ambulante a
base de neuroleptiques et antidepresseurs ne quitte jamais ses poches interieures. II travaille dans un
journal. II parle dans un micro. II a peur en avion. II bande, rassurante mecanique. II bouffe, comme c'est
etrange. II va au casino. II aime les iles, la creme de marron vanillee, la fellation lente, les mauvais
calembours, Ies journaux du soir et les jeux radiophoniques. On ne lui connait guere de passion, tout au
plus des marottes. Le puzzle d'une vie en miettes a ramasser. C'est moche. C'est banal. C'est insane. II Ie
veut, c'est ainsi. [...] II dort du cote droit, a cause du cceur. Passe de longues heures prostre, a
contempler les veines de ses mains. AHez savoir. II habite une contree journaliere nommee rapathie. D
n'ecrit plus qu'accule. Grand bluff de la vie pipee. Les regrets de Penfance sont entres lenteinent par ses
yeux et lui ont vide l'interieur de la tete. II cotoie l'age de Thebetude. Prendra-t-il un jour le temps de
raconter une vraie histoire ? La sienne et toutes les autres. II reve souvent a ce Iivre leger et irrespirable,
qui serait a la limite de tout et ne s'adresserait a personne. »
Sauf a nous, je Tespere.
Desnos, Robert (1900-1945)
Ce poete plein d'humour aura malgre sa courte existence beaucoup marque les milieux litteraires de
son epoque, dont les surrealistes qu'il rejoindra en 1922. Yeux cernes, turbulent, petites jambes fluettes,
meche rebelle, ce gamin de Paris, fils d'un volailler des Halles, laissera le souvenir d'un « eleve
effroyable » au lycee Turgot. A quatorze ans, il quitte sa famille et ses etudes, la poesie deja chevillee au
corps, tout en gagnant sa vie comme commis chez un droguiste, et se decouvre un don extraordinaire qui
fascine Aragon. Breton et Radiguet, croises au Certa, un bar du passage de 1'Opera. II est capable de
s'endorrnir n'importe ou et se revele un « voyant » etonnant. Des qu'il est en position horizontale, il se
livre a des derives iinaginaires en rebus ou en vers, il produit un flot de paroles intarissable ou les mots
s'interpellent par affinites sonores. Pour ses amis surrealistes c'est clair, il « parle surrealiste a
volonte ». Ainsi, il participe aux fameuses experiences de sommeil hypnotique du groupe, en reprenant le
personnage cree par Duchamp, RRose Selavy, et invente dans son sommeil des contrepeteries
approxirnatives du genre : <c Suivrez-vous RRose Selavy au pays des nombres decimaux oil il y a
decombres ni maux ? », ou : « La loi de nos desirs sont des des sans loisir ». II martele des mots, il
improvise, il epuise toutes les virtualites de la synlaxe, et, comme le dil Patrice Delbourg : « On peut se
demander si, sans lui, Prevert eut un jotir existe. Lire Desnos, c'est s'assurer un bain de jouvence a
perpetuite. »
II rompt avec les surrealistes Iorsque Breton insiste pour Tentrainer vers le cornmunisme et devient
redacteur publicitaire. Les fameuses pubs « Marie-Rose, la mort parfurnee des poux », c'est lui, comrne
« le vermifuge Lime », « la Boldoflorine » et « la Quintonine ».
Sa courte vie flit un tourbillon. Non content de publier ses poemes, il devient journaliste et tombe
follernent amoureux de la chanteuse de music-hall Yvonne George. II se remettra mal de sa mort
prematuree a trente-quatre ans.
En 1930, il s'installe avec Youki, la femme du peintre Foujita. II devient critique de cinema, un
cinema naissant qui Tenthousiasme : Keaton, Sennett, Langdon. Chaplin... que des rigolos, et ses
fonnules font mouche : « Le cinema n'est pas muet. rnais le spectateur sourd. » II arrete d'ecrire sur le
cinema Iorsque celui-ci devient parlant.
Sa poesie est une espece de jeu de mots perpetuel : il telescope, il desosse la syntaxe. II est fascine
par les jeux de langage et, evidemment, se passionne pour recriture sous contrainte, meme si, apres la
brouille avec les surrealistes, son ancien ami Louis Aragon n'hesite pas a le traiter de « cafouilleur pour
notaires de province » et de « mouche a merde ». Ce a quoi Desnos aurait pu lui attribuer une de ses
fameuses saillies :
« Maudit
soit le pere de I 'epouse
du forgeron qui forged le fer de la cognee
avec laquelle le bucheron ahattit le chene
dans lequel on sculpta le lit
oil fut engendre I 'arriere-grand-pere
de I homme qui conduisit la voiture
dans laquelle fa mere
rencontra ion pere ! »
Desnos elait un grand amateur de musique de jazz et de salsa, decouverte lors d*un voyage a Cuba en
1928. II aimait aussi Satie et Offenbach, puisque, comme pour la poesie, la musique « doit parler a tous ».
En 1933 il cree a Radio-Paris « La complainte de Fantomas », un personnage qui le fascine depuis son
enfance, et imagine une serie de vingt-cinq sketches evoquant les meilleurs episodes du roman de
Souvestre et Allain. Immense succes.
Mobilise en 1939, Desnos fait la « drole de guerre », ne se Iaisse pas abattre par la defaite de 1940
et participe a la Iutte clandestine contre le nazisme en ecrivant pour Aujourd 'hut, le journal d'Henri
Jeansort En 1 944, il est recherche et arrete par les Allemands, transfere a Auschwitz, a Buchenwald et au
camp de Theresienstadt en Tchecoslovaquie, oil son moral et son courage exemplaires frappent ceux qui
Font croise. Moribond et squelettique, il continuait a soutenir ses compagnons dMnfortune en affirmant :
« La belle saison est toujours proche. » Libere, agonisant, il meurt du typhus le 8 juin 1945, un mois apres
I* armistice.
Desproges, Pierre (1939-1988)
Que faire en attendant la mort ? Essayer de dire du bien de cet etre ignoble, capable de rire de tout,
peut-etre pas avec tout le monde sans doute, mais quand meme !
Les j it if s ?
— « On ne m'otera pas de Tidee que pendant la derniere guerre mondiale de nombreax juifs ont eu
une attitude carrement hostile a regard du regime nazi. n est vrai que les Allemands, de leur cote,
cachaient mal une certaine antipathie a regard des juifs. »
Dalida ?
— « Le jour de la mort de Coluche j *ai eu beaucoup de peine. Alors que, allez savoir pourquoi, le
jour de La mort de Dalida, j'ai repris deux fois des nouilles. »
Dieu ?
— « Je trouvais que le fils surtout avait mauvais genre. Je ne pense pas etre begueule, mais ce cote
nras-tu-vu sur ma jolie croix, dans mes nouveaux Pampers, j'ai toujours pense que cela avait desservi le
prestige de l'Eglise. »
Hitler ?
— « Hitler me fait rire parfois, mais je ne 1'aime pas. Comme peintre, il etaitnul. »
Lefoot ?
— « Je vous hais, footballeurs. \fous ne nVavez fait vibrer qu'une fois : le jour oiij^ai appris que
vous aviez attrape la chiasse mexicaine en su^ant des frites azteques. »
Les coiffeurs ?
— « De tout mon cceur, de toute mon ame, de toutes mes forces J e hais les coiffeurs. Comme le pou,
le coiffeur est un parasite du cheveu. Non, mais vous les avez vus, les coiffeurs faubourg Saint-Honore,
ou sur les Champs-Elysees, qui s'habillent en cosrnonautes pour couper les cheveux des gens. 9a va pas
non ? C'est aussi con que d'aller sur la Lune avec un peigne derriere Toreille. »
Les Espagnols ?
— « Les Espagnols sont un peuple fier et ombrageux, avec un tout petit cul pour eviter les coups de
cornes. »
Les Beiges ?
— « L'histoire de la Belgique est aussi insipide qu'une pensee de Bernard Hinault. »
Les Israeliens ?
— « La seule distraction des Israeliens. c'est The Lamentation Wall, une boite en plein air ou on
peut twister contre un mur en lisant un true genre Coran dont le nom m'echappe a rheure ou j'ecris ces
lignes, si tant est qu'on puisse appeler cela ecrire. »
Les mili I aires ?
— « II ne faut pas desesperer des imbeciles, avec un peu d'entrainernent on peut en faire des
militaires. »
Yves Montana 1 ?
— « Stalinien pour pas un rond pendant vingt-cinq ans. »
Le show biz ?
— « Ten ai vu, dans le show biz, ramper de si peu dignes et si peu respectables qu'ils laissaient dans
leur sillage des rires de complaisance aussi visqueux que les mucosites brillantes qu'on inpute aux
li maces. »
Extreme droite ?
— « II faut lire Minute, e'est un journal avantageux ! Au lieu de vous emmerder a lire tout Sartre,
avec un seul nuniero de Minute, vous avez en meme temps La Nausee et Les Mains sales ! »
— « Je prefere Tceil d'un chien quand il bat de la queue que la queue de Le Pen quand il bat de
Fceil. »
Marguerite Ditras ?
— « Hiroshima, mon amour. .. Quel etrange cri, disait Marguerite Yourcenar. a propos de ce titre de
Marguerite Duras. Oui, Marguerite Duras. vous savez, 1'apologiste senile des infanticides ruraux...
Marguerite Duras, qui n'a pas ecrit que des conneries. Elle en a aussi dime. Mais e'est vrai, quel etrange
cri : Hiroshima, mon amour. Et pourquoi pas "Auschwitz mon loulou" ? »
Les communistes ?
— « C'est a cela qu'on reconnait les communistes : ils sont fous, possedes par le diable, ils mangent
les enfants et, en plus, ils manquent d'objectivite. »
Les philosophes ?
— « Quand un philosophe me repond, je ne comprends plus ma questioa »
Les femmes ?
— « Depourvue d'ame, la femme est dans l'incapacite de s'elever vers Dieu. En revanche, elle est en
general pourvue d'un escabeau qui lui permet de s'elever vers le plafond pour faire les carreaux. C'est
lout ce qu'on lui demande. »
J'arrete la cette chronique de sa « haine ordinaire », car en fait Desproges adorait les femmes, mais il
ne pouvait pas trop en faire etat, pour ne pas nuire a son image de flingueur patente. En catimini, il
n'hesitait pas a avouer : « Plus je connais les hommes, plus j "aime mon chien. Plus je connais les femmes,
moins j'aime ma chienne », et il ajoutait : « Les femmes et le bordeaux, je crois que ce sont les deux
seules raisons de survivre. »
Ce genre de reaction, c'etait tout Desproges, toujours attentif a reparer les degats qu'il venait de
commettre, mais qui n'hesitait pas a frapper fort, en esperant toujours que son humour ires second degre
allait passer. Le problems, c'est que 9a ne passait pas tout le temps. Alors, Qui ou noa peut-on rire de
tout avec Desproges ? On connait sa reponse.
Mais qui etait-il vraiment ? Un garcon tout a fait normal, voire ordinaire, ne a Pantin en 1939, qui
pretend lui-meme s'etre « ennuye » jusqu'en 1966, date a laquelle il tient le courrier du cceur de Bonnes
soirees sous le nom de Liliane d'Orsay, apres avoir ete vendeur d'assurances vie et de fausses poutres
d' interieur. On le retrouve au journal L 'Aurore, parce que c'est plus pres de chez lui que L 'Humanite ou
il s'occupe des breves qui, modifiees a sa sauce, deviennent desopilantes. Grace a Jacques Martin, il
devient ensuite un agitateur du PAF : « Le Petit Rapporteur » aupres de son complice Daniel Prevost,
avec lequel il formera un duo destructeur dans Tinterview que leur accordera Fran^oise Sagan et qui
restera dans les annales. En 1980. c'est Texcellent « Tribunal des flagrants delires » de Claude Villers
ou il se retrouve procureur. Un role taille pour lui, pour accabler ses semblables en general et Jean-Marie
Le Pen en particulier. En 1982. un drole de personnage fait son apparition sur FR3, M. Cyclopede, avec
les sketches de « La Minute necessaire » concoctee avec son complice Jean-Louis Fournier :
— « Apprenons a faire decoller une Alsacienne. »
— « Ignifugeons Louis XVI. »
— « Chassons nos comedons avec tact. »
— « Essayons de ne pas rire avant la fin d' Hamlet. »
— « Rendons hommage a Victor Hugo sans bouger les oreilles. »
— « Apprenons a reconnaitre un bossu d^un dromadaire. »
— « Rentabilisons intelligemment une Paimpolaise anxieuse. »
— « Sachons distinguer une gardienne d'immeuble d'un oleoduc (on vous souffle la reponse : le
pipeline s'appelle Paulette et la pipelette s'appelle Pauline). Etonnant, non? »
Evidemment, ca ne plait pas a tout le monde. A croire que le pays coupe en deux se retrouvait a
l'epoque de l'affaire Dreyfus. II y avait les pour, dont votre serviteur qui ne ratait jamais cette « minute »
memorable, et les conire, dont Simone, une masseuse de cinquante-trois ans qui faisait part de son
courroux : •« Un soir, j*allume ma tele, et je tornbe sur un certain M. Cyclopede. Cet homme n'a que le
blaspheme a la bouche. II critique Ies Paimpolaises et le cancer, il fail bouillir un chihuahua (chihuahua
bouillu, chihuahua foutu - et 9a l'amuse). II ridiculise le Petit Prince et pretend que la Sainte Vterge est
malpolie. En plus, il porte des jugements vulgaires sur la famille de Monaco. Non mais, qu*est-ce qu'il se
croit ? Ou s*arretera-t-il ? II a du bien souffrir pour avoir autant de rancceur. Mais est-ce une raison pour
gacher rargentducontribuable ? Bref, j'ai casse ma tele, etdepuis, je suis heureuse. »
Pierre Desproges aimait les mots, plus que les gens, et il l'a montre a travers ses livres Vivons
heureux en attendant la mort, \z Manuel de savoir-vivre a ['usage des rustres et des rnalpolis et ses
Chronitfues de la haine ordinaire.
se
spectacle
L'homrne aime les phrases alambiquees et les deshabille, comme il le faisait avec les pretentieux et
les nuisibles qui nous empoisonnent Texistence, mais il aimait aussi Phumoiir gratuit :
— « Plus cancereux que moi tu meurs. »
— « Quequette en juia, layette en mars. »
— « (Ecumenique c'est le printemps. »
— « C'est en perchant qu'on devient percherorL »
— « Wagner qui pieure, Laval qui rit. »
— « Papandreon Mamandreon, crac-crac. »
— « Noel au scanner, Paques au cimetiere. »
II ne croyait pas si bien dire. On connait la suite, et ce crabe qu'il s'arnusait a provoquer sans cesse
le rattrape en 1988. II repetait souvent : « Chimiotherapie, metastases, avenir, chassez Tintrus », comme
pour chasser le mauvais sort. Avant de s'effacer, il avait entrepris un drole d'almanach que notre ami
Jean-Louis Fournier a temiine a sa place. C 7 est le meme Jean-Louis qui, fidele panni les fideles, avait
imagine cette belle lettre posthume :
« Bonjour, Pierrot,
On est voisins maintenant, j'habite dans le XX C , pres du Pere-Lachaise.
Je passe te voir souvent, mais tu n'es jamais la. J'enprofite pour dire bonjour a tes voisins, Chopin et
le petit Petrucciani qui a une tombe aussi grande qu'un piano a queue.
Rassure-toi, on ne fa pas oublie, tu as souvent du monde et des fleurs, on ne peut pas t'oublier, il y a
des phrases de toi qui ne faneront jamais.
J'entends encore parfois un non-comprenant dire : "II etait mechant votre ami Desproges." Je lui
explique que tu n'etais pas mechaiit, simplement tu ne faisais pas semblant d' aimer les gens comme
beaucoup, qui sont friands d'Audimat, le font Toi tu faisais plutot semblant de ne pas les aimer.
Appelons 9a de la pudeur.
Tu aimais bien te moquer, tu te moquais de tout, comme un sale gosse.
C'etait la seule parade que tu avais trouvee pour supporter Pinsupportable. Tu t'indignais aussi, tu
etais violent avec les salauds, tu trouvais le mot qui tue, pour le chauffeur de taxi qui Iaisse descendre de
sa voiture, sans l'aider, la vieille dame infirme, ou pour la fleuriste qui vend des fleurs fanees a
Taveugle.
Tu ne supportais pas beaucoup de choses, tu savais tres bien, toi aussi, etre insupportable.
Si tu avais ete un produit, tu aurais ete un produit detergent.
Ici-bas, depuis ton depart les choses ne se sont pas arrangees, c'est pas tres drole, on n'a plus le
droit de turner, ni de boire, il va bientot etre interdit de mourir.
Comme M. Cyclopede, le gouvernement veut detruire le virus de la mort
Je mesure a quel point tu nous etais necessaire, cher Cyclopede.
Je n'oublie pas qu'un jour tu as declare que si tu n'avais pas ete heterosexuel, tu m 1 aurais demande
en manage.
JePai echappe belle...
AujouixThui, je serais veuf.
Salut et a un de ces jours. »
Devos, Raymond (1922-2006)
« Quand j'ecris un texte je suis le premier a en rire, je Tavoue. Lors d'un gala je prefere qu'on ne
m'applaudisse pas. On applaudit souvent par pitie, pour faire plaisir, c'est humiliant. Mais si on rit, alors
je suis recompense de tout. » Ainsi pari ait Raymond Devos. Clown, mime, saltimbanque, poete
hurluberlu, ne a Tourcoing en France, mais declare a Mouscron, en Belgique, il n'a jamais su* en fait,
quelle etait sa veritable nationalite :
« Je suis ne avec un pied en Belgique et un pied en France, c'est pour cela que je marche les pieds
ecartes. » Sa vie commenca sous le signe d'un non-sense et ca n'etonnera personne. Pour Raymond que
j'ai eu la chance de connaitre, un peu tard helas, mais qui me temoigna a la fin de sa vie son amitie, « il y
a des choses dans la vie qui n'ont pas de sens, disait-il. Tenez ! Moi qui vous parle, j'ai le pied gauche
qui est jaloux du pied droit alors que quand j'avance le pied droit, le pied gauche qui ne veut pas rester
derriere en faitautant... et moi... comme un imbecile, je marche. »
On se souvient de cette legende, vraie ou fausse peu importe : en 1950, un garcon de cafe lui dit
qu'on ne pouvait pas voir la mer qui etait... « demontee ». « Quand la remontera-t-on ? », demande
Devos : « C'est une question de temps. » Et voila comment ces repliques lui donnerent matiere a Tun de
ses plus celebres sketches : « La mer ! Le flux et le reflux me font maree. »
Sa famille francaise aisee qui vivait en Belgique revient en France apres des revers de fortune. A
treize ans, il se revele doue pour la musique et pour des instruments aussi divers que la clarinette, le
piano, la liarpe, la guitare, le concertina, la trompette et rneme la scie musicale. II doit aider sa famille et
exerce des petits metiers : coursier en triporteur, libraire, cremier aux Halles, oil il apprendra a « mirer »
les ceufs. 11 se retrouve au STO en Allemagne ou, pour se faire comprendre, il est oblige de mimer. Une
experience determinante pour lui, qu'il perfectionnera a son retour en France aupres du rnime Marceau.
II encliaine ensuite au theatre et devient rneme peasionnaire de la troupe Jacques Fabbri. A partir de
1960, il est une vedette de music-hall inspixee par Tristan Bernard, Allais, Jarry et Boris Vian, avec
lequel il a travaille, sans oublier ses idoles Chaplin et Tati.
Ses coups de genie ; faire passer son angoisse existentielle chez ses contemporains, car il est
depressif, et populariser Fabsurde, un genre incoruiu a l'epoque pour le public fran9ais, tout en prenant
des mots au pied de la lettre en les mettant sens dessus dessous, grace a son imagination debordante :
— « Lorsque les gens mangent, ils en profitent pour alimenter la conversalioa »
— « II a un voisin fleuriste qui est son voisin cF espalier. »
— « Le temps c'est de 1' argent, et pour gagner du temps, il faut courir vite pour le placer sur un
compte... courant. »
— « Une fois rien, c'est lien. Deux fois rien, ce n'est pas beaucoup. Mais trois fois rien ! Pour trois
fois rien, on peut acheter quelque chose. »
— « Depuis quelque temps, mon chien m'inquiete... II se prend pour un etre humain, et je n'arrive
pas a Ten dissuader. Ce n'est pas tellement que je prenne rnon chien pour plus bete qu'il n'est... Mais
que lui se prenne pour quelqu'un, c'est un peu abusif ! Est-ce que je me prends pour un chien, moi ?
Quoique... Quoique... Dernierement, il s*est passe une chose troublante qui rrfa mis la puce a
l'oreille ! »
Raymond adorait les choses bizarres :
« II y a des choses bizarres !... D y a des choses inexplicables... des choses qui vous echappent !...
L* autre jour.au cafe... je commands undemi... j'enbois lamoitie !... II nenrestaitplus ! »
Son personnage est a lui tout seul un spectacle ambulant avec ses rouflaquettes teintees, ses Iarges
bretelles qui soutiennent sa sous-ventriere, ses horribles polos acryliques et ses sourcils de sumotori. H
est en perpetuel equilibre sur son monocycle ou en jonglant avec quelques malheureuses assiettes, mais
surtout avec les mots en faisant attention de rire avec les autres, et jamais a leurs depens : « Quand on a la
pretention d'entrainer les gens dans Timaginaire, la moindre des choses est de les ramener. » II nous
avait dit un jour ou il se sentait vieillir : « La vieillesse, c'est comme le tabac, c'est dangereax. Je
connais meme des gens qui en sont morts. » Et quand il evoquait sa rnort : « Je reviendrai, mais ne vous
en faites pas, vous ne paierez pas d'impdts sur le revenu. »
Dhery, Robert (1921-2004)
A quatorze ans, il est engage dans un cirque et il entre ensuite au Conservatoire pour en demissionner,
car il n'a qu'une envie, celle de devenir comique, tendance non-sense.
Robert Leon Henri Fourrey est ne a La Plaine-Saint-Denis en 1921. Ses deux seules publications.
assez secondaires d'ailleurs. Ma vie de Branquignol et Maleuil, ne justiflent pas vraiment sa presence
dans ce dictionnaire. S'il est la, c'est parce qu'il est avant tout le pere des Branquignol s, un spectacle
burlesque qui va etre un immense succes au theatre La Bruyere en 1948. L'histoire farfelue et debridee
des fiancailles d*un chatelain, lors d^une grande soiree de gala, qui tourne a la catastrophe, on s'en
doutait. Dans le plus pur style « hellzapoppinesque ». Le triomphe du sans-queue-ni-tete.
Avec Colette Brosset, sa compagne et partenaire, ils lanceront quelques tres grands acreurs comiques
de cette generation : de Funes, Jean Richard, Jacqueline Maillan, Jean Carmet, Poiret et Serrault, entre
autres. Auparavant, il avait joue dans un certain nombre de films : Remorques (1941), Service de unit
(1944) et Svtvie et le Faniome (1945) de Claude Autant-Lara. film ou le « spectre » etait incarne par Ie
grand Jacques Tali. Drole de coincidence, car les deux comperes se retrouveront pour stigmatiser le culte
des belles voitures dans une France des annees 1950, oil F achat d'une Chrysler dans Mon oncle et de la
lameuse Belle Ainericaine d'unouvrier, mine par ses frais d'essence, symbolisait la reussite sociale.
L'originalite de Dhery et de sa desopilante Colette Brosset, c'est d'avoir invente et impose un
nouveau burlesque teinte d'ironie, avec quelques mots de traviole, fonde sur des gags visuels. Autre
succes memorable, remission « Dugudu » sur Paris Inter. Outre le concours de gonflage de ballon en une
seule expiration, on y recoit des heros minables : catcheurs malheureux ou boxeur K.-O. debout. Une
recompense est promise au resultat le plus desastreux.
Sa grande force, c'est d'avoir su s'entourer d'une bande de joyeux lurons atypiques. Outre les deja
cites, il y avait Pauline Carton, Robert Rocca, Pierre Tornade, Francis Blanche, Jacques Legras... autant
de noms qui evoquent dc bons moments dc gaudriole hexagonale aux plus anciens d'entre nous. On les
retrouve dans Ah ! les belles bacchantes en 1954, La Plume de ma tante et Tenorme succes de La Belle
Ainericaine, coecrit par Pierre Tchernia. Dans ce film, il campe vraiment ce qui est son fonds de
commerce, un Francais moyen debrouillard et laconique, qui vit en harmonie avec ses voisins dans un
quartier... normal.
Dhery me faisait beaucoup rire avec son air ahuri, son zozoternent presque naturel, toujours gai,
jamais agressif, qui faisait merveille avec ses mimiques proches de racteur muet lorsqu'il joue le type
depasse par les evenements.
II faisait partie de la lignee de ces grands « bavards mutiques » : Etaix, Achille Zavatta et Tati, bien
sur.
Ce muet congenital disparalt sans faire de bruit le 3 decembre 2004 a Paris. II est enterre dans
l'Yonne. au cimetiere d'Hery.
Diderot (1713-1784)
Pendant mes etudes secondares chez les bons peres, Diderot n' etait pas plus en odeur de saintete que
Voltaire, et sonatheisme afTiche n'arrangeait pas les choses. Aussi, je n'aurais pas connu Diderot pendant
ma scolarite si rinternat n'etait pas venu a mon secours. Imaginez mon einoi quand un interne plus age rne
fit lire le soir, forcement en cachette, Les Bijoux indiscrets ! Ce roman croustillant ne pouvait que seduire
l'adolescent frustre et plein d'imagination que j'etais a cette epoque, oil meme la television, d"ailleurs
interdite a l'internat, etait tres controlee. Mai 68 n'etait pas encore passe par la et ce ronian drole et
grivois a la fois fitf pour moi une revelation. Ainsi, on pouvait rire de ces « bijoux indiscrets », jolie
facon de parler du sexe de la femme. Pour etriller Louis XV, Diderot avait imagine, daas un Orient de
pacotille. que Ie sultan Mangogul avait recu du genie Cucufa un anneau dont il suffisait de tourner le
chaton pour que la dame en presence du sultan confesse ses secrets les plus caches sous ses multiples
jupes. L'homme n'epargne pas non plus la religion, et la « bonne » tenue des couvents est sacrement
epinglee. Mangogul libere les femmes du serail : « On y entrait aussi Iibrement que dans aucun couvent de
chanoinesses de Flandres, et on y etait sans doute aussi sage. » Prudemment, Diderot place en effet les
couvents en Flandres, par crainte de la censure, avant d'attaquer plus tard, ouvertement, dansZw
Religieuse, les conditions de vie des nonnes, souvent contraintes de prendre le voile par des families trop
contentes de se debarrasser d'elles et de la dot qu'il aurait fallu verser en cas de manage. Dans Jacques
le Fatalist e, Diderot, influence par Tecrivain irlandais Sterne, traite avec un humour plein de
desinvolture les attentes du lecteur traditionnel. Le debut du roman a du en desargonner plus d'un, et ne
parlons pas des critiques, qui ne comprirent la nouveaute revolutionnaire du procede qu'au bout de deux
siecles ! « Comment s'etaient-ils rencontres ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-
ils ? Que vous importe ? D'oii venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Ou allaient-ils ? Est-ce que Ton
sait ou Ton va ? Que disaient-ils ? Le maltre ne disait rien et Jacques disait que son capitaine disait que
tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas etait ecrit la-haut. » Diderot raconte aussi par la bouche
de Jacques comment ce dernier perdit a trois reprises son pucelage. II fait croire a la troisieme qui eut cet
avantage qu'il ignore tout des femmes : « C'est un homme qui a un cotillon, une cornette et de gros
tetons »... Jacques souhaite tromper sa future conquete, car la precedente s'etait vite apercue qu'il n' etait
pas aussi naff qu'il le laissait entendre. Dame Marguerite le croit et tombe en pamoison. Quand elle
revient a elle, Jacques la supplie de rinstruire : « Je lui baisais les yeux, et elle me baisait la bouche.
Cependant il faisait tout a fait nuit. Je lui dis done : "Je vois bien, dame Marguerite, que vous ne rne
voulezpas assezde bien pour m'apprendre, j'ensuis tout a fait chagria Alloas, levons-nous, retournons-
nous-en. .." Dame Marguerite se tut, elle reprit une de mes mains* je ne sais ou elle la conduisit mais le
fait est que je nVecriai : "11 n'y a rien ! II n'y a rien !" » Qui pourrait contester le bien-fonde et la joyeuse
realite de ces propos, si ce n'est quelques fieffes hypocrites dont nous sornmes helas toujours entoures,
trois siecles plus tard ?
Doris, Pierre (1919-2009)
Pierre Doris s'affirme comme le pionnier de l'humour noir dans la frileuse France d'apres guerre.
Coluche, Yanne, Desproges et Guillon sont ses rejetons.
Mourir la veille de ses quatre-vingt-dix ans d*une cirrhose, voila une vraie profession de foie... De
son vrai nom Pierre Tugot (il tire son nom « Doris » de la ville de Ris-Orangis). Embonpoint, bretelles,
fausses dents, le fantaisiste vulgaire par excellence. Erreur profonde ! Ce forcene est fin lettre et sait
manier roxymore.
Avec une presence cynique indeniable, le one-man-show a trouve son maitre. Sa force de frappe
comique est siderante. Une verve tonitruante. Ses souffre-douleur preferes : une compagne stupide, les
enfants alcooliques et les vieillards malhonnetes... « Ma femme est sans defense, heureusement, on la
confondrait avec un elephant ! » Des textes qui eparpillent les badauds facon puzzle.
Des le milieu des annees 1950, au Port du Salut comme au Trois Baudets, il debite avee une
prodigieuse volubilite et un sens etonnant du phrase un chapelet d'horreurs ravageuses et invente mine de
rien les bases du comique moderne, celui du cafe-theatre. « C'est tres beau un arbre dans un cimetiere.
On dirait un cercueil qui pousse ! », « Les morts ont de la chance, ils ne voient leur famille qif une fois
par an, a la Toussaint », plaisantait volontiers le pape de F humour noir. « C'etait bien beau, mais Ie
public m'assimilait a mes blagues. II me considerait comme un franc salaud, un bourreau d'enfants, un
monstre. Et moi je suis un tendre », confiait-it aL'Aurore en 197S. Les salaries n'oublieront pas ses
aveux : « Je parle en dormant. Au bureau, c'est genant. »
En 1971, il montre une nouvelle facette de sa palette d^acteur en tournant pour la television La
Maison ties hois sous la direction de Maurice Pialat. II y interprete un garde-barriere au grand cceur
recueillant un jeune orphelia dans un role a contre-emploi.
Au cinema, Pierre Doris est souvent abonne aux personnages d'arfreux et aux seconds roles. II joue
dans de nombreuses comedies, dont Fortimat (1960) aux cotes de Bourvil et de Michele Morgan,
Clementine cherie ( 1962) avec Michel Serrault et Philippe Noiret, Les Rois du gag (1985) de Claude
Zidi. En 1981, il joue Berurier, dans San Antonio ne pense cju'a $a, Homrne de scene avant tout, il
interprete aussi bien des comedies de boulevard, Les Assassins associes, « Oscar ». . ., des operettes, que
des classiques : Ubu Roi, Pygmalion, Le Barbier de Seville... Et en particulier les pieces de Moliere
qail affectionnait particulierement apres r avoir decouvert sur le tard. De sa fameuse rubrique « En
differe avec vous », on retiendra cette interrogation fondamentale : « Au fait, Fescargot est-il vraiment de
Bourgogne ? Si Ton est sur que Fandouille est de Vire et la rillette du Mans, le doute plane sur les
origines des escargots. »
Dubillai-cl. Roland (1923-2011)
Quel personnage ! Quel bonhomme ! II suffit pour s'en convaincre de lire les hommages qui lui ont
ete consacres dans la presse, a sa mort, en decembre 201 1, alors qu'il etait cloue dans un fauteuil depuis
1987 a la suite d'un accident cerebral. Depuis, il ne marchait plus, ne parlait guere mais s'exprimait
encore. Pour Armelle Heliot du Figaro, c'etait : « Un ecrivain considerable, une intelligence
eblouissante, une culture vaste, un esprit brillantissime, un desespoir affronte* une joie de vivre
contagieuse. » Fermez le ban... Bel hommage amplenient merite pour un poete, auteur dramatique,
melomane, comedien, prince de Fabsurde et avant tout dingue du non-sense. Autant de qualites qui ne
peuvent que me seduire. Je l'avais remarque par hasard dans le film de Patrice Leconte en 1975 Lev
veces elaient ferrnes de I'interieitr, ou il campait aupres de Coluehe et de Jean Rochefbrt un personnage
bizarre, Gazul, dont le jeu etonnant m'avait intrigue. Depuis je Fai decouvert dans un registre totalement
different, sa passion pour les mots. Robert Benayoun dans son anthologie Les Dingites du nonsense le
decrit ainsi : « II aime a triturer les mots, invente des onomatopees flasques telles que souipft, zioupe,
tilipoc, bsim, tapong, tolopic, pitruc, chrouif ou flache ! On Tinscrit d'office au Club des Timides du
nonsense avec Benchley, Woody Allen, Satie et Lewis Carroll. » \fcila qui tombe a pic, puisqu'il va
retrouver ces gens de bonne compagnie dans ce dictionnaire.
Roland Dubillard est ne en 1923. Homme de radio dans les annees 1950, il a commence a imposer
son art du quiproquo et de la poesie loufoque avec son ami Philippe de Cherisey„ en improvisant des
sketches fort droles sous les pseudos de Gregoire et Amedee.
En 1953, Fannee ou Beckett, qu'il admirait profondement, donnait la premiere representation deEn
attendant QodoU il se produit au theatre de Babylone a Paris dans une piece de sa compositions/
Camille me voyait, dans laquelle il joue le personnage principal. Laurent de Vitpertuise. Cette operette
parlee en vers radiophoniques est un chef-d'ceuvre de non-sense, ou les jeux de langage et les periphrases
savoureuses font merveille : un cigare devient « Ie fumier vegetal qui nous vient de La Havane », le lit
conjugal « le bisexon », le tout daas un decor surrealiste, oil Laurent de Vitpertuise est Farnoureux transi
de Solange d'Autrebane qu'il a apercue aubois de Boulogne, dans sa baignoire mousseuse liree par deux
chevaux !
Pourtant, malgre son drole de parcours, Dubillard etait d'abord un intellectuel seduit par Gaston
Bachelard, passionne par la philosophic, puis tente par le theatre, ce qui n'echappa pas a Jean Tardieu
qui l'aida a posluler a la radio. Les absurdites, la folie douce de Gregoire et Amedee et leur fantaisie
irresistible firent rire la France de rapres-guerre qui plebiscitait leur cocasserie rnagistrale.
Apres le succes de Si Camille me voyail, recriture dramatique occupe Tessentiel de son activite. II
multiplie les pieces qui, malgre leurs titres parfois surrealistes, le consacrent comme un ecrivain majeur :
Na'ives Hi rondel les. La Maison d'os, Le Jardin awe betteraves , Oil hoivent les vaches. La Boite a
on tils, etc.
« J'ecris, non pour obtenir un succes mais pour que mon angoisse se prolonge », et dans son journal
Camels en marge, il disait « avoir le don de transformer les pensees intelligentes. en plaisanteries
irresistiblernent stupides ». Tout un programme dont il s'acquitta a merveille sa vie duranL
Dubillard etait aussi, je Tai dit, un etonnant comedien qui a joue dans plus d'une vingtaine de films
dont La Grande Lessive en 1968, avec Francis Blanche et Bourvil, sous la direction de Mocky, qui le
venerait.
« Jouer la cornedie pour quelqu'uo, c'est essayer de lui faire comprendre qu'il n'est pas la », avait-il
coutume de dire. II jouera aussi sous la direction de Corneau, Zulawski, Deville, Berri, Resnais, et Henri
Verneuil dans Peur sur la ville en 1 975, ou il incarne un psychologue plus vrai que nature.
Mais pour moi, et sans doute pour les plus jeunes generations, Roland Dubillard reste rhomme des
Diablogues. On a souvent dit que son ceuvre ne se resumait pas qu'a ce chef-d'ceuvre ; certes non, mais
quand meme ! Quelle piece, dont on ne compte plus les versions, que cette confrontation entre deux
personnages ! Uune des premieres etant celle qu'il jouait lui-meme avec Claude Pieplu, et Tune des plus
recentes, admirablement mise en scene par Anne Bourgeois, qui permet a Francois Morel et Jacques
Gamblin de se livrer a des joutes oratoires desopilantes, inspirees par des textes inexplicables.
« Cela part de rien. de vide, d'ennui, on ne sail pas ou ca va », souligne Francois Morel, mais il faut
les voir hesiter dans le sketch du Plongeon pour savoir s*ils doivent sauter ensemble sur le « h », le « o »
ou le « p » du « hop ! », ou encore, dans le Compte-goutfes, tergiverser sur l'ordre de depart des gouttes,
pour determiner s'il faut les compter deux fois « quand elles rentrent et quand.. . elles sortent ».
II predisait : « Je sais que la mort me rappellera quelque chose. » Pour nous, ses admirateurs, sa mort
noas rappelle qu'il nous manque deja.
Duchamp, Marcel (1887-1968)
\b\\k un homme que Ton retrouvera souvent dans cet ouvrage, tant il flit present partout ou il pouvait
exprimer haut et fort sa folie de IVinsolite : pilier de Dada, de Tart conceptuel, du College de
'pataphysique et de rOuLiPo, il inventa en 1917 1'objet le plus celebre de rartcontenporain, un urinoir
Fountain qui devint Tarchetype du ready-made, ces « objets usuels prornus a la dignite d'objet d'art par
le seul choix de I'artiste ». Suivront un porte-bouteilles achete au Ba2ar de l'Hdtel-de- Ville a Paris, un
fer a repasser et une roue de bicyclette. EL dit-il : « Que I'artiste ait fabrique cet objet avec ses propres
mains, cela n'a aucune importance, il Pa choisi. II l'a place de maniere a ce que sa signification d'usagc
disparaisse sous le nouveau titre et le nouveau point de vue, il a cree une nouvelle pensee pour cet
objet. »
Andre Breton, son ami, ecrit dans son An thologie de I 'humour noir qu*« il etait assurement I'homrne
le plus intelligent et (pour beaucoup) le plus genant de la premiere partie duxx° siecle ». Bel hommage
en eflfet de quelqu'un qui Pa trequente de pres pendant de nombreuses annees.
Duchamp, qui dans une premiere vie etait peintre, est Tauteur d'un memorable Nu descendant un
escalier (1912), qui fit scandale quand il le presenta lors d'une exposition a New York. Ce qui ne
Pempecha pas d'etre considere, avec Picasso, comme Tun des fondateurs de Fart rnodeme, parce qu'il
eprouvait le besoin profond de trouver sa propre voie, apres « Peprouvante traversee des "ismes" :
impressionnisme, fauvisme, symbolisme, orphisme, cubisme », comme F ecrit finement Patrice Delbourg.
Joueiir d'echecs professionnel, il parcourait le monde, oil il representait la France, et n'hesitait pas a
miniaturiser ses ceuvres Ies plus imporlantes, dans une petite mallette qui faisait office de mini-musee.
Duchamp resumait prosai'quement son credo en ecrivant qu'il voiilait « saisir les choses par Tesprit
comme la verge est saisie par le vagin », et s'afflrmait comme un grand maitre es canulars, jeux de mots
et calembours. II appelait ces recherches verbales « le hasard en conserve » :
— « Le meilleur savon est le savon aux amendes honorables. »
— « D faut dire : la crasse dutympanet non le Sucre du prinlemps. »
— « Nous livrons des moustiques domestiques (demi-stock). »•
— « Faut-il reagir conlre la paresse des voies ferrees entre deux passages de train ? »
— « Parmi nos articles de quincaillerie paresseuse, nous recommandons le robinet qui arrete de
couler quand on ne Tecoute pas. »
En 1934, il invente le « nominalisme pictural » qui consiste a repertorier les rnots qui ne s'expliquent
que par eux-memes et, un peu plus tard, ce specialiste du « lapsus volontaire » reunit ses ecrits dans
Marchanddu sel a titre qui « contrepete » son nom
II meurt a quatre-vingt-un ans, non sans avoir prevu son epitaphe : « D'ailleurs c'est toujours les
autres qui meurent. »
Duneton, Claude (1935-2012)
Le 21 mars 2012 mourait Claude Duneton. C'etait mon ami et je lui avais ecrit cette lettre d'adieu :
« Te souviens-tu, mon cher Claude, que nous nous sommes longtemps cherches toi et moi, avant de
nous retrouver autour de notre passion commune pour la langue ? Pourtant, enfants nous ne parlions pas la
meme, loin de la ! Toi, c'etait plutot le patois occitan avec les paysans de ton village limousin, alors que,
de mon cote, je m'essayais au voussoiement avec les dames patronnesses de la bonne societe lyonnaise.
Plus tard, je t'ai decouvert. Je t'ai beaucoup lu ; j'admirais ton talent de denicheur et de defricheur
d'expressions. J'etais ebloui par l'erudit qui chaque jeudi dnnsLe Figaro me surprenait par sa fagon
toujours inattendue de traiter ou de... maltraiter un livre, une expression, un mot au gre de tes humeurs.
Depuis quelques annees nous nous croisions, nous nous frolions meme, dans des debats, conferences et
autres Salons du livre ; et je revais, moi, Ie grammairien buissonnier specialiste de la pirouette cacahuete,
pour marquer mes insuffisances semantiques, de t'apprivoiser, toi Pours mal leche, mais ce n'etait pas
gagne. On senlait que tu n'avais aucune envie d'etre approche, courtise, mais tes petits yeux coquins
toujours en eveil semblaient nous signifier Ie contraire. Pour reprendre une figure de style qui m'est
chere. tu etais, je l'ai decouvert par la suite, une espece 6? Homo oxymorus, champion toutes categories
de P equivoque et du paradoxe ; un reveche convivial, un pisse-vinaigre affable, un anachorete amene, un
solitaire gregaire, un misanthrope philanthrope, mieux, un atrabilaire amoureux, puisque, est-il besoin de
le rappeler, cette jolie trouvaille n'est pas de moi, mais de I 'ami Poquelin qui avait sous-titre ainsi son
Mi sun i hi ope .
Tu etais tout et son contraire, et fier de Petre, puisque meme ton accoutrement soulignait ton desir de
te demarquer des poseurs et des bien-parleurs. Ainsi, a la suite d'un debat memorable, autour de P accent
circonilexe, ou du trait d'union, je ne sais plus, tu es venu vers moi mal rase, avec ton eternelle chemise a
carreaux et ton vieux pantalon de velours sans forme. On aurait dit Celine de retour d'ttn slage longue
duree de bucherons dans le grand nord canadien : "Tu m'as bien fait marrer avec ton dernier bouquia"
C'etait gagne, et j'etais fier comme un "pout* (ancienne denomination du coq, le male de la poule, dixit
Lu Puce a I 'oreitle).
Depuis ce jour beni des dieux de la syntaxe, nous nous sommes souvent vus et revus. Malgre tes
pseudo-regimes recurrents, tu etais toujours partant pour un bon dejeuner. Pour te dormer bonne
conscience, tu ne te separais jamais d'une petite boite dans laquelle tu piochais avec un air entendu
quelques pilules multicolores, avant de reprendre un bon coup de rouge ou meme de faire chabrot. unjour
ou je t'avais provoque dans une brasserie huppee du VF arrondissement
Nous passions Papres-midi a evoquer ce qui te faisait vibrer, Antignac, Lagleygeolle et ta chere
Correze, les "trois mille momes" que tu as aimes quand tu etais instituteur, ton passe de prof d'anglais et
de comedien, la chance que tu avais eue de tourner dans les films cultissimes de Kieslowski et La Double
Vie de Veronique, entre autres.
Nous partagions aussi Pamour de Vialatte et des vieux jouets. Je ne connaissais rien a la chanson et tu
osais pretendre que c'est pour la meme raison que tu avais decide en 1993 de Patteler quatre ans durant
aux 2 200 pages de ta fabuleuse Hisloire de la chanson J'rancaise. En fait, tu avais voulu ecrire la
premiere Histoire de la litteratwe chansonniere , pour mettre en Iumiere la dispariuon d'une tradition
orale, cette fameuse "oralitude" qui te tenait tant a cceur.
Et puis, il y avait nos interminables fous rires autour des mots, que nous adorions palper, chatouiller
et titiller ensemble. Tu ne supportais pas la "gabegie cornmunicante de notre societe qui abuse des
periphrases grandiloquentes" et tu te delectais a citer le journal Le Monde qui avait evoque en 200 1 des
"personnes en situation de precarite economique et sociale".
"Ah ! les pauvres, disais-tu, que Ies voila vertueusement repeints !"
Lorsque tu parlais de la mort, le croquant qui sommeillait toujours en toi evoquait "la Faucheuse".
Elle a finalement eu raison, il y a quelques jours, de tes petites pilules multicolores. Si j'osais oxyrnorer
encore quelque peu, je dirais qu'elle ne s^est pas hatee aussi lentement que nous le souhaitions et qu'elle
nous conlraint, helas, a ecouler (ou a entendre ?) maintenant le silence assourdissant que nous impose ta
disparition. »
r
Etaix, Pierre
« Mes deux grands-peres avaient Tun et 1' autre un gout prononce pour le cirque, qu'ils m'ont fait
decouvrir tout petit ! Puis, j'ai appris qu'un de mes arriere-grands-peres etait un enfant naturel : j'ai
toujours pense que ce devait etre un enfant du voyage et qu'il irf a transmis ses genes. »
En dehors de cette profession de foi, je pourrais aussi vous dire que Pierre Etaix est ne a Roanne en
1928. qu'il etait graphiste de formation, qu'il a ete un peu souffleur de verre dans le nord de l'ltalie, que
Jacques Tati lui a demande en 1958 d'imaginer des gags pour Man oncie, ce qui lui a permis ensuite de
lourner ses deux premiers films coirriques, suivis de Yoyo et du Soupirant puis Rupture, cosigne avec son
ami Jean-Claude Carriere. Qu'il a epouse Anne Fratellini en 1969, avant de fonder avec elle PEcole de
cirque en 1973, qu'on lui doit aussi Tant qu 'on a la sante, Le Grand Amour etPays de cocagne... Je
pourrais vous dire que, non content d'etre un digne descendant des maitres du « slapstick » (cinema
comique muet), a r image de Buster Keaton ou d'Harold Lloyd, il fait radmiration de Jerry Lewis qui
considere Yoyo comme son filmculte, qu'il a tourne pour Fellini dans Les Clowns, et que ce dessinateur-
realisateur-acteir-musicien-auteur-sculpteur-gagman-iTiagicien et gentleman a « la douce courtoisie du
heron cendre et des doigts de fee fins et la chevelure plaquee du casoar », comme le dit son ami Patrick
Robine.
Je pourrais vous dire encore mille choses agreables sur ce delicieax jeune homme de quatre-vingt-
quatre ans, mais, je voudrais surtout m'arreter sur Pierre Etaix jongleur... de mots. Oui, je sais, le clin
d'ceil est facile, pour cet homme de cirque, ce celebre clown blanc que tout le monde connait, mais pour
moi, Etaix, c'est le grand prestidigitateur. tunambule et acrobate des mots ; et je trouve tres emouvant de
decouvrir en ecrivant ces lignes comment le cirque, dont je suis un tan absolu, et les mots sont nes pour
coliabiter.
Pierre Etaix, c'est rhomme qui affirme que : « Celui qui met la main a la pate n'a pas necessairement
la main bordee de nouilles », qui pretend que : « Cest avec une chistera que le Basque pelote les filles »,
qui proclame que : « Le mailre a penser esl V unite de rnesure du philosophe », qui est persuade que :
« Les quadrupedes sont des jumeaux qui ont quatre pieds », que la « salopette est une petite salope » et
qui confirme ce dont nous nous doutions : « La maitresse est une enseignante avec qui 1'ecolier moyen a
des relations sexuelles en dehors du manage. »
En 2003, Pierre et son fils. Marc, photographe, ont publie un livre illustre par des photos
exceptionnelles, Karabistouille, dans lequel on peut lire que Pierre a decide de Ieguer a la science qui
« en a tellement besoin : sa tete chercheuse avec sa cervelle d'oiseau, son nez creux, sa bouche
d'incendie, sa langue maternelle. sa peau de chagrin, sa taille de guepe, son palais royal, sa cheville
ouvriere, ses doigts de pieds en eventail et son bassin vaguement parisien ». Tout en « refusant
vehernentement que Ton prenne sa vessie pour une lanterne ».
De toute facon, tout cela n'est pas d'actualite, car comme disait un autre de ses amis, Charlie Rivel :
« Un clown ga mourrira jamais. »
IP
Fallet, Ren6 (1927-1983)
»
Ce grand amoureux devant l'Eternel ecrivait parait-il trois lettres d'amour par jour, et pas forcemeat
a la meme femme, tout en vivant avec son epouse rue Chapon a Paris, et etait proprietaire d'une
garconniere dans le Marais : « II n'est pas de femmes inaccessibles sauf celle que Ton aime. »
Ce fils de cheminot ne le 4 decembre 1927 a Villeneuve-Saint-Georges passe son enfance dans le
Bourbonnais, berceau de la famille Fallet :
« Villeneuve-Saint-Georges, a l'epoque de ma naissance, c'etait la banlieue que j'ai contee et
chantee dans rnes premiers bouquins, dans Banlieue sud-est et dans La Flew et la Sour is, Une vraie
banlieue : moitie ville et moitie campagne. Je peux done dire que j'etais eleve a la campagne. Devant
chez moi. il y avail un terrain que je croyais immense. »
En 1940, Rene Fallet obtient le certificat d'etudes, il ecrit deja des poemes et se lancera dans la
carriere des « lettres » en ecrivant au marechal Petain pour obtenir la grace de son pere inearcere a la
prison militaire du fort Montluc, pour avoir chante « Ulnternationale » dans les rues de Villeneuve-Saint-
Georges. Le marechal repond personnellement a la missive et le libere ; Rene comprend alors que
I'ecriture est Tune des plus grandes, sinon la plus grande, puissances au monde. II ne reviendra jamais
sur cette conviction, et e'est bel et bien recriture qui lui permettra d'atteindre son ideal de liberte.
II entre comme manutentionnaire chez un editeur, puis devient coursier en pharniacie. En 1945, Blaise
Cendrars repere ses premiers poemes et le fait entrer au journal Liberation, oil il devient journal iste a
plein temps.
C'est a trente ans qu'il publie son premier roman, Banlieue sud-est. Un coup d'essai tres bien
accueilli par le public. Autodidacte et fier de Tetre, scenariste de Fanfan la Tulipe, critique litteraire au
Canard enchaine, il flingue a cceur joie. De Marcel Jouhandeaiu qu'il assaisorme en lant que
« Montherlant retreci au lavage », jusqu'a Raymond Queneau qualifie de « cachalot rigolard echoue sur la
plage des Goncourt entre la seiche Bauer et le bon crabe Carco ». Couronne en 1964 par le prix Lnterallie
pour Paris au mois d'aout, decore du Merite agricole, il aime la peche a la mouche. la petanque et le
velo. Cauteur divise volontiers son ceuvre en deux « veines ». La veine whisky qui imbibe ses romans
sentimentaux. Comment fais-tu Famour, Cerise ?, Y a-t-il un doeteur dans la salle ?, et la veine
beaujolais, qui irrigue ses recits plus truculents comme La Soupe aux choux : « La soupe au choux mon
Blaise ca parfume jusqu'au trognon. ca fait du bien partout ou qu'elle passe dans les boyaux. Qa tient au
corps, ca vous fait meme des gentillesses dans la tele. Tu veux qu' ty dise : ga rend ineilleur. »
« Fallet va a ramour coinme un mineur va au charbon. Ce n'est pas un dilettante », disait de lui Jean
Carmet pour deer ire cet amoureux naif ettimide. Fallet, lui, pensait : c< Unecrivainse sertde son heritage
litteraire comme de sa propre vie, ce sont des materiaux qu'il n'ernploie pas a Fetat brut, mais qu'il
transforrne et modele selon sa propre imagination, voila tout. »
Les romans s'accumulent, parmi lesquelsLe Triporteur, II etait un petit navire, Les View: de la
vieilte et Le drapeau noir flotte sur la marmite. Rene Fallet possede un bel instinct pour selectionner ses
maitres : Baudelaire, Verlaine, Leautaud, Apollinaire, Anouilh, Moliere, Zola, Stendhal, Musset,
Maupassant et Simenon alimenterent longternps ce lecteur boulimique qui ne resistait jamais a Tachat
d'un livre poussiereux degotte on ne sait oil.
II se met a voyager en Angleterre, Slovenie, Egypte et au Liban. En 1953, il rencontre les deux
personnes qui joueront un role important dans sa vie. Georges Brassens et Michelle Dubois, qu"il
epousera en 1956 et qui deviendra Agathe Fallet.
L'idee la plus courante du Rene Fallet demenageur et bon ami ne doit pas resumer toute son ceuvre.
Certes, I'ecrivain irrite les petites habitudes bourgeoises et decrit des personnages hauts en couleur,
piliers de bars, eternels accroches au comptoir. Mais ces antiheros citadins ou campagnards, qu'on
retrouve entre autres dans La Soupe awe choux, Le beaitjokiis nouveau est arrive ou dans Les Viettx de
la vieille, ne doivent pas faire oublier sa face poetique. L' amour est toujours present dans Fceuvre de
Fallet, colore et enjoue. L'amour falletien cache toutes les contradictions d'un personnage petri de
paradoxes, comme en temoigne sa vie tumultueuse avec Agathe. A travers son ceuvre, le poete ne cachera
jamais le cote passionnel de ramour et Tattrait physique lie a celui-ci. Mais il a toujours su manier sa
plume de facon a ne jamais sombrer dans le mauvais gout, dosant soigneusement sentiments et pulsions
amoureuses. Rene Fallet apparait done comme un personnage aux facettes muluples. Pour Claude
Chanaud. on peut percevoir Fallet « comme une poupee russe ». La facade apparente serait le decapeur
des grands sentiments, suivraient ramoureax transi de Paris au mois d'aout, puis le chantre populaire de
banlieue, et sous tout cela, la poesie, un art dont il use a chaque page avec beaucoup de talent. Ainsi, ce
personnage aux mots bien pendus, decu de la condition humaine sans pourtant jamais perdre le rire, cache
des aspects bien plus complexes que son cote populiste. Unique en son genre, Rene Fallet a fait son
marche tout seul, au pif, pour reprendre encore Chanaud. II a marque le paysage litteraire francais de la
derniere moitie duxx 6 siecle d s une empreinte unique et rafraichissante. Loin du gratin parisien, il fait
partie de l'univers de Brassens, Renaud et de tous ceux qui pourront suivre... Neuf livres de Fallet ont
ete adaptes au cinema, dont Paris au mois d'aout (ou Plantin, personnage principal, etait interprete par
Charles Aznavour), Le Triporteur avec Dary Cowl, Les Pas perdus, Les Vieux de la vieille, Un idiot a
Paris, If etait un petit uavire, sous le titre Le drapeau noir flotte sur la marmite, Le beaujolais nouveau
est arrive. La Grande Ceinture, sous le titre Porte des Lilas de Rene Clair et la tres connue Soupe aux
ehoux, avec Louis de Funes, Jean Carmet et Jacques Villeret.
A la fin de sa vie, il croule sous les honneurs, mais son cceur, pas si leger que cela, lachera le
25 juillet 1983. II avait cinquante-cinq ans.
Feneon, Felix (1861-1944)
Ce fut un celebre critique, et r influence considerable qu"*il exerca sur Tart et La Htterature de la fin du
xix e siecle aurail necessite qu'on se souvienne mieux de lui. Mais il est possible de le faire revivre, ne
serait-ce qu'en quelques phrases :
— « Abel Bonnard, de Villeneuve-Saint-Georges. qui jouait au billard, s"est creve l'ceil gauche en
tombant sur sa queue. »
— « Catherine Rosello, de Toulon, mere de quatre enfants, voulut eviter un train de marchandises. Un
train de voyageurs l'ecrasa. »
Lapidaires, fulgurantes, definitives, les notules des « Nouvelles en trois lignes », rubrique
quotidienne du Matin placee sous sa responsabilite en 1906, oscillaient autour de cent cinquante signes
typographiques. Jamais plus, jamais moins.
Jarry disait de lui : « Celui qui silence. » Willis I'avait surnomme : « Le Pere Laconique. » Mallarrne
le prenait pour « Tun des critiques les plus subtils et les plus aigus que nous ayons ». Et pour Paul
Valery : « II etait Tun des hommes les plus intelligents [qu'il ait] rencontres. »
Ces petits chefs-d'ceuvre d'humour etaient rediges a partir de depeches d*agences, Evidemment des
lecteurs conformistes se desabonnerent, mais cela ne gena pas notre homme. II fut le premier a faire
connaitre L 'Apres-midi d 'un flume de Stephane Mallarrne, les poemes de Jules Laforgue ou Les Amours
jaitnes de Tristan Corbiere, ceuvres qu'il fit editer dans ses revues d'art : Libre revue. Revue
independante, La Vogue, Les Hommes d'aujowd'hiti, et la prestigieuse Revue blanche, dont il sera
pendant dix ans le patron inspire. On lui doit aussi d'avoir decouvert le manuscrit des Illuminations
d'Arthur Rimbaud et de l'avoir edite apres en avoir corrige lui-meme les epreuves.
En peinture, son influence sera encore plus forte. On le surnommait « reminence grise du
symbolisme ». C^est lui qui inventa Texpression « neo-inpressionnisme » pour qualifier la tendance des
peintres qu'il defendait bee et ongles : Pissarro, Matisse, Signac, Van Dongenet Seurat, sonprefere.
Anticonformiste, anticolonialiste, anticlerical, antitoul, meme sa vie privee etait anarchique ! Lui qui
reconnaissait avoir ete un « consent lubrique » pendant son service militaire devint un bigame convaincu,
vivant tranquil lement entre epouse et maitresse, en semant des enfants un peu partout.
En 1936, pour feter la victoire du Front populaire, il grimpa a soixante-quinze ans sur son toit pour y
deployer le drapeau rouge.
Pour avoir servi toute sa vie, et au mepris du sien, le talent des autres, pour avoir ecrit sans les signer
tant d'articles remarquables, Feneon mourut presque inconnu et deja oublie, en 1944.
C'est grace a son epouse, qui les recopiait religieusement sur un cahier. quon apprit qu'il etait
Tauteur de ces breves. Jean Paulhan les rassembla pour les publier en 1948.
— « A Trianon, un visiteur s'est devetu et s'est couche dans le lit imperial. On conteste qu'il soit,
comme il le dit. Napoleon IV. »
— « Le feu, 162, boulevard \bltaire. Un caporal flit blesse. Deux lieutenants recurent sur la tete, Tun
line poutre, 1* autre un pompier. »
— « Le Dunkerquois Scheid a tire trois fois sur sa feinrne. Comme II la manquait toujours, il visa sa
belle-mere : le coup porta. »
— « Comrne M. Poulbot, instituteur a rile-Saint-Denis, sonnait pour la rentree des ecoliers, la cloche
chut, le scalpant presque. »
On en denombre ainsi plus d'un millier, toutes aussi savoureuses, poetiques ou grotesques. Comme
l'ecrivait Claude Gagniere : « Ne croirait-on pas, avec un demi-siecle d'avance, Camus revisite par
Pierre Dae ? »
Feydeau, Georges (1862-1921)
On le dit descendant du due de Morny, demi-frere de Napoleon III, fils naturel du comte de Flahaut,
lui-meme fils illegitime de Talleyrand. Ne a Paris le 8 decembre 1862, Georges Feydeau est l'auteur de
pieces de theatre qui m'ont toujours enchante : Unfit a la patte^ La Dame de chez Maxim s , La Puce a
I 'oreille ou Occupe-tot d 'Amelie, Le Dindon, Feu la mere de Madame, La main passe. Champ igirol
malgre lui, avec 1 032 representations.
J'aime Feydeau, parce que son ceuvre est la demonstration sans faille d'un « comique » efficace, qui
releve d'une consequence logique et d'un concours de circonstances vraisemblables. II fait agir ses
personnages a I 1 inverse de ce que Ton attend d^eux, les mystificateurs sont toujours mystifies et souvent
dans des armoires detournees de leur usage habituel. surtout lorsqu'il s'acharne a denoncer la mediocrite
des existences bourgeoises qu'il ridiculise.
Alors Feydeau, fils naturel de Moliere ?
Surement pas, car sa filiation est deja assez mysterieuse et cornpliquee, mais il est sur que Jean-
Baptiste Poquelin Fa beaucoup inspire.
Sacha Guitry, dont Feydeau tut temoin de son mariage avec Yvonne Printeinps en 1919, ecrivait ;
« Faites sauter le boitier d'une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelees, petits ressorts et
propulseurs. C'est une piece de Feydeau qu'on observe de la coulisse. Remettez le boitier et retournez la
montre : e'est une piece de Feydeau vue de la salle, les heures passent, naturelles, rapides, exquises. »
Feydeaua perfectionne le vaudeville la ou Favait laisse son presque contemporain Labiche, rnais a la
difference de ce dernier, il s"interesse moins aux personnages, aux dialogues, qu'a la mecanique de la
piece, e'est un theatre a voir, dont la modernite vient du jeu theatral, des surprises, des disputes avec leur
lot de portes qui claquent et de claques qui portent.
II adore inverser les roles sociaux, comme dans La Puce a I 'oreille, oil Thotelier recoit un client a
coups de pied, il amuse en utilisant 1'irrationnel : « Allons, voyons ! un couvre-pied qui marche ! Mais ca
se voit tous les jours », et met toujours en presence les deux personnages qui ne doivent pas se voir. II a
Fart des courtes phrases percutantes :
— « C'est avec les sourds qu'on s'entend le mieux. »
— « Elle respire la vertu. Mais elle est tout de suite essouftlee. »
— « J'aime encore mieux du sale argent qu'on a que du propre argent qu'on n'a plus. »
— « L' argent ne fait pas le bonheur. C'est meme a se demander pourquoi les riches y tiennent tant. »
— « Moi, je trouve qu"on doit avoir les memes egards pour sa maitresse que pour sa legitime. Par
coasequenu je la trornpe ! »
Si pour Sacha Guitry le couple Feydeau representait « r image meme du bonheur », cela ne dura pas.
Feydeau, grand noctambule, passait plus souvent ses soirees et ses nuits a Fexterieur qu'avec sa femrne
Marie-Anne, la fille du peintre Carolus-Duran. Le clinnat conjugal s'en ressentait et n'etait pas propice au
calme necessaire a Fecriture. Son epouse aurait d'ailleurs declare : « Je vois Georges une fois par an ; il
enleve son pantalon, le plie soigneusement et me fait un enfant. » Cette mauvaise ambiance ftit la source
de ses inspirations misogynes :
— « Le manage est comme une partie de baccarat : tant que vous avez de la veine, vous gardez la
main. »
— « II n'y a que dans ces courts instants oil la fernme ne pense plus du tout a ce qu'elle dit que Ton
peut etre sur qu'elle dit vraiment ce qu'elle pense. »
— « Le manage, c'est Fart pour deux, personnes de vivre ensemble aussi heureuses qu'elles auraient
vecu chacune de lew cote. »
— « Les joies de la famille sont si delicates qu'il faut etre seul pour bien Ies apprecier. »
— « Ah ! si on pouvait voir les femmes vingt ans apres, on ne Ies epouserait pas vingt ans avant. »
— « Certains maris ne sont bons qu'a etre cocus, encore faut-il que leurs feinmes les aidenL »
Au cafe, Feydeau parlait peu mais ecoutait les bavardages et se plaisait a garder en memoire ces
« breves de comptoir » : « E suivait Ies conversations d'une oreille lointaine. comme le voyageur
indifferent aux propos de ses voisins et qui dans le train regarde le paysage en pensant a autre chose »,
disait de lui Henri Jeanson.
Si Ton parlait devant lui d'un banquier malhonnete : « II est tres riche, je me contenterais de ce qu"il
a vole », il repliquait : « Oui, mais il ne lui resterait plus rien. » De la fille legere de sa fernme de
menage, il disait : « La mere faisait des menages, la fille les defait. » Aim acteur au talent douteux qui lui
dit croyant lui faire plaisir : « J'ai joue vos pieces un peu partout », il repondait : « Je ne vous en veux
pas. » A un directeur artistique lui faisant la remarque que sa piece avait vingt pages de trop : « Vbus
n'avez qu'a commencer a la page 2 1 . »
Au debut de sa carriere il faillit etre comedien, mais le directeur qui se proposait de Pengager iut en
retard au rendez-vous et Feydeau ne L'artendit pas. Pourtant, r acteur Marcel Simon racontait qu'il lui
arriva, dans le troisieme acte d 9 Occupe-toi d'Amelie, d'interpreter lui-meme chacun des trente roles !
« J'ai compris ce jour-la tous Ies avantages que Ton pouvait tirer de r inexactitude et je me suis jure
d'etre en retard toute ma vie. »
Feydeau etait abominablement sinistre et avait toujours Pair de s'ennuyer dans ce bas monde. C'est la
raison pour laquelle il le quitta si jeune, a cinquante-neuf ans, atteint de troubles psychiques sans doute
dus a la syphilis, avant d'etre enterre en 1921 au cimetiere de Monurartre.
Fields, W. C. (1880-1946)
Du paradis ou il ne boit plus que de l'eau (benite), rAmericain W. C. Fields peut se vanter d'avoir
UD CV bien rempli : saltimbanque, jongleur, acteur de vaudeville, hurnoriste... J'en oublie surement. II a
connu la deche dans une autre vie, a Tepoque ou il s'appelait William Claude Dukenfield, contraint
d'aider son pere. marchand ambulant. C'est sans doute a ce moment-la qu'il a appris a jongler avec Ies
fruits et legumes, avant de connaitre la gloire au Palace, a Londres, et aux Folies-Ber^re, a Paris. Le
public etait seduit par ce grand blond avec une fausse moustache noire, affuble d'un nez aussi rond que
celui de Cyrano est long, chapeaute d'un haut-de-forme demesure et deguise en clochard. Magicien de la
jonglerie, il jouait avec des chapeaux, des balles, des boites, avec un faux air de gaffeur surpris par ses
propres exploits. Puis Ies experiences se sont enchainees, avec sa participation aux. Ziegfeld Follies
suivie d'une belle caniere cinematographique. Marie a une certaine Harriet Hughes, qui, apres 1* avoir
epaule dans ses spectacles farfelus, est devenue bigote. Quand leur petit garcon est ne, Fields a fait croire
qu'il 1'avait appele Chester...
C'est evidemment son humour qui seduit, plutot que Ie recit de ses deboires professionnels ou
sentirnentaux provoques par un alcoolisme chronique. Puisque « tous Ies chemins menent au rhinn », il ne
boit jamais d'eau « a cause des cochonneries que les poissons font dedans ». De plus, elle « rouille Ies
tuyaux ». Bourvil n'a done rien invente ! Et elle tue, autant que Palcool : « Mon meilleur ami est mort
d'avoir bu de Peau. Un cas de noyade interne. » II s'invente des cocktails devastateurs en precisant :
« Non, je ne bois pas toute la journee ; il faut quand meme que je dorme ! » 11 ajoute : « Allons. ne me
dites pas que vous ne pouvez pas promettre d'arreter de boire ! Je Pai fait mille fois ! » Ses remarques
moqueuses, tres caustiques, derangent. A la question banale : « Aimez-vous les enfants ? », il repond :
« Oui... frits. » Meme severite abrupte envers Ies femmes qui sont « comme les elephants. J'aime bien
les regarder, mais je n'en voudrais pas chez moi ». II en a pourtant toujours une « chez lui », avec en
prime un enfant illegitime. La famille, ca le rase, peut-etre parce que : « Tous les hommes de ma famille
etaient barbus, ainsi que la plupart des femmes. » Un coup de griffe aux belles-meres, proies faciles de
tous les humoristes : « Cest tres dur de perdre une belle-mere. Cest presque impossible. » Et quand il
affirme que « Talcool est le meilleur ami de riioinme », on le croit volontiers tant il se mefie des gens :
« Je n'ai pas de prejuges. Je deteste egalement lout le monde. » On le lui rend bien, car son
anticonfbrmisme et ses remarques assassines ne sont pas du gout de tous. La politique ri est pas sa tasse
de the non plus : « Je ne vote jamais pour quelqu'un. Je vote toujours contre. » Qu'on se le dise. Son
humour grincant n'epargne meme pas la religion et, lorsqu'a la fin de sa vie on le surprend avec une
bible : « Oh ! Je regardais seulement s'il y avait des erreurs. »
Ualcool, qui a ete sa raison d'etre : « Je bois done je suis », aura raison de lui. Sa sante se degrade
en 1936, il meurt dix ans plus tard. le jour de Noel. II est enfin tranquille, aussi tranquille qu'Adam et
Eve avant « la faute » : « Rien a faire, pas d'impots a payer, pas d'avocat, pas de medecin, pas d'enfant,
pas de chien. Le paradis, quoi ! »
Flaubert, Gustave (1821-1880)
Puisqifil est catalogue comme Fun des maitres du realisme du xo^ siecle„ on a tendance a Faborder
avec reverence, en s'attendant a s'ennuyer ferme a la lecture d*une telle sommite. Mais c'est oublier que
Flaubert detestait la sottise bourgeoise dont il se moquait dans ses romans, et qu'il passa sa vie a traquer
les idees recues dont il voulait etablir le dictionnaire exhaustif. Dans Madame Bovaiy (1 857), Flaubert
trace lc portrait satirique de Homais, Tapothicaire d'Yonville oil vit Emma. Homais perore, comrne a son
habitude, sur le climat local ;
« Le thermometre (j'en ai fait les observations) descend en hiver jusqu'a qiiatre degres, et, dans la
forte saison, touche vingt-cinq, trente centigrades tout au plus, ce qui nous donne vingt-quatre Reaumur au
maximum, ou autrement cinquante-quatre Fahrenheit (mesure angjaise), pas davantage ! Et, en effet, nous
sommes abrites des vents du nord par la foret d'Argueil d"une part, des vents d'ouest par la cole Saint-
Jean de r autre ; et cette chaleur, cependant, qui, a cause de la vapeur d'eau degagee par la riviere et la
presence considerable des bestiaux dans les prairies, Iesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup
d'ammoniaque, c'est-a-dire azote, hydrogene et oxygene (non azote et oxygene settlement), et qui,
pompant 1' humus de la terre, confondant toutes ces emanations differentes, les reunissant en un faisceau,
pour ainsi dire, et se combinantde soi-meme avec l'electricite repandue dans ratmosphere, lorsqu'il y en
a, pourrait a la longue, comme dans les pays Iropicaux, engendrer des miasmes insalubres. »
En lisant pour la premiere fois ces explications grandiloquentes, je ne pus m'empecher, j'avais
quinze ans et j'etais abonne a Sprrott, de penser au maire de Champignac qui, lui aussi, se Iancait dans ce
type de discours ridicule a chaque occasion. J'aurais du, si j'avais ete un eleve plus studieux, faire un
rapprochement avec le discours pompeux du fils de Diafoirus dans/,^ Malade imaginaire de Mo here.
maisje preferais rhumour de Franqirin.
Cette impression de similitude avec Spirou et ses aventures a Champignac tut encore plus forte quand
je lus le chapitre racontant la tenue des cornices agricoles, evenement considerable dans la petite ville
d'Yonville. M. le conseiller Lieuvaindemarre sa harangue :
« Et qu*aurais-je a faire, messieurs, de vous demontrer ici Futilite de Tagriculture ? Qui done fournit
a notre subsistance ? N'est-ce pas Tagriculteur ? L'agriculteur, messieurs, qui ensemenc^nt d'une main
laborieuse les sillons feconds des campagnes, fait naltre le ble, lequel broye est mis en poudre au moyen
d'ingenieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de la. transporte dans les cites, est bientot rendu
chez le boulanger, qui en coniectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. »
L'assistance ne voit nullement le ridicule des propos : « Toutes les bouches de la multitude se
tenaient ouvertes, comrne pour boire ses paroles. Tuvache, a cote de lui, l'ecoutait en ecarquillant les
yeux ; M. Deroserays, de temps a autre, fermait doucement les paupieres ; et, plus loin, le pharmacien
[Homais], avec son fils Napoleon entre les jambes, bombait sa main contre son oreille pour ne pas perdre
mie seule syllabe [...]. » Seuls Rodolphe Boulanger, un riche proprietaire des environs, et Emma Bovary
ne pretent pas attention a ces sottises. Rodolphe a decide de faire la conquete d'Ernma et Iui debite des
banalites faussement amoureuses, qui s'entrecroisent de facon comique avec Ies propos triviaux des
orateurs officiels :
« "Ensemble de bonnes cultures !" cria le president
— Tantot, par exemple, quand je suis venu chez vous. . .
"A M. Bizet, de Quinquempoix"
— Savais-je que je vous accompagnerais ?
"Soixante etdix francs !"
— Cent fois meme j'ai voulu partir, etje vous ai suivie, je suis reste.
"Furniers."
— Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie !
"A M. Caron, d'Argueil, une medaille d'or !"
— Car jamais je n'ai trouve dans la societe de personne avec un charme aussi complet.
"A M. Baia de Givry-Saint-Martin !"
— Aussi, moij'emporterai votre souvenir.
"Pour un belier merinos.. ."
— Mais vous nVoublierez, j'aurai passe comme une ombre.
"A M Belot, de Notre- Dame..."
— Oh ! non, n'est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensee. dans votre vie ?
"Race porcine, prix ex cequo : a MM. Leherisse et Cullemboug, soixante francs !" »
Et comme par hasard, c'est au moment de cette evocation de la race porcine qu"Emma cede a la cour
ridicule du sieur Rodolphe qui n'a qu'une envie, la posseder pour ensuite la rejeter.
Pour Patrice Delbourg : « "U idiot de la famille", selon I'expression de Sartre [en parlant de
Flaubert], est souvent epingle pour avoir pris le parti de la classe bourgeoise en 1871, pour avoir choisi
la vie recluse plutot que de paruciper aux querelles de son temps. Face a Stendhal ou a Chateaubriand, il
incarne le colossal tacheron pour banquet de cornices agricoles. Erreur fiineste. Sa passion de la
litterature reste entiere. II ne s'en laisse pas detourner par quelques recherches de breloques
honorifiques. ambitions politiciennes ou autres intrigues d' alcoves comme bon nombre de ses collegues.
Dans sa neurasthenie sedentaire, dans sa psychologie scrogneugneu, Flaubert reste le patron. »
Le genial auteur duDictionnaire des idees recues flit beaucoup copie et jamais egale. Avec ce
sottisier, ce monunient de clairvoyance cynique et de ferocite, il montre a quel point, en fustigeant
rhumour de salon et en osant tirer au canon sur les prejuges bourgeois de son epoque. il a ete Tun des
precurseurs de rhumour du XX? siecle. Qui pourrait en effet aujourd'hui mieux definir ces quelques mots
extraits de son Dictionnaire ?
— « Academic francaise : la denigrer, mais tacher d'en faire partie si on peut. »
— « Achille : ajouter "aux pieds legers" ; cela donne a croire qu'on a lu Homere. »
— « Albatre : sert a decrire les plus belles parties du corps de la femme. »
— « Beethoven : ne prononcez pas "Bitovan". Se pamer quand meme lorsqu'on execute une de ses
ceuvres. »
— « Boudin : signe de gaiete dans les maisons. Indispensable la nuit de Noel. »
— « Chien : specialement cree pour sauver la vie a son maitre. Le chien est rami de rhomme. »
— « Concupiscence : mot de cure pour exprimer les desirs charnels. »
— « Contralto : on ne sait pas ce que c'est. »
Gustave Flaubert, le « gaillard misanthrope », avait ecrit un jour : « Rien n'est serieax en ce bas
monde que le rire. »
Fourest, Georges (1864-1945)
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A la lecture de sa carte de visite, le ton est donne : « Georges Fourest, avocat, loin de la cour
d'appel. » Plus lard il ajoutera meme : « Profession : oisif. »
Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, rhomme, ne en 1864 (et non en 1867, comme certaines
biographies l'attestent a tort), etait une espece de dandy rentier et proprietaire terrien dans le Limousin,
mais surtout un des plus grands poetes de la fin du XIX? siecle. .. et peut-etre meme de tous les temps, si
Ton en croit quelques-uns de ses admirateurs inconditionnels, tels Marc Furnaroli ou Jacques Chirac.
C'est dans un bistrot de la place Saint-Michel a Paris, Le Soleil d'Or, qu'il commence a declamer ses
fameux poemes sous les applaudissements et les hurlements de rire d'une foule en delire, parmi lesquels
Willy, le mari de Colette, qui le traitait d'« argonaute du verbe ». II refuse de les faire editer, mais
accepte cependant de publier a compte d'auteur en 1909 le recueil qui batit sa legende, La Negresse
blonde : « Daas la poesie. je ne vois qu'un passe-temps, un peu moins assommant que le bridge, moins
dangereux que le poker, moins stupide que le loto. » II faut dire que sa poesie vaut son pesant de
moutarde surtout lorsqu'il s'agit par exemple d'un sonnet delirant africano-gastronomique :
« Au bard du Loudjiji qu 'embaument les arornes
Des toumbos, le bo/i roi Makoko s 'est assis.
Un tn 'gannga tatoua de zigzags polychromes
Sa peau d 'un noir vinetec tirant sur le cassis.
II fait unit : les m 'pafous out des senteurs plus freles ;
Sourd, un marimeba vibre en des temps egaux ;
Des alligators d'or grouillent partni les preles ;
Un vent leger courbe la tete des Sorghos ;
Et le mont Koungoua rond comme une bedaine.
Sous la lime aux reflets pales de molybdene,
Se mire dans le fleuve an bleuatre circuit.
Makoko teste aveugle a tout ce qui I 'entoure :
Avec conviction ce potentat savoure
Un bras de son graml-pere et lejitge trap cuit. »
Georges Fourest, malgre ses cabrioles et autres acrobaties verbales, n'en etait pas moins un honnete
pere de famille, catholique pratiquanu bourgeois et conservateur (si je peux me permettre ce
pleonasrne. ..), ce qui ne renpechait pas de feliciter ses enfanls en leur dormant de l'argent quand ils
avaient zero en maths ni de faire envoyer un caniche nain au president de la Republique a V occasion de
son anniversaire.
II donnait des petits noms a ses pantoufles et se levait chaque matin a 5 heures, pour avoir : « Plus
longtemps rien a faire et pouvoir ecouter pousser ses ongles. »
D'aucuns Font compare a une sorte de Desproges 1900, mais en plus litteraire. Pourquoi ? Parce
qu'il est Tauteur de pastiches delirants a travers lesquels il met allegrernent en charpie Racine, Hugo ou
Corneille :
« Qu'il est joli garcon l'assassin de papa ! », fait-il dire a Chimene a propos de Rodrigue. Mieux
encore, ou pire, Phedre, furieuse d'avoir ete larguee par Hippolyte, lui fait savoir haut et fort ce quelle
en pense :
« Eh ! va done, puceau, phenomene !
Va done, chatre, va done, sal op,
Va done, lopaille a Tlieramene !
Eh I va done t 'amuser. Chariot [...] »
En 1923, il publie Conies pour les satyres, tout un programme !, et en 1935 Le Geranium ovipare.
publie celte fois chez Corti. On y trouve d.e grands morceaux de bravoure : « Le nain et le cochon sous Ie
crane du poete » ou encore : « Le nouvel Origene ou le rut vaincu ».
Rien ne l'arretait, pas meme la scatologje, puisque pour lui il s'agissait avant tout « d'incaguer la
pudeur ». Prudent, il prevenait neanmoins les meres de famille que ce qu"il ecrivait « n'etait pas pour Ies
petites filles ». Ons*en serait doute.
II meurt en 1945 a Paris, non sans avoir redige une « Epitre fatote et testamentaire pour regler l'ordre
de [ses] funerailles », et prevu son epitaphe :
« Ci-gjt Georges Fourest ; il portaii la royale,
Tel autrefois Arrnand du Plessis-Richelieu,
Sa moustache etait fine et son ame loyale,
Oncques il ne craignit la verole ni Dieu ! »
Fournier, Jean-Louis
Nous sommes en 1986 ; quelques mois plus tot, j'ai « commis », et non pas ecrit, le mot serait
inapproprie, un petit livre qui a nia grande surprise est en passe de devenir un best-seller. Sky My
Husband ! Ciel man mari ! Deux cents expressions traduites en anglais de cuisine rnais, coup genial
d'apres certains journal istes bienveillants, j'ai la bonne idee d'offrir en prime la bonne traduction.
Ainsi, ce qui n'etaita priori qu'un clin d'ceil humoristique vers nos amis britanniques devient une
methode arnusante pour apprendre les idiomes anglais que les professeurs de langue plebiscitent. Et
Fournier, me direz-vous ? J'y viens. Ce realisateur deja complice de son ami Pierre Desproges a la
television deboule un jour dans mon bureau without shouting station ! (Sans crier gare !) et me propose
d'acheter les droits de Sky pour en faire des petits sketches a la television. Son idee est seduisante : des
marionnettes genre Muppet Show sur les bancs d'une ecole, face a un professeur d'anglais decale, en
r occurrence Michael Lonsdale. Le projet ne verra pas le jour, je ne me souviens plus pour quelles
raisons, rnais ce fut le debut d'une longue amitie qui dure toujours, Pourtant, etre et surtout rester ami
avec ce personnage, que Desproges decrivait comme « un tbu chiffonne, envahi d'angoisse existentielle
pour qui tout allait bien, jusqu'a ce jour maudit oil il est ne », releve de r exploit. Cet angoisse conpulsif,
hypocondriaque, misanthrope bougoa taciturne tenebreux, atrabilaire lugubre, n'a pas un caractere facile.
Cependant, Ie verre n'est pas toujours a moitie vide chez Jean-Louis et, comme dit Jean-Michel Ribes :
« II a Ie regard calme des grands clowns blancs ou se melent malice et lassitude. D'un sourire tendre, il
repousse tous les malheurs. »
Notre complicite s'est forgee autour de beaux projets, que dis-je, de best-sellers, que nous avons
imagines ensemble et grace auxquels nous nous sommes beaucoup amuses. J'ai eu la chance d'etre Tun de
ses premiers editeurs avec La Grammaire fmngaise et imperlinente, L'Arithmetique appliquee et
Impertinente, Sciences natwelles et imperii nentes. Je rne souviendrai toujours du passage de Fournier
chez Bernard Rapp, ou il presentait sa Grammaire en conjuguant le verbs peter a Timparfait du
subjonctif. Succes immediat. Pour etre parfaitement honnete, il faut preciser qu'avant notre aventure
editoriale commune, Jean-Louis avait deja publie La Noiraude, l'histoire d'une vache qui ne cesse
d'embeter son veterinaire au telephone car « elle rumine des idees noires, fait des cauchemars peuples de
gens qui mangent des beefsteaks et a peur que son lait soit bleu parce qu'elle a broute des bleuets ». Une
merveille, comme son dessin anime Antivol, I 'oiseau qui a le vertige* qui sera a I 'origine de sa rencontre
avec Desproges.
Depuis, Jean-Louis Fournier n'a cesse de s*inposer au gre de ses nombreux livres comme un
ecrivain, meme si ses heros sont toujours du cote des victimes.
II faut dire qu'il a des excuses. Un pere medecin de famille a Arras, aussi genereux et devoue que Ie
bon docteur Schweitzer, inais aussi ronge par l'alcool qu'Antoine Blondin et qui mourra a quarante-trois
ans. Fournier lui rendra hommage dans un Iivre pudique et tendre, bien que debordant d'humour noir, // a
jamais tue persorme, man papa. Mais ce n'etait que le debut d'une longue serie, car si cela n'arrive pas
qu'aux autres, cela ne pouvait arriver qu'a lui, puisqn il est pere de deux enfants handicapes qui lui
inspireront son chef-d'ceuvre couronne par le prix Femina en 2008, Oh on va, papa ?, avec lequel il
reussit I'exploit de seduire cinq cent mille lecteurs, dont des centaines de parents concernes qui le
remercieront d'avoir gagne a priori Timpossible : rire face au malheur et reussir a I'aneantir. Car c'est
bien la que Ton touche a son talent, lorsque Ton voit a quel point il sait se servir de son angoisse
existentielle. a l'image de Schopenhauer qu'il venere, car son pessirnisme Ie revigore : « Tant qu'il y a
de la vie, il y a de Pespoir », dit-il, et il ajoute : « avec les. progres de la medecine, notre desesperance
de vie augmente ».
Comme un malheur n'arrive jamais seul, Jean-Louis perd subiternent son epouse, la belle Sylvie, en
2010. Tres choque, il decide quelques mois plus tard de publier. fidele a sa legende, ce qu'il entend etre
un hommage. Lorsqifil nfen parle, en me soumettant le litre Veuj\ je crains le pire ; pourtant, une fois
encore, il se sauve de reffondrement et avec lui de nombreux veufs et veuves qui ne cessent de lui
temoigner leur reconnaissance d'avoir ose exorciser leur peine.
Je pourrais vous enu-etenir encore longtemps de Jean-Louis, pour lequel, vous l'aurez compris,
j'eprouve une certaine tendresse, meme si celle-ci est souvent matinee d'un zeste d'accablement, tant il
peut etre parfois desagreable et fier de l'etre. Je pourrais vous parler de ses autres livres, de son
Curriculum vine de Dieu^ de son precis de bonnes manieres Je vais t'apprendre la politesse... p'tit
con /, de son passionnant documentaire sur Egon Schiele et de sa « Minute necessaire de M. Cyclopede »,
dont il etait le realisateur et le coauteur avec Desproges.
Je prefere pour conclure lui laisser la parole en citant le debut d'Oii on va, papa ? Toute la tendresse
refoulee de ce personnage y est resumee, a condition de savoir lire a travers les lignes :
« Cher Madiieu, cher Thomas,
Quand vous etiez petits, j ' ai eu quelquefois la tentation, a Noel, de vous offrir un livre, un Tintiti par
exemple. On auraitpu en parler ensemble apres. Je connais bien Tintiixje les ai lustous plusieurs fois. Je
ne Tai jamais fait. Ce n' etait pas la peine, vous ne saviez pas lire. Jusqu'a la fin, vos cadeaux de Noel
serontdes cubes oudes petites voitures [...].
Je vais quand meme vous offrir un livre. Un livre que j'ai ecrit pour vous. Pour qu'onne vous oublie
pas, pour que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidite. Pour ecrire des choses
que je n ai jamais dites. Peut-etre des remords. Je n'ai pas ete un tres bon pere, Souvent je ne vous
supportais pas, vous etiez difficiles a aimer. »
1
Ah !! j'oubliais. A l'heure ou j'ecris, Jean-Louis, bien que ne en decembre 1938, ne fait pas son age
et, au risque de Ie decevoir, je me dois de preciser qu'il va bien...
France, Anatole (1844-1924)
Une ceuvre considerable, un scepticisme moqueur et un atheisme affiche : « Le hasard est Ie
pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer. » Ainsi pourrait-on brievement resumer Anatole
Frangois Thibault, alias Anatole France. Peut-etre suis-je attire vers lui par une obscure pulsion
d'anticonformisme, car il a reussi a se faire detester, non seulement par les reactionnaires de tout poil, en
raison de ses idees anarchistes et de son anuclericalisme determine, mais aussi par la gauche bien-
pensante qui jalousait son ecriture raffinee et sa pensee complexe. Andre Breton et Aragon, Ie chantre du
communisme le plus sectaire, ne pouvaient supporter cet esprit libre qui passait tout au crible de
rhumour et qui devint leur cible preferee, « execrable histrion de F esprit », et c'etait d'autant plus facile
qu'un mort ne pouvait guere se defendre. Ainsi Anatole France fut-il chasse du pantheon des ecrivains
politiquement corrects.
Sa finesse et ce fameux recul humoristique se font surtout jour dans Crainquebille, ou il fait un eloge
teinte d'humour noir du verdict inique d'un juge stupide : « Ce dont il faut louer le president Bourriche.
c'est d'avoir su se defendre centre les vaines curiosites de I'esprit et se garder de cet orgueil intellectuel
qui veut tout connaitre. En opposant les depositions contradictoires de Tagent Matra [un imbecile] et du
docteur Matthieu [favorable a F accuse], le juge serait entre dans une voie ou Pon ne rencontre que le
doute et rincertitude. La methode qui consiste a examiner les faits selon les regies de la critique est
inconciliableavec la bonne administration de la justice... »
En voila un qui avail vraiment le sens de la fonnule qui tue : « On croit mourir pour la patrie et on
meurt pour les industriels. »
Frederique, Andre (1915-1957)
On raconte que e'est lui qui inventa les mots « ringard » et « connasse », et qu'il etait a 1'origine de
cette afFirmation qui me rejouit au-dela de ce que tout humoriste normalement constitue est en droit
d'attendre de Tun de ses confreres, meme decede en 1 957 : « Le chant gregorien, comme chacun sait. est
d'origine crapuleuse » ! II serait aussi Tinventeur du principe des « diners de cons » ou chaque invite est
suppose arnener un con pour le faire briller. Trois raisons amplement suffisantes, me semble-t-il, pour
voir ce gargon ne en 1915 figurer dans le present recueil.
Pharmaciea poete et ajusteur de mots d'esprit, inconnu ou presque des non-inities, grand connaisseur
des maisons closes de luxe, il etait complice de Vian, Queneau, Tardieu. Carmet et Vialatte, lequel le
decrivait comme un tres bel homme « qui tenait de sa grand-mere allemande sa silhouette d'officier
fran9ais ».
Andre Frederique etait capable du pire, comme de grifFonner cette inscription sur la nappe d'un grand
restaurant : « La masturbation est Fasperge du pauvre », de recevoir sa clientele dans sa pharmacie
costume en Louis XIV ou de decider apres la mort de sa mere ne plus voir que des films en noir et blanc
parce qu'il est en deuil ; et capable du meilleur, en affirmant que :
« Celui qui est maitre des mots est maitre du monde. Le langage, e'est repeter un mot autant de fois
qu'il faut pour le volauliser et analyser Ie residu » ou. mieux :
« Si vans avez la vue double
Si vous voyez a travers les choses
Si vous pensez avec tout ie corps
Si vous diplacez les cathedrales
Si vous peupfez tout seul la solitude du rnonde
Si vous criez des conseils a Dieu
Si vous criez adieu uilx conseils
Mors vous etes tin humoriste, »
Dans un roman inacheve. La Grande Fugue, on decouvre que Ie heros lui ressemble etrangement :
« Ce Iivre est l'histoire d'un desordre, le desordre d'une tete. Mon heros est atteint de confusion, de
doutes, mais il lutte contre Tinforme qui l'engloutit. C'est un reveur eveille qui se maintient avec peine a
la surface de la realite. Des qu r il plonge en lui. il se noie. Alors, il plastronne pour donner le change
[...].»
II est aussi Fauteur de belles « poesies sournoises », dont Tune, sous forme de curriculum vitce, est
adressee a Gaston Bonheur :
« En reponse a votre demande de curriculum vita?.
J'ai Fhonneur, monsieur le president, de vous adresser la liste de mes specialites.
Je pratique professionnellement la calligraphic dite a Tanglaise, ayant servi au greffe du tribunal de
Meaux.
Je puis faire des traces a la main levee de toutes sortes, comme terrains, perspectives et vues
d* ensemble.
On aurait interet a me confier des affaires de justice elementaire, par exemple des arbitrages entre
joueurs de sabot ou des contestations de hoiries n'excedant pas deux a trois mille francs [...]. »
Ce pharmacien qui s'y connaissait en barbituriques se suicide le 1 7 mai 1957, non sans avoir pense a
deposer un bouquet de fleurs a ses pieds.
Funes, Louis de (1914-1983)
Le 31 juillet 1914, cela ne commencait pas tres bien pour notre petit Louis Germain David de Funes
de Galarza. Son pere, venu d'Espagne, avait enleve sa mere, la famille de celle-ci s'opposant a leur
union. Louis de Funes a raconte qu'elle iut en realite son premier professeur de comedie : « II arrivait a
ma mere de me courser autour de la table en criant : "Ye vais te toue P' Dans sa facon d^etre et d'agir,
elle possedait, sans le savoir„ le genie des planches. » II faisait parait-il une imitation desopilante de sa
maman espagnole.
Elle lui donna des Tage de cinq ans ses premieres lecons de piano qui l'aideront a survivre comrne
pianiste de jazz dans les bars pendant les annees de vaches maigres. II est paye « a la soucoupe », mais
grace a ses grimaces il accumule un petit pecule qui lui permettra plus tard de s'oflrir le cours Sirnon.
II etait d'abord entre, comme son frere, a TEcole professionnelle de la fourrure mais fut renvoye pour
chahut, renvoye aussi de TEcole technique de photographie et de cinema, cette fois pour incendie
volontaire. Renvoye enfin comme etalagiste, dessinateur industriel, aide-comptable, etc.
Bien avant les producteurs, ses employeurs avaient compris qu'il n' etait fait que pour la comedie. II
taudra attendre dix ans de carriere pour qu'il accede enfin aux premiers roles. Daniel Gelin et Sacha
Guitry turent les heureux parrains qui lui permirent de penetrer cet univers. Sa gestuelle etourdissante les
fascinait : « Quand on decrit une forme de bouteille avec ses dea\ mains, expliquait-il en joignant le geste
a la parole, la bouteille est la, on la voit. Elle flotte un instant dans Fespace, meme quand le geste est
termine. » Les situations explosives sont pour lui des alliees, tant il excelle dans ce role de Tatrabilaire,
grognements, bruits de bouche, gifles repetitives, grands gestes, mais son genie, c'est d'inearner Ies
salauds, ceux qui font des coups en douce, se prennent pour des chefs et ne sont en fait que des minables.
II est le roi du leche-bottes et du courtisan a courbettes.
Difficile de jouer a ses cotes, comme l'explique le comedien Dominique Zardi, qui Fa cotoye daas
une dizaine de films : « Louis de Funes etait deja tres perfectionniste a ses debuts, et c'est d'ailleurs pour
ca que beaucoup de gens Font considere comme un voleur de roles, car des qu'il apparaissait a Fecran,
c'etait fini, il emportait tout et on ne voyait que lui. Ce qui fail que Louis n'a jamais ete remplace, c'est
qu'il a passe le mur du son », confiait son vieux complice Gerard Oury.
Jardinier dans Tame, il se considerait comme ecologiste avant Fheure : « Dans ma vie
professionnelle comme dans mon jardia j'ai Fintention d'exclure les navets. » La nature etait selon lui
« la seule chose qui vaille la peine qu'on descende dans la rue... ».
De Funes, c'est l'inoubliable Jambier de La Traversee de Paris, apostrophe par Gabin : « Monsieur
Jambier, 45, rue Poliveau, pour moi ce sera 1 000 francs. Monsieur Jambier, 45, rue Poliveau,
maintenant, c'est 2 000 francs », etc., avec un Bourvil epoustouflant qui scelle dans ce film (1956) Fun
des plus grands trios du cinema francais. De Funes, c'est aussi le delire avecLe Comiuud (1964), La
Grande Vadroaille (1966) el Rabbi Jacob (1973) et la cultissime replique : « Salomon, vous etes
juif ? », dans la non rnoins cultissime DS noire qui termine dans lui lac.
On a dit que de Funes ne tenait aucun compte des desiderata de ses metteurs en scene et on ne peut
que s'en rejouir, car plus il improvise, plus il en rajoute.
II parait aussi qu'il ne se faisait jamais doubler, y compris dans les tres nombreuses cascades
epuisantes de Rabbi Jacob.
Ceci explique peut-etre cela. un premier infarctus en 1975 et un ultime malaise en 1983. Cent trente
films et une seule reconnaissance, le prix Courteline, maigre recompense pour ce genie comique,
heureusement plebiscite par le rire des foules, qui vaut toutes les medailles.
Genette, Gerard
Qui eut cru que le pape de la theorie litteraire, le celebre analyste de la poetique du langage, I'auteur
de la monumentale serie des cinq volumes critiques, Figures, dont il dit lui-meme « qu'elles ont bassine
des generations de potaches », puisse figurer dans un ouvrage d'humour ? Moi qui vous parle ou plutot
qui vous ecris, lorsque j'ai voulume plonger dans ses ceuvres pour essayer de ne pas mourir idiot, j'ai eu
beaucoup de mal, je dois le dire, face a ses theories sur la cornplexite de la creation litteraire. Mais, en
2006, je decouvre Bardadrac, premier titre d'une trilogie etonnante, suivi de Codicille en 2009 et
d'Apostille en 2011. Exit le maitre de f analyse structurale, bienvenue au disciple de Vialatte, Ponge,
Perec et du Flaubert du Dictionnaire des rdees recues.
Quelle mouche avail done pique ce (heoricien, qui decide un jour de livrer en desordre Bardadrac,
faisant allusion au fourre-tout d'un sac a main ? Des morceaux d'anthologie sur ('observation du
quotidien, du tout et du riea Un abecedaire enjoue ou Ton trouve un Genette plein d'humour qui regarde
son passe et son epoque avec tendresse et lucidite.
Pour lui, « ce livre n'a jamais ete fait, il a ete recolte ». Jolie formule pour celui qui ecrit que
« l'arrogance est un defaut exasperant qui consiste a mal supporter celle des autres », qui s'interroge sur
le sens enigmatique de : « On a beau dire »... et qui pretend qu'« une belle-sceur est bien utile pour
deverser de profondes observations sur Tespece humaine. surtout precedees de : "Je vois", comme dans :
"Je vois ma belle-sceur, elle deteste la compote de rhubarbe" », que « la girolle n'est pas un poisson,
e'est la girelle », que « le chevreau n'est pas le fils du chevreuil », qui denonce le machisme qui preside
a I'ordre dans lequel on designe les couples celebres : «: Adam et Eve, Orphee et Eurydice, Philemon et
Baucis, malgre quelques exceptions difficilement explicables : Heloi'se et Abelard ou Bonnie and
Clyde », qui constate que le veuf est toujours « inconsolable », alors que la veuve est toujours
« eploree », mais que le tolle est « general », la vegetation « luxuriante » et la vindicte « populaire ».
Tout en proposant une reflexion tres appropriee sur un mot qui me tient particulierement a cceur :
T« oxymore : contradiction, dit-on, dans les termes : docte ignorance., obscure clarte (Corneille),
oublieuse memoire (Supervielle), reveuse bourgeoisie (Drieu), musique militaire, justice militaire (pour
ne rien dire de la civile), union europeenne, autorite palestinienne, utopie realiste, realisme socialiste,
individualisme collectif (Tocqueville), democratie directe, carcan (ou camisole) liberal (Marie-George
Buffet), convergences paralleles (Aldo Moro), dictature relativiste (Joseph Ratzinger), banque populaire,
islamisme rnodere, tele realite, bonne surprise, mensonge avere, etc. ».
Et c"est ainsi que Genette est grand, surtout quand il confirme ce que j ' ai toujours pense tout bas, sans
oser le forrnuler : « Faire du roman r alpha et Fomega de la creation litteraire est un tic qui nous separe
de tout un immense patrimoine litteraire. »•
Voila pourquoi Genette, comme Vialatte, a toujours sa place sur ma table de nuit.
Gogol, Nicolas (1809-1852)
Avec un patronyme aussi badiix Nicolas Vassilievitch Gogol, ne en Ukraine le 20 mars 1809. devait
forcement etre un ecrivain leger et plein d'humour. En fait, il est avant tout reconnu comme Fun des plus
grands romanciers russes du xix* 1 siecle. Encourage par un pere petit auteur de comedies, Gogol etait
encore adolescent lorsqu'il fit ses premiers essais Iitteraires, dont une tragedie et une satire. Nous y
voila ; ce qui m'interesse chez lui, en dehors de ses celebres romans historiques dont le fameux Tarass
Boulba, c*est qiTil avait le genie de la satire. II excellait a decouvrir le cote ridicule des evenements et
des personnages les plus communs, deformant Ies situations et les physionomies. C'est ainsi qu*il
decouvrit la (riste realite de son epoque et de son pays ronge par la corruption et Tignorance : « \bici
comment je procedais, ecrivait-il : prenant un de mes propres defauts, je me rimaginais sous d'autres
aspects, sur un autre terrain, j'en faisais un ennemi inortel, me gaussais de lui et le persecutais par tous
les moyens [...]. Quand je lus mes ebauches a Pouchkine, il devint de plus en plus sombre - lui qui aimait
tant rire - et en fin de compte, il laissa echapper d'une voix desolee : "Seigneur que notre Russie est
triste !" »
Curieusement cet homme tourmente brula son oeuvre majeure Les Ames mortes, alors qu il traversait
une grave crise spirituelle.
J'ai eu la chance il y a quelque temps de decouvrir une excellente traduction du Nez § un chef-d'ceuvre
d'humour corrosif dans lequel il decrit avec un realisme stupefiant la vie de la petite-bourgeoisie russe.
Jugez-en plutot au premier paragraphe du recit : « A son immense stupefaction, il vit que Tendroit que
devait occuper son nez etait parfaitement lisse. » S'ensuit une liistoire abracadabrantesque oil il voit son
nez traverser la ville en carrosse, costume comme unhaut fonctionnaire de TEtat !
« Observateur fin jusqu'a la minutie, habile a surprendre le ridicule, hardi a Texposer, mais enclin a
l'outrer jusqu'a la bouffonnerie, monsieur Gogol est avant tout un satirique plein de verve. » Spasibha
pour lui !, cher Prosper Merimee, qui ecrivit ce bel hommage a cet homme qu'il venerait.
Pauvre Gogol, il meurt demuni le 21 fevrier 1852, hante par la peur de Penfer. Ses dernieres paroles
auraient ete : « Une echelle ! Vite, une echelle ! »
Goscinny Rene (1926-1977)
II est ne le 14 aout 1926 a Paris, originaire d'une famille dMmmigres juifs polonais, qui s'etaitetablie
a Paris en 1912, oil le grand-pere paternel tenait une inprimerie.
Ses parents partent pour Buenos Aires en 1928, oil son pere avait trouve un poste d'ingenieur
chimiste. Le petit Rene etudie au lycee frangais de Buenos Aires et commence a dessiner, inspire entre
autres par Zig et Puce. Tarzan et Les Pieds nickeles dont il recopie scrupuleusement les albums.
En 1946, il rejoint Tannee francaise. Son pere est mort subitement et il a besoin de changer d'air. II
va gagner ses galons de sergent, non pas en s'illustrant pour de brillants faits d'arme, mais en illustrant...
les menus de son regiment dont le chef n'est autre que le futur marechal de Lattre de Tassigny.
De retour a New York en 1948, il trouve un job dans la publicite et croise le fondateur du celebre
magazine MAD, Harvey ICurtzman. C'est le debut d'une serie de rencontres qui vont Paider a mettre le
pied dans le monde de la bande dessinee : Jige, et surtout Morris, Tauteur de Lucky Luke, avec qui il va
travailler aux Etats-Unis pendant quelques armees. On imagine bien que cette periode sera propice pour
favoriser sa decouverte de riumwur anglo-saxoa qui correspond tout a fait a sa facon de regarder « de
travers » les choses de la vie.
II rentre definitivement en Europe et, en 1954, il abandonne la planche a dessin pour sa fameuse
machine a ecrire qu'il ne quittera plus.
Avec Pierre Dae, il cree le MOU, Mouvement Ondulatoire Unifie. Avec Pierre Tchernia, il ecrit le
scenario du Viager et des Gaspards. II tiendra meme la rubrique « Savoir-vivre » de Bonne soiree, la
signant Liliane d'Orsay. II se fait toutefois virer le jour ou, a la question : « Oiiasseoir a table un eveque,
un P-DG, un general ou un academicien ? », il repond : « Le cul sur une chaise ! »
Entre un scenario d"Asterix t une nouvelle aventure de Lucky Luke, une histoire du Petit Nicolas et
une planche d' Iznogoud, Rene Goscinny trouve encore le temps de se livrer a Tun de ses exercices
preferes : faire rire ses amis. Les faire se gondoler auxdepens de leurs contemporains, les presomptueux
et les chochottes. L'humour meme de Goscinny et son penchant immodere pour les balourds s'expliquent
par sa noblesse de cceur. Pourquoi les pires cretins n'auraient-ils pas autant droit que les autres a la
tendresse ? : « Les imbeciles pullulent dans mon oeuvre. II faut dire que j'aime beaucoup les imbeciles,
enfia, je les aime dans la mesure ou je les invente, et ou, par consequent, je peux les controler. J'aime les
imbeciles parce qu"ils ont une force comique extraordinaire. J'aime leur candeur, leur tenacite, leur
infaillibilite dans rerreur, la lueur de fausse intelligence dans leurs yeux, et leur sourire satisfait alors
que tout s'ecroule par leur faute autour et sur eux » II vole aux eleves ce qu'ils ont de plus flagrant. Un
tic, un trait, un travers :
— « Agnan le premier de la classe et le chouchou de la maitresse. 11 a des lunettes et on ne peut pas
taper sur lui aussi souvent qu'on le voudrait »
— « Geoffroy qui a un papa tres riche qui lui achete tous les jouets qu'il souhaite. »
— « Alceste qui est tres gros et qui mange tout le temps. »
— « Rufus dont le papa est agent de police. »
Sa faculte d'invention est liee a la simplicite d'une situation :
« Alors que je n'ai jamais ete gaulois, ni cow-boy, j'ai ete enfant, l'odeur du petit pain au chocolat a
la sortie de l'ecole, rarnbiance d'une recreation, le chahut dans le preaiu je m'en souviens. »
« L* humour ne se fait jamais sur la gentillesse, rnais la colere ou 1'aigreur perpetuelles sont aussi
ennuyeuses que le gnangnan. Je ne suis pas un agressif, je ne denonce rien. Mais j 'aime bien parodier les
choses, voir les choses telles qu'elles se passent, avec le petit decalage qui les rend droles. L'humoriste
n'est pas la pour faire des cadeaux au lecteur, mais aimer ce qui vous fait rire est le seul moyen de faire
rire», explique-t-il.
Goscinny aime raconter des histoires et observer les attitudes de nos prochains, sans modifier la
realite, juste en soignant les details. Dans les annees 1960, il participe a la creation de Pilate, A partir de
ce journal, il invente la bande dessinee telle que nous la lisons toujours aujourd'hui, passee du statut de
l'enfermee a celui d'art respectable. « C'est a cette epoque que les adultes ont commence a acheter eux-
memes des albums et a avouer qu'ils les lisaient sans besoin de les cacher derriere les cours de la
Bourse. »... Goscinny conprend qu'un tel hebdomadaire peut fonctionner comme un laboratoire oil se
cotoient narrations classiques et planches debridees. A la tete de la redaction du journal avec Charlier,
Goscinny imposera des choix intrepides, revelant ainsi de nombreax jeunes talents comme Fred, Reiser,
Cabu, Gotlib, Tardi, Bretecher, F'Murr, Bilal, etc.
A sa conscience professionnelle s'ajoutent les vagues d'une anxiete pennanente. Une angoisse
insupportable. Stresse, nerveux, colerique, il est persuade que la terre entiere le deteste. Que toutes ses
histoires en cours vont s'arreter la et redoute que le scenario du Grand Vizir, qui souhaite devenir calife
a la place du calife, ne tombe en panne.
En 1971, avec Uderzo et Georges Dargaud, il cree les Studios Idefix qui donnent naissance a un
premier long rnetrage, Les Douze Travaux d'Asterlx. Les albums sont traduits dans vingt-huit pays, sans
compter Tesperanto qui n'est pas un pays, mais une langue... « Je me suis toujours inspire des pages
roses du Petit Larousse pour faire parler mes Romains. II m'est arrive de recevoir des lettres de
latinistes distingues qui me signalaient une incorrection dans telle phrase, et je les renvoyais a la page
lant du Petit Larousse. Moi, je ne peux pas faire d'erreurs, je n'ai jamais fait de latin. »
Sur sa vieille machine a ecrire, il multiplie les scenarios. Quand Tinspiration est en panne, il crie a
son entourage : « Je vais me tuer. Je n'ai plus d'idees. II faut done que je me tue. » La crise passe et un
mauvais calembour le ravigote. II invente ainsi un personnage qu'il baptise « Bete pour la vie »,
cantonnier de son etat. Ce qui donne : « Cantonnier Bete e'est pour la vie »... Une telle trouvaille vaut
bien dix seances de psychanalyse. ..
Goscinny meurt d'un arret cardiaque le 5 novembre 1977, a Page de cinquante et un ans, au cours
d'une epreuve d'effort de routine dans une clinique de la rue de Chazelles, a Paris. Un comble pour un
dilettante qui rechignait a toute depense physique.
Pour Patrice Delbourg : « II etait devenu a la bande dessinee ce que la tour Eiffel est a Paris, ce que
Balzac est au roman francais, en un mot ce qu'Obelix est a tous les porteurs de surcharge ponderale. Par
le biais de scenarii plein d'humour et de drolerie, il a veritablement ouvert Punivers des petits Mickey
aux grandes personnes et donne ses lettres de noblesse a un art souvent vilipende, voire meprise. »
Guitry, Sacha (1885-1957)
Le roi du « mot d'auteur », « rempereur de r esprit francais ». que n'a-t-on pu lire et entendre sur
Sacha, de son vrai nom Alexandre Georges-Pierre Guitry, ne en fevrier 1 885 a Saint- Petersbourg !
Auteur de plus d'une centaine de pieces de theatre et interprete de la quasi -totalite de ses trente-trois
films, il etait a la fois comedien, dramaturge, metteur en scene, realisateur et exceptionnel homrne
d'esprit.
Un homme qui, bien que marie cinq fois, sans compter ses liaisons avec des artistes dont Arletty,
Simone Paris, Yvette Lebon,sedisaitmisogyne, merite que Fonessaied'ensavoir unpeu plus sur lui.
Tout avait commence a Saint-Petersbourg ou jouait son pere Lucien Guitry, Pun des grands acteurs dc
son temps, marie a Pactrice Rence Del mas dite de Pent-Jest, qui deviendra la mere de Sacha et de son
frere Jean,
Le jeune Sacha n'aime pas les etudes, mais, fascine par les personnalites du tout- Paris artistique qu'il
croise dans les salons de son pere separe de sa mere, il publie des 1903 Des connus et des inco/inus,
dans lequel il croque avec talent des gens comme Leon Blum, Jules Renard ou Tristan Bernard. Au meme
moment, il ecrit une piece et commence a jouer des petits roles que Iui propose son pere. Un soir, en
retard, il rate son entree en scene. Lucien, furieux, le met a r amende, mais Sacha n'accepte pas la
punition et ils resteront brouilles treize ans durant.
Avec Charlotte Lyses, sa premiere femme, il cree Nona, puis if Veilleur de Jiuit, qui le font
connaitre du grand public. Excellent dessinateur et caricaturiste, il est sollicite pour concevoir ce que
Ton appelait a l'epoque des « reclames ». En admiration devant Claude Monet, II reve d^ecrire un livre
sur sa vie, qu s il considere « exemplaire ».
En 1 915, il rencontre Yvonne Printemps, qu'il veut faire jouer avec sa femme Charlotte qui refuse. La
rupture devient inevitable, mais pour Sacha c'estle temps du bonheur avec celle qui Hit sans doute leplus
grand amour de sa vie.
En 1918, il incarne Deburau, le celebre mime du xix* siecle ; succes triomphal et reconciliation avec
Luciea A cinquante ans, apres avoir commis plusieurs pieces, parmi lesquellesZw Jalousie ou Un soir
quand on est sent, il rencontre la belle Jacqueline Delubac : « J'ai cinquante ans, elle vingt-cinq...
Pourquoi n*en ferais-je pas ma moitie ? » Aussitot dit, aussitot fait, le 21 fevrier 1935, a la mairie du
VD e arrondissement de Paris.
Avec Jacqueline, c'est une nouvelle ere qui commence, celle du cinema. II tourne coup sur coup deux
films qui vonl transformer sa vie : Bonne Chance et Pasteur. Et en plus, ce sont de vrais films parlants.
Suivra Le Roman d'un trichew, oil Guitry introduit la voix off sax cinema. C'est une grande premiere.
En 1938, il seduit une jeime aristocrate, qu'il epousera, pour la premiere fois, a l'eglise : Genevieve
de Sereville, et en 1 939. il fait exploser de rire les salles de cinema avec lis etaient neuf celibataires.
En 1944, on lui reprochera d'avoir fait jouer des pieces et d'avoir realise des films pendant
TOccupation. Apres six semaines d'emprisonnement, deux juges delivrent successivement un non-lieu :
« Puisque j'ai beneficie de deux non-lieux, c^est probablement qu'il n'y avait pas lieu ! », s'exclame-t-il,
nonsans. ajouter : « La Liberation... J'enai ete le premier... prevent! »
Au printemps 1945, il fait la connaissance de celle qui deviendra sa cinquieme epouse, Lana
Marconi : « Les autres furent mes epouses, vous serez ma veuve. » Ce qui tut le cas. En 1953, c'est le
succes deS/ Versailles m'etuit conte, avec une belle distribution, et en 1955 il persiste dans la veine
historique avec Si Paris m 'etait conte et Napoleon. Un triomphe servi par des grands comediens : Gabin,
Gelia Pellegrin, Michele Morgan et Dany Robin...
Sa voix si particuliere s'est tue depuis bientdt soixante ans, mais il demeure Tun des plus grands
comediens et homines de theatre duxx c siecle, que l'ecrivain Henri Duvernois evoquait ainsi : « On se
rendra coinpte plus tard de l'enorme influence qu'exerce Saclia Guitry sur le theatre contemporaia IL a
substitue a un esprit agreable, mais artificiel, qui etait Tesprit de theatre, un esprit direct et humairL [...]
Cest surtout grace a lui que les lieux communs sentirnentaux ou drolatiques nous sont devenus
insupportables. Nous serions condamnes a ce xvui e siecle de tapissiers et a tous les retapages plus ou
moins ingenieux de Marivaux ou de Crebilloru sans le coup de poing triomphant dont Sacha Guitry a
creve les vieilles toiles. »
Reste Phomme a femmes. .. qui selon Francis Huster n' etait pas du tout misogyne : « C'est n"importe
quoi. Dans ses pieces, c'est 1'homme qui trompe, pas la femme. II etait fou des femmes. Elles n'ont
malheureusement jamais ete folles de lui. Peut-etre parce qu'il n'a jamais su les entendre, meme s'il
savait leur parler. » Mais personne ne pourra contester qu'il etait celui qui en parlait avec le plus
d'esprit :
— « Les hommes qui disent que les femmes sont frigides sont de mauvaises langues. »
— « Ce qui fait rester les femmes, c'est la peur qu'on soit tout de suite console de leur depart. »
— « Le pire, quand on est trompe par une femme, c'est que quelqu'un sait a present de quoi on se
contentait. »
— « Les honnetes femmes sont inconsolables des fautes qu' elles n'ont pas corrnnises. »
— «I1 ya des femmes dont l'infidelite est leseul lien qui les attache encore a leurmari. »
— « II faut s'amuser a mentir aux femmes. On a rimpression qu'on se rembourse. »
— « Quand on ditd "une femme qu'elleestassezjolie, c'est qu'elle ne Test justement pas assez. »
— « Toutes les femmes sont comediennes, a I'exception de quelques actrices. »
— « Je suis contre les femmes, tout contre. »
— « Dieu a cree la femme en dernier ; on sent la fatigue. . . »
Depuis juillet 1957, Sacha Guitry repose au cimetiere de Montmartre, aux cotes de son pere, de son
frere Jean et de Lana Marconi, decedee en 1990.
Humorisfi's associes
Qu'entends-je par la ? J'entends d'abord le doux murmure de ceux qui nfaccompagnent depuis
longtemps dans mon parcours d'editeur, de defricheur et, j'espere, de porte-etendard de la juste cause
humoristique. II y a ceux a qui je dois tout, d'autres a qui je dois beaucoup, mais tous ceux dont
j'aimerais vous entretenir sont devenus des amis et parfois plus, au gre de vraies affinites. J'entends aussi
par « Humoristes associes » evoquer ceux nx>ins intirnes que j'ai eu Fopportunite de croiser depuis que
je fais profession de representant en farces et attrapes drolatiques.
Tout a commence cornme je Fai explique plus haut, en evoquant mon ami Jean-Louis Fournier,
lorsque j'ai, en 1985, eu 1'idee de commettre SA-y My Husband ! Ce succes inespere a ete le
declenchement d'un nouveau parcours inattendu. J'etais a Fepoque ce qu'il convenait d'appeler un jeune
cadre dynamique., apprecie de ses chefs, rentable, et toujours pret a servir la cause d'un grand groupe
d'edition qui m'avait designe pour precher la bonne parole a travers le monde. Aureole du succes de Sky,
je pris alors le risque insense d'interrompre cette belle carriere. Bien que je ne 1'aie jamais regrette
depuis, ce fiit un nouveau parcours certes, mais du combattant. jalonne de vaches maigres dont le peu de
lait ne m'autorisait que bien peu de beurre a mettre dans mes epinards.
Un jour, Pierre Bouteiller m'appela tel le general de Gaulle, non pas de Londres, mais de la Maison
de la Radio, pour me proposer de chroniquer dans son emission du matin « Quoi quil en soit » sur
France Inter. Son fameux « Bonjour ! » faisait frissonner non seulement les menageres de moins de
cinquante ans, mais aussi les autres. J'avais commence a publier d'autres petits livres d'humour, dont une
memorable Theiere de Chaniin et Pierre, qui les trouvait a son gout, souhaitait que je fasse un billet
d'hurneur dans son emission. Une experience aussi exceptionnelle que terrorisante, car je devais
apprendre a maitriser Tangoisse du direct II me fit confiance, tout en ne me laissant rien passer pendant
Fannee ou dura notre complicite. Je pris de Fassurance et j'eus la chance Fannee suivante d'etre sollicite
par Stephane Bern pour venir faire le fou... du roi, toujours sur France Inter. Un moment crucial dans ce
parcours, car non seulement je devins un drogue de la radio, mais encore, j'eus Fopportunite deux ans
durant autour du micro de Bern de rencontrer quelques-uns de ceux qui accepteront d'etre publies dans la
maison d'edition que je venais de creer et dont la profession de foi se resumait en trois mots « La farce
tranquille ». Avant de revenir sur ces nouveaux compagnons de route, je me dois d* evoquer avec
tendresse ma troisieme bonne etoile qui brillait elle aussi dans le firmament de France Inter, Albert
Algoud Comme Pierre Bouteiller, Albert appreciait mes livres et avait pris la bonne habitude de
nfinviter regulierement dans son magazine culturel de Fapres-midi, « La partie continue ». Nous nous
revimes regulierement apres son eviction inconsideree, qui lui valut d'ailleurs des excuses et un retour en
grace et en ondes quelques annees plus tard. Albert, ne en 1950, a d'abord ete professeur de francais en
Haute-Savoie, puis s'exer9a au micro dans diverses radios libres, avant de se faire connaitre et apprecier
du grand public, en participant a I'ecriture des textes d'Antoine de Caunes dans « Nulle part ailleurs » sur
Canal +. Comedien et imitateur hors pair, Albert ne se contente pas d'ecrire. II joue aussi les personnages
grotesques qu'il invente, que ce soit le pere Albert, un pretre lubrique, ou Ie marechal Ganache,
pensionnaire a l'hospice des Vieux Glands, petainiste de la premiere heure. Un clin d'ceil a la fois tendre
et reprobateur a feu son pere maurrassien et catholique traditionaliste. Albert Algoud est un homme-
orchestre, un Fin litteraire, dote d'un humour decapant. Depuis 2010, il est coauteur avec son complice
Pascal Fioretto des textes de la chronique quotidienne de Laurent Gerra sur RTL, lequel lui laisse parfois
la parole pour imiter le president chinois Hu Jintao telephonant a Francois Nollande. A ne manquer sous
aucun pretexte.
Puisqu'il est question de pretexte, en voila un bon pour saluer Laurent Gerra. Un grand comique et
un vrai gentil qui ne se contente pas d'etre de bonne hurneur sur les ondes. II airne la vie, les gens, son
terroir, en roccurrence sa Bresse natale, et de plus il est fidele en amine, j'en sais quelque chose. Gerra
est a mon avis Tun de nos meilleurs, si ce n'est le meilleur imitateur de sa generation, et s'il me fallait
choisir parmi ses sketches, j'opterais pour son trio Eddy Mitchell - Bertrand Tavernier — Jean-Luc
Godard dans une parodie desopilante de « La Derniere Seance », qui montre sa technique remarquable
pour jongler simultanement avec ces trois voix si differentes, et ce n'est pas son inimitable, c'est le cas
de le dire, Karl Lagerfeld qui viendra nous prouver le contraire.
J'en reviens a Albert, qui comme cliacun sait est aussi le tintinophile le plus competent de
l'Hexagone. Son dictionnaire des jurons du capitaine Haddock est un classique. Moins connue, mais tout
aussi joyeuse, je ne peuxque recommander la biographie nonautorisee de La Cas/afiore, que j'ai publiee
en 2006 et qui a scelle le debut de notre fructueuse collaboration. Dans ce pamphlet tres bien documente,
Albert, qui a toujours percu chez la Castafiore une troublante ambiguite, confirme ses doutes prepuberes,
a savoir que la diva, alias Le Rossignol milanais, serait le dernier castrat de l'histoire de la musique. Les
historiens jugeront, mais pour moi, la cause est entendue. C'est un scoop !
Qui dit Tintin dit bande dessinee, et c'est ainsi que notre ami Algoud s'est retrouve redacteur en chef
du magazine Fluide glacial de 2003 a 2005. Je ne connais pas grand-chose a la bande dessinee, mais
grace a Albert j'ai appris a decouvrir ce mensuel de BD tres prise par les inities, ou rontrouve aussi des
articles culturels, des nouvelles et des recits farfelus, sans oublier des hors-series dont certains meritent
d'etre conserves religieusement comme collectors. Parmi les fbndateurs de ce magazine en 1975, il faut
saluer le celebre Gotlib et les membres de l'equipe Goossens, Claire Bretecher, Bruno Leandri, Pascal
Fioretto. Vincent Haudiquet. Ces trois derniers etant devenus, sur les conseils d'Albert, des auteurs
incontournables de Chiflet et Cie, ma modeste cellule editoriale. Fluide glacial ne serait pas ce qu'il est
sans la participation d'un homme pour lequel j'ai aussi du respect et de l'admiratioa Yves Frcrnion, ne
comme votre serviteur dans la bonne ville de Lyon, mais lui, en 1947. Fremion, alias Bethsabee
Mouchot, Noel Hobalcon ou Paco Tison, est une encyclopedic a lui tout seul. Non content d'etre membre
du parti Les Verts (i.l a ete depute europeen de 1989 a 1994), c'est un brillant editeur qui a dirige des
anthologies monumentales et un humoriste « licencie es calembours », membre du jury de la Carpette
anglaise, qui parodie les prix litteraires et le fondateur de FOupolpot (Ouvroir de politique potentielle).
C*est aussi un poete. un ecrivain de science-fiction, de polars, de romans, Ploum-Ploum Tralala { 1 975),
La Revanche de Zarathoitstra (1977), et de pamphlets dejantes, Les marts sont lous des cons ! ( 1 986).
C'est enfin un chanteur surprenant dans le groupe Los Gonococcos. \bus l'avez compris, rhomme est
brillant, et je voudrais le remercier de m'avoir permis, grace a sa rubrique de Fluide glacial « far ta
lacrenfa la recrern », dans laquelle il passe en revue les ceuvres et les biographies de nos meilleurs
humoristes, de trouver une foisonnante documentation
Si j*ai pu developper une ligne editoriale satisfaisante, c'est en partie parce que Algoud nva suggere
de puiser dans le vivier de Fluide. Une peche niiraculeuse, avec dans mes filets quelques poissons qui
auraient fait palir d'envie Jesus et ses disciples au bord du lac de Tiberiade. Pascal Fioretto, l'auteur
vedette de Chiflet et Cie, grace a qui nous nous sornmes retrouves en haut de la liste des best-sellers, est
un garcon delicieux, aussi angoisse que modeste, aussi discret que tourrnente. II est ne en 1962, c'est un
ancien ingenieur chimistc qui a decide un jour de laisser tomber eprouvettes et alambics pour se risquer a
recriture. Un pari tres vite gagne d'abord au sein du « Gang des pastiches » (le groupe Jalons) oil il
endosse le pseudonyme de Dr Sam Bloch. II s'essaie ensuite au pastiche en solitaire ou il se revele
aussitot cornme le maitre absolu de cet exercice de style difficile, jamais egale depuis Reboux et Muller
et Patrick Rambaud. Lors de notre premiere rencontre, je lui suggere tout de go de pasticher le best-seller
du moment. Da Vinci Code, qu'il n'avait jamais lu, moi non plus. II releve courageusernent le defi et rne
propose de transposer ce recit, pourquoi pas, dans le gay Paris sous le titre evocateur de Gay Vinci
Code. Persuade que fouvrage ne depasserait pas les limites des quartiers gays du Marais parisien, je lui
donne quand meme mon accord pour le tester. Les chiffres de vente viendront depasser mes previsions
les plas optimistes. Une reussite totale qui s'explique par un livre d'une gaiete folle, si je peux. oser ce
jeu de mots ambigu, mais aussi plein de finesse et de retenue. Pascal Fioretto, qui avancait avec un tel
sujet en terrain mine, gagne avec ce livre ses galons de veritable ecrivain et pour mon plus grand bonheur
ceux de « generalissime v> des editions Chiflet, puisquMl ne cessera depuis d'enchainer les succes. Qu'on
en juge par exemple avec un autre de ses pastiches devenu un classique, puisque publie aussi en edition
scolaire, mais oui. oil il assassine la rentree litteraire avec Et sic'etait mais ? (2007), dont je vous livre
la quatrieme page de couverture : « Printen^s 2007. Alors que la rentree litteraire approche, Christine
Anxiot n'a toujours pas remis son manuscrit annuel. Son editeur declenche une enquete sur Tinexplicable
disparition, mais les enlevements d'ecrivains continuent. Dans les milieux feutres de Tedition s'engage
alors une impitoyable chasse a rhomme de Iettres.. .
Pour realiser ce polar plein de rebondissements, les plus grands noms de la litterature fran9aise se
sont passe la plume en redigeant chacun un chapitre :
Denis-Henri Levy, Barbes Vertigo / Christine Anxiot, Pourquoi moi ? I Fred Wargas, Tais-toi si tu
veux parler / Marc Levis, Et si c'etait niais ? / Melanie Notlong, Hygiene du tube (et tout le tremblement)
/ Pascal Servan, lis ont touche a mes glaieuls (Journal, tome XXII) / Bernard Werbreux. Des fourmis et
des anges / Jean d'Ormissemon (de la Francaise Academie), C'etait rudement bathV Jean-Christophe
Range, Les 1 i mbe s pourpres du concile des Ioups / Frederic Beisbeger, 64 % (Soixante-quatre pour cent)
/ Anna Galvauda, Quelqu'un m'attend. c'est tout »
Dans cette peche, un autre produit pur Fluide glacial, Bruno Leandri. Ce jeune sexagenaire, pilier
du magazine depuis le nurnero 5 en 1 976, est lui aussi une encyclopedic vivante, avec une nuance de
taille, puisque les cinq tomes de sa Grande Encyclopedic du derisoire sont une compilation loufoque
mais eclairee de chroniques resultant d'enquetes tres serieuses sur les petits mysteres et anecdotes de
Fexistence. Un bijou adapte par Arte, avec Bernard Haller, ou les textes sont traites sous Tangle de
1' humour. Leandri a commence sa carriere comme animateur au Club Mediterranee, avant d'offrir une
nouvelle par mois pendant trente ans kFluide glacial. Bruno est un encyclopediste distingue et pas
seulement du derisoire. C'est un puits de culture. Auteur de romans, de nouvelles, de feuilletons, et
probablement celui qui a renouvele le concept du roman-photo en le sortant de ses eternelles histoires
sentirnentales pour en faire un outil humoristique. On dit de lui que son humour, entre absurde et logique,
plaisanteries et tragique, peut se comparer aisement avec les grands du theatre de 1* absurde des
annees 1950. Sous le petit bonhomme bourru a 1'ceil rieur et aux grandes moustaches gauloises, il y a
aussi cet auteur delicat, capable d'ecrire un livre bouleversant sur son pere. Encyclopedic de mon pere
(2010).
Vincent Haudiquet est la troisieme perle cueillie en milieu (Fluids) glacial. Encore un energumene
follernent sympathique. Imaginez un grand dadais au crane aussi lisse qu'une boule de billard. Statisticien
et rnathematicien, il est P auteur d'aphorismes que j'ai publies en 2007 avec jubilation, sous le titre
prometteur Mon boomerang s'appelle revient. Vincent, inspire par sa logique tout euclidienne, nous
laisse entendre que :
— « Les chanteurs arabes chantent de droite a gauche. »
— « Les marmottes qui pissent au lit passent un sale hiver. »
— « L'hornme est parfois triste apres r amour sauf si c'est gratuit. »
— « Les girafes sujettes au vertige vomissent plusieurs fbis par jour. »
— « La statue de la Liberte n'a pas de culotte. »
C'est en 2009 que Vincent atteindra la quintessence de son art, en coecrivant avec Fioretto et Leandri
un atlas non autorise. La France vue du sol. Un vrai faux-guide de FHexagone richement illustre avec ses
cent departements, ses vingt-six regions, ses spectacles et ses caracteristiques locales.
Dans la carte du Calvados par exemple, on trouvera un authentique trou normand a decouper, on
apprendra aussi que si la Sainte Vierge est bien apparue a Lisieux, des andouilles sont aussi apparues a
Vire et Brad Pitt a Deauville, ou Ton peut d'ailleurs se procurer un stock de planches de rechange. J'en
passe, pour ne pas dormer Fimpressionde favoriser mes prouesses editoriaies.
Si je dois beaucoup a Fluide glacial, je dois autant aux « Fous du roi », qui ont enrichi mon catalogue
avec de belles pointures comme le celebre Bruno Masure, qui a pendant plus de dix ans squatte nos
salons a travers la petite lucarne. Drole de garcon que ce Nono, pour les intimes. amoureux des chats et
obsede par 1'injustice et Pinegalite. En perpetuelle rebellion contre les usurpateurs et les explolteurs de
tout poil. Toujours en train de defendre une bonne cause contre vents et marees, sans se departir pour
autant de son humour caustique, dont il use et abuse, pour tirer parfois a boulets rouges sur ses ex-
confreres, quand il estiine a tort ou a raison qu'ils ont depasse la ligne rouge. D n'est pas tendre avec les
autres, pourtant il est difficile de ne pas etre louche par ce gros nounours droit dans ses fameuses
pantoufles, qui revera jusqu'aubout de changer le monde. On connait ses jeux de mots approximatifs, ses
poemes, ses a-peu-pres et ses calembours « bour et bour et ratatam ». La France profonde, qui l'a
longtemps plebiscite comme son presentateur prefere, en redernande. Preuve etablie dans les Salons du
livre oil ses ouvrages bien ecrits font des scores plus qu'honorables, Enquete sur mon assassinai (2006)
et Le Journal d 'une curie de campagne (20 1 1 ), entre autres .
Encore une rencontre autour du micro de Stephane Bern. Vincent Roca. Ne en 1950, ancien
professeur de mathematiques, il devient au gre de ses nombreux spectacles, souvent mis en scene par son
complice Francois Rollin, le Monsieur Loyal des mots. 11 jongle, funambule, voltige, trampoline, trapeze
et prestidige. II ne fait pas son cirque, il Tliabite avec ses Papiers bavards, ses Mots et usages de mots,
son Texte-appeal (finance textuel a la sauce aigre-douce)^ son Moderate Cantabudule (Piece montee
pour mailre queue, tovrefacteur de piano flambe et accordeon chromatique ) et son Allegro ma non
troupeau (Feuillete maison servi sur un lit d'ecriture renversi). Dans le spectacle qu'il presentait en
2012, Vite, hen ne press e /, il nous proposail dans un sketch delirant sur Fhopital une emouvante priere
des malades, a lire entre un « aperitif-cancer » et une « miction-impossible » :
« Notre kine qui etes osseux.
Que nos articulations soient certifiees.
Que notre squelette tienne.
Que nos os emboites soient fermes
Sur la terre comrne ossuaire.
Donnez-nous aujourd'hui nos massages quotidiens,
Pardonnez-nous nos souffrances
Coinme nous pardonnons aussi a ceux
qui nous ont chiropractes,
Ne nous laissezpas succomber a la decalcification
Mais delivrez-nous du mal de dos,
Maintenant et Alzheimer de notre mort.
Abdomen ! »
Jean-Jacques Vanier, lui, est d'abord un homme de theatre, mais comrne Vincent Roca, il flirte avec
le monde du cirque. Plus funambule et clown que prestidigitateur, il ne joue pas avec les mots, il
« introspecte », il observe, il flotte entre rimaginaire et le rationnel. II nous deroute entre un humour fin
et decale et de la pure poesie. II sait mieux que personne nous inoculer ses angoisses philosophiques et
les transformer comrne par magie en fous rires irrepressibles. Jean-Jacques et quelques autres
meriteraient d'etre mieux consideres et soutenus par les medias. Vanier. Roca et Herve Le Tellier, dont il
est question plus loia sont des maitres de cet humour benefique qui nous rend tellement plus intelligents.
On sort de leurs spectacles revigores en remerciant le ciel de nous avoir permis de partager dans la
bonne humeur nos questionnements, nos fantasmes, nos faiblesses et nos echecs. Ces gens-Ia„ comrne
disait Brel, remplissent les theatres, mais ce sont helas des theatres de poche, alors qu'ils devraient
bourrer des zeniths squattes trop souvent par des icones vulgaires dont je ne vous donnerai pas les noms
par pure charite chretienne.
Pauvre France ! Ton humour font le camp. Heureusement, grace a ces gens-la, je ne desespere pas
d'arriver un jour a convaincre les pouvoirs publics de considerer enfin rhumour absurde et decale
comrne une grande cause rationale ou, mieux, de le faire inscrire aupatrimoine mondial de l'Unesco.
Cette digression ne doit pas nous faire oublier Jean-Jacques et ses spectacles : Apart ca la vie est
belle* Elles et son must, L 'Envoi du pingouin, coecrit avec Francois Rollin II nous emmene dans un
monde qui ne ressemble qu'a lui. Un univers unique, tendre et devastateur. Ce n'est pas racontable, rneme
si je 1'ai vu cinq fois. Mais, si vous aimez les gateaux, les seins des filles, les cochons d'Inde, le general
de Gaulle et rceuf a la coque, vous ne serez pas decus.
D'autres « Fous du roi », et non des moindres, sont devenus des amis fideles. Je pense a Patrice
Carmouze, licencie en Iettres, docteur en droit et longtemps redacteur en chef au Quotidien de Paris
dans les annees 1980. Pour ceux qui penseraient a tort que ce camarade chaleureux et cultive ne serait
qu'un faire-valoir naif dans les emissions de son ami Christophe Dechavanne, je precise qu'au contraire
Patrice, daas sa colossale finesse, assume ce role de composition. A tel point qu'il a accepte en 2010
d'ecrire pour moi un livre amusant et tres documente sur rhistoire des grands ratages. Des anecdotes
croustill antes et etonnantes rassemblees sous un titre federateur, Le Grand Carrnouzier.
On ne change pas une equipe qui gagne, et je pense a Camille Saferis. En voila un aussi qui n'a pas
la place qu^il merite. Ce veritable humoriste, qu'aucun registre ne rebute, a deja tout fait, et il est capable
d'en faire encore plus. Celui qui se presentait dans les annees 1990 « comrne deconneur professionnel a
TORTF » etait present dans plusieurs emissions. A cote des sketches vraiment droles qu il realisait lui-
meme en jouant tous les personnages, ce grand agitateur du PAF, de « Nulle part ailleurs » a Drucker, en
passant par Christine Bravo, a ecrit des pieces de theatre, une vingtaine de scenarios pour Ie cinema et
autant de livres, dontLc Manuel des premieres fois , Ferine ta boite a camemhert /, Les Meilleures
Blagues du Dalai-Lama etLes Meilleures Blagues de Francois Hollande. On Ie voit, Camille n'a peur
de rien. II a toujours beaucoup de projets en magasin, rnais comrne il est encore jeune, il est ne en 1964, il
a la vie devant Iui, et il n'a pas fini de nous etonner.
Autour de la table de Stephane Bern, il y avait un autre garcon de grand talent, Francois Reynacrt.
Ceux qui ne Font pas ecoute a cette epoque connaissent sans doute ses romans a succes, parrni lesquels,
et le plus touchant, Rappelle-toi (2008). ou il evoque avec tendresse les premiers emois homosexuels du
heros.
Cela dit, Francois est d^abord rhornme des papiers hebdomadaires du Nouvel Obser\>ateur. Un
festival de jeux de mots qui rne ravissent chaque fois, que ce soit au sujet de la reforme fiscale « Idees
fisc », d'une exposition culinaire chinoise « Epate imperial », « Saint Siege perce » au sujet des flutes du
\foticaa ou encore « Presidentielle : bienvenue chez les p'tits ». \bila pour les titres de ses chroniques.
Le reste a Tavenant, je sais que ce grand angoisse vit chaque semaine dans les affres de la creation. Qu'il
se rassure, le resultat est toujours a la hauteur.
Et Guy Carlier, me direz-vous ? J'y viens, car il etait, vous Ie savez, la et bien la, a cette epoque du
studio 104 de la Maison de la Radio. 11 etait difficile de rater sa silhouette imposante et ses papiers
d'humeur de tres haute volee. Depuis r epoque ou je l'avais decouvert sur Europe 1, lorsqu'il avait
imagine ce professeur de mathematiques reactionnaire, M. Zermati, j'ai toujours ete un inconditionnel de
Guy. Tout le rnonde connait sa brillante carriere et ce n'est pas parce que nous sommes amis que je
m'empecherai de vanter les qualites de coeur de cet ecorche vif, d'une sensibilite maladive. II est
cependant capable du pire. lorsqu'il fusille severement Evelyne Thomas, Carole Rousseau, BHL,
Elizabeth Teissier ou Sophia Aram, et du meilleur quand il parle de sa bonne ville d'Argenteuil, de sa
passion pour le foot et pour Frederic Dard, le pere qu'il aurait voulu avoir et dont il a epouse la fille, la
charmante Josephine, en 2006.
Pour mieux comprendre ce bonhomme. immense dans tous les sens du terme, il suffit d'aller voir son
spectacle Id et maintenant. En 2011, il a en effet ose se montrer sur scene et aller a la rencontre du
public. II expliquaitpourquoi :
« La vie, pour se faire pardonner de m* avoir vole ma silhouette de jeune homme, a exauce jusqu'ici
presque tous mes reves de gosse. J'ai retrouve mes idoles, Johnny pour qui j'ai ecrit une chanson, et j*ai
epouse la fille de Frederic Dard que je n'ai pas eu le temps de connaitre. J'ai fait de la radio, et sur de
grandes antennes ; j^ai ecrit des livres, j'ai faitde la televisioa je m'ysuismemeunpeu perdu...
II me reste un dernier reve que Frangois Rollin- encore une idole — m'a aide a realiser. Monter sur
une scene, aller a la rencontre d'un public de chair et d'os pour y faire le con comme je le faisais devant
1'armoire a glace de ma charnbre d"enfant. Sauf qu'entre-temps, il y a eu ma vie et il y a eu vos vies.
Alors, je vais vous parler de tout ca, on va en rire, en pleurer, echanger, partager, en un mot s'aimer, ici
et maintenant.
Et puisque la vie exauce ce dernier reve, je lui pardonne de m' avoir vole ma silhouette de jeune
homme... »
Tout est dit, ou presque.
Christophe Aleveque aussi officiait a la sainte table. II m"a sollicite pour que je devienne son
editeur. Sa notoriete meritee, encouragee par Laurent Ruquier dans « Rien a cirer » et dans « On a tout
essaye » sur France 2, nous a permis de realiser de bons scores avec les difFerentes editions de son Petit
Aleveque illus/rcK malgre un marche en regression, comme dirait mon libraire.
Christophe, on Ie sait, est un frondeur qui pratique le cynisme et Tironie pour defendre bee et ongles
son engagement a gauche, en epinglant les inegalites sociales et Nicolas Sarkozy, sa cible preferee.
Dans une rrrise en scene geniale, des 2007, il convoquait chaque annee devant Ie Fouquet's a Paris le
bon peuple de gauche pour celebrer avec lui Fanniversaire de r election du President, en chantant « Mille
Colombes » de Mireille Mathieu. Une chanson qu'il a rebaptisee depuis « Hymne de la droite
decornplexee ». Chrislophe afFectionne particulierernent les personnages de Zorro et de Super Rebelle, ce
qui n'etonnera personne, et n'hesite pas a s'attaquer aux puissants, meme quand Fun d'eux s'appelle
Zidane. Christophe lui aussi a le temps. A cinquante ans, on peut lui faire confiance pour qu'il refasse Ie
monde a son image : egalite, fraternite, hilarile, et je souhaite bonne chance a ce trublion qui est un mal
necessaire pour faire bouger ce qui peut encore bouger.
Regis Mailhot fait partie de la meme famille. Ce specialiste des billets au vitriol sur France Inter et
RTL est le digne neveu de son oncle Jacques, avec un zeste d'impertinence en plus. Sans doute le
privilege de son jeune age. Moins politise qu'Aleveque, et du fait rnerne plus consensuel et rnoins
agressif, je ne doute pas qu'il puisse se retrouver un jour en pole position.
Quittons maintenant la Maison de la Radio pour nous pencher sur un personnage etonnant.
Mathematicien de formation, journaliste, romancier. auteur de nouvelles, de poesies, de pieces de theatre,
ce linguiste emerite est specialiste des litteratures a contraintes. Hervc Le Tellier est plusieurs fois cite
dans ce dictionnaire, comme rnembre de FOuLiPo. participant de F emission « Des Papous dans la tete »
et cofondateur de FAssociation des amis de Jean-Baptiste Botul. ce philosophe fictif de « tradition
orale ».
Ses ouvrages me passionnent, sa conversation est eblouissante, mais je ressors toujours frustre de nos
echanges, lorsqu'il commente ses travaux et ses jeux autour du langage. Ses variations sur la Joconde sont
irresistibles, et la piece tiree de son recueil Les amnesiques n'ont rien vecu d'inoubl table, mise en
scene par Frederic Cherbceuf, est remarquable. Herve est aussi capable d'ecrire des romans a succes
accessibles a tous, et je pense a son excellent Assez parle d' amour. Mais il peut aussi commettre des
ouvrages moins iaciles. II suffit de lire un court extrait de son Electrico W(2011) pour comprendre que
Fon est assez loin de La Veillee des chaumieres :
« Antonio n'avait pas plus voulu retourner vers Canard qu'Ulysse vers Penelope. Qu*etait-ce que
VOdyssee, sinon la chronique d'un aventurier qui a aime Circe la magicienne, la nymphe Calypso, a qui
Fon a promis la main de Nausicaa et qui ne cesse, trompant les apparences, de differer son retour ? Un
homme qui, la mot oil les dieux le deposent de force sur la place d"Ithaque, est si turieux de son sort qu'il
se livre au plus inutile et sanguinaire des massacres, quand prononcer son seul nom d'Ulysse eut suffi
pour que les pretendants s'inclinent. >>
Et si je vous dis que le narrateur de ce recit fait remarquer au passage qu'il se vante d'avoir
retravaille son tapuscrit « pour qu'il fasse exacternent 52 122 mots parce que c'est... un nombre
premier », vous serez d^accord avec moi pour constater que F homme vaut son pesant de neurones.
Puisque je viens d'evoquer « Des Papous dans la tete » 9 cette brillante emission de France Culture
ou, rappelons-le, les meilleurs jongleurs de mots viennent chaque dimanche rivaliser d' intelligence et
d' imagination, je voudrais dire aussi le bien que je pense de Serge Joncour. Cet ecrivain timide et
discret, ancienmaitre nageur, cultive un humour acide qu'il distille au compte-gouttes dans ses Iivres : Vu
(1998), Situations delicates (2001), In vivo (2002), U. V. (2003). Dans L'homme qui ne savait pas dire
non (2009), il imagine un specialiste de sondages qui ressemble etonnamrnent a Bartleby, incapable de
prononcer le mot « non » alors que le « oui » et le « non » sont la base meme de son activite. Du grand
Joncour. Quand on lui demande s'il ressemble a son personnage. Serge, qui ne s** est jamais remis d'etre
ne un jour de greve generale en 1961, il repond : « J'ai le sentiment d*ecrire pour ne rien dire de moi. »
Son dernier livre L 'amour sans le faire (2012) est sans doute le meilleur.
Les hasards de la vie m'ont fait croiser d'autres gais lurons comme le Quebecois Pierre Legare,
humoriste connu et reconnu dans son pays pour ce quil appelle ses « questions existentielles ». Grace a
Frangois Rollin qui Fa fait cormaitre en France, en jouant lui-meme ses textes, le public frangais Fa
decouvert, et j'ai edite deux recueils de ses Mots de tete. Dommage qu'il n'ait pas eu de ce cote de
l'Atlantique le succes qu'il merits, avec de telles reflexions profondes :
— « Dans ton bureau, si t'as un diplome, t'as Fair intelligent. Si t'as un climatiseur, t'as Fair
conditionne. »
— « Pourquoi "abreviation" est-il un mot aussi long ? »
— « Si tu tires sur les bandelettes d'une momie, tupeuxla faire demarrer. »
Andre Bercoff n'est pas triste non plus, bien qu'il ne soit pas « comique » de metier, puisqu'il est
avant tout journaliste et essayiste. II a eu des responsabilites diverses dans le monde de la television,
mais il a aussi participe a des canulars memorables grace a des pseudonymes qu*il utilise volontiers.
Parmi les plus connus : Philippe de Commines, Caton et meme Catherine de Medicis.
Ce panorama que d'aucuns soupconneront a tort de « special copinage » ne serait pas complet sans
Antoinc de Caunes. Nous nous sommes connus et frequentes il y a deja une trentaine d'annees, ce qui ne
va pas helas rajeunir ce toujours jeune premier. C'etait a Tepoque ou le jeune Antoine se cherchait
encore entre ses piges a Sciences et Vie, avant de se passionner pour le groupe rock Magma et, en 1978,
de tenter diverses experiences televisuelles : « Chorus », « Houba Houba » ou « Les Enfants du rock ». II
presente aussi « Surtout Fapres-midi ». une emission musicale quotidienne et decalee avec r excellent
Gilles Verlant. C*est son entree a Canal +, en 1984, aux tout debuts de la chaine cryptee, qui lui a permis
de se lacher dans un tout autre registre, et de montrer, grace a remission « Nulle part ailleurs », sa vraie
nature d'amuseur public, pince-sans-rire particulierement doue.
Ses personnages multiples font la joie des telespectateurs, face a un Philippe Gildas a la fois
complice et victime. On se souvient de Didier rembrouille, fan de Dick Rivers, du scout Ouin-Ouin,
alias Pine d'huitre, du macho Raoul Bitembois et du notoire Gerard Langdeput, r horrible colporteur de
ragots du show-biz ! Tous ces sketches etaient ecrits avec la complicite d'Albert Algoud et joues en live
avec Albert et Jose Garcia, alias Liz Taylor ou Robert De Niro, perpetuel soupconneux avec son : « You
fuck my wife ? » recurrent.
Nous connaissons le de Caunes comedien et cineaste. Je ne m'attarderai pas sur ses nombreux talents
et passions, en dehors de son amour pour Arsene Lupin. Stevenson, et evidemment pour le rock, qu'il
celebre fort bien d'ailleurs dans la ci-presente collection : le Dictionnaire amoureux du rock.
Je pense qu 1 Antoine, ne en 1953, n'a pas non plus fini de nous surprendre agreablement.
Humour, L'
La France a depuis longtemps flirte avec ce qui ne s'appelait encore au Moyen Age que 1'humeur, et
que Ton retrouvait chez Rabelais, Montaigne, le cardinal de Retz et d'autres. N'oublions pas qu'au
xviu e siecle, en France, de beaux el grands esprits debordaient d'humour : Diderot, \foltaire, Marivaux,
Beaumarchais usaient et abusaient pour le plus grand bonheur de leurs contemporains de cette facon
d'offrir « les idees de profil », comme disait Jean Dutourd.
Mais comment definir 1' humour quand le seul fait de le definir presente sans doute le risque de le
faire disparaitre ? L'humour est-il « un art d T exister » ? (Escarpit), « le plus court chemin d'un homme a
un autre » ? (Wolinski), « le plaisir etrange issu de la certitude qu'il n'y a pas de certitude » ? (Kundera),
vient-il « d'un exces de serieux » ? (Tristan Bernard), d'« une tentative pour decaper les grands
sentiments de leur connerie » ? (Queneau). Toujours est-il que le mot francais « humour » viendrait de
l'anglais humour, prononce a l'anglaise, qui viendrait lui-merne du latin humor (hurrridite, liquide). A
Porigine, le mot, en anglais comme en francais, avait une acception purement physiologique. Au Moyen
Age, V humor designait l'une des quatre « humeurs », le sang, le flegme, la bile jaune et Tatrabile noire,
dont la proportion dans le corps hurnain determinait le caractere sanguin, flegmatique, colereux ou
melancolique.
Mais ce n'est pas parce que rhumour se derobe a toute definition que Ton ne doit pas essayer de le
cerner. Difficile de s'y retrouver pourtant dans les differents travaux qui cherchent a le circonscrire.
Jonathan Pollock, angliciste et maitre de conferences a runiversite de Perpignan, se pose, lui, des
questions qui pourraient faire avancer la reflexion :
— Comment les humeurs agissent-elles sur Tame ?
— Quelles sont les cibles preferees de rhumoriste ?
— Que faut-il au melancolique pour qu'il devienne un humoriste ?
— Peut-on parler d'humours nationaux ?
— Comment riiumour differe-t-il du comique ?
— L'humour depend-il d'une entente tacite entre Tauteur et son public ?
— Comment riiumour genere-t-il du plaisir ?
— En quoi rhumour differe-t-il des notions de satire, d'esprit et d'ironie ?
Autant de questions auxquelles je ne repondrai pas, parce que j'en suis bien incapable, mais qui
montrent Tampleur du debat, bien que j'aie ma petite idee. Uhumour, c'est avant tout une reflexion, une
histoire que Ton s'adresse a soi-meme. La personne qui nous fait face nous stimule, et on se retrouve
emerveille par notre interventiort Le danger qui consiste a chercher coute que coute a vouloir faire rire
est le meilleur moyen de ne pas y arriver. Martin Page pense qu'il en est de meme de la sexualite : « Etre
obnubile par Torgasme est le moyen infaillible de ne pas Fatteindre », et pour lui, la proximite entre
humour et sexualite est evidente : « Nous suons, nos pupilles se dilatent, notre cceur bat plas fort, notre
bouche s'ouvre comme si nous nous appretions a devorer un fruit mur, notre langue apparait, rouge et
avide, nos pheromones se dispersent. Enfin nous touchons le bras de notre voisine. On se tromperait a
croire que cela n'est qu'une affaire de langage. Spirituel et physique, rhumour se transmet par les yeux,
les mains, les expressions, les gestes, le mime. Tout le corps est convoque. [...] Du decalage vient la
surprise. »
\bila qui ouvre bien des horizons, mais n'etant pas sexologue, ni historien, mais plutot grammairien
tendance buissonniere, je nfen tiendrai a Texplication semantique que donne le Littre, qui parle d'« une
sorte de gaiete railleuse et originale ». Ainsi Fhumour serait-il Tapanage de ceux qui aiment rire et ne se
prennent pas au serieux. A condition de pratiquer rhumour solidaire (rire avec.) et non rhumour qui
prone ['exclusion (rire de...)-
Freud l'a bien explique > en rappelant que le mot d'esprit est une valeur relationnelle oil Ton
transgresse les conventions rigides habituelles entre deux etres.
Mais a trop vouloir definir rhumour, il ne faudrait pas arriver a en manquer, parce que
paradoxalement c'est son absence que Ton remarque le plus. J'ai lu recemment une etude qui montrait
que le sens de l'humour ameliorerait l'esperance de vie de 20 % ! \bila qui devrait faire reflechir les
plus grincheux, lesquels devraient aussi lire plus souvent les plus droles d'entre nous :
— « L'humour est une idiotie intelligente », David Katan.
— « L'humour est le meilleur detecteur de mensonges », Konrad Lorenz.
— « L'humour est enfant de nos haines », Jacques Prevert
— « L'humour est une disposition d'esprit qui fait qu'on exprime avec gravite des choses frivoles et
avec legerete des choses serieuses », Alfred Capus.
— « Le sens de l'humour ne guerit pas les rhumatismes mais les rend plus supportables a vos
proches », Yvan Audouard.
— « Le manque d'humour est rimpolitesse de I'espoir », Emmanuel Cocke.
— « II y a des gens qui sont chauves au-dedans de la tete : ce sont ceux qui n'ont pas le sens de
rhumour », Francis Blanche.
— « Le probleme avec le sens de rhumour, c'est la facilite avec laquelle chacun pretend en etre
pourvu », Alain de Bottoa
— « Les deux caracteristiques essentielles de r Anglais sont rhumour et le gazon L' Anglais tond
toujours son gazon tres court, ce qui permet a son humour de voler au ras des paquerettes », Pierre
Desproges.
— « L'humoriste est un homme de bonne mauvaise humeur », Jules Renard.
— « L'humour est la seule forme autorisee du crime passionnel », Georges Neveux.
— « La seule chose absolue dans un monde comme le notre. c'est rhumour », Albert Einstein.
— « Uimagination a ete dormee a r homme pour compenser ce qu'il n'est pas. L'humour pour le
combler de ce qu"il est », Saki.
Humour au XVII e siecle, L*
On imagine qu'a cette epoque les courtisans de Versailles etaient engonces dans une etiquette rigide
et prisonniers d'un catholicisme rigoriste tout-puissant, rnais non ! Les gens avaient besoin de rire pour
echapper a Tambiance oppressante de la Cour. II suffit de lire Madame de Sevigne (1626-1696) ou,
mieiLx. Scarron ( 161 0-1660), qui etait fort apprecie du monarque pour sa conversation spirituelle.
De Boilcau (1636-1711), on a souvent r image d'un ennuyeux pondeur d'alexandrias se succedant
sans fin. Pourtant, dans Les Emharras de Paris, il fait preuve d'une verve digne de ses modeles latins
Horace et Juvenal :
« La, sur une charrette une poulre branlante
Vient menacer de loin la joule au 'elle augmente ;
Six chevaux alleles a cefardeau pesant
Out peine a I 'ehranler sur le pave glissant ;
D'un earrosse, en tournant, il accroche une roue.
El du choc le renverse en un grand las de boue... »
Boileau ne se contente pas d'imiter ses maitres latins. II cree un nouveau genre comique, « heroi'-
comique », qui inverse les codes du burlesque. La le sujet est mesquin, ridicule, alors que le burlesque
part d'un theme grandiose. Ceux qui se contentent de leurs souvenirs de Tecole primaire oil ils anonnaient
peniblement Le Corheau et le Renard ne peuvent pas gouter l'humour de Jean de La Fontaine (1621-
1695) qui transforme un modeste anier en «: empereur romain », et son baton en « sceptre >v ! Un brin
d'herbe devient pour la fourmi « un promontoire », pour le rat, la moindre taupiniere devient « les
Apennins ». II appelle le chat « TAttila, le fleau des rats ». La poule convoitee par deux coqs n'est rien
de moins qu'« une Helene au beau plumage » . . .
Comme on le voit, r humour etait deja un moyen detourne, mais sur, de critiquer Ies abus de pouvoir
et Ies Cavers des puissanls de ce monde.
Paul Scarron est certainement Pun des plus interessants. Ce Parisien moqueur ne manquait ni de
fantaisie ni d'humour. Pretre a dix-neuf ans, il portait la soutane sans avoir recu Ies ordres, et tout cure
qu'il etait ne se privait pas de mener un train de vie dissolu, en assumant le secretariat de Peveque du
Mans. Frappe de paralysie en 1638, il ecrit : « Je ressemble pas mal a unZ, j'ai Ies bras raccourcis aussi
bien que Ies jambes et tes doigts. Enfin, je suis un raccourci de la misere humaine. » II entreprit alors de
faire rire de lui et des autres, s'autodeclarant « le malade de la reine », qui Pentretient.
A Paris, il tenait un salon litteraire qui faisait fureur, ou Ton rencontrait Ies hommes et Ies femmes Ies
plus spirituels de Pepoque dont Madame de Sevigne. II ecrivait beaucoup, des vers burlesques, des
comedies, des farces, des parodies et des satires, qui trouverent grace aupres de Boileau. Mais le
meilleur de Scarron est ce roman inacheve, Le Roman comique, paru pendant la Fronde et dedie au
cardinal de Retz, Phistoire mouvementee d'une troupe de comediens qui deambulent autour du Mans avec
moult batailles, coups de pied et meme enlevements de civils et de comediennes.
Scarron voulait faire rire a tout prix, mais souvent aax depens de la Cour, qui, excedee, lui retira ses
pensions. Toute son ceuvre fait de lui l'ennemi des gens serieux II avait epouse en 1652 une jeune fille
sans fortune qui echappa ainsi au couvent, mademoiselle d*Aubigne, la future Madame de Maintenoa, a
qui il trouvait « deux grands yeux fort rnutins, un tres beau corsage, une paire de belles mains et beaucoup
d'esprit ».
Coinble de son humour legendaire, il avait prevu sa propre epitaphe :
« Celui qui cy maintenani dort
Fit plus de pi tie que d envie,
Et sou/frit mi lie fois la mart
Avant que de perdre la vie.
Passant, nefait iei de bruit
Garde bien que lu ne 1'eveilles :
Car void la premiere nuit
Que le pauvre Scarron sommeille. »
Bussy-Rabutin (1618-1693), militaire de carriere, audacieuv et brillant, s'attira Pamitie de Conde,
mais en 1659 ses aventures galantes, sa reputation de cynique et ses medisances sur Ies amours de
Louis XIV et Mademoiselle de La Valliere lui valurent d'etre emprisonne a la Bastille et exile en ses
terres de Bourgogne.
Pour distraire sa maitresse la marquise de Montglas, il ecrivit untHistoire amoureuse des Guides,
un roman satirique qui fit scandale.
Pour peindre Ies vices de la noblesse et des courtisans, il adapta le Satyricon, qu'il connaissait
parfaiternent, et le transposa en singeant Ies mceurs de son epoque. Uauteur ne sMnterdit rien et ne se
prive pas de medire du souverain lui-meme, avec force grossierete. Mais il serait reducteur de ne retenir
de lui que cette His toi re amoureuse des Guides, car Bussy-Rabutin entretint aussi une volumineuse et
brillante correspondance avec Ies beaux esprits de Pepoque, dont sa cousine Madame de Sevigne.
Saint-Simon (1675-1755). Fils d'un page de Louis XIII, mousquetaire a seize ans, il se distingue au
siege de Namur, mais, mecontent de ne pas etre promu general, il quitte Parmee et partage son temps
entre la Cour et son chateau de La Ferte-Vidame. II devient Pobservateur impitoyable de la Cour des
dernieres annees du regne de Louis XIV et de Madame de Maintenon et redige ses fameux Memoires, qui
ne seront pas edites avant 1830. Ecrits sans souci de plaire ou de deplaire, ils sont, qui sait ?, peut-etre
faux, mais quel talent ! Des phrases bondissantes et des personnages saisissants de verite. Un coup d'reil
magistral sur le peuple de Versailles. L'homme etait parait-il peu sympathique, plein de morgue, ecrasant
de son mepris tout ce qui n'etait pas noble mais, lorsqu'il n' etait pas anime par la haine, il pouvait etre
franchement drole.
Ainsi quand il decrit cerlains membres de la Cour :
Le Roi-Soleil ?
Un esprit « au-dessoiis du mediocre », tombant « dans Ies absurdites les plus grossieres ».
Le Grand Dauphin ?
« Monseigneur etait sans vice ni vertu, sans lumieres ni connaissances quelconques, radicalement
incapable d'en acquerir, tres paresseux, sans imagination ni production, sans gout, sans choix, sans
discernement, ne pour r ennui qu ? il communiquait aux autres, et pour etre une boule roulante au hasard par
rimpulsion d'autrui, opiniatre et petit en tout a Texces. »
La Palatine ?
Un personnage echappe du Roman comiqae, elle gifle son fils en public, a P occasion de ses
fiancailles : « Madame rhabillee en grand habit arriva hurlante, ne sachant bonnement pourquoi ni Pun ni
Tautre, les inonda tous de ses larmes, en Ies embrassant, fit retentir le chateau d'un renouvellement de
cris et fournit un spectacle bizarre d'une princesse qui se remet en ceremonie. en pleine nuiu pour venir
pleurer et crier, parmi une foule de femmes en deshabille de nuit, presque en mascarades. »
Ou encore lorsqu'il raconte la conversion de Philippe d'Orleans, frere de Louis XIV : « II avait
depuis quelque temps un confesseur qui, bien que jesuite, le tenait de plus court qu'il pouvait. II lui
representait fort souvent qu"il ne se voulait pas damner pour lui, et que si sa conduite Lui paraissail trop
dure, il n'aurait nul deplaisir de lui voir prendre un autre confesseur. A cela il ajoutait qu' il prit bien
garde a lui, qu'il etait vieux, use de debauche, gras, court de cou. et que, selon toute apparence, il
mourrait d'apoplexie, et bientot. C'etaient la d'epouvantables paroles pour un prince le plus voluptueux
et le plus attache a la vie qu'on eut vu de longtemps, qui Tavait toujours passee dans la plus molle
oisivete, et qui etait le plus incapable par nature d'aucune application, d'aucune lecture serieuse, ni de
rentrer en lui-meme. »
Cardinal de Rctz (1613-1679). Issu d'une famille florentine, dont la fortune avait ete faite par
Catherine de Medicis, il adopte le statut d'ecclesiastique par ambition, en esperant au moins egaler
Richelieu et supplanter Mazarin, lequel ruinera ses esperances et Fenpechera d'obtenir Tarcheveche de
Paris. Ce surdoue de la politique et de la rhetorique etait un terrible polerniste. Dans ses Memoires, on
decouvre un conteur petillant, qui rappelle La Rochefoucauld pour ses formules breves, saisissantes, et
La Bruyere pour ses portraits. Rediges enlre 1670 et 1675, ils relatent sa vie, les troubles de la Fronde et
les intrigues de Paris pendant la guerre civile. II salt a merveille decrire les grandes scenes historiques et
surtout rediger des portraits a l'emporte-piece, avec une ironie mordante qu'il essaie de cacher sous une
certaine desinvolture.
II a la dent dure, mais a la difference de Saint-Simon il est encore plus ironique, en metlant les rieurs
de son cote. II suffit de lire son portrait d' Anne d'Autriche pour en etre convaincu : « La reine avait, plus
que personne que j'aie jamais vu, de cette sorte d'esprit qui lui etait necessaire pour ne pas paraitre sotte
a ceux qui ne la connaissaient pas. Elle avait plus d'aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de
grandeur, plus de maniere que de fond, plus d'inapplication a F argent que de liberalite, plus de liberalite
que d'interet, plus d'interet que de desinteressement, plus d'attachernent que de passion, plus de durete
que de fierte, plus de memoire des injures que des bientaits, plus d 1 intention de piete que de piete, plus
d'opiniatrete que de ferrnete et plus d'incapacite que tout ce que dessus. »
Jean de La Bruyere (1645-1696). Cest parce qu'il etait malheureux et meurtri dans son amour-
propre qu'il se vengea de ses contemporains a travers Les Caracteres ou les Mteurs de ce sieele* qui
sont en fait le fruit de ses deceptions. II resume tres bien lui-meme ramerturne qui est la sienne avec cette
phrase enigmatique mais bien sentie : « II faut rire avant d'etre heureux de peur de mourir avant d'avoir
ri. »
La Bruyere etait un homme severe, et on dit meme qu'il moiirut sans s'etre deride. Ses Caracteres
sont un modele du genre ironique, jamais a court de pointes et de saillies inattendues. « Son talent, ecrit
Taine, consiste principalement dans Tart d'attirer F attention. . . II ressemble a un homme qui viendrait
arreter les passants dans la rue, les saisirait au collet, leur ferait oublier leurs affaires et leurs plaisirs,
les forcerait a voir ce qu'ils ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir. »
La Bruyere est un exceptionnel observateur des mceurs de son temps et un precurseur, car, que ce soit
le « parvenu », I'« egoiste », le « distrait », le « collectionneur », ce sont des « types de tous les temps »
qui, avec ou sans perruques, sont nos contemporains. Entre Egesippe qui se croit bon a tout et n'est bon a
rien, Philemon le cousu d'or qui voudrait qu'on 1'admire, Menippe le vaniteux, j'ai choisi Menalque, le
distrait. Un grand moment :
« Menalque descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme, il s'apercoit qu'il est en
bonnet de nuit, et venant a mieux s'examiner, il se trouve rase a moitie, il voit que son epee est mise du
cote droit, que ses bas sont rabattus sur ses talons, et que sa chemise est par-dessus ses chausses. S "il
marche dans les places, il se sent tout d'un coup rudement frappe a restomac ou au visage, il ne
soupconne point ce que ce peut etre, jusqua ce qu'ouvrant les yeux et se reveillant, il se trouve ou devant
un limon de charrette, ou derriere un long ais de menuiserie que porte un ouvrier sur ses epaules. On I'a
vu une fois heurter du front contre celui d'un aveugle, s'embarrasser dans ses jambes, et tomber avec lui,
chacun de son cote, a la renverse. II lui est arrive plusieurs fois de se trouver tete a tete a la rencontre
d'un prince et sur son passage, le recoimaitre a peine, et n'avoir que le loisir de se coller a un rnur pour
lui faire place. II cherche, il brouille, il crie, il s'echauffe, il appelle ses valets Tun apres r autre, on lui
perd tout, on lui egare tout, il demande ses gants, qu'il a dans ses mains, semblable a cette fernme qui
prenait le temps de demander son masque lorsqu'elle Tavait sur son visage. II entre a Fappartement et
passe sous un lustre ou sa perruque s'accroche et demeure suspendue, tous les courtisans regardent et
rient, Menalque regarde aussi et rit plus haul que les autres, il cherche des yeux dans toute Tassemblee ou
est celui qui rnontre ses oreilles et a qui il manque une perruque. S'il va par la ville, apres avoir fait
quelque chemin, il se croit egare, il s'emeut, et il demande ou il est a des passants, qui lui disent
precisement le nom de sa rue, il entre ensuite dans sa maison, d'ou il sort precipitamment croyant qu'il
s'est trompe. »
La Rochefoucauld disait de lui qu'il etait « l'antithese de P ideal represente par l 1ib honnete homme",
"celui qui ne se pique de rien" ».
Humour docte, L'
Moliere a ecrit un jour : « II nous faut en riant instruire ]a jeunesse. » Non settlement notre Jean-
Baptiste Poquelin national n'avait pas completement tort, mais il se doutait que ce n'etait pas chose
facile, puisqtfil s'empressait d'ajouter : «: C'est une etrange entreprise que celle de faire rire les
honnetes gens. »
Moliere a-t-il vrairnent contribue, comme il le disait, a instruire les jeunes et les moins jeunes ? Ce
n'est pas si sur, car ce genie de la farce s'evertuait surtout a denoncer les cretins, les idiots, les avares,
les fanfarons et autres ivrognes. Tout cela n'est pas vrairnent de la pedagogie a Fetat pur, mais c'est une
facon heureuse et surtout amusante de montrer non pas oil se trouve la difference entre le bien et le mal,
mais entre r esprit et la betise.
II faudra attendre deux siecles pour que ce principe soil reconnu et accepte, meme par les enseignants
les plus conservateurs.
Aujourd'hui, tout le monde en a plein la bouche ; « II faut apprendre en s'amusant. » C'est la
pedagogie a la mode, ludique et interactive, et 9a a Fair de fonctionner.
On peut considerer par exemple que Jean-Louis Fournier a fait mouche avec ses manuels
Impertinents : grammaire, arithmetique, sciences, code de la route, ou politesse. Pour lui : « La
grammaire francaise et impertinente est Fenseinble des regies a suivre pour dire et ecrire correctement
des betises, des grossieretes et quelques horreurs... Une grammaire qui donne peut-etre le mauvais
exemple mais toujours la bonne regie. »
Exemple :
« II existe deux pronoms adverbiaux : en et y, tous deux invariables.
"En" correspond a : de lui, d'elle, d'eux, de cela.
— Monsieur Roberval est mort.
— Je nVen balance.
De quoi me balance-je ? De cela : monsieur Roberval est mort. »
On rigole, on rigole, et en plus on apprend. C'est leger, mais ca peut etre incisif :
« Un telefilm qui compte 4 morts violentes fait en moyenne 10 points d'Audimat. Combien de morts
violentes seraient necessaires pour obtenir 65 points d'Audimat ? »
Quand on fait de F humour culturel, il faut aller jusqu'au bout et donner des reponses serieuses aux
questions farfelues ;
« Je calcule d'abord le nombre de morts violentes necessaires pour obtenir 1 point d'Audimat Je
multiplie le resultat par 65. »
Resultat : « II faut 26 morts violentes pour faire 65 points d'Audimat. »
Corrige : « L* Audi mat qui tue. Nombre de morts pour 1 point : 4/10 = 0,4 rnort. »
Nombre de morts pour 65 points : 0,4 * 65 = 26 morts. »
Le regrette journaliste et ecrivain Raoul Lambert avait bien assimile lui aussi le principe :
« Grammaire. Urgent. Participe passe avec avoir cherche complement d'objet direct place avant pour
accord. Pas serieuxs'abstenir. »
II donnait meme Fimpression d'etre presque serieux quand il imaginait cette dictee :
« La mouette est un oiseau aquatique blanc ou gris clair, aux pattes palmees, aucri aigre, mangeur de
poissons et qui se distingue du goeland par sa taille plus petite (moins de 65 centimetres). Les mouettes
ont un beau vol plane, se posent souvent sur 1 'eau, mais nagent peu et ne plongent pas.
Elles appartiennent a la famille des Larides. »
« Presque serieux », disions-nous, car sa chute se trouve dans les questions qui suivent sa dictee :
« — Les oiseaux aquatiques peuvent-ils pondre sur des planches a voile ?
— Appartenez-vous a la famille des Larides ? \fotre mere est-elle nee Laride ? Si vous etiez de la
famille des Larides, quel genre de chaussures porteriez-vous pour avoir vos pieds palmes a raise ?
— Qu'est-ce qu'un cri aigre ? Connaissez-vous dans voire entourage quelqu'un qui pousse des cris
aigres en mangeant d.u poisson ?
— Quelle difference y a-t-il entre un vol plane et un vol a l'etalage ?
— Combien d'oiseaux aquatiques de mo ins de 65 centimetres peuvent etre contenus dans un cube de
6^6><8 metres ? »
Pour les auteurs de la Gramrnaire lurhulente du franca is con tempo/a in (1985) Fasola et Lyant, « Ie
gout de la grarnmaire est inne chez L'homme [et] conjuguer est son bonheur ». Ce sont eux qui ont eu Tart
de nous enseigner le verbe haut, le petit nom, les precieux auxiliaires, les superbes articles et le pronom
triste. le conditionnel passe anterieur parfait decompose. Un modele du genre meconnu :
« La conjugatoire. Les conjugaisons sont un paradigme coherent et souvent efflcace qui pennet de
distinguer le verbe de ce qu'il n'est pas.
Exemples de conjugaison : troisieme groupe, type "concevoir".
Subjonctif parfait (avec variante) :
— Que je cueilletroiscornouflettes
— Que tu les decoupeenrhomboedres
— Qu'il fissefrissonnirpatro
— Qu'elle trempetondoigt
— Que nous yeuise
— Que vous nouyionslenouet
— Qu'ils deglacentdansunplatcreuxresistant
— Qu'elles servezchaud. »
Et pour fmir L'annee scolaire, pourquoi pas un cours de maintien pour vous lancer dans le monde ?
« A la fin d'une danse, il reste de bon ton, malgre l'emancipation des mceurs et l'allegement d'un
code de savoir-vivre franchement depasse, que le cavalier raccompagne sa cavaliere jusqu'a sa chaise.
Oujusque sous sa chaise, s'il s'agit d'une partouze » (Pierre Desproges).
Dans un genre different, j'ai aussi apprecie Ie Petit Dictionnaire des mots retrouves, que j 1 ai edite
eti2004.
— « Anthrax. n.p.tn Geant de la mythologie grecque, fils de Thorax et d^Eresipele, ravisseur de la
nymphe Acne. »
— « Aspiring, s.f Epouse d'un aspirant de marine. Generalement tres elegante, elle donne a la mode
un caractere parti culier, un cachet d"aspirine. »
— « Goitre, s.m. Excroissance de nature poliomyelisante, frequente chez les trappistes. »
— « Colophon. $j& Scaphandrier descendant a de grandes profondeurs. »
— « Cucu. s.m. Petit singe de Tasmanie, a queue prenante et s'apprivoisant tres facilemenL Le cucu
se nourrii de pralines. »
— « Torticolis. s.m. Spirale. Escalier en torticolis : escalier tournant. »
— « Uterus, n.p.m. Petit torrent du Latium prenant sa source dans le col des Apennins qui porte son
nom. Le col de I 'Uterus a vu passer toutes les invasions bar bares, »
Les auteurs de ce dictionnaire disaient vouloir reagir contre les « corrupteurs de notre langue »,
contre « V interpretation fantaisiste des mots » par certains Francais. Qui etaient-ils ? Personne ne le sait
vraiment, puisqu*ils ne se sont jamais demasques, mais on soupgonne une equipe de joyeux drilles de la
NRF, dans les annees 1940.
Desproges, encore lui, avait imagine un Dictionnaire superflu :
« Quadrumane. adj. et a m, dequadru, quatre, et /nanus, main. Qui a quatre mains. Exemple : Le
rossignol n'est pas quadrumane. »
Ce dictionnaire n'elait pas si saugrenu, puisqu"on y apprend des mots peu courants et qu'on peut aussi
y reviser ses locutions latines :
— « Aleajacta est : lis sont bavards, a la gare de l'Est. »
— « Aleajacta ouest : A Monlparnasse aussi. »
Je pense aussi a cet humour therapie qui « desangoisse ». Quand tout foul le camp, quand on connait
la pauvrete, la maladie„ les soucis familiaux, la trahison des amis, la vieillesse et l'approche de la mort,
1 'humour peul noiis sauver : « J'ai de quoi vivre pendant le reste de mon existence, a moins que je
n'achete quelque chose » (Jackie Mason).
Pour Desproges il faut rire de tout, cela permet d*« exorciser les chagrins veri tables et de fustiger les
angoisses mortelles », et quand il a appris qu'il avait un « cancer de biais » sous la forme d'un « crabe
affame qui lui broutait le poumon, le soir meme, chez Tecailler du coin, [il a] bouffe un tourteau »■.
Alphonse Allais, qui faisait partie du mouvement Fumiste, aimait ruer dans les brancards de la
sagesse populaire, d'ou ce conseil de paresseux : « Ne remets pas a demain ce que tu peux faire apres-
demain. »
Et Bernard Shaw d'ajouter, pour convaincre les plus timores : « La regie d'or est qu'il rfy a pas de
regie d'or. »
L' humour peut aussi alleger les problemes de couple :
— « Quand un honime el une femme se marient, ils ne font plus qu'ua Mais le plus dur e'est de
savoir lequel » (Bernard Shaw).
L'humour permet aussi de digerer les regrets : « A soixante-cinq ans, on commence a regretter les
peches qu'on n'a pas commis » (anonyme), ou d'atteindre le « lacher-prise » : « Ce qu'il y a de bien
quand on devient vieux* e'est que toutes ces choses que vous n'avez pas pu avoir quand vous etiez jeune,
vous n'en avez plus envie » (L. McCandless). D'ou cette lecon de sagesse : « II ne faut compter que sur
soi-meme. Et encore, pas beaucoup » (Tristan Bernard).
Pierre Desproges avait raison avec son fameux « Vivons heureux en attendant la rnort ». Parce que :
— « La vie est parfois invivable, mais la mort Test encore plus » (Anonyme).
— « Apprendre a mourir 1 Et pourquoi done ? On y reussit tres bien la premiere fois ! » (Chamfort).
— « J'ai tellement horreur des enterrements que, si je pouvais, je n'irais pas au mien » (Philippe
Heracles).
— «Ce n'estpas que j'aiepeur de mourir. Disons quejene veuxpas etre la le jour ouca arrivera »
(Woody Allen). Lequel ajoutait : « L'eternite, e'est long, surtout vers la fin » et « Si Dieu existe, j 'espere
qu'il a une bonne excuse. »
D'apres Joseph Addison (1672-1719), « la Verite engendra le Bon Sens qui engendra r Esprit qui
epousa Gaiete dont il eut un fils : r Humour ». Et ce bon sens qui, d'apres Descartes, est « la chose du
nionde la mieuxpartagee », signifie logique, celle-la meme qui nous renvoie a l'aspect naturel des choses
que Ton trouve chez les enfants. Eux seuls jouent avec la logique comme ils jouent a la marelle.
Ainsi la petite Floriane explique que son nez « pleure », et Tom pense qu on va « changer » son petit
frere parce qu'il enerve sa mamarL
Ils consomment les homophones avec une logique imparable :
— « Maman, e'estpas un ceuf a la coque, e'est un ceuf a la poule ! » (Pablo).
Etjonglent avec les liaisons :
— « J'veux pas de la salade. elle est trop "zonee !" » (Robinson).
Gaspard, lui, en veut a son grand-pere d'arriver si tard :
— « T'es xagere, papy ! T'es vraiment xagere ! »
Puis ces memes enfants grandissent. Adolescents, ils continuent de nous interroger, et leurs
remarques, quoique plus matures, relevent de la meme logique amusante :
— « Quel est le synonyme de "synonyme" ? »
— « Quel est le contraire de "contraire" ? »
Pas etonnant que leurs professeurs se disent depasses...
Adultes, ils s'appellent Ambrose Bierce : « Quand j'entends jouer du violon, je pense que c'est la
vengeance des intestins d'un chat mort », ou Pierre Legare qui nous perturbe avec ses Mots de tele :
« Si tout le monde te deteste parce que t'es paranoi'aque, lu ne Tes plus. »
Voila qui enrassurera plus d'un...
Enfin, Gainsbourg se posait la question « hilarement » existentielle :
« D "rendra Tame". Oui, mais a qui ? »
Humour involontaire, L'
J'airnerais ici rendre un hommage solennel et bien merite aux auteurs de manuels scolaires, guides de
civilites et alrnanachs divers de la fin duxix et du debut duxx* siecle ; des textes qui, avec le temps,
sont devenus des chefs-d'ceuvre d' humour. II aura fallu pour cela que je les extirpe des malles
poussiereuses des bibliophiles et autres brocanteurs, pour decouvrir des ecrits insolites et bi2arres, a
1' humour suranne mais desopilant.
Ou 1 *on faisait parler le petit Jesus :
Limitation du petit Jesus etait un classique tres en vogue dans les institutions catholiques des 1931,
date a Iaquelle Touvrage recut V Imprimatur Lutetiie Parisiorum. C'est airtsi que Ton enseignait le
catechisme entre 1930 et 1950.
« le petit enfant fidele : Mon bon petit Jesus, je ne te connais pas beaucoup et cependant deja je
t'aime. Je sais seulement que tu as une jolie petite figure, beaucoup plus belle que la mienne et que toutes
celles qu'on voit sur les images.
le petit jesus : Quand la Sainte Vierge me disait : "Mon petit Jesus cheri, veux-tu aller me chercher
de l'eau ?", je quittais tout et y allais bien vite, en ayant soin toutefois de ne pas trop courir pour ne pas
en renverser par terre. Ainsi je faisais toutes les commissions, je mettais le couvert, j'epluchais les
legumes, j'aidais saint Joseph- [...]
Quand j'etais bien occupe a jouer avec mes petits camarades, ou avec le minet de la voisine, on bien
avec mes petits bouts de bois, et que, tout a coup, j'entendais appeler : "Petit Jesus ! Petit Jesus !", je ne
disais pas : "Oui,, oui maman, j* arrive", j'arrivais tout de suite, avec un grand sourire, pour qu'elle voie
bien que je n'etais pas mecontent » (L 'Imitation du petit Jesus, 1931).
Oil I 'on posait des questions sur / 'hist oi re sainte :
« Que fit Noe apres Ie Deluge ?
II offrit un sacrifice a Dieu en reconnaissance de ce qu'Il I'avait preserve de la destruction generate
du genre humain. Ensuite, il planta la vigne ; mais ayant bu inconsiderement du vin qu'elle avait produit,
parce qu'il n'en connaissait pas la force, il s'endormit dans une posture indecenle. Cham, le second de
ses fl Is, appela ses freres, Semet Japhet, pour en rire ; mais ceux-ci le couvrirentde leurs manteaux. Noe,
qui en fut instruit a son reveil, donna sa benediction a Sem et a Japhet, et sa malediction a Cham Dieu
maudit en meme temps cet indigne fils, pour apprendre aux enfants a respecter leurs peres, en quelque etat
qu'ils puissent etre. »
« Les autres religions ne sont-elles pas aussi saintes que la religion chretienne ?
Non ; elles ont des caracteres bien differents, et font voir par la qu'elles sont Fouvrage des hommes.
La religion des pa'iens. par exemple, est pleine de corruption et d'impiete, et les plus grands crimes y sont
autorises, par exemple Les fausses divinites. Celle de Mahomet est pleine d'absurdite ; car qui peut croire
que la lime soit tombee un jour dans la poche de Mahomet, comrne il le raconte lui-meme, et que d'un
coup dc poing il Fait renvoyee au ciel pour ne pas priver le monde de sa clarte ? Outre cela, elle flatte
les passions des homines pour les attirer, el permet la jouissance des plaisirs sensuels. En un mot, la
religion chretienne seule detruit tous les vices et tend a une parfaite saintete » (Abrege de I'hisioire
sainte, 1893).
Et sur saint Francois d'Assise :
« On raconte que le saint, en prechant, allongeait la langue et se pourlechait les levres toutes les fois
qu'il prononcait le nom de Jesus, comrne s'il avait mange du miel ; il s'exercait a prononcer en belant le
mot Bethleem et s'enfermait dans une etable pour apprendre des meilleurs maitres le belement nature! »
(Grand Di ctio una ire Larousse du XDt* siecle, 1869).
Oil I 'on apprenait I 'histoire de France : Le missionnaire :
« La France n*a pas seulement envoye des soldats et des colons dans les pays lointains. Des milliers
de missionnaires, peres et sceurs, sont partis vers des regions inconnues pour soulager les miseres et faire
connaitre le bon Dieu
Le pere a marche de longs jours a travers la foret vierge : il arrive dans un village negre. II n'est pas
tres bienaccueilli.
II y a quelques annees. un missionnaire etait deja venu ; anais le sorcier etait jaloux de lui et il Fa fait
assassiner.
Le pere qui arrive aujourd'hui sait cela. Pendant plusieurs jours, personne ne s'approche de lui. E
construit une case oil il installe une chapelle.
Un jour il traverse le village : les enfants se sauvent. Fun d'eux tombe. Le bon pere le releve ; le petit
Negre est blesse au genou. Le pere le prend dans ses bras, il le soigne, le console. Le lendemain, son petit
ami lui dit bonjour ; les habitants du village ne se cachent plus. Le pere s'approche d^eux, tous Fecoutent,
il les fait rire. Mais non. le pere n'estpas mechant I »
Damon, le chasseur gaulots :
« II y a tres longtemps, notre pays s'appelait la Gaule : ses habitants etaient les Gaulois. lis vivaient
reunis entribus [...]-
Damos, le chasseur rapide comrne le daim, revient de la chasse. II est grand et fort. II est alle dans la
foret, ou vivent des animaux sauvages : les aurochs, grands bceufs au front bombe ; les ours, les elans.
Damos a reussi a tuer un daim [...].
Entrons avec lui dans sa hutte. Attention ! Baissons-nous car sa hutte est tres basse. Quelle mauvaise
odeur ! La fiimee nous pique les yeux ; nous n'y voyons pas grand-chose d'abord, parce qu' il n'y a pas de
fenetre [...].
Damos s'habille pour le festin. II met un pantalon tres large ou braie. puis il endosse une tunique
serree a la ceinture, la saie ; enfin il attache ses chaussures a semelles de bois avec des cordelettes. [...]
Au festin, les invites dechirent a belles dents la viande saignante. lis boivent de rhydromel ou du vin
contenus dans des cruches en terre cuite. Helas, les convives s'enivrent et le repas se termine par des
disputes [...]. »
L 'empereur Charlemagne :
« Plusieurs siecles apres Clovis, les Francs ont un grand roi, Charlemagne [..-].
Charlemagne est grand et fort ; c'est un bon cavalier, un nageur etonnant. II aime beaucoup la chasse.
II est tres simple, il ne met ses beaux habits que les jours de fete. II est sobre a table ; il deteste ceux qui
s'enivrent.
Charlemagne est aussi tres Chretien Chaque matin et chaque soh\ il va a la chapel le qu'il a fait
construire dans son palais. Pendant ses repas, il se fait lire des passages de FEvangile ; il ne manque
jamais dejeuner.
Comme il regrette de ne pas avoir appris a ecrire ! La nuit, quand il s'eveille, il s*assied sur son lit ;
il prend une plume d'oie ets'exerce a ecrire [...].
Tout le peuple franc le remercie de la paix qu'il assure dans le pays. Par admiration, on l'appelle
"I* empereur a la barbe fleurie", bien qu'il n'ait pas de barbe. »
Louis XIV, le Roi-Soleil :
« Louis XIV est le plus glorieux des rois de France. II regne de 1661 a 1715.
Son air majestueux en impose a tout le monde ; les courtisans I'admirent et lui parlent avec respect.
Lui-meme ne se permet jamais un mensonge ni une plaisanterie a Tadresse d'une personne. II est
extremement poli et il souleve son chapeau devant toutes les dames qui passent » (Histoire de France,
1954).
Un pen d'arithmetique :
— « Un cheval tout harnache a coute 620 F ; nu, il aurait coute 350 F ; quel est le prix des harnais ?
— Un mourant qui possede 1 2 300 F donne 8 900 F a I'hopital et partage le reste entre ses 5 parents ;
quelle sera la part de chacun ?
— Un batailion comptait 720 hommes ; 40 sont morts a la guerre, 20 a I'hopital, 15 ont ete faits
prisonniers, 8 ont deserte, et 50 ont obtenu lew eonge ; combien reste-t-il d"hommes dans ce batailion ?
— Un ouvrier met 10 minutes a fumer une pipe ; combien d'heures emploie-t-il a fumer pendant une
annee, s ? il fume 3 pipes par jour ?
— Un homme portant des ceufs au marche en casse 35, en donne 8 aux pauvres, en vend 7 douzaines
en route, et arrive avec 476 ceufs ; combien en avait-il en partant de chez lui ?
— Quelquun promet de dormer 1,10 F a un pauvre toutes les fois qu'il gagnera 13 F ; a combien de
pauvres doit-il faire Taumone Iorsque son gain s'eleve a 546 F ?
— Dans une famille, un homme boit 1 5 litres de vin, sa femme 8 litres, et ses enfants 7 litres chaque
mois ; dans combien de temps auront-ils bu un tonneau de 360 litres ? » (Arithmetique, 1 853).
Et de composition frangaise :
« De la composition francaise et autres questions d'intelligence :
— Ecrivez au proprietaire d'un pressoir mecanique pour lui demander de venir chez vous presser
vos pommes.
— \6tre chat a decouvert un trou de souris dans Ie grenier. Que fait-il ? Son attitude ? La souris met
le nez dehors, rentre, puis revient, avance un pea regarde a droite, a gauche. Tranquillisee, elle quitte son
trou. Imaginez la suite.
— Avez-vous vu la fermiere quand vient Theure de soigner la basse-cour ? Elle apparait. Elle
appelle la volaille. Aussitot, poules, canards, pigeons, etc., de se precipiter a qui mieux mieux.
Tachez de nous faire une description vivante de cette tache.
— Un papillon vole, vole... Un enfant le poursuit. C'est Ie matin. Par le chemin embaume de rosee,
les oiseaux chantent, les fourmis se promenent, les fleurs sentent bon, Ies plantes reverdissent. Un gai
soleil inonde la campagne de ses bienfaits rayons. Tout a coup, du creux d'une digitale pourpre, un
papillon sort.
Racontez» (Pierre Bertrand, 1928).
Des bonnes manieres - les domes tiques :
« On doit toujours parler a ses domestiques poliment, mais d'une facon nette et precise. On dira par
exemple : "Voulez-vous recoudre mon gant, Maria ?", "Vous voudrez bien preparer le the pour 5 heures."
Mais on ne sera ni dur ni dedaigneux en disant simplement : "Vbus irez chercher Mile Ghislaine chez
ses amis", "Vous allumerez le feu dans le bureau."
Si on demande un service exceptionnel, on ajoute volontiers : *Vil vous. plait". On dit merci de temps
en temps. Et on doit remercier parfois de maniere plus accentuee. II n'est pas bien difficile de dire :
"Afctre tarte etait excellente Josephine", "On a beaucoup admire la robe que Julie a faite a
Mademoiselle", "Vous aveztres bien servi Ie diner, Justin".
Ces eloges merites donnent aux serviteurs le desir de bien faire et les attachent a une maison ou Ton
comprend le prix du travail.
Les domestiques emploient la troisieme personne pour parler a tous leurs maitres. Parlant de leurs
maitres, ils disent monsieur, madame, mademoiselle, et non M. Lorrain, Mme Dantec, Mile Huguette. S* il
y a plusieurs enfants, ils peuvent faire suivre monsieur ou mademoiselle du nom de bapteme et dire
M. Roger, Mile Jacqueline. Le bebe lui-meme a droit a etre nomme ainsi » {Le Saroir-vivre, 1928).
La premiere rencontre :
« On choisit un terrain neutre, une eglise, un masee, un lieu de promenade, une maison amie ; la jeune
fille est avec ses parents, le jeune homme est accornpagne de la personne qui s'entremet pour le manage.
On se rencontre a la sortie de 1'eglise, ou pendant une promenade, au theatre ; apres les presentations, une
conversation generale s'engage. .. Elle est courte et banale. La jeune fille n'est pas prevenue ; elle est
ainsi plus narurelle et, par la suite, plus charmante. Cependant, il est des raisons pour lesquelles,
quelquefois, les parents trouvent utile de Pavertir. Elle feint alors, pour etre plus a Taise, de ne rien
savoir. Elle est mise simplement, comme ses soeurs et sa mere. On ne doit pas songer a Texhiber » (Le
Guide des convenances, 1924).
Du tabac :
« Le docteur Demeaux atfirme que, depuis qu'on tume dans le departernent du Lot, la sante generale
s'est amelioree.
Comment faire admettre que Tusage du tabac abrege Texistence, quand les statistiques, au contraire,
etablissent irrevocablement que la vie de Thomme s^est accrue dans ces derniers tenps, par une autre
cause peut-etre, rnais justement en proportion directe de la consommation du tabac ? » (Laivusse du
wf siecle).
De I 'hygiene - la sueur des aisselles :
« Je vais donner un moyen pour empecher tous les inconvenients de la sueur d'avoir lieu. Comme il
faut bien se garder d'arreter le cours de celte sueur dont la nature se sert pour secreler des hurneurs
nuisibles, la seule proprete doit conlribuer a vous en delivrer : vous Iaverez chaque matin le dessous des
bras avec de Teau tiede, puis, Iorsque vous sentirez la premiere atleinte de la sueur. vous glisserez sur le
gousset de la manche de chemise un petit morceau carre de toile fine ou de batiste. A ce petit morceau
appele "gousset mobile", on adaptera une petite ganse pour attacher les deux goussets ensemble lorsqu'on
voudra les blanchir. \bus en aurez une provision afin de les changer rrequemment » {Le Manuel des
dames, 1827).
L 'amour :
« Cette passion exaltee peut produire des resultats heureux ou de facheux efFets. L amour encourage
fait eprouver un bien-etre general, active toutes les fonctions, colore agreablement tous les objets et fait
cherir 1' existence.
Cette passion expansive double la force, Tenergie, la volonte, fait accepter avec joie les plus grands
sacrifices et peut etre T occasion du developpement des facultes les plus remarquables. L' amour
malheureux, au contraire, produit tous les efFets des affections sombres.
Les fonctions principales sont troublees, le sommeil agite ou nul, les idees tristes ; un mecontentement
continuel. une sensibilite exageree, le degout de la vie, des larmes, des syncopes, des convulsions
tourmentent frequemment les victimes de cette passion.
Elles sont beaucoup plus nombreuses parmi les femmes que parmi les hommes et r amour est chez
elles la cause la plus frequente de Thysterie, de Tepilepsie et de Talienation » (La Nouvelle Maison
rustique, 1 846).
Ce qu f il nejaut pas j aire quand on est nervewc :
« Ne vous mariez pas trop tardivement, si vous voulez apporter la patience au menage. Ne couchez
pas vos enfants pres de votre chambre.
Ne vous adonnez pas aux sciences occultes, au spiritisme ; ne vous avisez pas de faire tourner les
tables.
Ne mangezni viandes marinees,, ni charcuterie, ni fro mages fermentes, ni coquillages, ni crustaces, ni
celeri, ni asperges, ni gateaux, ni sucreries.
Ne vivez pas dans un air confine. Ne transformez pas en tabagie le lieu ou vous travaillez. En tout
cas, aerez souvent votre bureau.
Ne prenez pas de vacances au voisinage de la mer. Le climat marin est rennemi du nerveux, chez
lequel il determine de frequentes insomnies.
Ne soyez ni depute, ni avocat, ni medecin. ni chauffeur d'automobile, ni homrne d'affaires, ni homrne
de theatre. Ne preparez aucun concours, ni intellectuel, ni sportif.
Ne j ouez pas ; les discussions provoquees par le jeu surexcitent enormement le systeme nerveux.
Ne vous logez pas pres d'un tir, d'une forge, d'une scierie, d'un cours de musique, d'une gare de
cheinin de fer, d'un depot de tramways », etc. {Almanack Hachette, 1927).
Du ban usage d 'un discours :
« Pour rinauguration d'une station de chemin de fer :
Saluons la blanche maisonnette, minuscule et souriante comme une villa, qui semble de loin inviter le
voyageur ; nous avons bien le droit de la decorer du nom de gare.
Elle porte deja fierement le nom de notre petit pays, ecrit en majuscules blanches sur fond bleu.
Gardons-nous de dedaigner ce grand hangar de planches brunes, qui se tient a Pecart, comme un
modeste serviteur et qui rnerite bien cependant une large part des dommages que nous adressons a sa
sceur plus coquette.
11 est vide encore, mais bientot il abritera tous les produits de notre region : nos pailles, nos foins et
nos tonneaux ; il sera comme Phumble local d'une exposition permanente, oil Ton pourra administrer tout
ce que peuvent donner notre sol et notre industrie.
Benissons aussi et surtout les deux rubans d'acier qui courent a droite et a gauche, a perte de vue et
qui nous relient aux villages voisins, aux villes plus lointaines. a Paris enfin et au monde » (Louis Filippi,
1920).
De I 'admin is l rat fori :
« \fous avez dernande a beneficier de Paide de I'Etat prevue par la loi du 4 decembre 1985 afin
d*effectuer le rachat de cotisations que vous propose la caisse regionale d'assuranee maladie Rhone-
Alpes pour des periodes d'activite au Maroc allant du l er juillet 1957 au 30 juin 1964. Conformement
aux dispositions de Particle 2 de cette loi, Paide de I'Etat ne peut etre attribute qu'aux personnes visees
a Particle 1 de ce texte, a savoir aux Francais et aux etrangers vises au deuxieme alinea de Particle 3 de
la loi du26 decembre 1961 » (Courrier du ministere des Affaires sociales).
« Votre affiliation au regime general sans critere de residence sera immediate des le depot de votre
dernande, attestant de votre situation reguliere et stable en France. Si vos ressources et celles des
personnes composant votre foyer sont superieures au plafond fixe par decret, vous devez payer une
cotisation a un taux limite proportionnel a vos ressources » (Notes du forrnulaire « Couverture maladie
universelle-protection de base »).
« Uactif taxable est calcule en deduisant le passif de Pactif brut, Dans les regimes communautaires,
vous devez effectuer une premiere liquidation en enumerant et en evaluant les biens de communaute
desquels vous deduisez le passif. La difference est appelee "boni de communaute'" » (Texte figurant dans
une notice officielle de declaration de succession, cite dans Le Monde, 3 aout2001).
De la Securite sociale :
— « Qa fait seize jours que je suis au lit avec le docteur Dupont, et je voudrais en changer parce qu'il
ne m*a encore rien fait »
— « J'ai ete victime d'un accident de la circulation, provoque par un chien a bicyclette. »
— « Je me suis marie il y a huit jours, dites-moi comment couvrir ma femme. »
— « Mere d'un enfant de six mois que je nourris au sein, je n'arrive pas a joindre les deax bouts. »
— « Selon vos instructions, j'ai donne le jour a deux enfants dans une enveloppe ci-jointe. »
— « Monsieur, je vous envoie mon certificat de mariage et deux enfants. L'un d'eux est une erreur
comme vous pouvez le voir. »
— « Monsieur le directeur, mon mari est mort. Dites-moi comment le faire sortir de la caisse. »
— « Mes dents sont tellement mauvaises que je ne peux macher que des potages. »
— « En reponse a votre enquete dentaire, mes dents de devant vont tres bien mais les dents de mon
derriere me font tres mal. »
— « On a coupe les bourses de mon fils : il ne va plus en classe. »
— « Je suis enceinte de cinq mois... etpourtantje n'ai rientouche. »
— « Mon enfant n'a pas une bonne glande tyrolienne. »
— « Les frais de soins pour Fotite de mon fils ne m'ont toujours pas ete rembourses : la mutuelle fait
la sourde oreille. »
— « Comme mon mari est parti chez les fous, je Fenvoie a votre bureau » (Les Perles de la Securite
sociale, Claude Gagniere).
De la presse :
— « L'exil dore mais nostalgique de 1* ex-sultan du Maroc et de son harem. Ben Youssef parmi ses
Negresses caresse les plus noirs desseins » (Le Dauphine libere, 13-12- 1953).
— « Tire-lait electrique POMP. Au comptant : 65 000 francs ; ou traites mensuelles » ( Maison de
sante de France, octobre 1953).
— « La presentation des concurrentes sera faite suivant nos reglements "Miss France". Les
concurrentes sont informees que le comite se tiendra a la disposition de celles qui n'ont pas de maillot »
(Vigie marocaine, 12-02-1954).
— « Un ancien garde-chiourme accuse : "L'escroc, c'est I'Etat." Dans le doute, le tribunal le
condamne a trois mo is de prison » (Paris- Presse, 12-03-1953).
— « Avec le Lave-tout-eclair, un bon rincage a I'eau froide entre chaque operation suffit pour passer
de la cuvette des W.-C. a la poele a frire et a votre visage » (Prospectus publicitaire).
— « Quand vous doublez un cycliste, laissez-lui toujours la place pour tomber » (Le Repablicain
terrain, 12-10-1954).
— « Un 18 e enfant, une petite Nicole, est ne hier a Lorient, cite Saint-Huel, au foyer d'un tourneur de
F arsenal, M. Robert Remusat. La maman. nee Alice Calvel, a quarante et un ans et le pere quarante-huit
ans. Sur ces 18 enfants, 16 sont encore vivants et 2 maries » (Le Telegramme de Brest, 21-01-1954),
— « La France est representee par un erudiant yougoslave,, M. Vidoknezevitch, designe en raison de
sa parfaite connaissance de la langue anglaise » (Le Monde, 16-05-1954).
— « Le nombre de voyageurs descendus dans une gare ne peut etre superieur au nombre de voyageurs
existant daas le train au depart de la gare precedente » (Circulaire SNCF).
— « Le tronc de la femme decouvert dans le Rhone provient d'un corps decoupe en morceaux » (Le
Meridional, 09-06-1 955).
— « La Pedale chantenaisienne a Passaut du V.C. Nazairien » (Resistance de I 'Quest, 06-04-1956).
— « Si le blesse perd son sang en abondance, garder son sang-froid » (Preparation militaire.
Secourisme).
— « Un cheval alezan fort age a ete abandonne dans la nuit d'hier, probablement sur la place de
rimmigration. Des personnes Font vu se diriger, ce matin, vers le bureau de FAssistance publique »
(Cemeen, 19-01-1955).
— « Encore un reglement de comptes a Marseille. Un couple traque par le milieu abattu en plein
centre » (La Liberie de ClermoiU-Ferrand, 13-10-1956).
— «LisezIa page 8 d'une oreille attentive »(Club, mai 1955).
— « Les premieres u^anspirations de la reunion preparatoire de la fete viennent de nous parvenir.
El les sont abondantes et de bonne qualite » (Le Counter du Maroc, 02-1 1-1955).
— « II va y avoir un an que le vieux sanglier tourne comme un ours en cage dans sa cellule » (fci-
Paris, 14-11-1954).
— « Andre Leriche, cinquante et un ans, comparait pour attentat aux mceurs commis sur la personne
de ses deux filles, et pour divers outrages publics a la pudeur. Leriche aurait notamn^nt urine dans la
cheminee, eteignant le feu » (L 'Echo repuhlicain, 24-06-1953).
— « Marcel Gagnon, soixante-dix ans, s'est suicide de cinq coups de revolver dans la tempe, tires
chacun a un quart d'heure d"intervalle » (La Republique du Centre, aout 1954).
L'humour involonlaire de certains ecrivains « dislraits » trouve aussi ici sa place. lis ont laisse
passer de jolis mots dont la posterite se regale. On ne se relit jamais assez, quoique je soupconne certains
d'entre eux de ne pas etre dupes et d'avoir voulu s'amuser un peu :
— « Adonne a la poesie erotique. Melendez pensa entrer dans les ordres » (James Fitzrnaurice-Kelly,
Histoire de la litterature espagnole).
— « Alors, elle apercut un pied qui riait dans un rayon de soleil » (Emile Zola, Les Contes a Ninon).
— « Ah ! ah ! dit don Manoel en portugais » (Alexandre Dumas, Le Collier de. la reine).
— « II est inadmissible qu'on me demande de prononcer prouffe un mot ecrit proof » (Remy de
Gourmont, Esthetique de la langue Jrancaise).
— « Elle tendait a mes Ievres son triste front pale et fade sur lequel, a cette heure matinale, elle
n'avait pas encore arrange ses faux cheveux, et oil les vertebres transparaissaient comme les pointes
d'une couronne d"epines » (Marcel Proust, Du cote de chez Swam).
— « Guillaume est un garcon horuiete, rnais qui ne s'est jamais apergu que son coeur lui servait a
autre chose qu'a respirer » (Alfred de Musset, Le Chandelier).
— « Jeantrou avait garde sur le coeur les coups de pied au cul de la baronne » (Emile Zola,
L* Argent).
— « Je n'y vois plus clair, dit la vieille aveugle » (Honore de Balzac, Beatrix).
— « La Delaweare coule paral [element a la rue qui suit son bord » (Chateaubriand, Voyage en
Amerique).
— « Le colonel, sans plus vouloir entendre, tarnbourinait le rappel, de pied ferme, sur le bras de son
fauteuil » (Henri Pourat, Le Mauvais Garcon).
— « Lhomme brun aux yeux noirs est reste maitre des quatre demi-hemispheres qui forment T Europe
meridionale » (Gabriel Hanotaux, Histoire de la France contemporaine).
— « On dirait deux oranges-mandarines qui auraient des yeux noirs » (Rene Bazin, Impressions de
voyage en Portugal).
— « Puis c'etait un capitaine, le bras gauche arrache, le flanc droit perce jusqu'a la cuisse, etale sur
le ventre, qui se trainait sur les coudes » (Emile Zola, La Debacle).
— « Triomphante, elle rompait de son pied cette epee de Damocles suspendue sur sa tete » (Gabriel
Martia Margarett).
L* humour peut se cacher aussi dans des traductions surprenantes. Ainsi on peut lire :
Dans un hotel de Tokyo :
« Est interdit de voler les serviettes de 1' hotel s'il vous plait. Si vous n'etes pas le genre de personne
a faire une telle chose, s'il vous plait ne pas lire la notis. »
Dam le lobby d'un hotel de Bite west :
« Lascenseur sera en reparation le prochain jour. Pendant ce temps, nous regrettons que vous soyez
insupportables. »
Dans I 'ascenseur d 'un hotel de Belgrade :
« Pour deplacer la cabine, appuye sur le bouton pour Tetage desirant. Si la cabine devait entrer plus
de personnes, chacun devra appuyer un nombre d'etage desirant. La conduite est alors faite
alphabetiquement par ordre national. »
Dans un hotel en Yougoslavie :
« I/aplatisement des sous-vetements avec plaisir est le travail de la femme de chambre. »
Dam le lobby d'un hotel de Moscou, en face d'un monastere orthodoxe russe :
« \fous etes les bienvenus a visiter le cimetiere ou des compositeurs, artistes et ecrivains russes
celebres sont enterres tous les jours sauf le jeudi. »
Dans un aseenseur de Leipzig :
« r*Tentrez pas dans ascenseur de reculons, et seulement si allume. »
Dans un hotel d'Athenes :
« On s* attend a ce que les visiteurs se plaignent au bureau entre 9 het 11 ha. rn. tous les jours. »
Darts un hotel japonais :
« Vous etes invites a profiler de la femme de chambre. »
Dans un hotel autrichien pres despentes de ski ;
« Ne pas preambuler les corridors pendant les heures de repose en bottes d'ascension. »
Dans un bar de Tokyo :
« Cocktails spec iaux pour les femmes avec noix. »
Dans un aeropovt de Copenhague :
« Nous prenons vos sacs et les envoyons dans toutes les directions. »
Dans un bar no/vegien :
« On deinande aux femmes de ne pas avoir d'enfants aubar. »
Dans une brochure de location d'autos de Tokyo ;
« Quand un passager de pied a en vue, flutez le klaxoa Trompettez-le melodieusement au debut, mais
s'il continue d'obstacler votre passage, alors flutez-Ie avec vigueur. »
Stir le menu d 'un restaurant Suisse :
« Nos vins ne vous laissent rien a esperer. »
Dans un zoo de Budapest :
« S'il vous plait ne pas nourrir les animaux. Si vous avez de la nourriture appropriee, donnez-la au
gardien en service. »
Chez un taitleur de Rhodes :
« Demandez votre costume d'ete. Parce que est grosse affluence, nous executerons les clients en
rotation stncte. »
Extrait du Soviet Weekly :
« II y aura une exhibition d'arts de Moscou par 150 000 peintres et sculpteurs de la Republique slave.
Ceux-ci ont ete executes au cours des deux dernieres annees. »
Deux pancartes a I 'entree d 'un magasin de Major que :
« 1. Frangais bienparlant. 2. Ici discourons americain. »
Dans un hotel de Zurich :
« A cause de Finconvenance des invites de divertissement du sexe oppose dans Ies chambres, il est
suggere d'utiliser le lobby pour cette intention. »
Sur une pancarte a hord d 'un traversier de San Juan :
« En cas d'urgence, Ies lifeguards sont sous les sieges dans le centre du vaisseau. »
Dans une buanderie de Rome :
« Mesdames, laissez vos vetements ici et passez 1'apres-midi a avoir du bon temps. »
Dans un temple de Bangkok :
« II est interdit d'entrer une femme meme une etrangere si habillee comme un homme. »
Autres exemples de cet humour involontaire, mais savoureux lorsqu'il s'agit de modes d'emploi :
Savon Dove :
« Mode d'emploi : utiliser comme un savon normal. »
Cacahuetes Sainsbury :
« Avertissement : contient des cacahuetes. »
Biscuits aperitifs sur les vols American Airlines :
« Instructions : 1 - ouvrir paquet. 2 - manger biscuits. »
Plats surgeles :
« Suggestioas de preparation : congeler. »
Quirlandes lumineuses pour Noel :
« Pour usage interieur ou exterieur uniquement. »
Pudding Marks & Spencer :
« Le produit sera chaud apres avoir ete rechauffe. »
Somniferes Nytol :
« Atlentioa la prise de ce medicament peut entrainer un etat de somnolence. »
Tronconneuse suedoise :
« Ne doit pas etre utilise pour un autre usage. »
Strop pour la toux pour en/ants :
« Ne pas conduire ni operer sur machine-outil apres absorption. »
Seche-chevewc Sears :
« Ne pas utiliser en dormant. »
Enfin, quelques perles entendues dans Ies librairies :
« L 'Etrangle\ de Cabu. »
— « Zorro et I 'Infhii, d' Arthur Koestler. »
— « La Cousine bete, d'Honore de Balzac. »
— « Le Zoo de Hurlevent, d** Emily Bronte. »
— « Le Proves de Kafka, c'est de qui ? »
— « Antigone de la nouille. »
— « Les Fourberies d'Escarpin, de Moliere. »
— « Vipere an poing, d'Herve Vagin. »
— « Eugenie Grandil, de Balzac. »
— <c Je cherche : J'attends un enfant, mais je ne sais pas de qui... »
— « Le Che est homo, de Friedrich Nietzsche. »
— « Le Tiramisu (Le Kama-Sutra). »
— « Avez-vous un manuel de savoir-vivre de Georges Perec ? (La Vie mode d'emploi). »
— « Ainsi parlait Haroun Tazaeff(.4/7w/ parlail Zaraihoustrcu Friedrich Nietzsche), »
— « Avez-vous Premier de cordee, dans la collection "Frissons de roche" ? »
— « Les oiseaux se couchent pour dormir. de Colleen Mac Cullough. »
— « Neuf trots (Quatre-vingt-treize, Victor Hugo). »
— « Je cherche des livres de Yann Anus Bertrand. »
— « Les Freres Bogdano/f de Dostoi'evski. »
— « La Menopause, de Kafka. »
— « Omelette, de Shakespeare. »
— « On ne badine pas avec Zemmour. »
Humour juif, L'
On a tous luca el la que rhumour juif etait le reflet de Thistoire tourmentee etetonnante cTun peuple
persecute et que le theme « rire pour ne pas pleurer » se retrouve tout au long de l'histoire de cet humour
doloriste et mortifere. Le plus bel exemple en est sans doute cette anecdote rapportee par Sacha Guitry
qui, essayant de venir en aide a son ami Tristan Bernard incarcere a Drancy, lui avait fait demander ce
dont il avait besoin. Reponse de Tristan Bernard : « Un cache-nez. » L' humour juif n'est done pas
seulement masochiste, e'est aussi comme l'explique le philosophe Gerard Rabinovitch « un art de
rautoderision du cote de la vie en prenant acte de la discordance ineluctable entre les ideaux proclames
et la realite observee ». En cela il se rapproche de l'humour anglo-saxon, rnais pour Rabinovitch,
rhumour anglais serait plutot un humour d'aristocrates d 1 insider et rhumour juif un humour du peuple, un
humour d 1 outsider.
Rien de ce qui est humain n'echappe a cette derision phenomenale, a cet humour que hantent des
themes eternels, couple, travail, argent, sante, lourdeurs de la tradition, sans oublier Dieu et les ancetres.
A ce propos, savez-vous quels sont les juifs qui ont le plus influence Thistoire de rhumanite ?
— Moise en enoncant : « Tout reside dans la loi. »
— Jesus et son axiome : « Tout reside dans ramour. »
— Marx pour qui ; « Tout se trouve dans 1' argent. »
— Freud : « Dans le sexe. »
— Bergson : « Dans le rire. »
Et Einstein de conclure : « Tout est relatif ! »
Gertrude Stein, que la modestie n"etouffait pas, affirmait, elle : « Les juife n'ont produit que trois
genies originaux, Jesus, Spinoza et moi. »
Ce sont les juife eax-mernes qui donnent la meilleure definition du commercant juif : « Celui qui
parvient a vendre ce qu'il n*a pas a quelqu'unqui n'ena pas besoin. » Le juifpense que : « Dieuaime les
pauvres et aide les riches. »
Autre histoire d'argent qui m'a ete contee par un juif plein d'humour. si je peux me pennettre ce
pleonasrne : Jacob qui habite Tel-Aviv telephone a son fils Samuel qui a emigre a New York :
« Je regrette de te gacher ta journee, mais je dois t'informer que ta mere et moi sommes en train de
divorcer. Quarante-cinq ans de souffrance, e'est assez.
— Papa, comment peux-tu dire ga?Et juste avantles fetes !
— Nous ne pouvons plus nous voir, repond le pere. Nous sommes fatigues Tun de l'autre et tu rne
rendrais service en prevenant ta sceur Anna a Chicago. »
Desespere, le fils appelle sa sceur, outree.
« Comment 9a ? Divorcer a leur age ? Je m'en occupe. »
Aussitot, la fille telephone a son pere :
« \fous n'allez pas divorcer. Ne (aites rien jusqu'a ce que noas venions vous voir. Tu m'as bien
entendu. Rien ! »
Le pere raccroche, se retourne vers sa femme :
« Rebecca, tout est parfait, ils viennent passer Ies fetes avec nous et ils vont meme payer leurs billets
d'avion ! »
Et comment deflnir l'ethique dans les relations commerciales ? « C'est tres simple, repond le
commercant. Si un client quitte par exemple le magasin sans avoir pris sa monnaie, dois-je la garder pour
moi ou la partager avec mon associe ? C'est 9a, l'ethique. »
Les transformations de la societe ? Elles sont evidentes si Ton considere que « la difference entre un
tailleur et un psychanalyste, c'est une generation. . . ».
Que dire des histoires qui jalonnent les differentes immigrations et qui temoignent des circonstances
difficiles auxquelles les juifs etaient confronted ? Je pense a celle du juif recemment arrive aux Etats-Unis
et qui s'extasie devant une machine a sandwichs. H met une piece et obtient un sandwich, puis une
deuxieme et prend un nouveau sandwich. Au bout de six sandwichs, son ami lui demande : « Mais
pourquoi tant de sandwichs ? » Et F autre de repondre : « Parce que je gagne a tous les coups ! »
Et celle de 1'atelier de confection, a New York, oil Ton ne parle que yiddish. Un visiteur s'etonne d'y
voir un Chinois parlant yiddish. On lui demande alors discretement de se taire car le Chinois croit qu'il
apprend ramericain !
Uhumour juif israeli en ne manque pas non plus de saveur. On se souvient combien les premieres
annees apres la creation d'lsrael en 1948 ont ete difficiles : un touriste americain venu voir son neveu en
Israel s'etonne de voir qu'il ne parle que de nourriture, de problemes de logement, de transports et
d'emploi, alors que chez lui aux Etats-Unis on parle plutot « d'art, de musique et de litterature ». Reponse
du neveu : « Chacun parle de ce qu'il n'a pas. »
Les histoires sur les meres juives ? Une mine d'or :
Un Fils telephone a sa mere :
« Comment 9a va ?
— fava bien.
— Oh, pardon, je me suis trompe de numero. »
L 1 obsession, aussi, de voir leur fils reussir :
Une mere promene ses bebes. Emerveillement d'un passant :
« Qu'ils sont beaux ! Quel age ont-ils ?
— Le medecin, Samuel, a un an, et David, Tavocat, a deux ans. »
Quelle est la station de metro preferee des meres juives ? : Monge, parce que : « Monge rnon fils,
Monge. »
Une mere est sur le point de se jeter par la fenetre. Les pompiers tendent une toile, un policier essaie
de la dissuader :
« Madame, arretez, votre fils mange ! »
Et elle, de repondre : « Vraiment, meme des legumes ? »
Quant a Mme Bensoussan, elle n'hesite pas a telephoner a Roissy-Charles-de-Gaulle :
« Alio, c'est madame Bensoussan. A quelle heure arrive Tavion de mon fils ? »
Meme durant les periodes les plus rragiques, 1'humour a toujours ete present. Ce qui faisait dire a
Golda Meir : « Le pessimisme est un luxe que les juifs ne peuvent pas se payer. »
Le juif a toujours peur de ce qui pourrait encore lui arriver, comme celui qui annonce a sa femme
qu'un tremblement de terre a eu lieu en Amerique du Sud et qui Tentend repondre :
« C'est bon ou c'est mauvais pour les juifs ? »
De rneme, cet homme qui entre dans un cafe et annonce :
« On va tuer Les juifs et les coiffeurs. »
Et tous de repondre :
« Pourquoi les coiffeurs ? »
Et celle de la juive polonaise qui, apres vingt ans de manage, se regarde dans la glace un beau matin
el qui declare, triomphante :
« Bien fait pour lui ! »
Ou encore, ce telegramme juif :
« Commence a t'inquieter. Details suivent... »
Et ma preferee : « J'ai deux nouvelles pour vous, dit le docteur. Une bonne et une mauvaise. Je
commence par laquelle ?
— La bonne, dit le patient
— Eh bien, vous n'etes pas hypocondriaque. »
Freud, en 1905, avait ecrit un livre tres accessible, Le Mot d 'esprit et ses rapports avec
I'inconscient, dans lequel il traite de 1' humour en general mais aussi de P humour juif, qui, a son avis,
explique le mieux la technique du mot cT esprit Ce trait d'esprit, le fameux Witz allemand, provient d'une
idee qui surgit sans qu'on Tattende. Freud explique qu il s'agit de concepts qui ne sont pas faits pour
aller ensemble, mais que l'esprit combine dans une espece de « mesalliance ». Et de citer l'histoire de ce
vendeur de billets de loterie qui se glorifie de ses relations privilegiees avec Salomon Rothschild, a cote
de qui il se retrouve par hasard dans un train : « J'etais assis a cote de ce monsieur qui m'a traite comrne
son egal, d'une maniere tout a fait famillionnaire. »
Pour Freud, c'est un bel exernple de fonctionnement exprime par ce brave homme, frappe par le cote
famil ier surprenant chez ce millionnaire.
L* humour juif, c'est aussi un mecanisme joyeux de defense contre les agressions de la vie, et de la
mort. Ainsi : « Je suis tres, tres vieux », disait le celebre comique juif americain George Burns, peu de
temps avant sa disparition : « La preuve, c'est que quand j'efcais petit la mer Morte n'etait que malade. »
Humour noir, L'
On a souvent pu lire, lorsque Ton s'interesse a ['humour, cette citation attribuee tantot a Boris Vian,
tantot a Georges Duhamel : « Lhumour est la politesse du desespoir. » En realite, son veritable auteur,
Achille Chavee, avait ecrit : « L'humour NOIR est la politesse du desespoir », ce qui parait plus logique
pour qualifier cet humour qui consiste a evoquer avec detachement, voire avec amusement les choses les
plus horribles et les plus /wires, \bila un humour qui suscite souvent une forme de gene, car ce n'est pas
evident de faire rire quand ce n'est pas drole. Suivant les cultures, il sera accepte avec raillerie ou
desespoir et plus ou moins bien vecu en fonction des tabous qu'il titille : la mort, la maladie, la religion,
les enfants ou les vieillards. Lhumour noir navigue done dans des eaux troubles, proches de celles du
mauvais gout <iu scandale et de Tindecence.
Pour Andre Breton, le pape de l'humour noir et I'auteur d'une anlhologie ineontournable en 1940 :
« L'humour noir est borne par trop de choses, telles que la betise, l'ironie sceptique, la plaisanterie sans
gravite (remuneration serait longue). Mais il est par excellence l*ennemi mortel de la sentimentalite
perpetuellement aux abois - la sentimentalite toujours sur fond bleu — et d'une certaine fantaisie a court
terme. » II ajoute : « \fous n'avez rien a craindre, j'ai la fantaisie d'etre serieux. » Mais, pour Breton,
l'humour et l'humour noir se confondent, car 1'humour est de toute facon une revolte de 1'esprit
L'humour noir ne pardonne a personne. Ni a ceux qu'il tient a distance ni a ceux qui le considerent
comme un poison delicieux. Dans son Anthologies Breton explique bien qu'il a evite de choisir des
auteurs qui n'ont cherche qu'a distraire ; non, il a selectionne des esprits aptes « a voler les consignes du
monde exterieur ». Parmi ceux-ci, dont certains figurent dans le present dictionnaire, on en trouvera
marques par la folie, Swift, Sade, Nietzsche ; la drogue, De Quincey, Baudelaire ; Talcool, Poe, Jarry ;
ou le suicide, Roussel, Vache, Rigaud.
Ce n'est pas un hasard si a l'epoque le gouvernement de Vichy ordonna de saisir la premiere edition
de cette anthologie qui, eviderrrment, portait un serieux coup a l'ordre moral en vigueur. Cette forme
d'hurnour etait consideree comme trop audacieuse, mais elie correspondait bien a I'entreprise de
destruction menee par les surreal istes.
II n'est pas necessaire d'etre dans une situation desesperee pour faire de rhumour noir. C'est
l'humour antisocial, l'humour contre la societe. Dominique Noguez, un specialiste du genre, cite par
Patrick Moran et Bernard Gendrel. le dit joliment : « De toutes les couleurs de l'humour qu'il identifie
dans l'arc-en-ciel des humours, le noir semble bien etre la couleur primaire, primordiale, dont toutes les
autres ne sont que des reflets. » Et Noguez ajoute : « Le malheur se venge. » Pierre Desproges resumait
parfaiternent, en septembre 1982, dans son requisitoire contre Jean-Marie Le Pen, lors de remission « Le
Tribunal des flagrants delires » sur France Inter, pourquoi il fallait donner a rhumour noir ses lettres de
noblesse : « Si le rire sacrilege et blasphematoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de
vulgarite et de mauvais gout, si ce rire-la peut parfois desacraliser la betise. exorciser les chagrins
veritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout : de la
guerre, de la rnisere et de la mort ! Au reste, est-ce quelle se gene la mort, elle, pour se rire de nous ?
Est-ce quelle ne pratique pas rhumour noir, elle, la mort? »
L'humour, meme noir, reste un trait d'esprit, et s'il prefere faire rire des choses, c'est pour ne pas
avoir a en pleurer. Et puis, comme l'ecrivait Tristan Bernard : « Un journal coupe en morceaux
n'interesse aucune femme, alors qu'une femme coupee en morceaux interesse tous les journaux. »
Incoherents, Les
C'est Jules Levy qui a, en 1882, Tidee d'associer un nouveau mouvement arlistique a celui des
Hydropathes, en organisant « une exposition de dessins executes par des gens qui ne savent pas
dessiner », lors d'une kermesse de charite. La veille du 14 juillet, aux Champs-Elysees, des visiteurs
decouvrent, a la lueur des bougies, a cause d'une panne d'electricite, un capharnaurn d'ceuvres
moqueuses et espiegles mais dont le seul but est evidernment de faire rire.
Le 2 octobre, Jules Levy reitere Texperience et plus de deux mille personnes essaient d'envahir son
minuscule appartement ou se tient ('exposition insolite. Un an et un jour plus tard, les Parisiens
decouvrent, galerie Vivierme, la premiere exposition officielle des Arts Incoherents : « toutes les ceuvres
sonl admises, les ceuvres serieuses et obscenes exceptees » et, cette fois, vingt mille visiteurs feront le
deplacement.
En 1884, la galerie Vivienne les accueille de nouveau Hope cree le blason de l'Incoherence « en
chef de tuyaux de poyle de sable sans nombre, sur champ d' argent sur lequel une statue antique s'apprete
a sculpter au burin un academicien qui n'en mene pas large ».
En 1886, a r entree de l'Eden Palace, les commandements de l'Incoherence sont rnis en evidence :
« Un seul but te proposeras, rire et fegayer franchement. »
Encourages par la reussite de leurs expositions, ils organisent leur premier bal le 11 mars 1885 ;
d'autres suivront qui feront courir le tout-Paris a la mi-careme et, dans A la recherche du temps perdu , il
est meme question de Swarm, tremblant a 1'idee qu'Odette ne se rende au bal des Incoherents en
compagnie d'un concurrent
Sur les murs decores de l'Eden Palace, on pouvait lire : « La rnelancolie Centre pas ici » ou « Priere
de ne pas cracher au plafond ». Le bal se terrninait par la proclamation de TOrdre et une rosette, ne
devant jamais etre portee, etait attribuee a tous les invites.
En 1 886, le souper eut meme lieu assis sur le gazon, « que chacun avait ete prie d'amener avec lui ».
Comme toutes les bonnes choses ont une fin, contrairement aux mauvaises, les critiques
commencerent a s'attaquer a Jules Levy qui dut helas annoncer la fin de Tlncoherence le 16 avril 1887,
avec en prime un cortege funebre. Pourtant, elle renaitra de ses cendres le 27 mars 1889 lors d'un
nouveau bal organise a TEden, mais ce sera un derni-flasco, la presse refusant de couvrir Tevenernent.
Tout le monde pouvait faire partie de cette assemblee, chaque participant, quMl se nomme Dada,
Zipette, Troulala, qu'il soit « eleve des lapins » ou « eleve de son propre talent », pouvait esperer
remporter une medaille en chocolat. Bien entendu sous certains pseudonymes se cachaient des farceurs
professionnels, Toulouse-Lautrec, Caran d'Ache, Alphoase Allais, des ecrivains, des comediens, des
caricaturistes, des musiciens et des illustrateurs de presse et d'affiches.
lis exposaient tout et n'importe quoi : caricatures, portraits-charges des « personnalites du jour »,
satires poliliques et satires de mceurs, parodies des salons officiels et des peintres reconnus. Puvis de
Chavannes, alors tres en vogue, sera une de leurs cibles privilegiees comme Henner qui voit sa Nymphe
qui pi cure travestie en La nymphe qui pleure parce qu 'elle a perdu sa tante.
Les Incoherents exposent des aquarelles a la salive ou a l'eau de Sellz, des terres mal cuites, des
portraits a l'huile de coco, a l'huile de foie de morue, des tableaux en jus de reglisse, en chocolat, en
petits pois, en tabac, en macaronis, des sculptures sur gruyere, des dessins a la mouchure de nez ; ils
utilisent des supports tels que manches a balai, sacs a cafe, marmites, pots de charnbre, casseroles,
cervelas a Tail, toile emeri, cheval vivant qu'ils peignent en bleu-blanc-rouge en 1889.
On dit meme que les monochromes d'Yves Klein seraient une copie des monochromes de Malevitch,
eux-memes rechauffes de ceux des Incoherents et en particulier Ie fameux Combat de Negres dans une
cave pendant la nuit de Paul Bilhaud. Alphonse Allais exposera, lui, ses celebres monocroides dont la
Reeolte de la tomate sur les bonis de la mer Rouge par des cardhumx apopleciiques et la Venus de
Milo sera dotee d'un mari, Venus demi-lot, puis d'une cousine, Venus des nolle eaux. Le rapport entre
les Incoherents el les delices de la langue est evident puisque les membres de cette auguste assemblee
avaient a leurs debuts fonde un club litteraire, ce qui explique leur gout pour les jeux de mots et les
calembours douteux pour titrer leurs ceuvres. Reste a savoir si, comrne on l'a souvent ecrit, les
Incoherents peuvent etre consideres comme des prophetes de Tart moderne. J'aurais tendance a dire...
oui.
lonesco, Eugene (1909-1994)
Le 16 mai 1950, a 18 h 30, quelques badauds stationnent devant la porte du theatre des Noctambules
dans le Quartier lau'a On yjouait pour la premiere fois une piece curieusement intituleelw Cantutrice
chauve, ecrite par un inconnu au nom tout aussi sibyllin : Eugene lonesco, ne le 26 novembre 1909 (le 13
selon le calendrier orthodoxe) a Slatina en Rourmnie, a cent cinquante kilometres de Budapest En (ait il
avouera plus tard s'etre rajeuni de trois ans pour etre sur d'etre reconnu cornme faisant partie de « la
nouvelle generation dejeunes auteurs des annees 1950 », parmi lesquels figuraitlejeune... Beckett.
Peu de temps apres la naissance d'Eugene, la famille s'installe a Paris. Franco-roumain, lonesco sera
longtemps ballotte entre les deux pays et aura des relations difficiles avec son pere : « La derniere fois
que je Tai vu, j'avais termine mes etudes... J'etais marie. II respectait PEtat rournain, je detestais TEtat.
II irfavait traite d'enjuive. II vaut mieux etre enjuive que con ! »
II se fixe definitivement en France apres la Liberation, dans ce pays qui pour lui etait avant tout
anticomrnuniste.
Si Ton avait dit a ces spectateurs temeraires, qui se risquaient ce soir de 1950 a aller voir jouer La
Cantatrice chauve, qu'un jour son auteur entrerait a TAcademie francaise (1970) et qu'il serait le seul
dramaturge avec Henry de Montherlant a etre edite dans « La Pleiade », ils n^n seraient pas revenus,
d'autant que les critiques etaient severes vis-a-vis de ce spectacle ou « des families se recitent leurs
menus et des sornettes face a la salle, sur le ton mecanique d'un cours de langue Assimil accelere » !
Pourtant la piece sera jouee plus de quin2e mille fois et, encore aujourd'hui, six comediens se
relaient au fil de l'annee dans une mise en scene de Nicolas Bataille, pour nous montrer Mme Smith qui
dit a son mari : « Tiens, il est 9 heures. Nous avons mange du poisson, des pommes de terre au lard, de la
salade anglaise. » Du pur lonesco qui, a travers un echange de cliches et de lieux cominuns, montre la
betise arnbiante, Tinsolite de la banalite et le tragique des choses ; « Je ne puis dire que mon theatre est
un theatre de la derision. Ce n'est pas une certaine societe qui me parait derisoire, c'est rhomme. »
On a dit qu'il aurait pu etre Ie frere de Jacques Tati et le cousin de Buster Keaton, tant il se
complaisait dans une impassibility cacliant une anxiete metaphysique, qu'il considerait comme sa
« maladie chronique ». On a dit aussi que son theatre est plus « canulardesque », facon Jarry, que
litteraire. et qu'il etait le leader du « theatre de l'absurde », en ne faisant pas la difference entre la
tragedie et la comedie et en utilisant un materiau brut pour parler de notre quotidien.
Panni ses grands succes Les Chaises (1951), Viciimes du devoir (1952), Amedee ou comment s'en
debarrasser (1953) et la serie dite des Beranger, un personnage qu'il promene dans plusieurs pieces et
qui devient son porte-parole, comme dans Rhinoceros (1960), un chef-d*a2iavre oil il depeint une
epidemic imaginaire de « rhinocerite », qui effraie tous les habitants d'une ville et les transforme bientot
en rhinoceros.
11 s'agit en fait d'une metaphore de la montee des totalitarismes a la veille de la Seconde Guerre
mondiale, car Ionesco etait un ecrivain engage au meme titre que ses contemporains roumains Cioran ou
Brancusi qui se sont battus pour defendre la liberte et la dignite de rhornme avec comme principe, pour
essayer de sauver rhumanite : commencer a dresser le catalogue de notre rrrisere incurable. En Mai 1968,
Ionesco se dit convaincu qu'il taut rattacher ces convulsions estudiantincs a un besoin biologique, que
l'homme precaire passe son temps a poser ses pieds sur des terrains mines el que le seul remede, c'est
« d'ecrire pour soi, car c'est aiasi que Ton peut arriver aux autres ».
Ionesco etait un prince de rhumour qui cacl^ait bien son jeu, en dezinguant discreternent les
convenances de la prose francaise, facon surrealistes. En demolissant le langage, il arrivait a composer
des chefs-d'ceuvre iconoclastes :
— « L'air est plus pur a la campagne, parce que les paysans dorment les fenetres fermees. »
— « J'aime mieux un oiseau dans un champ qu'une chaussette dans une brouette. »
— « La raison, c'est la folie du plus fort. »
— « Le yaourt est excellent pour Festomac, les reins, l'appendicite et rapotheose. »
II pretendait avoir apprivoise la mort, derriere rhumour qui lui servait de cuirasse : « Pourquoi a la
rubrique de l'etat civil, dans le journal, donne-t-on toujours Tage des personnes decedees et jamais des
nouveau-nes ? »
Le 28 mars 1994, Eugen Dumitru Ionesco meurt a son domicile a Paris. La ceremonie a lieu a Teglise
orthodoxe. II est enterre au cimetiere du Montparnasse le vendredi saint, qui tombait cette annee-la un...
l er avril.
Ironic. L'
Lorsqu'il est question d'humour. l'ironie n'est jamais bien loin. Mais comme rhumour, il est difficile
de lui trouver une definition, et elle passe souvent inapercue lorsqu'elle suggere autre chose que ce que
Ton dit. Elle aime rester tapie dans F ombre et elle est parfois si difficile a deceler qu'en 1899 Marcel
Bernhardt avait, dans son essai L'Ostensoir ties ironies , imagine un point d* interrogation renverse pour
avertir le lecteur lorsqu'il s'agissait d'un propos ironique I Un peu comme le point d'exclamation
considere a Forigine comme un « point d'admiration ». Heureusement la tentative ne flit pas retenue.
En grec eironeia signifie « dissimulation ». Rien de tel pour bien dissimuler que de faire parler un
autre ou de se servir d'une citation pour vehiculer des propos ironiques. Rien de mieax en effet que de
laisser parler un autre a sa place Iorsque Ton ne souhaite pas assumer ses propres paroles. Dans son
Dictionnaire phi Josophique, ce malin de Voltaire, a Particle « Fornication », cite le dictionnaire des
jesuites : « Le dictionnaire de Trevoux dit que c'est un terrne de theologie... » Le jesuite n'est pas
force ment eel ui que I'oncroit...
II ne faut pas confondre Fironie avec la saillie, la moquerie, le persiflage, la raillerie, la derision ou
le sarcasme, car Fironie, beaucoup plus subtile, est un jeu de r esprit qui consiste, le ton aidant, a ne pas
dormer aux mots Ieurs valeurs reelles. Renan pensait qu'elle permettait a F« esprit humain d'etablir sa
superiorite sur le monde », mais e'est Fun de ses risques, car elle peut etre mordante lorsqu'elle cherche
son propre plaisir au detriment de F autre. Lorsqu'elle ne trahit pas Forgueil ou le mepris, elle se
rapproche de la satire dont Boileau etait le maitre absolu. En ternoigne ce qu'il ecrivait un jour sur un
diner qu'il avait apparemment fort peu « goute » :
« Je me suis vu vingtfois pre/ a quitter la table ;
Et dut-on m 'appeler el fa nt as que et bourru,
J'aliais SOrtir enjin quand le rot a pant.
Sur un lievre jlanque de six poulets cliques,
S'elevaient trois lapirrs, anirnaux domesliques.
Qui ties leur i end re en fa nee el eves dans Paris,
Sentaient encor le chou dont Us f went nourris.
Autour de eet amas de viandes entassees
Regnait un long cordon d'aiouettes pressees,
Et sur tes bords du plat six pigeons Stales
Presentaient pour renfort leurs squelettes brides.
A cote de ce plat paraissait deux salades,
L 'tine de pour pier jaune, et i autre d 'herbes fades,
Dont I 'futile de fort loin saisissait I 'odorat,
Et nageait dans des flats de vinaigre rosat. »
Pour le philosophe Alain. « le propre de la satire est d'attacher les travers, Ies vices et la sottise a un
personnage veritable, ce qui nous reduit au plaisir melange de rire des puissants, et en tout cas de rire des
autres >>. Et pour Diderot : « II faut permettre la satire et la plainte : la haine renfermee est plus
dangereuse que la haine ouverte. »
Dans le meme genre, Fepigramme, qui dans la Grece antique faisait pourtant Feloge des guerriers et
des athletes, revendiquera ses lettres de noblesse sous la plume de Marot, Racine, Hugo, Musset et
\bltaire, orfevre en la matiere. Ces « petites banderilles empoisonnees n'assassinent d'ailleurs que la
sottise et la suffisance humaine » (Bernard Lorraine). De Fironie a la satire, de la satire a Fepigramme,
de Fepigramme au pamphlet il n'y a qu'un pas, que certains franchirent allegrement.
Je pense a Jules Renard pour qui « la rosserie n'enrichit pas, on y est toujours de sa poche a fiel ! »,
mais qui s'en donnait a cceur joie :
— Sur Mallarme : « Intraduisible, meme en francais. »
— Sur George Sand : « La vache bretonne de la litterature. »
— Sur Verlaine : « Est-ce que son fils ressemble a Rimbaud ? »
— Sur les Quarante : « U Academic, le commun des Immortels. »
— Sur les femmes : « Appelons femme un bel animal a fourrure dont la peau est tres recherchee. »
— Sur Dieu : « Qui ne l'a pas vu rf a rien vu. »
Leon Bloy (1846-1917) n^etait pas mal nonplus :
— Sur George Sand : « Celte fille trouvee du cuistre Jean-Jacques se boursouflait comme la pecore
du fabuliste dans le marecage des adulteres heroiques et evangelisait contre Dieu. »
— Sur Sainte-Beuve : « Une grande imbeeillite meconnue. »
— Sur Jean Richepin : « Iniame bandit, abominable scelerat, cynique malfaiteur, pirate de bordel,
parricide, atroce canaille », etc.
— Sur Guy de Maupassant : « La parfaite stupidite de ce jouisseur ithyphallique est surtout
manifestee par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse. »
— Sur Paul Bourget : « L'eunuque des dames. »
— Sur Rosny aine : « Son esprit ressemble a une lampe fumeuse, dans un cabinet d'aisance trop
etroit. »
Je ne parle pas de Leon Daudet ( 1 867- 1 942) :
— Sur Leon Blum : « L'hermaphrodite circoncis. »
— Sur Aristide Briand : « Souteneur sanglant, empoisonneur chevelu, Talleyrand de la crotte. »
— Sur Joseph Caillaux : « Un surineur en ha ut-de- forme. »
— Sur Georges Clemenceau : « Tete de mort sculptee dans un calcul biliaire. »
— Sur Emile Combes : « Petite tete de perroquet moisi. »
— Sur Arrnand Fallieres : « Pieds de lard, bras de saindoax, nombril couenneux. »
— Sur Eugene Frot : « Cacatilina. »
— Sur Jean Jaures : « Le gaz de ses metaphores lui remonte. »
Ni enfinde Barbey d'Aurevilly (1808-1889), qui se definissait d'ailleurs tres bien lui-merne :
« Je me nomme "Le Sagittaire"
Je suis ne sous ce sigiie etje le mets partout
Et dans ce monde inepte ennuveiix el vu/gaire
J 'crime a lancer lafleche a tout. »
Pour lui, George Sand etait une « insupportable radoteuse », et les monarchistes « des syphilitiques
de la legitirnite ».
Quant a Henri Rochefbrt (1831-1913). que Victor Hugo appelait « le tier archer », il ne cessa de
combattre Napoleon III, Jules Ferry ou Thiers, « un serpent a lunettes », et Jean Jaures « le sergent
recruteur du syndicat de la trahison ».
Jeanson, Henri (1900-1970)
Henri Jeanson aurait pu se reclame r du dicton anglais : « Ne faites jamais nn bon mot qui puisse vous
faire perdre un ami, a moins que ce mot ne soit meilleur que rami. »
Evoquer la vie de journaliste d' Henri Jeanson reviendrait a ecrire rhistoire d'un demi-siecle.
Chaque fois que la liberte etait menacee, il se retrouvait en premiere ligne. Condamne en 1939 a cinq aas
de prison par Daladier a la suite d'un article pacifiste pour « provocations de militaires a la
desobeissance »,. malgre des temoignages favorables de Louis Jouvet, Benjamin Cremieux, Tristan
Bernard, Saint-Exupery et Robert Desnos. Libere huit mois plus tard, il retournera en prison sous
TOccupation allemande et essaiera d'y lire Claudel, « ce qui doubla [sa] peine », avouait-il. On dit aussi
qu'il demissionna du Canard enehaine par solidarity avec Jean Galtier-Boissiere, le fondateur de la
revue Le Crapouillot, nee dans les tranchees en 1915, dont le premier numero, en aout. donne le ton de la
revue : « Courage, les civils ! »
Henri Jeanson passa sa vie a se mettre a dos la moitie du tout-Paris du monde de la politique et du
cinema. Que ce soit en tant que reporter, intervieweur ou critique de cinema pour des joumaux comme La
Bataille, le Journal du peuple, Les Homines dujour ou encore Le Canard enehaine\ Jeanson ne trempait
pas sa plume dans du miel et ne se Iaissait pas acheter, capable de demolir l'hote qui, la veille, pensait
Tendormir en etouffant son independance avec un peu de champagne et de foie gras.
Ne a Paris, ce fils d'instituteur avait fait ses classes, comme Alexandre BrefFort ou Louis de Funes,
en faisant une foule de petits metiers : secretaire, facturier, manutentionnaire, emballeur, representant en
cartes postales, etc. Au debut des annees 1930, ses talents de dialoguiste font mouche et sont rapidement
sollicites par des grands cineastes : « Tu ferais un excellent critique. Tu paries fort bien de ce que tu
connais mal », La Fete it Henriette, de Julien Duvivier (1952). « Je ne suis pas sceptique. Je ne crois a
rien, nrais j'y crois fermement », Le Repas des fauves, de Christian-Jaque (1964). « Quand on fait
l'andouille, on finit toujours par etre mange » t Pas de caviar pour tanle O/ga, de Jean Becker (1965).
« Le cceur sur la main quand il faut, et la main sur la figure quand c'est necessaire ! », Paris an mois
d'aout y de Pierre Granier-Deferre (1966). « L* ami tie entre un homme et une femme, ca n'a pas cours,
c'est de la fausse monnaie ! », Au bonkeur des dames, de Julien Duvivier ( 1930). « Si Ton savait, avant,
qui Ton epouse, tout le monde serait celibataire ! », La Nuit fantastique, de Marcel UHerbier (1942),
avec des dialogues ecrits en partie en prison, sans oublier Hotel du Norrf (1938), de Marcel Came, et
Finoubliable « Aunosphere, aunosphere ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphere ? », film que le
critique du journal La Croix du 25 decembre 1938 ne semble pas vraiment apprecier : « Pour le fond.
Hotel du Nord est moins edifiant encore que Own des brumes et necessite de plus severes
condamnations, Le realisme de ce dernier film portait en soi une sorte de contre-poison a cause de sa
durete... Hotel du Nord nous livre une tranche de vie avec le beurre d'un fait divers... Les dialogues
d'Henri Jeanson sonnent faux dans la bouche d'acteurs qui ne sont pas a leur affaire. »
Henri Jeanson abandonne le cinema en 1965 pour se consacrer au journalisme polemique et a la
redaction de ses memoires, qui seront publies sous le titre 70 cms d 'adolescence, quelques mois apres sa
mort. Sur les conseils de son aini Marcel Pagnol : « Ce n'est plus de ton age, couillon, d'engueuler les
autres », il se retire a Honfleur.
A Pinitiative de sa veuve, Claude Marcy, et par rintermediaire de la Fondation Paul-Millet, la
SACD remet depuis le prix Henri-Jeanson a un auteur dont « Tinsolence, r humour, la puissance
dramatique perpetuent la memoire de Tun des plus celebres auteurs du cinema francais ».
Jeanson etait membre du College de 'pataphysique, et ses celebres impertinences etaient bien dans la
veine de cette « science du particulier et de Pexception » :
— « Retenez bien ce non% vous n'en entendrez plus jamais parler.. . »
— « Vous avez deja Iu le Larousse ? C'est un recueil de noms celebres completement inconnus. »
— <cl_a vie : une course contre la mort. .. Le meilleur ne gagne pas. »
— « La guerre justifie r existence des militaires. En les supprimant. »
— « Un livre posthume est presque toujours une ceuvre que Ton a eu tort de ne pas enterrer avec son
auteur. »
— « En France, le ridicule ne tue pas. On en vit. »
— « Le verbe desarmer ne se conjugue qu'au ftitur ou au conditionnel. »
— « Tu sais, la fabrication de la fausse monnaie, 9a va chercher dans les dix ans de travaux forces...
Et encore, quand on connait le president de la Republique !.. . »
— « Je savais qu'on pouvait vous verbaliser pour exces de vitesse, j'ignorais que Texces
d* intelligence relevat des tribunaux. »
— « Au temps que nous vivons, c'est tres simple, tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire. »
Jerome K. Jerome (1859-1927)
Parrni tous les maitres des situations absurdes, je voue une admiration particuliere a Jerome K.
Jerome. En 1889, Fannee de ses trente ans, il public Trois Homines dans un bateau (sans oublier le
ckien). Le livre recoit un accueil enthousiaste aupres du public. Pourtant, allez savoir pourquoi, les
critiques litteraires, proches de la gentility, denoncent son style trop populaire et son humour pauvre,
limite et decidement vulgaire. Ce qui n'est pas sans faire sourire son editeur, Harrowsmith : «. Puisque le
livre n'a apparemment aucune valeur, les gens rachetent peut-etre pour le manger. . . »
Trois Hommes dans un bateau relate un periple de deux semaines sur la Tamise, qu'entreprennent
les trois heros - pardon, quatre, avec le cliien !
Les cent cinquanle kilometres qui separent Kingston d'Oxford sont jalonnes de souvenirs historiques
et de charmants villages. Le reck du voyage est agremente de nombreuses digressions avec des references
a Henri V1I3 et Cromwell et des reflexions tres amusantes sur le couple, la vie, la nature, etc.
Si le livre fait encore rire aujourd"hui, c'est grace a la modernite des situations car les trois
comperes, modestes employes de bureau ou de banque, ont les reves et les insatisfactions des gens
ordinaires. Meme le chien Montmorency est 1 'archetype de tous les animaux de compagnie.
Chacun a droit a un portrait rapide : George ne travaille pas dans une banque, il y dort tous les jours
de 10 heures a 16 heures, sauf le samedi ou on le reveille pour le mettre dehors a 14 heures. Harris est un
non-emotif qui ne pleure jamais, sauf quand il epluche des olgnons, et le narrateur, hypocondriaque, se dit
accable de toutes les maladies... sauf V hydarthrose des femrnes de chambre. II respecte tellement le
travail qu'il evite d'y toucher, anime d'une logique desarmante : « Paime le travail, il m'enchante. Je
resterais des heures a le contempler. J'adore l'avoir aupres de moi. L'idee d'en etre separe me navre. »
Le chien Montmorency est une parfaite compilation des qualites et des defauts des trois hommes.
Craneur devant les petits, il fait preuve d'une grande timidite en face d'un inalou sur de lui, au point
d'etre traumatise a jamais par les chats, n n'a pas plus de chance avec les objets : des que la bouilloire
lui crache dessus, il la saisit par le bee. S'ensuit une promenade de digestion a 30 km/h, qu'il
ninterrompt que pour enfouir son museau dans une flaque de boue.
Leurs preparatifs pour Paventure ressemblent aux notres quand nous partons en vacances, car ils ne
savent pas voyager leger. Ils semblent avoir oublie leur promesse de rendre plus leste la barque de la vie,
de la munir settlement de ce dont ils ont vraiment besoin. Mais les catastrophes vont se succeder,
provoquees par ces problemes domestiques qui empoisonnent la vie de tous les campeurs celibataires. La
preparation des repas frole le delire : lorsqu'il leur taut cuisiner des ceufs brouilles ou ouvrir une boite
d'ananas sans ouvre-boite, les trois comperes font preuve d'une grande hardiesse et d'une telle
ingeniosite que, dans cette escalade de prise de risques, on se brule et on s'assomme dans un desordre
irresistible de drolerie.
Comme ils croient aux vertus de la perseverance, si folle soit-elle, ils se lancent dans la confection
d'un ragout. D'ou un repas d^anthologie agremente de tous les ingredients qu 1 ils trouvent sur le bateau,
auxquels ils ajoutent un rat d'eau creve que Montmorency leur apporte, mais rien ne pourra adoucir leur
digestion, pas meme le recital de banjo que George voudrait dormer. Montmorency tente de le faire taire,
mais en vaia A la question : « Qu'est-ce qui lui prend a hurler comme ca quand je joue ? », Harris
repond : « Et toi, qu'est-ce qui te prend a jouer comme ca quand il hurle ? »
Lorsqu'ils passent la nuit dans des auberges, ils les choisissent avec soin. Le narrateur. qui avoue son
faible pour le chevrefeuille, refuse de s'arreter dans un petit hotel dont les murs sont seulement couverts
de clematites et de vigne vierge. Trois Hommes dans un bateau, qui ne saurait etre reduit a des souvenirs
de vacances, vehicule tous les credo de Jerome K. Jerome. La Tamise est la metaphore de la vie avec ses
moments de decouragement, ses coups de gueule et ses grands bonheurs. Quand la pluie ne cesse de
sangloter comme une femme « qui pleure tout bas dans les tenebres », les trois comperes essaient de se
persuader que « la nature est belle, meme en pleurs ». Cette nature qa ils redecouvrent les apaise. Parfois
ils se tournent vers la nuit qui, « pareille a une mere pleine d'amour, pose sa douce main sur notre cceur
enfievre et toume sa face vers notre visage baigne de pleurs ».
Sous pretexte de nous embarquer dans les mesaventures aquatiques de faux navigateurs, voila un livre
ou Tauteur se joue a merveille des contraintes de Pordre social, et plutot que de charnbouler les codes, il
pousse les situations jusqu'a Tabsurde. transcende le banal en incongru. .. et les gens ordinaires en heros
pathetiques.
Jeux de mots, Les
II arrive que les mots soignent parfois les maux, mieux qu'un divan, grace a leurs gammes
inepuisables. Pour avoir le « mot pour rire », i! suffit de jouer avec eux, de les mettre sens dessus
dessous et de leur en faire voir de toutes les couleurs. J'aime cette « allusion plaisante fondee sur
F equivoque de mots qui ont une ressemblance phonetique, mais contrastent par le sens », comme dilLe
Robert. J'en use et j"en abuse.
Ce rfest pas simple, car ce jeu s'apparente souvent au manage de la carpe et du Iapin. Mais c'est ce
qui fait sans doute son charme. Du A d'acrostiche au Z de zeugme, en passant par les lipogrammes et
autres paragramrnes, la liste de ces violations ludiques du langage est infinie, mais j'ai mon prefere : le
zeugme. Cette figure de style cocasse resume assez bien Funivers biscornu du jeu de mots.
Le zeugme consiste a joindre a un mot deux complements disparates, le plus souvent par le
rapprochement d'un element concret et d'un element abstrait.
— Le plus celebre : « Vetu de probite candide et de lin blanc » (Victor Hugo),
— Le plus sophistique, le double zeugme : « Apres avoir saute sa belle-sceur et le repas de midi, le
Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane » (Pierre Desproges).
— Le plus mignon : « A defaut de sonnettes, ils tirent la langue » (Paul Valery).
— Le plus ose : « Elle m'ota d'un doute et mes vetements avant de me faire Famour » (Paul Valery).
— Le plus tire par les cheveux : « Je fiis presente a la famille oil je plus tout de suite, a verse »
(Alphonse Allais).
— Le plus tarabiscote : « En voyant le lit vide il le devint » (Ponson du Terrail).
— Le plus feministe : « Madame Bovary passait son temps a tromper F ennui et son mari » (Gustave
Flaubert).
J'ai aussi un faible pour les homonymes et les homophones, telles les fameuses oies de Raymond
Devos :
« L'oui'e de Foie de Louis a out.
— Alioui ? Etqu'a oui' FouTe de Foie de Louis ?
— Elle a oui' ce que toute oie oit. . .
— Et qu'oit toute oie ?
— Toute oie oit, quand mon chien aboie le soir au fond des bois, toute oie oit : ouah ! ouah ! »
Amusants aussi ces polysemiques qui nous chatouillent avec leur double sens et nous permettent de
« faire souffler un peu le trompettiste », d'imaginer que « Facrobate fait le pont », que « le train est arrive
sans crier gare », que ce « couple de Champagne vend une flute traversiere » ou que « la cuisiniere
cherche un maitre queue pour passer a la casserole ».
Je venere aussi les mots-valises, les fameux portmanteau-words % chers a Lewis Carroll, celebres par
Madame de Sevigne qui « bavardinait », ou par Balzac feru de « patrouillotisme ». Restent aussi les
mauvais jeux de mots, mais comme dit Daniel Pennac : « Les plus mauvais jeux de mots vont aux
meilleurs amis. C'est ['ineffable prixde Fintimite. »
Joubert, Joseph (1754-1824)
Qui connait Joseph Joubert ? Ne en 1754, ce moraliste et essayiste fran9ais prit la soutane saas
prononcer de vceux, ne publia jamais rien, si ce n'est de nornbreux fragrnenls inacheves qui ne virent
jamais le jour, comme une Etude sur la peinture a in cire des Anciens (sic). II etait atteint de toutes
sortes de miseres physiques, qui lui faisaient dire de lui : « Mes ressorts sont excellents, mais le bois
donl je suis construit est frele, mou et delicat. II nuit souvent au jeu de la machine. Ce qui sert a la pensee
abonde en moi, mais ce qui sert a la vie est en petite quantite. » Riende tres gai, mais neanmoins fort bi en
dit, et voila pourquoi je tiens a le faire figurer ici.
Contrai rement aux apparences, Joseph Joubert, bien que moraliste, etait habile par un humour
etonnant qui transpirait des irmornbrables aphorismes - pres de mille ! — qu'il a Iaisses et ou il reportait
ses reflexions sur la nature de rhomme et la vie en general.
De son vivant, Joubert fascinait Diderot dont il flit le secretaire, Restif de La Bretonne — il etait
Tamant de sa femme - et Chateaubriand, sur lequel il avail un veritable ascendant, en T encourageant tout
en le critiquant parfois severernent. Chateaubriand acceptait tout de lui et lui temoignait meme un
attachement indefectible.
Joubert, nous Tavons dit, ne publia pratiquement pas. Mais a sa mort, sa veuve confia ses notes a
Chateaubriand qui en fit publier un choix en 1 838, sous le litre Recueil des pensees de M Joubert.
Un homme comme lui. qui fascinait les plus grands de ses contemporains, ne pouvait etre qu'un
homme d'esprit hors du commun, si Ton en juge par ce qui suit :
— « Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil. »
— « Quand je liiis... je me consume. »
— « S'il est un homme tourmente par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute
une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c'est moi. »
— « Mes idees ! c'est la maison pour les loger qui me coute a batir. »
— « Le chatirnent de ceux qui ont trop aime les femmes est de les aimer toujours. »
— « La vieillesse aime le peu, et la jeunesse aime le trop. »
— « La politesse aplanit les rides. »
— « Que peut-on faire entrer dans un esprit qui est plein, et plein de lui-meme ? »
— « Pensez aux maux dont vous etes exempt. »
— « Le poete s'interroge ; le philosophe se regarde. »
— « Avant d' employer un beau mot, faites-lui une place. »
— « Les mots liquides et coulants sont les plus beaux et les meilleurs si Ton considere le langage
comme une musique ; mais si on le considere comme une peinture, il y a des mots rudes qui sont fort bons,
car ils font trait. »
— « Un seul beau son est plas beau qu'un long parler. »
Cetetre, discret etcharmantaudirede ses amis, aimable et subtil, s'esteteint le4 mai 1824.
« D a cherche la verite, non pour la repandre, mais pour la posseder. 11 a desire par-dessus tout
ameliorer son esprit et realiser sa perfection. . . Son chef-d'ceuvre. .. c'est lui » (Andre Beaunier).
Karr, Alphonse (1808-1890)
Ne d'un pere allemand et d'une mere frangaise, ce journaliste un temps redacteur en chef du Figaro
cultivait a lafois sonjardin, il elait foude botanique, etTamitied'Hugo, de Lamartine, Dumas ou Balzac.
Prenant conscience que F atmosphere de son epoque se desseche, il fonde un mensuel satirique, Les
Guepes, qu'il publie seul de 1839 a 1876 et qail saupoudre de saillies destinees a pourchasser la betise
et le conformisme arnbiants. D va meme, pour attirer 1 'attention sur cette revue, lorsqu'elle commence a
etre en perte de vitesse, faire courir le bruit qu'il est rnort. Lorsqu'il reparait le lendemain en pleine
forme, il declare a ses amis : « Oui, j'etais mort mais 9a va mieux. » C'est a lui que Ton doit le fameux :
« Plus ga change, plus c'est la meme chose », mais aussi :
— « Des cinq sens que possede rhomme, le plus precieux est le sens commuru »
— « Supprimer la peine de mort ? Soit ! Que messieurs les assassins commencent ! »
— « Ondiminue la taille des statues ens"en eloignam, celle des hommes ens'en approchant. »
— « Un baiser : c'est une demande adressee au deuxieme etage pour savoir si le premier est libre. >•>
— « Les auditoires ne se composent pas de gens qui ecoutent mais de gens qui attendent leur tour
pour parler. »
Lorsqu'il se langa dans V horticulture, il imagina de concurrencer Genes qui avait en Europe le
monopole du commerce des fleurs coupees. II y reussit de fa^on eclatante. En un rien de temps, il se
constitua une clientele de premier ordre ou les princes du gotha et les rois en exercice cotoyaient les
grands personnages de la litterature et de la peinture. II avait acquis un grand terrain a la peripheric de
Nice, dans un endroit encore desert, et ii avait cornme voisin le prince Oscar de Suede, dont
Fintelligence n'avait qu un tres lointain rapport avec la richesse de sa bibliotheque. Alphonse Karr,
desireux d'approfondir un point de botanique, fit respectueusement demander au prince la permission de
lui emprunter un ouvrage de Linne. La reponse le de9ut : « Que monsieur Karr vienne lire chez moi tout
ce qu'il lui plaira, inais je ne prete jamais mes livres. »
Quelque temps plus lard, le jardinier du prince, ayant besoin d'un arrosoir, vint en faire la demande a
Alphonse Karr : « Que le prince Oscar vienne arroser chez moi autant qu'il le souhaitera. mais je ne prete
jamais mes arrosoirs. »
Alphonse Karr vecut heureux jusqu'a Page de quatre-vingt-deux ans, ecrivant ses Guepes^ et
jardinant ses roses. Le 30 septembre 1890. il fut emporte en quelques jours par une fluxion de poilrine.
Quatre mille personnes se pressaient a son enterrement dans le petit cimetiere de Saint-Raphael qui, en
vertu de la loi du premier occupant porte son nom En avril 1906, la ville de Saint-Raphael inaugura la
statue d'Alphonse Karr.
Modeste, il avait predit : « Que restera-t-il de moi plus tard ? Peut-etre six ou huit petites phrases ! »
II n' avait presque pas tort
Lapointe, Boby (1922-1972)
Barbe, style oursin au reveil, chemise bariolee, discret, la demarche bringuebalante de ceux qui ne
veulent pas deranger, tendre a Finterieur, grand virtuose de I' helicon, mais aussi inventeur du systeme
bibi-binaire, systeme de numeration qui prefigure rinformatique. De lui, Brassens disait qu*« il aurait du
logiquement lui ravir le titre de roi des ours mal leches, avec ses chansons oil se rnelent calembours, jeux
de mots, contrepeteries, alliterations ». II est le symbol e d'une poesie humoristique a nulle autre pareille,
il aime les mots, les doubles mots, leur sens, Ieur non-sens, leur contresens, leur sonorite. Chercheur de
fausses notes et d'accords discordants, il invente un langage et prouve qu'on peut etre populaire sans etre
complaisant. II interprete sa chanson « Avanie et Framboise » dans le film de Francois TrufTaut Tirez sta-
le pianiste, accompagne au piano par Charles Aznavour, et « Aragon et Castille » a ete choisie par
Bourvil pour le film Poisson d'avril :
« Au pays dagad 'Aragon
II v avail fugitd'uneJUle
Qui aimail les glaces au citron
Et vanille
Au pays deguede Castille
II y avail tegued 'un garcon
Qui rendu it des glaees vanille
Et citron, »
Georges Brassens et Pierre Perret lui proposent la premiere partie de leur spectacle, Joe Dassin
produit ses disques et il est r invite recurrent de remission de Jean-Christophe Averty « Les Raisins
verts ». A sa mort. Brassens lui rendait ce bel hommage : « Ce satane Boby Lapointe, depuis qu'il a
tourne le coin, a Pezenas corame a Paris, ses copains et admirateurs ont du mal a s'y habituer. En ce qui
me concerne, les soirs ou son amitie et sa bonhomie me manquent un peu, je fais comme si de rien iTeta.it,
j'ecoute ses chansons pour qu'il continue a vivre, le bougre, et il continue. Mon vieux Boby, putain de
moine et de Piscenois, fais croire a qui tu veux que tu es mort ; avec nous, les copains, ca ne prend pas. »
Comme Brassens, on peut continuer a le faire vivre en ecoutant : « L* helicon », « Saucisson de cheval »,
« Comprend qui peut », « Meli-melodie », « Le tube de toilette », « La maman des poissons » ou « Ta
Katie Ta quitte ».
Maintenant, si vous preferez « La peche aux moules », 9a ne regarde que vous.
Leacock, Stephen (1869-1944)
L"art du nonsense ne date pas d'hier, mais comme vous Favez peut-etre remarque, il m'obsede un
tantinet, d'oii mes recherches qui nront conduit jusqu'a Stephen Leacock, un humoriste canadien aux
multiples facettes.
Des sa preface a Sunshine Sketches of a Little Town (Un ete a Mariposa* 1912), il fait son premier
clin d'ceil aux lecteurs : ses parents ont quitte FAngleterre pour le Canada en 1876 et il a « decide » de
les suivre : il avait sept ans...
Brillant eleve, il decouvre les langues « vivantes, mortes, et a moitie mortes », et il consacre seize
heures par jour a courir apres les mots. Un cursus sans faute lui vaut meme un doctorat de sciences
politiques et economiques. D'ou ce plaisir de profiter de ce qu'un homme d'affaires ne peut pas
connaitre : « La possibility de penser, et ce qui est encore mieux, d'arreter de penser pendant des mois. »
Quand il arretait de penser, il redigeait des articles traitant de politique et d'economie, si bien qu'a la
fin de sa vie il se vantait de « pouvoir ecrire sur tout ce qui se trouve dans un rayon de cent metres », et si
ses livres etaient si amusants, c'etait parce que : « Pendant des annees, ceux qui auraient du les imprimer
riaient tellement qu'ils ne pouvaient pas faire Ieur travail. Meme maintenant il faut se mefier quand on les
fait circuler, et il faudrait eviter de preter ces livres aux gens de sante fragile. » Le quotidien The
Evening Standard Favait surnomme « le Grock de la litterature ». II faut lire Nonsense Novels (1911),
qui porte bien son nom. Les personnages sont excentriques, leurs reactions bizarres, les situations
incongrues. Ainsi Caroline's Christmas a des allures de conte. Le decor est une image d'Epinal au pays
de Maria Chapdelaine et de Jack London : un « manteau de neige immaculee qui scintille de mille
diamants », une petite ferme au pied de la colline, des buches dans la cheminee. Un florilege de poncife,
interrompu par des propos adresses au lecteur : « \fous qui avez choisi la bousculade et F agitation de la
grande ville, ne vous arrive-t-il pas de penser a cette petite maison au pied de la colline ? Non ? Jamais ?
Pauvre type ! »
Le miracle de Noel se presente sous les traits de Caroline qui. un bebe dans les bras, cherche un
refuge. Elle a bien essaye de se debarrasser de ce petit fardeau en le Iaissant sur un banc dans le pare,
puis sur une etagere dans la salle d'attente de la gare, mais chaque fois quelqu'un lui faisait remarquer
qu'elle avait « oublie quelque chose ». Elle reprenait alors son paquet... Je ne vous laisse pas deviner la
suite, elle n'est pas devinable, mais irresistible.
A ceux que Stephen Leacock fait sourire par mon intermediaire, je conseille vraiment de poursuivre
la lecture de ces Nonsense Novels. Pour y gouter aussi cette histoire de naufrage. Upset in the Ocean, ou
il est question d'une rencontre brutale avec un bateau-pirate peint en noir, avec des voiles noires et un
equipage vetu de noir qiu se promene bras dessas bras dessous. A suivre... Vous ne serezpas decus.
Lear, Edward (1812-1888)
« II elait un petit homme, pirouette, cacahuete »... Rassure2-vous, je ne suis pas retombe en enfance,
meme si d'aucuns dironl que je iren suis jamais sorti, pas plus qif Edward Lear, le roi du nonsense
special bambins.
On dit qifil avait une flopee de talents. Illustrateur, paysagiste et ornithologue, il seduit les
Londoniens avec ses lithographies. De sante fragile, un peu ours, il ne supporte ni le bruit, ni la musique,
in la foule, ni les imbeciles, ni les bonnets de nuit. Meme les enfants le derangent : « Les voisins avaient
deux jumeaux et jouaient du violon, mais un des jumeaux est mort, et I' autre a mange le violon.
Maintenant j'ai la paix. »
Qu'il me pardonne si je fais un tri parmi ce qu'il nous a laisse, si je dedaigne ses lithos de perroquets
ou il se montre, parait-il, aussi bon qu* Audubon- La petite histoire nous dit qu"il a aussi donne des cours
de dessin a la reine Victoria. Qui, du professeur ou de Feleve, s'est Iasse le premier ? Dieu seul Le sait.
C'est seulement son nonsense, puisque c'est la reputation qu'on lui fait, qui m'interesse. Comme son
contemporain Lewis Carroll, Lear joue avec l'incongru. Le reel derape dans l'absurde, le rationnel
devient fou. Son Book of Nonsense (1846) est un recueil de limericks* ces mini-poemes avec rimes et
sans raison, tons illustres par l'auteur. H y est question d'un vieux monsieur avec une barbe si fournie que
les oiseaux y font leur nid ou d'une dame qui joue de la harpe avec son menton, toujours le meme schema,
qui commence par une banalite pour divaguer ensuite vers une situation sans queue ni tete. Tout cela en
cinq vers, dont le dernier est caique sur le premier, histoire de boucler la boucle de l'absurde. En voici
un exemple. adapte par mes soins :
« II v avait un Vieil Homme du Perou,
Dont la jemme j'aisait im ragout,
Lorsque par erreur elle lejit sauter an beurre,
Cepauvre Homme du Perou. »
C'est tout ? J'ai bien peur que oui. On lit sans rire, desarmes par ce regard surrealiste sur le
quotidiea Lear aurait-il pratique Tecriture automatique ? Chez lui les mots s'emballent, avec la rirne
pour seul garde-foa Cela nous fait penser aux complines ancrees dans notre memoire collective, comme
« Une souris verte qui courait dans Therbe ». Quant a ses Twikky wikky twikky wee, Wikky bikky twikky
tee, Spikky bikky bee /, ils ne me parlent pas beaucoup. J'ai quand meme un faible pour cette histoire du
hibou et de la chatte (The Owl and the Pussycat), qu'un professeur un peu defante nous avait fait
apprendre par caiur. Ces petits animaux prennent la mer dans un bateau vert, achetent un anneau d'or a un
petit cochon, demandent a un dindon de les marier et se nourrissent de tranches de coing. Ce joli
Nonsense Poem est reste dans mes souvenirs de collegien.
Lear a mis du nonsense partout, meme dans des recettes de cuisine ou sur des planches de botanique.
Fallait-il qu'il en ait assez de son metier d'illustrateur ! Et fallait-il qu'il trouve un sens a tant de
nonsense ! Cestui peu la raison pour laquellejetenais ace qu'il aitsa place ici.
Lemercier, Valerie
Difficile de ne pas aimer cette grande fille (1 T 77 metre) toute simple, qui apparut un jour de 1989
dans un exceptionnel one-woman show au Splendid, en reussissant a se faire adopter immediatement
comme une des humoristes feminines les plus droles de sa generation.
II fallait la voir arpenter la scene de ses longues jambes fuselees, entre Taristo de la Renardiere : « II
y avait les cousins. On les adore. Tu penses, ils ont des bites enooooormes ! », la petite chipie de cinq
ans : « Elle fait la craneuse parce que son pere il est dans un Mickey a Mirapolis », 1'etudiante
insomniaque et de mauvaise foi : « \bus pouvez pas faire un peu moins de bruit j *ai un partiel demain. »
Resultat : quatre cent mille spectateurs et un Moliere.
Nee Ie 9 mars 1964, elle est elevee avec ses trois sceurs a Gonzeville en Normandie, dans une
fhmille aisee d'agriculteurs. Elle y apprend le violon et Pequitation, qui sera sa premiere vocatioa Fan
de Bourvil, elle ecoute tous ses disques, s'inscrit au conservatoire de Rouen pour prendre des cours d'art
dramatique puis s'installe a Paris, court les castings, tout en multipliant les petits boulots alimentaires,
dont celui de vendeuse de parfiims dans un grand magasin. En 1987, Jean-Michel Ribes recoit sa photo
avec son numero de telephone cousu sur un ruban. II l'engage aussitot pour une scene de « M'as-tu-vu ? »
puis dans la serie televisee Palace, oil elle tient le role de Lady Palace, une bourgeoise coincee.
Apres un premier film, Milou en mat de Louis Malle, elle connait la consecration dans le double role
de Frenegonde de Pouille et Beatrice de Montmirail dans la comedie de Jean-Marie Poire Les Visiteurs.
Resultat : quatorze millions de spectateurs et un Cesar du meilleur second role feminin. Elle est de plus
en plus dernandee, meme si elle refuse de se laisser enfermer dans un registre specifique. Elle veut
multiplier les experiences, realise des publicites dont une memorable pour un gateau : « C'est moi qui
l'ai fait ! », s'essaie a la chanson avec un album, Valerie Lemercier ehattte.
Decidee, semble-t-il, a ne plus accepter d'autres mises en scene que les siennes, elle signe en 1997
un long rnetrage, Quadrille, un remake de Guitry, dans lequel elle tient le role principal, et Le Derriere,
comedie caustique sur le parisianisme. Succes mitiges. Elle revient alors devant la camera : Vendredi
soir de Claire Denis, Fauteuils d'orchestre de Daniele Thompson et, en 2005, elle se met de nouveau en
scene avec Palais royal ou, en interpretant une roturiere devenue princesse, elle passe au crible le
ridicule des monarchies europeennes.
Pour moi, \&lerie Lemercier est avant tout habitee par un humour extrememenl intelligent Elle manie
le decalage avec un talent rare, et lorsque Ton se souvient de ses presentations de la ceremonie des
Cesars en 2006, 2007 et 2010, animee avec brio, on regrette de ne pas la voir plus souvent dans ce genre
d'exercice.
Lichtenberg, Georg Christoph (1742-1799)
Non content d'etre Ie dix-septieme enfant d'un pasteur et de se retrouver bossu a huit ans a la suite
d'une chute, c*etait unjeune homme plein d'humour et choye par les femmes. Ne en Allemagne, il mourut
a Gottingen, non sans avoir donne son nom a un cratere lunaire, car la diversite et Toriginalite de ses
competences etaient etonnantes : cartographe, il calcule Taplatissement de la Terre, volcanologue, il
evalue le volume des laves emises par r eruption du Vesuve de 1784, meteorologue, il construit la
premiere version allemande du paratonnerre de Franklin en 1780, chimiste et rnathematicien, il contribue
au debat sur les fbndements de la theorie des probabilities, historien, il ecrit une biographie de Copernic,
astronome, il observe comeles et meteorites et le transit de Venus.
Ignore de nombre de ses contemporains, il a pourtant ete encense par les plus grands, comme Goethe
qui recommande de « se servir des ecrits de Lichtenberg comme de la plus rnerveilleuse des baguettes
magiques. Lorsqu'il fait une plaisanterie. c'est qu'il y a la un problems cache ». Kant, qui adorait ses
aphorismes, ecrivait ; « Je ne comprends pas que les Allemands d'aujourd'hui negligent autant cet
ecrivain, tandis qu'ils raffolent d'un coquet feuilletoniste tel que Nietzsche. » Schopenhauer voyait en lui
le « penseur par excellence », et Freud trouva dans ses ecrits certaines idees fondatrices de la
psychanalyse.
Ce sont quelque huit mi lie pensees non destinees a etre publiees que ce maitre de Tironie, une fois
dans son cabinet prive, trouvait encore le temps, apres ses lecons, de consigner dans ses carnets :
anecdotes, choses vues, reflexions sur la nature humaine, la science, V intelligence, la psychologie, la
morale, la politique, Testhetique ou la linerature :
— « Je tiens les comptes rendus critiques pour une espece de maladie infantile qui s'attaque plus ou
moins aux livres nouveau-nes. II y a des exemples prouvant que les plus robustes en meurent, tandis que
souvent des livres debiles resistent. Certains sont meme tout a fait immunises. »
— « Parmi les plus grandes decouvertes qu'ait faites la raison humaine ces derniers temps, il y a,
selon moi. Tart de juger les livres sans les avoir lus. »
— « Une preface pourrait etre intitulee : paratonnerre. »
— « C'est a peine s'il existe une marchandise au monde plus etrange que les livres ; irnprimes par
des gens qui ne les comprennent pas ; vendus par des gens qui ne les comprennent pas ; relies, censures et
lus par des gens qui ne les comprennent pas ; bien rrrieux, ecrits par des gens qui ne les comprennent
pas. »
II a des idees modernes sur l'education, tant il est vrai que certains cancres se revel eront des genies :
« II vaudrait la peine de chercher s'il n'y a pas quelque inconvenient a cultiver exagerement Teducation
des enfants. Nous ne connaissons pas 1' homme assez bien encore pour retirer enuerement cette tache au
hasard, si j'ose dire. Je crois que si nos pedagogues menaient leurs intentions a bien, c'est-a-dire
reussissaient a maintenir les eniants sous leur influence absolue, nous n'aurions plus un seul vrai grand
homme. »
Athee, il se demande si le bon Dieu est catholique ou s'il ne pourrait pas faire un effort : « Un
Shakespeare, un Newton, un Franklin, etc. Pourquoi sont-ils si peu nombreux s'il est egal a Dieu de creer
un genie ou un cretin ? », et il trouve etrange « que les hommes se battent si volontiers pour la religion et
vivent si peu volontiers selon ses regies ».
Pour Andre Breton qui le celebre avec enthousiasme dans son Anthologie de I 'humour noi/% il doit
etre considere comme le prophete du hasard. De ce hasard dont Max Ernst disait qu'il est le « maitre de
rhumour » : « Un des traits les plus remarquables de mon caractere, c'est assurement la superstition
singuliere avec laquelle je tire de tout un presage et me donne pour oracles cent choses en un jour »,
disait Li chtenberg.
D parait que dans sa solitude, il avail reussi a decrire soixante-deux positions, non pas pour faire
l'amour, niais pour appuyer sa tete sur sa main.
Andre Breton, toujours lui. adinirait surtout « Tinventeur de cette sublime niaiserie philosophique qui
configure par Tabsurde le chef-d'ceuvre dialectique de Tobjet, "un couteau sans Iarne auquel manque le
mane he" ».
Lodge, David
David Lodge, ne en 1935, est un maitre de rhumour endemi-teinte et de Pautoderision. Professeur de
litterature anglaise a Tuniversite de Birmingham et ecrivain, il n'a pas son pareil pour depeindre les
« intellos » qu'il a tant frequentes, et ses nombreux autoportraits sont sans complaisance. Outre des essais
et des nouvelles, il a cornmis une quinzaine de romans, parmi lesquelsLtf Chute du British Museum,
Therapie, Pensees secretes ox La Vie en sourdine, ou il decrit la decheance physique qui le guette, et
dont le premier symptome, la surdite, est detaille avec un humour tragique.
Mon prefere est sans doute Therapie, merveille de Tautoderision, II s'y met en scene comme un
auteur a succes de sitcoms, empetre dans des relations complexes avec sa femme qui le quittera, les
femmes qu'il aimerait seduire. et des specialistes de medecines paralleles, acupuncture, aromatherapie et
physiotherapie. Car Laurence Passmore, surnomme Tubby, est atteint d'une nevrose non definie qui se
manifeste par des douleurs au genou. Outre une calvitie qu'il tente de compenser en laissant pousser ses
rares cheveux en couronne jusqu'a ce qu'ils atteignent le col de son blouson, son torse est tres velu :
« Ma poiu-ine est couverte d'une sorte de tampon Jex qui aurait la taille d'un paillasson et qui rnonte
jusqu'a ma pornme d'Adam. »
Ses amis, avec lesquels il essaie de jouer au tennis, ne sont pas mieux lotis :
« II y a Joe, qui a de serieux problemes de dos. II porte un corset tout le temps. Rupert, qui a eu un
grave accident de voiture il y a quelques annees et qui boite des deux jambes, si tant est que ce soit
possible, et Humphrey, qui a de 1'arthrite aux pieds et a qui on a pose une prothese de la hanche. Si vous
nous voye2 ainsi, vous en pleureriez, de rire ou de pitie. »
Mais rien ne soulage ce genou douloureux Tubby ne peut que le proteger, quitte a se ridiculiser lors
de ses tentatives de seduction, et la volumineuse Amy ne peut refrener un fou rire devant sa genouillere :
« Elle est capitonnee, en neoprene, comme les combinaisons de plongee, rouge vi£ avec un trou au niveau
de la rotule, C'etaitd'autantplus drole qu'il etaitnu... Etquand il a ajouteun bandage decoudej'ai failli
m'ecrouler de rire... Je me suis demande s'il n'allait pas ajouter quelque chose, des protege-tibias, par
exemple, ou un casque de velo. »
Amy ne considere pas l'amour comme une discipline handisport, d'autant plus que, dans cet hotel de
Tenerife, le matelas est recouvert d'un plastique : « Je croyais que seuls les bebes et les personnes agees
incontinentes avaient droit a des aleses en plastique. » Autre detail aussi embarrassant pour elle que
desopilant pour le lecteur, la voila aux prises avec ses excrements baladeurs quand, « apres avoir tire la
chasse, elle a vu les crottes qui dansaient joyeusement dans l'eau comme des petites balles de
caoutchouc, et refusaient de disparaitre ».
Laurence-Tubby connait bien d'autres echecs. Une autre femme, Stella, s'offre a lui. Determinee a
mener le jeu, elle ne s'embarrasse pas de preliminaries et attaque tout de go. Desarconne par la question
si directe : « As-tu des preservatifs ? », Tubby repond : « Eh bien. . . oui. . . mais pas sur moi. »
Que les autres s^appellent Samantha ou Louise, Paventure tourne toujours au fiasco. Cette libido en
berne et ce genou malade sont a la fois la cause et la consequence du rnal-etre. Pour Tubby, une libido
defaillante. un genou en mauvais etat et un rnal-etre existentiel forrnent la trilogie du malheur. Le medecin
a qui il demande une ordonnance pour uii antidepresseur le met en garde sur les effets secondares du
Prozac : « Celui-ci empeche l'orgasme. » Lucide, il repond qu'il a deja les effets secondaires d'un
medicament qu'il ne prend pas.
M uilhin. Jacqueline (1923-1992)
Quand on parle d'elle a ceux qui s'en souviennent, et ils sont encore nombreux. on pense
immediatement a Folic Amanda, a la fin des annees 1950, ou Ton decouvre cette blonde petulante au rire
devastateur dans l'un de ses plus grands succes au theatre. Elle etait en effet plus attiree par la scene, oil
elle excellait, que par le cinema. Elle atteint le somrnet de sa gloire en donnant la replique a Louis de
Funes dans Pouic-Pouic, en 1 963.
Jacqueline est nee dans la gare de triage de Paray-le-Monial, oil son pere etait ingenieur des Ponts et
Chaussees. Arrivee a Paris, elle s'inscrit au cours Simon, oil elle rencontre Pierre Mondy, qui deviendra
l'un de ses fideles partenaires. Pourtant, meme au cinema, elle etait irresistible, que ce soit avec Ies
Branquignols dans Ah J les belles bacchantes ! (1954) ou elle joue une Mme Maillan plus vraie que
nature, directrice du theatre Folie Mericourt, ou dans des roles de composition qui ne lui faisaient pas
peur, que ce soit une bourgeoise dans Archimede et le Clochard de Gilles Grangier (1959), une espionne
russe dans Chen, fais-moi peur de Jack Pinoteau ( 1958) ou une secretaire d'Etat dans L 'Oiseau rare de
Jean-Claude Brialy (1973).
Jacqueline est aussi une des pionnieres de ce qu'il convient d'appeler les one-woman show. II fallait
l'entendre avec sa voix de gorge lire tout haut un projet de curriculum vide plutot subjectif, quelle
proposait a son impresario, et qui etait cense vanter ses merites ; « II fallait vraiment quelle se
sublimasse, qu'elle s'identifiasse et se hissasse, ou plutot qu'elle se fusse hissee aux sommets de la
gloire. »
Elle meurt subitement, justement en pleine gloire, a soixante-neuf ans, deux mois apres son ami Jean
Poiret.
Marot, Clement (1496-1544)
Autant mes bons maitres avaient bade Tetude de rhumour paillard et debride de Rabelais, autant ils
s'etaient attardes sir celui plus raffine de son contemporain, le poete Marot. Sans doute est-ce pour cela
que j "*ai plus d'attirance pour le premier ? Neanmoins s comme Marot est injustement oublie, j'ai quelques
remords a ne pas Fevoquer, et certains de ses poemes qui jouent sur les similitudes de sons et de sens rne
font penser a la virtuosite de mon ami Vincent Roca. Pour preuve ces vers qu'il adresse a Francois l er
afin de lui demander de l'argent :
<( Or ce me dit imjour quelque rimari :.
Viens ea, Marot. trouves-lu en rime art
Qui serve awe gens, toi qui as h masse ?
Oui vraiment, repo/ids-je, Henry Mace. »
Ainsi, Marot a su faire preuve d'un humour etonnant pour l'epoque et s'attirer les faveurs de
Francois I er , qui seul pouvait le tirer d'affaire, a un moment ou TEglise toute-puissante faisait bruler ceux
qui osaient manifester de la sympathie pour la Reforme. Marot avait meme reussi a pi aire au roi en
quemandant non plus de r argent mais une juinent :
« Mapauvre bete, awe signes queje vols,
Dit qu 'it grand-peine irajusqu 'a Narbonne.
Si vous voulez m 'en dormer une bonne.
Savez comment Marot I 'accepter a ?
D 'aussi bon cceur que la sienne il donne
Au ftn premier qui la demandera. »
Mais voila Marot emprisonne au Chatelet « pour avoir mange le lard en periode de careme ». Cette
accusation etait extremement grave et le seul rnoyen pour le poete d'echapper a line fin afFreuse etait
encore une fois de divertir le roi en esquivant l'accusation d'heresie et en la reduisant a un differend
entre deux plaideurs, le roi et Iui-meme :
« Roi des Francois, plein de toutes hontes
Quirtze jours [il y] a.je les at bien camples
Et des demain seront justement seize,
Que je fus fail confrere au diocese
De Saint-Marry t en / 'eglise de Saint- Pris. »
Marot Fait un jeu de mots sur Saint-Merry, F eglise jouxtant sa prison, et Marry, marri, ainsi que sur
Saint-Pris, un village proche, une facon humoristique de designer la prison. Reste a aborder le problerne
de P amende qui risque d'etre salee :
« Prenez le cas queje vous fa [V amende] demands,
Jeprerrds le cas que vous me la donnez. »
Ainsi, Francois E cr , toujours aussi sensible a l"humour de Marot, paya pour le faire liberer.
Marx Brothers, Les
Mais oui, ils etaient reellement freres. Fils de juifs emigrants, Minnie et Simon Marx, des Francais
qui avaient quitte Mulhouse et s'etait expatries aux Etals-Unis. Par ordre d'arrivee au monde, dans la
famille Marx, on dernande Chico (Leonard), petit, noiraud, il est reconnaissable a sa curieuse technique
due du « doigt revolver », pouce replie et index tout en detente, Harpo (Adolph), Tange fou. il se
promene dans un trench-coat informe bourre d^ustensiles voles dans cent quincailleries, toujours muet
comme Harpocrate le dieu grec du silence, Groucho (Julius), petites lunettes rondes, le sempiternel
cigare colle aux levres ou a la main, Gumno (Milton), impresario du precedent et Zeppo (Herbert), celui
qui « est comme tout le monde et e'est bien cela le drame » et qui ne jouera que dans cinq des films de la
fratrie. Le pari des Marx Brothers fut d'introduire au cinema l'univers de Tabsurde et 1' utilisation
burlesque du langage. Jeux de mots, syllogismes, habiles calembours, eblouissantes reparties devenues
celebres, raisonnements hallucines parsement leurs films, qui feront souffrir les traducteurs des sous-
titres. Les Marx ne sont pas droles parce qu'ils en font beaucoup, ils sont droles parce qu'ils sont ee
qu'ils sont, des figures archetypales constantes d'un film a r autre. Leurs attitudes, leurs costumes, leurs
gestuelles, leurs demarches, les sequences musicales, loin de surprendre le spectateur, font partie d'un
rituel que j'airne. Pour s'offrir une vraie tranche de rire on peut regarder leurs ceuvres demeurees intactes
au fil du temps, The Cocoanuts, premiere adaptation cinematographique d'une de leurs comedies
musicales a succes, Horse Feathers, sur les failles du systeme educatif americain, Duck Soup, fable
antimilitariste grotesque, A Night at the Opera, oil, en prime, on peut assister a des spectacles musicaux
grandiloquents, Animal Crackers, Monkey Business, A Day at the Races, Love Happy, avec une
debutante du nom de Marilyn Monroe, et-4 Night in Casablanca turent leur chant du cygne, « les
dialogues etaient couverts par ]e bruit de mes articulations », rapporte Groucho dont les memoires
restituent le chemin parcouru depuis leurs debuts, propulses sur les planches des leur plus jeune age,
pousses par Fenthousiasme de leur mere juive et par le vide de leurs assiettes, en enehalnant des toumees
dans des bleds paumes : « II y a quelques annees, j'ai recu une lettre par mon avocat. C'est-a-dire qu'elle
m'etait adressee, mais qaon la lui avait envoyee a Iui. Car a Hollywood, on ne recoit jamais son propre
courrier. On l'expedie toujours a votre avocat; votre medecin, voire homme d'affaires ou votre
impresario. Si vous recevez une lettre de votre dentiste, vous n'avez meme pas a lui repondre. Glisse2
vos caries dans une enveloppe, expediez-lui le tout; il les plombera et les renverra ensuite a votre homme
de loi. Tout cela est tres embrouille et on s'y perd. »
Si les freres Marx se retirent du cinema en 1950, Groucho, lui, entame une nouvelle carriere de
presentateur de television, notamment a remission « Bet Your Life », celebre show des annees 1950-
1960 et qui reste un classique de la television americaine :
Morceauxchoisis :
— « J'ai passe une excellente soiree, mais ca n'etait pas celle-ci. »
— << Je rf oublie jamais un visage, mais pour vous je ferai une exceptioa »
— « Je vous oflriraisbienun parachute, si j'etaissur quMl ne s'ouvre pas. »
— « Tout le monde sait qu'en cas d'insomnie il suffit d'additionner mouton apres mouton pour
s'endorrnir. Mais combien de personnes savent que, pour rester eveille, il suffit de soustraire les
moutons ? »
— « Je suis ne tres jeune. »
— « Ne vous fiez pas aux couples qui se tiennent par la main. S'ils ne se lachent pas, c'est parce
qu'ils ont peur de s'entre-tuer. »
— « La discretion est ma devise. Je ne dis jamais rien. Meme sur ma carte de visite, il n*y a rien
d'ecrit. »
Mikes, George (1912-1987)
Que dire de George Mikes ? Que c'est un humoriste anglais ? Qu'il n'est pas anglais ? Qu'il juge les
Anglais inimitables ? Qu'il est arrive a Ies imiter ?
Son histoire n'est pas banale, journaliste hongrois, il fut envoye a Londres en 1938 pour y couvrir un
evenement. II devait y rester quinze jours, il n'en est jamais repartt. Ces Anglais qui ne faisaient rien
comme tout le monde l'intriguaient tellement qu'il n'a pas pu Ies quitter. II a essaye de jouer a
l'anthropologue mais en vain, car leur comportement resiste a toute explication rationnelle. Puis il a
essaye de Ies imiter. Sans succes. En 1946, devenu citoyen de Sa Majeste, il a publie son best-seller How
to Be an Alien, veritable lecon de choses sur ce pays oil la rigidite cotoie 1' indiscipline. Dans la preface,
pleine d'une sagesse resignee, il ecrit : « Si vous n'arrivezpas a Ies imiter, vous serez ridicules ; si vous
y arrivez, vous serez peut-etre encore plus ridicules. » D'autres guides cornico-sociologiques ont suivi :
How to Be Inimitable (1960) etHow to Be Decadent (1977), que Ies Anglais ont accueillis avec leur
fair-play legendaire.
Mais Ies temps ont change, rAngleterre aussi. Aujourd'hui le the n'est plus considere comrne la
boisson unique, Ies croissants et la baguette menacent de detroner le pain de mie et la salad cream est
remplacee par la vinaigrette. C'est pourquoi sa trilogie regroupee sous le titre Drotev tie gens a pris un
coup de vieux Pour George Mikes, Ies Anglais etaient une caricature d'eux-memes, mais depuis leur
insularite s'est assouplie. S'ils continuent de rouler a gauche, ils ont mis de I'eau dans leur vin ou du
soda dans leur whisky. Eux qui rf avaient soi-disant pas de vie sexuelle et dormaient avec une bouillotte
ont rattrape leur retard. Pourtant certaines pratiques, comme Tart de faire la queue, ont la vie dure : « Un
Anglais, meme s"il est seul, forme, a lui tout seul, une queue parfaitement rangee. »
La plupart des bizarreries qui faisaient sourire il y a cinquante ans se sont emoussees, et Ies livres de
Mikes se sont couverts de poussiere.
Un ouvrage, pourtant, semble avoir resiste aux annees. Tsi-Tsa (1978), que j'adore, un livre-
confidence sur l'amitie qui lie l'auteur a une chatte venue s'installer chez lui. Mikes y delaisse enfin
Tetude satirique pour decrire Ies relations des hurnains avec Ies animaux de compagnie. Sujet universel,
traite avec un humour, d'une grande Finesse. Tsi-Tsa est une star, joueuse, hautaine, capricieuse. Ses
copains de gouttiere sont tellement exceptionnels que c'est a eux que Mikes dedie son livre. II dit merne
sa fierte d'avoir le meme prenomque Tun d^ux, George... Quant a Tsi-Tsa, c^st elle qui Tadopte etqui
ritual ise son quotidien. Et Iorsqu'elle fait une fugue, le desarroi de son maitre est d'autant plus terrible
que Ies avis de recherche pour « un chat noir aux signes particuliers : neant » sont sans effet. Jusqu au
jour ou on lui annoncequ'unchataete renverse par une voiture : « J'ai couru tellement vile que j'ai failli
me renverser moi-meme. » Inquietude et soulagement se bousculent dans sa tete, pirnentes par un
sentiment de culpabilite que connaissent, je suppose, Ies parents d'enfants fugueurs. Puis viendra
1'attendrissement devant un ventre qui s'alourdit, la grossesse et Ies exces alimentaires ayant Ies memes
effets, et 1'impuissance devant la depression de sa protegee. Tous ces sentiments sonnent juste.
Tsi-Tsa est aussi l'histoire d'un homrne qui se voit vieillir. Un accident lui fait redouter une cecite
prochaine, car c'est a cause d'une balle de tennis que ce grand joueur va peut-etre perdre la vue, et il se
resigne avec beaucoup de dignite et d'humour a envisager la vie autrement : « Quelqu'un m'a demande (il
y a toujours des gens qui posent des questions comme 9a) si je pourrais continuer a jouer au tennis.
— Oui, ai-je repondu, avec une raquette blanche. »
Moliere (1622-1673)
Trois cent quarante ans apres sa mort, tous Ies critiques qui comptent dans le microcosme theatreax,
de Philippe Sollers a Philippe Tessoa, s'entendent pour affirmer haut et fort qu'il nous fait encore rire,
qu'il continue a fasciner et a plaire, qu'il n'a jamais ete aussi moderne, etc.
Autant de raisons pour qu'un hommage appuye (lous les hommages sont « appuyes » au meme titre
que les concubins sont toujours « notoires ».. .) lui soit rendu ici.
Pourtant, tout le monde n'est pas d'accord avec tout le monde. D'un cote, Philippe Sollers nous
explique qu'il vient d'avoir deu\ fous rires en relisant Le Bourgeois gentilhomme et L 'Ecole des femmes
et, de r autre, Claude Bourqui. un des specialistes de Jean-Baptiste Poquelin, declare : « Certes le rire est
eternel, mais dire que ses pieces sont modernes siricio sensu, non. La plupart du temps nous rions a
contresens a notre hauteur qui n'est pas celle du xvn e siecle. » N'en deplaise a Philippe Sollers, j'aurais
tendance a abonder dans ce sens : rire oui, rnais exploser de rire non, car nous ne rions pas des memes
choses qu'auxv]i e siecle. Ce qui pretait a rire a cette epoque est sensiblement different des
« poquelinades » qui nous font sourire aujourd'hui. Moliere etait un resistant ; il resista a Bossuet et a
d'autres moralistes cornme le pere RouIIe, cure a Paris, qui tonnait contre ses « impietes » et ses
« infamies ». C'est parce qu'il etait rennemi du systeme que le public en redemandait en explosant de
rire... Cornme Philippe Sollers ! Mais je ne suis pas sur que ce rire-la, qui correspondait plutot a une
sanction morale du public a Tegard du ridicule de I 'epoque, ait traverse le temps. Ce qui m'interesse
chez Moliere, c'est la modernite, je dirais meme plus, l'eternite de ses personnages que je continue a
croiser a tons les coins de rue : Tartuffes. Harpagons, Misanthropes, Malades imaginaires et Precieuses
ridicules font partie de notre quotidien. Moliere etait un visionnaire, et un observateur de la vie. Mais une
fois de plus, cornme souvent dans ce dictionnaire, ce sont les mots et la verve satirique tres proche de
celle de Boileau que j'apprecie. Ainsi sa facon de parodier dans Monsieur de Pourceaugnac le jargon
verbeux des rnedecins est un vrai plaisir : « Notre malade ici present est malheureusement attaque,
affecte, possede, travaille de cette sorte de folie que nous nommons fort bien melancolie
hypochondriaque, espece de folie tres facheuse... Je Tappelle melancolie hypochondriaque pour la
distinguer des deux autres ; car le celebre Galien etablit doctement, a son ordinaire, trois especes de cette
maladie que nous nommons melancolie, ainsi appelee non seulement par les Latins, mais encore par les
Grecs [. ..] : la premiere qui provient du propre vice du cerveau, la seconde, qui vient de tout le sang fait
et rendu atrabilaire ; la troisieme, appelee hypochondriaque^ qui est la notre, laquelle procede du vice de
quelque partie du bas-ventre, et de la region inferieure, mais panic ulierement de la rate, dont la chaleur et
rinflammation portent au cerveau de notre malade beaucoup de fuligines epaisses et crasses dont la
vapeur noire et maligne cause depravation aux fonctions de rintelligence, et fait la maladie dont, par
notre raisonnement, il est manifestement atteint et convaincu. »
Alors, Moliere imrnortel ? Moliere auteur au genie comique universel ? Evidemment, mais aussi
maitre du bon sens : « Je suis pour le bon sens », professe Dorante dansZ.^; Critique de /'Ecole des
femmes. Cette bonne facon de juger, « qui est de se laisser prendre aux choses et de n'avoir ni prevention
aveugle ni complaisance affectee, ni delicatesse ridicule ».
Alors, vive Moliere l'impertinent ! Plus que jamais nous avons besoin de son rire qui a deja traverse
trois siecles, y compris le debut du xx e ou Alphonse Allais, toujours lui, le celebrait a sa fapon : « Moi je
suis un type dans le genre de Moliere, je suis cocu. »
Montesquieu (1689-1755)
Le principe consistent a faire observer son propre pays et a le juger a travers Le regard neiif
d'etrangers m'a toujours paru une idee ingenieuse et subtile pour pouvoir critiquer, l'air de rien, Ies
travers de son temps. Le maitre du genre est incontestablement Charles- Louis de Secondat, baron de La
Brede et de Montesquieu, descendant d'une fainille de parleinentaires bordelais. Lors de son bapteme, on
lui donne un mendiant pour parrain, afin qu'il se rappelle toute sa vie que les pauvres sont ses freres.
Apres une carriere politique et scientifique et des publications sur Ies coquillages ou les maladies des
glandes renales, il decouvre que c'est rhomme et les singularites de cet etrange animal qui l'interessent
plus que tout, et il va le prouver. Demode, le baron ? Que nenni, il suffit de lire ou de relire Les Lettres
persanes avec le regard neuf de ses heros, deux Persans cultives et curieux, qui avec un humour corrosif
se livrent a une critique hardie du roi de France et du pape :
« Le roi de France est le plus puissant prince de r Europe. II n'a point de mines d'or comme le roi
d'Espagne, mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanite de ses sujets, plus
inepuisables que les mines. On lui a vu entreprendre de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des
litres d'honneur a vendre, et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payees, ses
places fbrtifiees, et ses flottes equipees. D'ailleurs ce roi est grand magicien : il exerce son empire sur
r esprit meme de ses sujets... SMI n'a qu'un million d'ecus dans son tresor, il n'a qu'a leur persuader
qu'un ecu en vaut deux, et ils le croient.. . Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t'etonner, il y a un
autre magicien, plus fort que lui. qui n'est pas moins maitre de son esprit qu'il ne Test de celui des autres.
Ce magicien s'appelle le pape. Tantot il lui fait croire que trois ne font qu'un. que le pain qu'on mange
n'est pas du paia ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin. et mille autres choses de cette espece. .. »
Et Montesquieu de conclure dans ses cahiers : « Le ridicule jete a propos est d'une grande
puissance. » Ce n'est pas la devise du Canard enchaine, mais ca pourrait bien l'etre. Montesquieu est
aussi rhomme de L 'Esprit des lois, dont Paul Valery disait : « II n'ecrit pas pour nous, qu'il ne prevoyait
pas si primitifs. II aime l'ellipse, et, dans nombre de ses maximes, il calcule sa phrase, la renoue finement
a elle-meme, il prevoit des esprits un peu plus delies que les notres, il leur offre les plaisirs de
l'intelligence elegante et leur prete ce qu'il faut pour enjouir. » Quant aux fameuses Maximes^JG ne pea\
m'empecher de vous en faire gouter quelques-unes pour le plaisir, meme si elles ne sont pas forcement
desopilantes, rnais une telle finesse vaut le detour :
— « 11 faudrait convaincre les hommes du bonheur qu'ils ignorent, lors meme qu'ils en jouissent. »
— « Un homme qui enseigne devient aisement opiniatre, parce qu"il fait le metier d'un hornme qui n'a
jamais tort. »
— « Les lois inutiles affaiblissent les lois necessaires. »
— « Une chose n'est pas juste parce qu'elle est Ioi ; mais doit etre loi parce qu'elle est juste. »
— « L'homme pieux et Fathee parlent toujours de religion : Fun parle de ce quil aime, et F autre de
ce qu'il crainL »
Monty Python, Les
lis ont ete a F humour anglais ce que les Beatles ont ete a la musique : une revolution sans precedent.
Plus les annees passent, plus ils se bonifient, leurs textes comiques ne vieillissent pas car ils ne sont lies
a aucune actualite et se fondent sur Fabsurdite et le grotesque de la condition humaine. Si j'ai tin faible
pour Graham Chapman, John Geese, Terry Gilliam, Eric Idle, Terry Jones et Michael Palin, c'est parce
que je ne doute pas qu'ils aient ete inspires par Jonathan Swift, Bernard Shaw, Oscar Wilde ou Evelyn
Waugh. II semble aussi que nos six lascars, adolescents, aient ete influences par une emission en vogue en
Grande-Bretagne au debut des annees 1960, le « Goon Show », imagine par Mike Spilligan, avec la
participation de Peter Sellers. Imaginez un melange anarchique de personnages insenses, de jeux de mots,
de bruitages bizarres, le tout sur un rythme d'enier.
Leurs meilleurs sketches ? En 1972, Serial Killer, Le Cows de disputes, Fin de..., Le Sens de la
contradiction ou encore ce genial telescopage phonetico-syntaxique : Mr. Hn Th.
Pour apprecier leur humour, il faut prendre du recul, et je pense a cette declaration du colonel Harry
McWinter, president du Club des sectaires incorrigibles, qui se termine sur ces mots : « Souvenez-vous,
la tolerance est une des grandes vertus de notre peuple, ne la gaspillons pas pour les youpins, les Polaks,
les meteques, les Chleus et les bicots. »
Le groupe avait choisi de s'appeler Monty Python's Flying Circus, c'est leur nom complet, en
hommage affectueux au marechal Montgomery alias Monty. Us avaient des la creation du groupe une idee
precise de la fa^on dont ils envisageaient leurs sketches televises. II fallait etre le plus surrealiste
possible, quitte a demarrer sans generique, ou en diffusant, par exemple, le generique de fin au debut.
Parfois, ils imitaient le ton compasse des annonceurs invisibles pour parodier la BBC. Mais en general,
ils melangeaient differents styles d'humour, que ce soit Farrivee de FInquisition espagnole devant un
pavilion de banlieue ou les duos Cleese/Chapman ou. invariablement Fun insultait F autre, tandis que le
troisieme, Idle, parlait en anagrammes, le tout sur fond de collages surrealistes de Terry Gilliam.
Mais leur plus grand succes, celui qui les a fait connaitre dans le reste du monde, c'est leur premier
film en 1975, Sacre Graal /, inspire tres librement, et c'est un euphemisme, de la legende du roi Arthur.
joue en Foccurrence par Chapman. On a tons en memoire la scene des chevaliers chevauchant
majestueusement leurs pseudo-montures, tandis que les ecuyers frappent des moities de noix de coco
Fune contre F autre pour imiter le bruit des sabots. Ce gag irresistible n'etait pas gratuit, c'est le cas de le
dire, car le budget limite ne permettait pas de tourner avec des chevaux. Meme motif, meme punition pour
les cottes de mailles qui etaient des pulls en laine teintes de peinture argentee, trempes pendant le
tournage realise sous des trombes d'eau en Ecosse.
Apres avoir ridiculise le roi Arthur, il n'y avait qu'unpas pour se moquer de... Jesus. C'est ainsi que
naquit le controverse La Vie de Brian, oil Ton voit Jesus precher serieusement le sermon sur la montagne.
Tout rhumour provient de la fagon dont les disciples comprennent ses propos de travers. La Vie de Brian
tut interdite pendant huit ans en Irlande, ne flit pas distribute en Italie et interdite pendant un an en
Norvege, ce qui permit aux Suedois d'en faire la publicite : « Le filmtellernent drole que les Norvegiens
ont du T interdire. » Ambiance...
Graham Chapman est mort en 1989 d'un cancer de la gorge et, meme au cours de ses runerailles,
rhumour etait encore de la partie quand Michael Palin, faisant allusion aux retards chroniques de
Chapman, annonca a 1' assistance : « Graham est parrni nous en ce moment meme, on, si ce n'est en ce
moment meme, en tout cas d'ici vingt-cinq minutes. »
Morel, Francois
Vfous en connaissez beaucoup qui n'apprecient pas Francois Morel ? Avouez que c'est difficile de ne
pas aimer ce garcon si talentueux, capable d'etre a la fois employe de la fromagerie Morel chez les
Deschiens, chanteur dans Collection particuliere, de preter sa voix au chien le plus bete de I 'Quest
(Rantanplan), au chat du Rabbin Sfar, a Pierre et le Loup et au Petit Ponce/, de chroniquer avec finesse
sur France Inter, d'etre un Monsieur Jourdain inoubliable et d'avoir joue dans une trentaine de films,
presque autant de series televisees et de pieces de theatre,, que ce soit en tant qu'acteur ou metteur en
scene. Eh oui ! II a deja tout ga a son actif, le pere Frangois. Et je sais pourquoi ca vous surprend. parce
que cet hornme-la, grand rnodeste, trace son petit « gentilhomrne » de chemin sans faire de bruit. Oui,
j'aime Francois Morel ; oui je suis peut-etre subjectif parce que nous sornmes amis depuis que nous
chroniquames ensemble dans les emissions de Stephane Bern sur France Inter. Non, Francois n'est pas
seulement un Deschiens (oui, je sais, on n'est pas obliges d'aimer les Deschiens), mais il se trouve que
depuis lews debuts en 1978, je suis accro a cette serie si intelligemment imaginee par Jerome Deschamps
et Macha Makei'eff, avec des comediens etonnants comme Broche. Duquesne, Lochet, Kelif, Lorella
Cravotta et la stupefiante Yolande Moreau, laquelle resume bien leur etat d'esprit : « J'ai compris que
l'on n'est jamais aussi drole que lorsque Ton joue de ses defauts. » Le cote popuiaire et simple pour
decrire la France d'en bas, avec ses anomalies, ses doutes et sa fragilite explique vraisemblablement le
succes de la serie.
Ne a Flers (Orne) en 1959, Francois Morel a grandi a Saint-Georges-des-Groseillers ; a croire que
cette charmante bourgade au patronyme si poetique n'a ete imaginee que pour accueillir notre camarade.
Dans un recent portrait, L 'Express le definit comme un « touche-a-tout synpathique ». C'est en effet assez
bien vu, et j'ajouterai aussi que, non content d'etre sympathique, il est desarmant d'humour et de
gentillesse. II dit lui-meme que dans ses chroniques il s'efforce de ne pas etre dans le rrrilitanusme
forcene, et c'est une fagon de voir, ou plutot de ne pas voir les choses qui me va droit au coeur. Je partage
avec lui ['amour de Vialatte pour sa passion du style, son gout pour le coq-a-I'ane, ses costumes en lin et
son penchant immodere pour les mots compliques comme « dithyrambique » ou « oxymore ». Frangois
n'est jamais aussi bon que dans ce registre, et je pense bien sur a sa prestation dans Les Diablagues de
Dubillard en 2007 et 2008. Autre coup de cceur, parrni d'autres, sa mise en scene d' Instants critiques
(201 1), ou il fait revivre la grande epoque du « Masque et la Plume » ; Bory et Charensol, interpreters par
Olivier Broche et Olivier Saladin, y sont irresistibles.
L 'Express cite aussi une de ses plus belles chroniques sur France Inter (30 juin 2011) oil notre
trublion explique qu'il a envie de parler de « tout et de rien » : « "Alors comme 9a, on revient du Perou",
fit d'un ton badin mon copain Reinhardt a une jeune femme qui. dans le bocage nonnand, arborait un joli
bonnet peruvientres colore. "Non", repondit-elle, retirant son bonnet et laissant decouvrir un crane lisse.
"Comme ca, on revient de chimio."
Pouvoir rire de tout, ce n'est pas riea »
Et un peu plus loin :
« Ce matin, j'avais envie de parler de tout. J'avais envie de parler de rien. Mais dire aux humoristes
anonymes, aux rigolos ignores, aux fanlaisistes inconnus, aux gens d'esprit meconnus la reconnaissance,
la gratitude pour ces instants qui enchantent le quotidien, pour tous ces moments qui rehaussent
Tordinaire, pour la beaute du geste gratuit, pour le charme du mot benevole, pour la delicatesse de la
pointe gracieuse. »
Bel hommage ! Du pur Frangois Morel, genereux et modeste, qui oublie de signaler que si certains de
ces humoristes encore « anonymes » existent, c'est qu'ils ont sans doute ete a bonne ecole.. . la sienne.
J'arrete ici ce dithyrambe (!) mais quand on aime, on ne cornpte pas. J'ajouterai que Francois
confirme quelque part qu'« on peut rire de tout quand ce n'est pas sous-tendu par une mauvaise pensee »
et, mieux : « on peut rire de tout mais on n'est pas oblige ». Dominage que le camarade Desproges ne soit
plus la pour commenter ces variations sur sa celebre phrase.
J'en terminerai par une question tres personnelle que je n'ai jamais ose lui poser, pudeur oblige :
« Cher Francois, etais-tu shoote au "gibolin" (cf. les Deschiens) pour te dormer du courage lorsque tu as
longuement embrasse la sublime Ornella Muti dans le filmde Lucas Belvaux Un couple epatant ? »
Mots croises
Contrairement a ce que Ton pourrait imaginer, la premiere grille de mots croises ne serait pas une
invention des vaillants croises patientant devant Damiette, mais remonterait au n e ou iu c siecle apres J.-C.
Des archeologues americains en auraient decouvert une sur les bords de rEuphrate. C'est a partir de
1923 que cette vogue touche la France, sous 1' impulsion de Tristan Bernard et de son arnie Renee David.
Un peu plus tard, les oulipiens s'en emparent, et Perec en imaginera meme avec ses fameuses
« contraintes ». On connait Tengouement actuel pour ces remue-rneninges, dont je ne suis pas vraiment
fanatique, mais je m'interesse a cette forme d'esprit qui guide nos « verbicrucistes » a imaginer des
definitions pour faire enrager les « cruciverbistes » les plus aguerris :
— « Un entier qui partage sa moitie avec un tiers : cocu » (Alphonse Allais).
— « Adjectif desordonne : epars » (Scipion).
— « A reussi a se caser comme negre en litterature : Tom » (Scipion).
— « Assiette en glaise : ecuelle » (Scipion).
— « Avec lui la lune est dans Teau : bain de siege » (Max Favalelli).
— « A bienmerite le baton : marechal » (Max Favalelli).
— « Prelude a une partie de billard : anesthesie » (Max Favalelli).
— « Bonne en dessin : becassine » (Michel Laclos).
— « Brulee sans arret : etape » (Michel Laclos).
— « On y va a la rame : metro » (Michel Laclos).
— « Matiere a reflexion : glace » (Leo Campion).
— « Mesure de redressement : aphrodisiaque » (Leo Campion).
— « Avec le temps, elle gagne sur tous les fronts : ride » (Roger La Ferte).
— « Defaut d'allumage : frigidite » (Roger La Ferte).
— « N*est baisee que par des hommes du monde : main » (Roger La Ferte).
— « Victirne d'une operation de bourses : castrat » (Roger La Ferte).
— « Elle doit avoir du culot : ampoule » (Michel Hannequart).
— « Femme au foyer : Jeanne d^Arc » (Michel Hannequart).
— « Des quatre as, le plus mal fichu : as de pique » (Pierre Daninos).
A noter qu'une ruminante, bien connue des divinites grecques, la vache Io, qui etait en fait une jeune
pretresse d^Hera, fille du dieu fleuve, est devenue Tun des personnages Ies plus en vue des amateurs de
mots croises. Tout cela grace aux deux seules lettres qui composent son nom :
— « Si elle avait ete espagnole elle aurait massacre le franc, ais. »
— « Aurait pu faire son beurre. »
— « On Fa envoyee pailre. »
— « A fini sur le pre. »
— « S'en est mis plein la parse. »
— « Pratiqua F amour vache. »
— « S'est trouvee toute bete. »
— « Aurait du ruminer sa vengeance. »
— « £a lui a fait un efifet bceuf. »
Mots de la fin, Les
Le futur de : « Je suis vivant » etant : « Je serai rnort ». il faut le mieux possible s'y preparer, mais
s"il est deja difficile d'avoir le sens de r humour durant sa vie, le conserver au moment de mourir n'est
pas donne a tout le monde. Des hommes celebres, conscients que leurs derniers mots seront peut-etre plus
importants que leurs premiers, essaient de quitter cette terre avec un dernier trait d'esprit. Tous n'y
reussissent pas, mais d'autres meritent notre admiration. Ainsi le celebre gastronome Brillat-Savarin,
s'appretant a quitter cette planete, la veille du reveillon de Noel, nous laissa son : « Je vais avoir un dies
tree aux truffes ! », et Grimod de La Reyniere, a la surprise de ses proches, reclame un verre d'eau avant
de mourir : « Au moment de paraitre devant Dieu. je veux me reconcilier avec mon plus mortel ennemi. »
Henri Monnier, pointant le ciel du doigt : « II va falloir etre serieux Ia-haut », n 1 aurait pas desavoue
l'adieu d'Oscar Wilde, ruine, recevant la note d'honoraires de son medecin : « Je meurs vraiment au-
dessus de mes moyens ! »
Certains ont hate d'y etre, comme le Iaisse entendre ce : « Au ciel ! Au ciel, au galop »• de la fille
ainee de Louis XV ou se veulent discrets : « Je vais faire semblant de ne pas mourir » (Chamfort).
D'autres preferent Ie depart en fanfare, comrne cette amie de Jean-Jacques Rousseau qui Iacha une belle
flatulence : « Bon ! femme qui pete n'est pas morte. » Et elle mourut.
Rendons hommage aussi a ceux qui restent professionnels jusqu'au bout. Francois de Malherbe
interrompt son confesseur : « Ne me parlez plus, votre mauvais style me degoute ! », le poete Felix
Arvers corrige une femme de service qui crie : « "C'est au fond du colidor P — On ne dit pas colidor, on
dit corridor ! »
Si Rameau sur son lit de rnort a toujours 1'oreille absolue : « Que diable me chantez-vous la,
monsieur le cure, vous avez la voix fausse », Antoine Watteau n'est pas aveugle : « Otez-moi ce crucifix !
Comment un artiste a-t-il pu rendre si rnal les traits de Dieu ? » Nadar a ce joli mot : « Je sens venir tout
de bon le moment de dire : ne bougeons plus », et Verdi : « Je desire des funerailles simples, ni chant, ni
musique ! J'en ai assez entendu de mon vivanL » Simon Fraser, jacobite ecossais, avant d'etre decapite
en 1747, vit la tribune devant l'echafaud s'effondrer tuant plusieurs personnes : « Plus il y a de degats,
plus on s'arnuse », dit-il avant de se faire decoller et de decoller vers d'autres cieux
II y a aussi ceux qui osent enfin dire ce qu'ils ont sur le cceur, tel Lope de Vega : « Dante m'a
toujours ennuye », et Simon Bolivar : « Les trois personnages les plus ennuyeux de THistoire ont ete
Jesus-Christ, Don Quichotte et moi. »
Sully, lui, reste cabot jusqu'a la fin : « C'est dux de mourir quand il n'y a pas de public. » Joli mot de
la fin aussi de Madame de Fontaine-Martel en 1730 : « Ma consolation est qu'a cette heure je suis sure
que quelque part on fait r amour. » Tandis que Madame de Boufflers, suivant le corbillard de son mari,
tres infidele epoux, disait : « Je vais enfin savoir ou il passe ses nuits. » Restent les bien eleves comrne
Luis Taboada, journaliste espagnol du xix* siecle, qui force un visiteur trop bavard : « C'est bon. A
present, cher ami, excusez-moi, mais je vais entrer dans les affres de l'agonie. » Et Landru, s'excusant
aupres de Faumonier Tinvitant a entendre la messe : « Ce serait avec plaisir, monsieur Tabbe, mais je ne
veux pas faire attendre ces messieurs. »
Groucho Marx voulait etre incinere, et 10 % de ses cendres devaient etre versees a son impresario.
Labiche, qui avait vecu sous la dictature de son epouse, ecrivit ses •« premieres volontes », et Scarron,
lui : « Je legue tous mes biens a mon epouse, a condition qu'elle se remade. Ainsi, il y a aura tout de
meme un homme qui regrettera ma mort »
Comrne disait la poetesse Lucienne Desnoues au passage d'un convoi iunebre : « Encore un de plus
de rnoins. Eh oui ! Encore un de moins de plus. »
New Yorker, The
En 1925, un couple de journalistes americains lance le magazine Ie plus chic du monde : The New
Yorker. Quelques mois plus lard, un de ses fondateurs. Harold Ross, n'etait pas content : « Tout le monde
parle des dessins du New Yorker et on dit que c'est le meilleur magazine du monde pour ceux qui ne
savent pas lire. » II est vrai que, me me aujourd'hui, ce sont les dessins que Ton regarde d'abord. Quatre-
vingt-cinq ans plus tard, publier un cartoon dans The New Yorker est toujours the consecration pour un
dessinateur. Sempe est d'ailleurs un des rares artistes francais a avoir regulierement cet honneur.
Pendant des annees, fascine par ce magazine, je me suis heurte a un refus poli mais ferme des editeurs
americains quant au principe d'une eventuelle edition francaise. Leurs arguments tenaient la route,
persuades quails etaient, sans doute a juste titre, que les legendes des cartoons etaient intraduisibles et
qu'ils ne supporteraient pas la traversee de l'Atlantique. II est evident que leur cote private joke les rend
souvent inaccessibles, si Ton n'est pas au fait du eontexte historique et sociologique de rAmerique des
annees 1930, 1940 ou 1950. lis craignaient aussi qu'en passant d'une langue a Fautre on perde ne serait-
ce qu'une once de ce sel si New Yorker t qui donne toute sa saveur aux legendes du magazine. Mais
devait-on pour autant priver le monde francophone de ce monument a la gloire du nonsense, de Tabsurde
et de rhumour decale ? Rappelons d'ailleurs que rAmerique a bien herite de rhumour anglais, mais en
lui imprimant sa propre marque ; et si les Britanniques exorcisent le reel en le diminuant
{understatement), les Americains, eux, preferent rexageration {overstatement).
THE
NEW
Toujours est-il qu'en 2004 j'ai enfin reussi a convaincre les Americains de me Iaisser traduire et
adapter un florilege de quelque deux mile cartoons , et dans la foulee a trouver un editeur francais, en
Toccurrence Les Arenes, assez fou pour prendre ce risque. Pari gagne car, depuis, cet editeur multiplie
les succes en editant et reeditant les traductions du New Yorker, et un grand quotidien francais publie
quotidiennement un dessin extrait des livres.
Certes, avant The New Yorker, le dessin de presse exislait deja, mais il n'avait rien a voir avec ce
que nous connaissons aujourd'hui. C'est bien ce magazine qui a affine Le concept en imposant un dessin
simple et parlant avec une seule ligne de texte, une idee dessinee en quelque sorte.
Avec le temps, ce principe a evolue au contact de grands dessinateurs comme Peter Arno, Charles
Addams, Robert Weber ou Peter Steiner. Tous se sont plies a cette contrainte qui fait que chaque dessin
est une scene de comedie classique coneentree en une image unique. Un monde de satire sociale et
d'ironie dans un petit rectangle de quelques centimetres. Robert MankofY, Pediteur americain et le garant
de cette orthodoxie, va meme plus loin : « Ce n'est pas le trait, c'est 1'idee qui fait un grand dessin
d'humour. Souvent, il y a tres peu de difference visuelle entre un dessin qui fonctionne et un autre qui ne
fonctionne pas. La difference est conceptuelle, et c'est une tres grande difference. »
La comedie humaine et la vanite sont les premieres cibles des dessinateurs du New Yorker. Leurs
dessins parlent rarement de politique, mais toujours de la vie, de r amour, de 1' argent, du sexe, du
shopping, des maris, des femmes, des amants, des collegues de bureau et beaucoup... des chats.
« Le processus de creation implique dc Texageratioa de la distorsion et des associations d'idees
inhabituelles en lien avec nos emotions et nos desirs », ajoute Robert Mankoff.
Le dessin d' humour doit jouer sur l'inconscient pour provoquer le rire, rend l'incongru intelligible et
tourne souvent autour de cette contradiction entre ce que nous voudrions etre et ce que nous sommes, ce
qui me fait penser a ce dessin de Steiner oil Ton voit deux chiens discuter devant un ordinateur : « Sur
Internet personne ne sait que tu es un chien », affirme Tun d'eux.
Parmi les quatre-vingt mille cartoons publies entre 1925 et 2012, j'ai evidemment quelques
preferences :
— Un homme d'affaires, assis a son bureau, repond a un coup de fil et consultant son carnet de
rendez-vous : « Non, jeudi c'est impossible. Et qu'est-ce que vous diriez de "jamais" ? Cela vous irait,
jamais ? »
Oucelui-ci :
— Un dessin qui date des annees 1930 ; deux ouvriers en train de construire ce qui sera sans doute
r Empire State Building sont suspendus a une poutre en acier, la tete en bas, sans aucune securite, au
einquantieme etage : « Tu sais, Robert, la biere a midi, ca me fait dormir. »
Vbila qui illustre bien la regie fondamentale du nonsense. La chute (ici sans jeu de mots !) doit etre
une surprise.
Sans surprise on ne rit pas. Et c'est ainsi que The New Yorker est grand.
Nonsense
Pourquoi pas non-sens ? Parce que nonsense est un mot anglais plus fort que le terme francais, qui se
contente de definir un raisonnement absurde.
Le nonsense version anglo-saxonne n'est pas une « absence de sens », rnais la prise de conscience du
cote insolite d'une situation. Cela commence par une affirmation ou une description logique et cela se
termine par une chute subversive qui va retirer tout ce sens a ce que Ton vient de dire ou de decrire.
Exemples : « J'ai fait une affaire, j'ai achete une statue de la Venus de Milo au rabais. Elle a deux bras »,
ou : « Je n'ai plus de problemes de parking. J'ai achete une voiture en stationnement » (Henny
Youngman).
Ces exemples montrent comment on seme la contusion dans notre esprit sans rien expliquer, sauf
lorsque Garry Shandling affirme de facon peremptoire : « Une fois, j'ai fait 1 "amour pendant une heure
cinq ! Cetait le jour du changement d'heure », oil Ton se trouve face a un semblant d'explication. ..
William Hazlitt, ecrivain anglais du debut du x\yf siecle, expliquait dans un ouvrage interessant mais
nombriliste que « Phomme, qui est Ie seul animal frappe par la difference entre les choses telles qu'elles
sont et telles qu'elles devraient etre, ne peut etre que britannique », puisque « seule Pimagination d'un
Anglais peut etre sensible au ridicule d'une situation ou a Pincongruite d'une affirmation ». Par exemple,
lorsque George Best affirme : « J'ai arrete de boire. Mais settlement quand je dors », ou quand on lit sous
la plume de Johnny Carson : « A la chasse, je ne tire qa en situation de legitime defense, par exemple si
un lapin me menace avec un couteau », ou encore quand Mel Caiman nous confie : « J'ai du laisser
tomber Ie masochisme. Cela me plaisait trop », et que Charles Pierce juge qu\< il vaut mieux etre noir
qu'homosexuel, parce que quand on est noir, on n'a pas a Pavouer a sa mere ». \bila le genre d'humour
qui plait aux Anglais, et le caractere bizarre et incongru de ce genre de declarations les fait eclater de
rire, car ils airnent en explorer toutes les possibilites comiques.
Pour nous, c'est peut-etre de P humour absurde, mais pour les Anglais, ca ne Pest pas tant que cela,
parce qu'ils pretendent a tort ou a raison en etre les « inventeurs », et parce que le nonsense et
V understatement, qui sont la base de cet humour, seraient les enfants naturels du wit, que Pon peut
traduire par « mot d'esprit », dont Freud pensait qu'il relevait du rreme processus que le lapsus.
Ainsi, le mot d'esprit qu s il soit absurde {nonsense) ou litote (understatement), s'il est revelateur de
Pinconscient, ne serait pas si absurde, et serait meme serieux. II existe d'ailleurs une philosophic de
Pabsurde, definie par Camus : « L* absurde est la notion essentielle et la premiere verite », comme le
nonsense qui presente une espece de monde a Penvers qui n'est jamais remis a Pendroit, mais qui en
decrit Pabsurdite en desamor9ant des situations graves, en pratiquant Pautoderision, par exemple :
Savoir se moquer de sa propre maladie :
— « J'ai la maladie de Parkinson, et il a la mienne » (Anonyme).
Demystifter la religion :
— « Dieu merci, je suis athee ! » (Anonyme).
— « Si j'avais ete la Vierge, j'aurais dit non » (Stevie Smith).
— « Si Jesus etaitjuif, pourquoi avait-il unprenomespagnol ? » (Bill Maher).
Roiller les intellect uels qui etalent lew savoir :
— « Mes deux compositeurs preferes sont les Bach. Jean-Sebastien et Jacques Offen » (Victor
Borge).
Denoncer les lotalitarismes :
— « Tout le monde sait que le grand poete russe Maiakovski s'est suicide. Ce que Pon sait moins,
c'est que ses derniers mots ont ete : "Ne tirezpas, camarades f* » (Fred Botten).
Le nonsense implique un melange plaisant de drolerie et de retenue. Ce n'est ni de Pironie ni ce que
les Anglais appellent eux-memes buffoonery, cet humour vulgaire et grotesque, genre histoires beiges,
mais une reflexion comique qui provoque soit un eclat de rire, soit un plaisir intense, voire les deux !
« Pourquoi rions-nous au spectacle d'un Premier Ministre qui s r assoit sur son chapeau ? », se
demande G. K. Chesterton. « Car le fait de tomber n'est pas drole en soi. Les feuilles tombent et le soleil
se couche sans provoquer un sourire. » Pour ce polemiste du debut duXX e siecle : « C'est de Phumour
qui abandonne toute tentative de justification intellectuelle, qui ne se moque pas simplement de
Pincongruite, mais Pextrait et Papprecie pour le plaisir », un simple sentiment d'emerveillement devant
Pexuberance des choses.
Je prefere qiiand meme ['explication qu'en donne Gerard Genelte : « Le negatif d'un dialogue
parfaiternent sense releve de F humour logique. » Et citons Leon-Paul Fargue, qui cree une relation
logique entre deux faits qui n'ont rien a voir : « Depuis que j'ai coupe ma barbe, je ne reconnais plas
personne. »
Veritable philosophie ou non, le nonsense est une facon de rnalmener a notre maniere le monde, a
moins que ce ne soit le contraire.
Obaldia, Rene de
II a quatre-vingt-quatorze ans, il est comte, academicien, arriere-petit-fils d'un president de la
Republique du Panama, petit cousin par sa mere de Michele Morgan et il est ne en Chine. II est Tun des
auteurs Les plus joues dans le monde et aussi Tun des plus traduits (vingt-huit langues).
En 2009, il etait tous les soirs sur scene pendant deux mois pour lire ses textes et raconter sa vie. A
dix-sept ans, il voulait devenir poete, a defaut de ne pouvoir etre peintre ou musicien, car il n'en avait
pas les moyens. En 2009, il declarait a Francois Busnel pour le magazine Lire : « Le theatre est arrive
dans ma vie par accident. J'avais besoin de gagner ma vie. Et le theatre, pas plus que la poesie ne
nourrissait son homme, du moins pas un homme qui revenait de captivite et ne savait pas tres bien ce qu'il
allait ecrire. Clara Malrauxirfa permis d'aller suivre des colloques litteraires a Fabbaye de Royaumont.
[...] Un soir, j'ai eu Fidee d'ecrire un imprompuu une chose tres Iegere, comme ca, juste pour divertir
les participants au colloque. J'ai done ecrit deux impromptus. Avec deux personnages. Le premier etait
Le Defimt. Chistoire d'une jeune veuve qui relate F existence du disparu. £a a fait rire tout le monde. Du
coup,je me suis pris a monproprejeu, etj'ai continue... »
Pour moi, Obaldia e'est evidemment, en 1966, Dm vent dans les branches de sassafras qui Hit un
choc tres agreable. Je decouvrais en meme temps cet auteur qui m'etait inconnu, un spectacle total et un
depaysement garanti au Far West, avec saloon, cactus, chants, danses, bagarres, chevauchees, cow-boys,
indiens, love story^ etc., oil Ton voit la brave Mme Rockefeller terrorisee a Tidee que le terrible chef
comanche CEil de Lynx puisse venir encercler son rancli Et e'est la que Ton decouvre la puissance
imaginative de cet auteur, qui sait mieux que quiconque inviter le spectateur dans un autre monde que
celui de la vie ordinaire, le tout sur fond de comique et de parodies linguistiques qui viennent de tres
loia II faut savoir que, chez Obaldia. on parle T« obaldien vernaculaire » qui se decline en
« alexandrins, calembours et parodies », ou Ton croise evidemment Tombre des plus grands du genre :
Queneau, Jarry et lonesco. Par exemple, dans sa piece onirique Genomic (I960), une comedie sur le
pouvoir de Tesprit, et une satire sur les intellectuels pris aux pieges de ramour, Obaldia se demande si
pour s'entendre il est vraiment utile de se comprendre, et il invente le « genousien ». On y voit Tun des
personnages, Hassingor, demontrer que les malentendus familiaux viennent essentiellement du fait que
chacun parle la meme langue. II fallait y penser ! Pour lui : « Si le pere parlait turc, la mere esquimau et
un ou deux enfants dongo et bambara, il y aurait beaucoup moins de disputes. »
Et voila ce que e:a donne :
« mme de tubereuse : \fous etes un homme comble, cher Hassingor. D'oii vient que ce que vous
ecrivez soit toujours aussi tragique ? Je sais que je vous pose une question stupide, cornme a pen pres
toutes les questions qu'on pose aux auteurs.
ircne : Khi, sefraye hahoto karibor kling ?
mme de tubereuse ; Pardon ?
hassingor : Irene demande si j "ai les cles de la voiture. (A Irene :) Oui, elles sont dans ma poche,
drai'methe poviskaye. (A Mme de Tubereuse :) Vous disiez, chere madame ? »
Pour ce fou de mots, Ie plus beau vers de ]a langue francaise serait : « Le geai gelatineux geignait
dans le jasmin », qu'il imagine lui-meme, poiir contrer un vers de Victor Hugo, qui etait selon son
professeur de francais de Tepoque : « Le cliquetis confus des lances sarrasines. » II ne comprend pas non
plus pourquoi Michel Tournier aurait elu. lui, ce vers de La Fontaine : « Dans un chemin montant,
sablonneux, malaise. » Allez savoir !
II explique aussi que Pecriture fait partie de la vie et qu'il ecrit pour « rendre heureux ceux qui nous
entourent », vaste programme, certes, mais qu'il accomplit parfaitement, tant ses quelque vingt ceuvres
theatrales sont un bonheur pour tous. Parmi les plus connues : L'Air du large (1966), Monsieur Klebs et
Rosalie (1975) et Le Satyi-e de la Vtllette B qui fit scandale en 1963.
Rene de Obaldia est aussi rauteur de poemes et de romans comme Tumerkm des emirs (1955) ouLe
Centenaire (1959). En 1993, il obtient le prix Novembre pour Exobiographie, le contraire d'une
« autobiographic » explique-t-il, puisqu'il n'aime pas parler de lui et que, coinme chacun saitexo
signifie : « tourne vers F autre ».
Je parle beaucoup dans ce dictionnaire d 'humour anglo-saxon, mais Obaldia, lui. se fait le chantre de
l'humour iberique, qu'il a decouvert en lisant FEspagnol Ramon Gomez de la Serna (1888-1963). Cette
forme d'humour n'a rien a voir avec le nonsense britannique, et se caracterise plutot par un « sentiment
tragique de la vie », coinrne disait le celebre philosophe Unamuno (1864-1936), auteur d'un Traite de
Cocotologie qui explique... les differentes facons de faire des cocottes en papier. ..
A Francois Busnel, qui lui demandait aussi quels conseils il donnerait a quelqu'un qui voudrait se
lancer en litterature, il repondait : « Les surrealistes posaient la question : "Pourquoi ecrivez-vous ?"
C* etait une grande question. On peut renverser la question et demander : "Pourquoi n' ecrivez-vous pas ?"
C*est encore autre chose... A la question "Pourquoi ecrivez-vous ?", certains affirmaient : "J'ecris pour
etre riche, pour etre celebre." Francois Mauriac repondait a peu pres : "J'ecris pour emmerder rna
famille." Andre Breton declarait : "J'ecris pour faire des rencontres." Je prends cette forrnule a mon
compte. Borges disait : "J'ecris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.." C'est
superbe > ca ! J'ai ecrit pour cotnmuniquer, pour dire des choses sans penser que je pourrais avoir de
l'argent, parce que c'etait naturel chez moi, parce que c'etait une necessite. » Vbus aussi, cher « maitre »
Obaldia, rassurez-vous. vous « adoucissez le cours du temps », en exaltant la liberte du langage. Grace a
vous et a quelques autres, le tragique de notre condition est plus leger a porter. Merci.
OuLiPo, L'
Le 24 novembre 196(K Raymond Queneau et Francois Le Lionnais fondaient l'OUvroir de LIttetature
POtentielle. qui se voulait une tentative <:< d'exploration methodique de potentialites de la litterature et
plus generalement de la langue ».
Queneau est un ecrivain deja celebre et Le Lionnais est ingenieur. Heureuse coincidence, puisque
FOuLiPo se situe au croisement des mathematiques et de la litterature. L'idee est relativement simple : il
s'agit d'etablir des « contraintes » puis de les traduire sous forme de textes, afin de produire des ceuvres
originales. Ainsi, Queneau, avec ses Exercices de style, qui ecrit la meme histoire de quatre-vingt-dix-
neuf manieres differentes, Perec, coopte par FOuLiPo en 1967, qui ecrit un romansans utiliser la voyelle
« e », le lipogramme, oultalo Calvino qui construit F intrigue d"un livre selon un concept assezcomplique
dit : <:< carre semiotique de Greimas ».
On a souvent pretendu que TOuLiPo etait une espece de societe secrete qui revendiquait quelques
loinlains precurseurs, que les oulipiens n'hesitaient pas a qualifier gentiment de « plagiaires par
anticipation » des gens comme Racine ou meme Jean-Sebastien Bach, mais oui, qui dans La Passion
selon saint Matthieu reprenait, parait-il, les lettres de son nom selon la notation allemande des notes de
musique (BACH : si bemol -la — do - si becarre). . . Complique, mais etonnant. Trente-huit noms figurent
sur la liste officielle des membres de TOiiLiPo, dont quelques-uns « excuses pour cause de deces », car
quand on devient oulipien, c'est pour l'eternile. Pour cela, il ne faut surtout pas demander a entrer dans le
groupe, mais attendre qu'on vous propose d'en faire partie. On le reste toute sa vie, et toute sa mort
puisque le temps oulipien ne s'arrete jamais. Parmi eux, citons Marcel Duchamp, Luc Etienne, Andre
BLavier, Jacques Roubaud, Marcel Benaboo. secretaire provisoirement definitif et definitivement
provisoire, Jacques Jouet, Michelle Grangaud (ciel, une femme !) et mes amis Paul Fournel, president qui
en est a son septieme mandat et Herve Le Tellier lequel. membre toujours tres actit est Tun de ceux qui
eurent la patience de m' inkier au bon usage de la « contrainte ».
Ces amoureux inconditionnels des lettres ont coutume de se definir cornme des « rats qui ont a
construire le Iabyrinthe dont ils se proposent de sortir ». C'est bien de cela dont il s'agit, car ils refusent
de se considerer comme un mouvement litteraire.
Et rhumour, daas tout ca ? En dehors du fait que, rnalgre leur apparente severite, les membres de
TOuLiPo sont tous de joyeux drilles, il est le moteur evident des ateliers ou Ton cherche a ecrire en
jouant, ou a jouer en ecrivant.
Les activites oulipiennes sont serieuses sur le fond : « Desaruculer les structures, desencastrer les
nx>ts [...] lyrisme antilyrique qui debarrasse dupathos et du "moi" deviendrait celebration muette de la
langue [...], ou la litterature s'accomplit de n'etre qu*obeissance a la souveraine transcendance des
regies et des nombres », comme Tecrit savamment Tuniversitaire Claude Burgelin, mais, si Ton en juge
par ces « variations minimales », elles ne sont pas molns legeres et ludiques, et Perec en a le secret :
« Longtemps je me suis bouche de bonne heure.
Longtemps je me suis mouche de bonne heure.
Longtemps je me suis touche de bonne heure. »
L'OuLi Po ne vous fait pas rire ? Ah bon ?
Que pensez-vous alors de cette « dieorie des sollicitudes » qui consiste a composer des vers se
terminant par des jeux de mots similaires : « Qu'a mis Kaze ? Qu'ont tes nerfs ? Mais qui lit Mandjaro ?
Done qu'a Millot ? », ou de ce detournement par Herve Le Tellier du Pater nosier avec la benediction de
la RATP : <:< Notre Auber qui etes Jussieu v> ?
Pour faire simple, car les oulipiens peuvent se reveler des etres complexes et tortures, voici un
exercice facile autour d'un lipogramme, oil Perec imagine un prisonnier qui doit economiser le peu de
papier dont il dispose, et qui du fait meme va s'interdire les lettres a harnpe (b. d, f, h, 1, t) et les lettres a
queue (g, j, p, q. y) et meme les « i », evitant ainsi les lettres qui depassent et prennent de la place :
« Ouvre ces serrures caverneuses
avance vers ces ceuvres rares ;
une encre ocre creuse son cerne
sous sa morsure azur - aucun
ressac ne navre encore ses aurores. »
Autre exercice facile, le « poeme de procedure » qui consiste a imaginer un poeme dans un endroit
donne avec des contraintes ; Jacques Jouet avait realise un « poeme de metro » compose dans le metro,
pendant le temps d'un parcours, mais ma preference va au « poeme de bistrot » de Ian Monk : « Un
poeme de bistrot est un poeme compose dans un bistrot, pendant le temps d'une beuverie. Un poeme de
bistrot compte autant de vers que votre beuverie compte de verres moins un. »
Quant a la methode de « S + 7 » mise au point par Jean Lescure, elle consiste a remplacer dans une
phrase choisie chaque substantia, chaque adjectif, chaque verbe par le septieme de la meme espece dans
un dictionnaire choisi. \bici le resultat du traitement barbare que Raymond Queneau, cet insecticide, fit
subir a la fable La Cigale et la Fourmi. Dans le Nouveau Petit Larousse illus/re de 1952, le septieme
substantif feminin en partant de cigale etait cimaise et le septieme a partir de fourmi etait fraction, ce qui
donna ceci :
« La Cimaise et la Fraction
La cimaise ayant chaponne tout I 'eternueur
Se tuba fart depuralive quand la buxaceefut verdie
Pas un sexue petrographique morio de motsfflette ou de verrat
Elle alia crocher fange
Chez la fraction sa volcaniqtte.
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomher
Just/u 'a la salanque nucleaire.
"Je voids peinerai, lui discorda-t-elle,
Avant I 'apanage, foldtrerie d 'Atmamite !
Interlocutoire et priodonte !"
La fraction n 'est pas previsrble :
C'est la son tnoleculaire deft.
"Que feriez-vous au tendon cher ?"
Discorda-t-elle a cette enarthrose.
"Je chaponnais, ne vous deploie. "
"Vous chaponniez ? J 'en suisfort alarmanie
Eh bien ! debagoulez rnaintenant V »
A noter aussi. Tun des multiples groupes directement inspires du modele oulipien : 1'OuPeinPo,
ouvroir de peinture potentielle, qui ne se veut pas un mouvement artistique mais un ouvroir au sens
premier du terme ou Ton ouvre, du verbe « ouvrer », mais Ton n'y trouve pas d'ceuvres, comrne le
precise Thieri Foulc, qui ajoute : « Dans le passe, la peinture a ete peu contrainte alors que rOuPeinPo
en vingt ans a engrange des di2aines, peut-etre des centaines de contraintes. »
Parmi les plus amusantes : un projet de redressement du cours de la Seine lorsqu'elle traverse Paris
(Jack Vanarsky, 1991). Sa methode de lamellisection avec correction angulaire permettrait par le biais
d"un collage des plans de Paris de redresser la Seine et d'observer les consequences urbanistiques :
disparition de certains monuments, projection du bois de Boulogne au cosur de la ville, etc. Marcel
Duchamp, membre de TOuLiPo, est mort trop tot pour etre oupeinpien, mais il parait que son
oupeinpisme etait avere, puisqu'il avail imagine cette contrainte : « Chercher un ready-made qui pese un
poids choisi a Tavance, determiner d'abord un poids pour chaque annee et forcer tous les ready-made a
etre du rneme poids. »
Papous, Les
Qui n'a pas eu T opportunity, ou plutot la chance, d'ecouter uii dimanche de 12 h 45 a 14 heures sur
les ondes de France Culture remission « Les Papous dans la tete » ne pourra pas partager mon
enthousiasme pour ce rare moment de provocation ludlque. « Les Papous », c'est un club ferme qui reunit
des gens fort intelligents, qui ne font pas fbrcement profession d'amuseurs patentes. On y trouve des
ecrivains, des peintres, des cineastes, des journalistes, des comediens qui ont en commun « de prendre
leurs distances avec Tesprit de serieux, qui ont le courage du derisoire et qui osent la legerete ». Leur
devise : « Culture sans gaiete n'est que ruine de Tame. » \bus imaginezbien que je ne peuxque souscrire
a cette formule qui est pour moi aussi un imperatif categorique, depuis que je m'escrime, plus
modestement certes, a proner Tapprentissage de la culture en s'amusant Le maitre mot de ces emissions,
c'est done le jeu ; jouer avec les mots et le Iangage, s'amuser avec sa culture a Timage des oulipiens,
dont certains en sont membres (Herve Le Tellier, Jacques Jouet et le regrette Francois Caradec).
Une des regies de ces incitations a l'ecriture est la « contrainte ». Comrne disait Bertrand Jerome, lui
aussi disparu en 2006, apres avoir cree et imagine avec Francoise Treussard cette emission : « II n'est
pas interdit de detourner la regie de la contrainte. Cela fait partie du jeu qui est une provocation ludique a
rimaginaire. » Ainsi, on peut trouver au cours de ces joules oratoires des exercices de pastiches, des
diagnostics litteraires a Faveugle, etc.
Mais comment vous faire gouter ces moments de bonheur avec des textes ecrits pour la radio, si ce
n'est en citant quelques ecrits susceptibles d'etre lus ? J'ai choisi parmi la bonne vingtaine de rnembres
de cette honorable confrerie ceux qui me font Thonneur de leur amitie : Jacques A. Bertrand, Serge
Joncour, Patrice Delbourg, Herve Le Tellier, Gerard Mordillat et Pascal Fioretto.
A travers la selection ci-dessous, j'espere vous dormer envie d^en savoir plus sur ce qui se passe
chaque dimanche dans cette cour de « re-creation », comme le dit son fondateur :
— Patrice Delbourg imagine Paul Leautaud invite VD? en 1950 a 1* inauguration du premier village de
vacances du Club Med a Djerba. Comme on peut s'en douter, il flilmine :
« Ma case est a cote du mini-club Donald, e'est bien ma veine. Les enfants sont comme la creme : les
plus fouettes sont les meilleurs. Je prends garde de ne pas leur parler. A quoi bon, quand ils seront en age
de me repondre je serai mort. Tous ces marmots edentes qui sautent gemissent et petent dans la
pataugeoire sont pour moi des etres inacheves, des fcetus monstrueux a la fontanelle palpitante. qui
prefigurent leurs geniteurs. Ceux-ci d'ailleurs sont en train de faire monter et descendre une mandarine
contre leur ventre en poussant des cris d'orfraie. Quelle pitie !
lis n'ont pu avoir de chiens, alors ils ont fait des mioches.
Le seul short quej'aie a ma disposition est pleinde reprises.
J'avance vers les buffets, drape dans les rideaux de mon gourbi. Me prenant pour un autochtone, une
vieille Americaine rrVa donne Taumone. Je Taurais pilee, cette rombiere auxcheveuxbleus. »
— La conlrainte a Iaquelle doit se sournettre Serge Joncour : commenter et interpreter le celebre
tableau de Vermeer La Laitiere :
« Ce qui rrfinteresse dans ce tableau, c'est qu'en fait il s'agit du premier vrai nu commis par le
peintre et, il faut bien le dire, le seul. [...] Pour se distraire un peu de sa morne existence, le peintre avait
eu Tidee de prendre une jeune femrne pour modele, une femme affriolante et gaie malgre les apparences,
et de la faire poser nue de la tete aux pieds pendant des heures, histoire d'egayer ses journees de travail.
Pour justifier la nudite de la dame, il la faisait poser debout, une jambe a peine plus avancee que r autre,
portant une jarre sur Tepaule, un prodigieux recipient d'ou jaillirait une cascade d'eau. allegorie de la
source, et de ropulence, tout cela dans un decor champetre et plus ou moins mediterraneen fait de chenes
verts et d'oliviers, car jamais un peintre n 1 await Tidee de representer une femrne nue en pleine nature
dans un decor batave. [...] Mais helas, les jarres en terre cuite sont lourdes et la Hollande globalement
mal chauffee. L* artiste dut tres vite se resoudre a rhabiller son modele et a lui faire porter la jarre, non
plus a bout de bras, mais comme elle le fait sur le tableau, c'est-a-dire a deux mains. Evidernment, d'une
jane portee aussi bas, Vermeer ne pouvait plus faire s^ecouler de Teau... d'ou Tidee du lait. »
— Jacques A. Bertrand nous livre un « inventaire » tres personnel dont il a le secret :
« Je n'aurais pas aime etre une boite a chaussures.
D'abord, je ne sais pas si Ton doit dire la boite a chaussures ou la boite de chaussures. Ensuite, on
doit s'ennuyer. Ou alors une boite a chaussures a talons aiguilles : on peut tricoter.
Si j'avais ete un stylo a encre, j'aurais fui. Je veux dire : j'aurais fait de gros pates. Cela doit etre
amusant.
Pour rien au monde, je n'aurais voulu etre ecrivain. C'est tout a fait etrange, cette expression : "rien
au monde". Je n'aurais pas aime etre "rien au monde".
J'airnerais beaucoup etre un autre. Seulement, j'ai feuillete de nombreux catalogues... Aucun modele
ne me tente.
J'aurais aime etre une bulle de savon au lait d'amande dans la baignoire de Cleopatre. Je dis
Cleopatre pour ne pas faire de ja louses.
Je n'aimerais pas etre une hyene. \fous crevez de faim, il n'y a que de la charogne a bouffer, apres
avoir ecarte les vautours...
Et tout le monde croit que ca vous fait rire.
Je n'aimerais pas etre une pin-up en metal peint sur la calandre d'un soixante-dix tonnes : j'aurais
Timpression d'etre responsable des accidents. Et puis j'aurais trop peur.
Je ne voudrais pas etre un carton a chapeau. ' k C'est vous qui portez le chapeau ?" Ah non, merci.
Responsable, d'accord, mais pas coupable... »
— Gerard Mordillat fait part de son inquietude a Monique, dont il n'a pas de nouvelles :
« Monique,
II y a maintenant presque trois jours que tu es partie et je commence a m'inquieter de ne pas avoir de
tes nouvelles.
J'espere que tu as bien suivi mon plan et qu" 1 apres Tembranchement de TA56 et de TA58 tu es restee
sur la droite, pour prendre la bretelle provisoire en direction de la deviation qui indique la R118, celle
qu'il ne faut surtout pas prendre, car comme je te Tai indique, si tu la prends tu te retrouves sur
Titineraire bis, et la, a moins de faire demi-tour au carrefour de la C47 et de Techangeur. tu te perds a
coup sur. Sinonje crois bien t* avoir precise qu'il faut compter trois stop apres Tancien magasin de sport
en plein air qui maintenant est un restaurant ou une scierie, je ne me souviens pas. Et la, tourner au
deuxieme feu rouge apres. C"est-a-dire tres exactement a mi-chemin entre la V824 qui va tout droit
rejoindre la C24 et la D222, celle que j' indique sur mon plan d'une fleche afin que tu ne la confondes
surtout pas avec la D223 qui, bien que parallele, s'engage sous le pont, et interdit de rejoindre le
raccordement qui mene a la bonne route, celle qui descend juste apres r arret dubus. [.„] »
— Dans la meme « veine », si je puis dire, Herve Le Tellier nous lit un extrail revu et corrige par ses
soins d'un texte de Rabelais, oil Ton voit Pantagruel partir en week-end a « Estretast » :
« Apres que Pantagruel eut range les bagages dans la malle arriere, il se frotta les mains paurne
contre paume en geste de gras benedictin. et se rejouist fort :
"En route, car elle promest d'estre longuette avec cette voiture de brea Compagnon. connois-tu enfin
le chemin pour la cite d'Estrelast et ses celebres falaizes ?
— Si faict, ami, replicqua Panurge.
II nous fauct prendre Tautoroute A13
Qui engendre V auto route A131
Qui engendre la nationale 182
Qui engendre l'autoroute 29 [...]"
"Mais ce sera appose dessus un panel escrit en normand", lui respondondict Pantagruel, qui tentoit de
remettre en ses plis une vilaine carte de France tout escabouillee.
Eux disant toutes ces paroles, voicy desja arrives a la Porte de Saint-Cloud, oil ils apercurent un
geans a la tignasze rouge, acroupille sur le bord de la chaussee. Lors feist l'homme tel signe : il leva haut
la main gausche puis fernia en poing les quatre doigts d'ycelle, et le poulse extendu tout droist vers
l'avant.
"Par les couilles de mon mulet, s'esbaudit Pantagruel. vois done ce que faisoit cet Anglois." Car a la
vestirnente, a la perce d'argent sur le naseau, a la fascon d'etre pitoyablement navre et tant mal en ordre
qu'il sernbloit estre echappe es chien, Pantagruel avoit reconnuz de quelle contree il venoit. [...] »
— Enfin, avec Pascal Fioretto, rendez-vous a la fete des voisins. Cette annee-la, comme les
precedentes d"ailleurs, il a decide d'apporter sonfameux cake auBoursin :
« J'habite dans une residence a dentistes des annees 1970, on a un immense hall d'entree en faux
marbre. Chaque annee en juin, on installe les tables de reunion du syndic sur lesquelles on punaise des
nappes en papier festif. Pour le repas, on met tous nos moyens en commun. La fille de la concierge
bricole des fleurs en papier crepon, je rechauffe les quiches dans mon four perso, rinfirmiere du studio D
53 apporte une Cocotte-Minute pleine de sangria, les Karambiri N"Diabate (une fainille qui appartient a
la rninorite visible des boubous voyants) font leur poulet aux arachides et le vieux garcon du B 37
debouche les bouteilles...
Parfois, on installe une so no mais 1 'annee derniere, ga a un peu degenere.
La proprietaire du A 43 a proteste. Elle a dit : "Ah non, vous n'allez pas nous mettre ga ! Je Pentends
asseztoute lajournee !"
Le locataire du A 22 a repondu que e'etait pas de sa faute a lui. si elle espionnait ses voisins,
Et le vieux gargon du B 37 a surencheri en disant qu'entre ceux qui mettent la musique a fond et celles
qui font uriner leur teckel dans le local des vide-ordures, il ne savait pas ce qu'il preferait.
Depuis, on evite la sono. D'autant que Taine des Durnont-Polignac, qui apprend la contrebasse, nous
fait benevolement une petite demo a r aperitif. C'est fou ce qu'il progresse. C'est chaque annee plus
long ; du coup, mon cake au Boursin est toujours servi froid. »
Et nous, rendez-vous chaque dimanche avec Les Papous. . .
'Pataphysique
En 1911, Alfred Jarry, le createur de rimmortel Pere Ubu, nous invite avec le docteur Faustroll
(Gesfes et Opinions du docteur Faustroll pataphysicien) a suivre ce personnage dans des aventures
soumises aux lois de la 'pataphysique, qui d*apres Jarry serait « la science des solutions imaginaires qui
accorde symboliquement aux lineaments les proprietes des objels decrits par leur virtualite ». Cette
science « des solutions imaginaires », qui est une parodie de la theorie de la science moderne, est a mon
avis la plus belle trouvaille d' Alfred Jarry (1873-1907). Ce fou genial qui, a vingt ans, composa son
ceuvre majeure, Ubu Rot, piece en cinq actes, Iegendaire et bouffonne, qui devait faire passer son nom a
la posterite. L'histoire de la famille Ubu est un canular feroce qui denonce les pieces a grand spectacle
de l'epoque ainsi que l'incommensurable betise et la Iachete de Phomme. Ce langage qui n'appartient
qu'a lui rappelle celui des ceuvres de Rabelais, un de ses mentors, lorsqu'il imagine un orchestre
compose de « Jacqubutes » et de « Galoubets ». Sous sa plume, les plantes s'appellent « les taroles »,
« le ravanestron », « la sambugue », « Farchiluth », « la pandore », « le kin », « la turlurette ».
Son enfance malheureuse commence le 8 septembre 1873 a Laval, entre des parents rapidement
separes. Reforme militaire pour « irnbecillite precoce », Jarry eut une vie miserable marquee par la haine
du pere et 1 'amour incestueux de la mere. II trouvait dans Palcool, Tether et r absinthe la vitalite qu" il ne
pouvait s'offrir autrement. II vivait le plus souvent a la campagne, oil il aimait pecher et se promener a
bicyclette avec un revolver en guise d'avertisseur. Jarry, le pionnier du surrealisme et du theatre de
l'absurde, mourut a trente-quatre ans, ronge par r absinthe, « la fee verte », qui demeurait a ses yeux la
seule boisson hygienique, en faisant don de son corps « a la litterature ».
Je me contenterai, pour vous inciter a lire, voir ou revoir Ubu Roi, de vous en citer le premier mot,
« Merdre ! », et la derniere phrase, dont la Iogique lapidaire ne vous echappera pas : « S'il n"y avait pas
de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais ! »
Alors pourquoi celebrer Jarry a travers la 'pataphysique plutot que de s'attarder sur le Pere Ubu ?
Parce que cette theorie qui cherche a « theoriser la deconstruction du reel et sa reconstruction daas
l'absurde » est non seulement une des bases du surrealisme, mais elle est aussi Torigine d'une conirerie
d'hurnoristes de grand talent qui ont marque P humour des annees 1950, le College de 'pataphysique,
fonde en 1948, pour promouvoir « la 'pataphysique en ce monde et dans tous les autres, et de cultiver
avec tout le serieux qui s'impose cette science de runlverseile aberrance ».
Redescendons sur terre pour essayer de comprendre pourquoi cette idee de college est une
exceptionnelle preuve d'intelligence imaginee par des amateurs erudits qui vont marquer leur epoque.
J'aurais adore pouvoir participer a leurs eminents travaux avec des Raymond Queneau, des Boris
Vian et des Francois Caradec, qui, avec leur humour decapant, definissaient le College, qu'ils venaient
de creer, comme « une societe de recherches savantes et inutiles ».
La 'pataphysique, veritable transcription telle que la souhaitait Jarry, qui devait se faire avec une
apostrophe precedant le nom, pour eviter un facile calembour, du genre « pas ta physique » ou « pate a
physique », aurait pu etre simplement perdue comme une invention litteraire d'un ecrivain potache, mais
c'etait en fait une invention visionnaire.
Comme il aurait ete fier, le pere Jarry, d'entendre la « harangue inaugurale », prononcee Iors de la
premiere seance du College, le 29 decembre 1948, et dont voici les premieres lignes des statuts :
« Fonde le 1 1 mai 1 948 de l'ere vulgaire (il n'y a pas encore de calendrier pataphysique), le College
de 'pataphysique commence par formuler ses objectifs et se doter d'une structure. Base de tout l'edifice
ulterieur, les statuts sont signes le 29 decembre de la meme annee (en realite, desormais : le
l eT decervelage, an 76 de Fere pataphysique) et publies peu apres. En cinq "titres" ils definissent la
'pataphysique et le role du College ; Ies prerogatives des dignitaires ; la situation des auditeurs et
correspondents ; l'Ordre de la Grande Gidouille et le cadre emblematique de Tactivite collegiale. »
Le College etait administre selon Ies regies d'une hierarchie tres stride, Ies « Optimates », parmi
lesquels le « Curateur inamovible », qui ne peut etre pour le docteur Faustroll : « sis dans l'eternite ».
Les autres Optimates sont, dans l'ordre, le « Vice-curateur », Ies « provediteurs », Ies « Satrapes » et les
« Regents ». Les Satrapes sont le corps le plus celebre du College car ils ne sont souirris a aucune regie,
n'exercent aucune fonction et se cooptent a leur gre.
L'ere pataphysique commence avec Jarry (8 septembre 1873), sa couleur est le vert, comme la
chandelle d'Ubu. Le calendrier est de 13 mois de 28 jours de la semaine plus un en dehors, « absolu,
haha, as, sable, decervelage, gueules, pedale, clinamen, palotin. merdre, gidouille, tatane. phalle », tous
empruntes a Jarry. Semaines aux dimanches fixes plus « hunyadi ». jour imaginaire sauf les « hunyadi de
gucule », Ies annees bissextiles et Ies « hunyadi de gidouille » tous les ans. II y a des saints, comme « St
Sein, tautologue » ; « St Roussel, St Quincey. St Landru, gynecologues ». Etre pataphysicien n' engage a
riea ca degage au contraire. Le College if a pas de lieu physique, mais des hauts I iai.\. comme la librairie
Le Minautore, rue des Beaux-Arts, ou ils se reunissent. Les dates de naissance pataphysique sont celles
de l'entree au College, celles de mort correspondent a la mort « physique », a la demission ou « une
longue maladie » (cotisation pas payee). Tout est pretexte pour faire la fete, fete du ha-ha, expositions
Jarry, Allais, defiles, enterrements avec chandelle verte a la maia
II existe 7 commissions et 77+1 sous-commissions, supervisees par une surcommisslon, une
transcomission, une precommission, 2 acommissions, 5 cocomrnissions, 13 intermissions. Rappelons que
le College a accueilli dans ses rangs des esprits aussi singuliers que Raymond Queneau, Boris Vian,
Marcel Duchamp, Max Erns% Man Ray, Pascal Pia, le baron Mollet, Latis, Michel Leiris, Rene Clair,
Paul-Emile Victor, Carelman, Arrabal ou Jean-Christophe Averty. II a essaime dans toutes les regions du
monde. II a fonde l'etude d 1 Alfred Jarry et celle de Raymond Roussel, a publie La Cantatrice chauve et
d'autres pieces de Ionesco, a fepoque ou les editeurs refusaient ses manuscrits. Toutefois, en 1975, le
College a suspendu ses activites publiques et s'est « occulte jusqu'a fan 2000 ». L'occultation decidee
en 1975 par le Vice-curateur Opach etait motivee par la volonte de mettre le College a Tepreuve du
temps et parce que les annees 1970 sont marquees par de nombreux deces, Latis, Queneau, Ernst, Pia,
Clair et Man Ray. Heureusement, en 2000, pour feter la « desoccultation » du College, les editions
Fayard publierent un exceptionnel ouvrage, Les Tres Riehes Heures du College de 'pataphysique, un
chef-d'oeuvre du genre, sous la direction du « plumifere » Thieri Foulc qui propose ce tres bel album, « a
la delectation de tous. Redige par les instances collegiales les plus autorisees, puisant dans les archives
que r"occultation" avail tenues fermees pendant vingt-cinq ans ».
Un livre magnifique, ne serait-ce que pour la calligraphic et la typographic des diplomes, invitations
et autres circulaires du College.
Pawlowski, Gaston de (1874-1933)
II est l'auteur inconnu de deux livres majeurs :Le Voyage au pays de la quatrieme dimension et,
mon prefere \Les Inventions nouvelles, dans lequel il donne Iibre cours a une belle imagination
fantastique et a un irresistible sens du comique.
\bici, par exemple, comment ce Buster Keaton de 1 invention nous fait part d'une toute nouvelle idee
qui va revolutionner la fabrication des crayons : « Une importante fabrique de crayons vient de dresser
specialement plusieurs milliers de ces intelligents insectes, appeles cirons, qui percent Ie bois, et se
trouvaient sans emploi depuis que les marchands de meubles anciens ont remplace leurs services par
1'usage plus rapide de fusils de chasse charges a petits plombs.
Les cirons sont utilises par les marchands de crayons pour percer tres exactement le bois a l'endroit
oil Ton placera la mine de plomb. Ce qu'il y a de plus interessant dans cette petite invention, c'est la
sirnplicite avec laquelle le bois est exactement perce en ligne droite.
11 s'agjt de placer tres rigoureusement le cirondans Paxe du crayon qui\ doit percer [...]. »
Autres decouvertes capita les de ce Lepine de Pabsurde :
— « \foici une invention bien curieuse que Ton vient de presenter a rinstitut : c'est le "nouveau
boomerang francais", dont Ie bois est taille de telle sorte que V instrument, ' k une fois jete sur Tadversaire,
ne revient pas a celui qui Pa lance". On evite ainsi tout risque d'accident. »
— « II faut bien le constater. helas ! le sabotage fait encore des recrues et s' introduit parfois jusque
dans nos campagnes. C'est ainsi que Ton nous signale que les anciens "scieurs de long" se transforment
en "scieurs de large"" pour diminuer leur besogne. C'est la un manque de conscience professionnelle qui
discredite la classe ouvriere. »
— « Parmi les objets usuels de menage, citons "la nouvelle passoire a un seul trou", infiniment
pratique et qui perrnet de passer instantanement les objets les plus divers et les plus resistants. La
passoire se compose d'un manche portant a son extremite un simple cercle en metal. ►>
— « D'apres Ie docteur Ordurin, il parait que Ton peut soigner et "guerir le diabete au moyen de
simples bains de cafe". Cette cure est basee, parait-il, sur la propriete veritablement exceptionnelle que
possede Ie cafe pour dissoudre le sucre. »
— « "Les nouvelles etiquettes cintrees pour bouteilles" seront bien accueillies par tous les
pharmaciens, cavistes et marchands de via L' etiquette se colle sans difficulte sur la bouteille dont elle a
exactement la forme. »
— « Une dame du monde s'etonne que "le vibromasseur" electrique ayant rendu d'utiles services,
personne n'ait encore songe a construire un"vibromonfrere". »
La mort a frappe ce cher Gaston, avant qu'il n'ait pu realiser r invention de sa vie : « Lautomobile
qui se replte entterement dans son coffre arriere. » Notre vie quotidienne en eut certainement ete
bouleversee !
Perec, Georges (1936-1982)
« On ne lit pas Perec sans passion, on ne Petudie pas par hasard. II est un de ces rares auteurs qui
changent le lecteur et chargent la lecture », disail de lui son ami Paul Fournel.
Eh bien voila, tout est dit, ou presque, en tout cas en ce qui me concerne. Oui, Perec a change
beaucoup de choses dans ma vie de lecteur et d'ecrivain, et si je ne devais en retenir qu'une, ce serait de
nV avoir inculque cette passion pour Tobservation des choses de la vie. \bila un homme, comme dit
Patrice Delbourg, qui « prend des notes a la terrasse du cafe de la Mairie place Saint-Sulpice a Paris. II
recense scrupuleusernent le contenu des filets a provisions des menageres ; une caisse enregistreuse loge
dans son stylo ». On dit que lorsqu'il envoya aux journalistes La DLsparition, recit d'oii la lettre « e »
etait bannie, la plupart d'entre eux n^y virent que du feu. Meme chose avec Les Revenenies. qui ne
contenaient cette fois que la voyelle « e ». Mais Perec a-t-il vraiment sa place dans ce dictionnaire ?
Perec avait-il de F humour ? Evidemment, et il suffit de se pencher sur ses travaux oulipiens ou il
s'affirme comme un humoriste delicat. II pratique aussi dans un autre registre cetle fameuse politesse du
desespoir en camouflant par exemple rhistoire d'un echec en canular avec son Quel petit veto a guidon
chrome aufond de la cour ? Quant a son edifice La Vie mode d'emploi, c'est un arsenal de trouvailles
aussi geniales que farfelues.
Ce roi de la contrainte, ce fixeur de cliches ou de slogans, ce virtuose du paradoxe, ce frenetique de
rabsurde, ce jongleur d'anacoluthes et autres epizeuxes ne pouvait etre qu un homine profondement
drole, meme lorsque I'un de ses romans fetiche, Les Chases, debouche sur 1' indifference. C'est une
banale histoire d'amour qui derive d'objets en objels mais ou la rigueur et la fantaisie ne cessent de
cohabiter. Patrick Modiano, lui, a ete immediatement conquis : ■« Le souvenir le plus fort, presque ebloui,
que je garde de mes lectures de Perec, c'est la decouverte des Chases* au moment de la parution du
roman. C'etait en 1965, j'avais vingt ans, je n'avais rienpublie encore, mais je commencais a ecrire. J"ai
ete frappe, impressionne par la facon clinique qu'avait Perec de decrire le monde contemporain. C'etait
tres loin de moi, d'un point de vue esthetique, mais on est souvent d'autant plus louche par les choses
qu'on lit lorsqu'onse sait incapable de les ecrire. »
D'ailleurs, il faut une belle dose d'humour pour ecrire : « J'ai longtemps ete persuade que je
n'arriverais pas a etre ecrivain parce que je preferais Agatha Christie a Faulkner, Jules Verne a Martin
du Gard, Gaston Leroux a Saint-Exupery. »
Je me souviens que la seuJe et unique fois ou j'ai ose parler a Perec, c'etait dans un avion entre New
York et Paris, jecroisen 1980. Nous venionsd'atterririj'etais reste assis derriere lui pendant tout le vol
sans oser Taborder. Nous nous retrouvons debout, coinces dans cet avion pour cause de passerelle
defaillante. Perec s'enerve et, au bout de vingt minutes, je me lance, rougissant : « Monsieur Perec, vous
allez pouvoir maintenant ecrire L' Avion mode d'emploi. II me regarde, eclate de rire : "Bien vu, j'y
penserai." » Fin de la sequence, mais quel souvenir !
En fevrier 2001, sollicites par Jacques Drillon pour Le Nouvel Observatew; ses amis oulipiens aussi
se souviennent :
Bertrand Jerome, le regrette animateur de I 'emission « Des Papous dans la tele », sur France
Culture :
« Je me souviens que Georges Perec avait recu une carte postale representant une route dans le Sud
marocain, avec un panneau mentionnant : "Tombouctou, 52 jours". Depuis, il revait de faire le voyage
Maroc-Tombouctou a dos de chameau avec une secretaire a laquelle il dicterait un roman en cinquante-
deux jours, le temps mis par Stendhal pour ecrire La Chartreuse de Panne. »
Michelle Gran gaud :
« Je me souviens que Georges Perec avait en horreur le mot "salsifis", a tel point qu'il ne pouvait
manger de ce legume. C'est Henri Deluy, fondateur de la revue Action poet ique, qui m'a communique ce
detail de gastrolexicophobie. »
Herve Le Tellier :
« Je me souviens que Tune des premieres choses que Ton m'a dites a TOuLiPo, c'est qu'il rvy avait
pas d' accent aigu a Perec. »
Jacques Bern :
« Je me souviens de la reunion a 1'OuLiPo oil, apres nous avoir lu les premieres Iignes deLu
Disparirion qu'il venait de composer, Georges nous a demande si nous avions remarque quelque chose :
"Non, no, nein. noun, nenni", repondimes-nous, chacun en son langage. »
Harry Mathews :
« Je me souviens qu'au cours de notre premier diner suivant la fin de sa psychanalyse, Georges Perec
me raconta que maintenant, quand il descendait la rue pour aller poster une lettre, il savait qu'il
descendait la rue pour aller poster une lettre. »
Marcel Benabou :
« Je me souviens qu'une des devinettes favorites de Perec etait celle-ci :
"Pourquoi y a-t-il si peu de juifs meuniers ?" et que la reponse, qui le mettait enjoie, etait : "Parce
qu'on ne peut pas etre au four et au moulin !" »
Jacques Roubaud :
« Je me souviens qu'a son retour d'Australie, en 1981, Georges Perec pretendait que les kangourous
n*existaient pas, que c'etait une invention de roffice du tourisme australien, qui engageait des Aborigenes
pour qu'ils fassentsemblanl d'etre des kangourous. »
Paul Fournel :
« Je me souviens que Georges Perec tenait sa cigarette entre le majeur et Tannulaire et que, pour
fumer, il arrondissait sa main comme la coque d"un sabre. »
Jacques Joiiei :
« Je me souviens etre arrive chez Georges Perec au moment merne ou il terrninait la dactylographie
deLa Vie mode d'emploi sur son IBM a boule. II m'a fait signe d'attendre une seconde, il a find la
derniere phrase, il a mis le mot "Fin" et s'est leve. II etait brise. II a regarde sa machine et a dit : "Je la
hais." J'ai repondu : "Je Fachete", et je l'ai emportee chezmoi. Elle n'a jamais voulu marcher. »
Perec, cite aussi par Nathalie Crom, avait tres bien defini le mecanisme de la litterature, et en
particulier de la sienne :
« Toute la litterature est, d'une certaine maniere, comme un roman policier. II faut qu'au debut du
livre on ait rimpression de ne pas connaitre quelque chose qui sera donne au rur et a mesure que le livre
va avancer [...], pour que tout se resorbe a la fin. comme quand on a fini un puzzle : on a une image
devant soi, et c'est tout. »
Lorsqu"il meurt en 1982, il n'a que quarante-six ans, et tous les dictionnaires du monde portent alors
un crepe, lequel, comme nul ne Tignore, est Fanagramme de Perec.
Perelman, S. J. (1904-1979)
Quand j'ai lu, il y a quelques annees, des critiques dithyrambiques sur un certain S. J. Perelman dont
je n'avais jamais entendu parler, j'ai ete vexe. Etais-je passe a cote d'un genie ? En quelques mois, cet
homme inconnu en France etait devenu un vrai « Monsieur Plus », le plus talentueux, le plus drole, le plus
genial, ete. Qui etait done ce Sidney Joseph Perelmaa figure emblematique de Tabsurde, adule en
Arnerique et si peu connu en France ? Lui que Dorothy Parker placait « au-dessus de la melee » et que
son grand ami Groucho Marx trouvait irresistible ? Meme Woody Allen admirait « sa folie inventive, son
talent narratif et l'originalite eblouissante de ses dialogues ». Influence par ces references, et curieux de
connaitre celui qu'on nommait Fecrivain le plus drole du xx? siecle, je me suis penche sur son cas.
Ne a New York, il ecrit son premier livre a 1'age de vingt-cinq ans, puis se specialise dans la
redaction de feuilletons, tout en alimentant pendant quarante ans (1930-1970) The New Yorker de ses
chroniques. En 1978 il recoit le National Book Award et participe a la redaction de scenarios pour les
Marx Brothers (Monnaie de singe, 1931, Plumes de cheval, 1932) et son adaptation cinematographique
du Tour du monde en quatre-vingts jours lui vaut un oscar en 1 957.
L'CEil de Vidole est parait-il l'ouvrage a lire d'urgence. Un recueil de vingt nouvelles qui m'ont fait
sourire, sans plus. Je me suis lance ensuite dans Tons a I 'ouest ! ( 1948), sous-titre Le Tour du monde en
quatre-vingts cliches. Coup de foudre, un regal en quatre-vingts pages. II relate un voyage de neuf mois,
entrepris par Perelman et le caricaturiste Hirschfeld en 1947. lis partent paumes et rentrent bredouilles,
perturbes par leurs decouvertes et insensibles aux sites grandioses qu'ils ont visites. Us ont tout faux
depuis le debut avant le depart, Perelman n'a aucun projet. II hesite entre s'engager dans la Legion
etrangere et prendre un bain bien chaud. Leur accoutrement est une catastrophe esthetique. Perelman est
un « binoclard au menton en galoche, afiuble d'un chapeau de pecheur blanc, d'une saharienne crasseuse,
d'un short de bain kaki et de godasses usees ». Son acolyte, vetu « d'une vareuse militaire, un short bleu
delave, de chaussettes qui ont retreci au lavage et de sandales », avoue : « Dans un surplus de Broadway
j'ai achete un kit d'urgence d'occasion. Les bandages avaient deja servi mais le forceps etait en bon etat.
J'ai aussi achete des gants de chirurgie et un bidon d'ether au cas oil je serais oblige d'operer Perelman a
la bougie. »
Des le debut du voyage, ils se plaignent de tout, le poulet qir on leur sert a Macao « avait accompagne
Marco Polo lors de son premier voyage ». Et ils ont si froid dans la chambre d"hdtel a Shanghai qu'ils
claquent des dents et leurs voisins sont effrayes par ce qu'ils prennent pour une rafale de mitraillette et
telephonent a l'ambassade.
Leur visite de la pyramide de Gizeh fait penser a un episode de Fort Boyard, sans les tarentules, et ils
doivent traverser a genoux une galerie « aussi longue que le tunnel du Simplon ».
lis reviennent la tete basse, avec dans leurs sacs de quoi remplir un magasin de souvenirs kitsch.
D'ou la panique au moment de payer les droits de douane : « Avec ma femme, nous avons hesite entre la
fuite, une cinquieme hypotheque sur la maison et la vente des enfants. »
Apres leur voyage en quatre-vingts cliches, ils se sont jure de ne jamais repartir, non sans avoir
constate, en rangeant ce qu'il restait de leurs pauvres bagages, que « la lingerie pour hotnme offre des
possibilites de promotion infinie ». Allezsavoir pourquoi, mais je trouve ca tres drole.
Ferret, Jacques (1901-1992)
Ce pamphletaire feroce, licencie d'histoire et de philosophic, ce corsaire des temps modernes, ce
bourlingueur tous azimuts tout en etant journaliste de droite (personne n'est parfait...) se situait, si Ton en
croit l'ecrivain Jean Raspail, « a mi-cheminentre Ie radotage et rhumour ».
Sa vie ressemble en effet a un recueil d'aventures, telles qu'on les devorait adolescent : « II fait son
service militaire dans un bataillon de tirailleurs marocains, car il aime mieux se battre dans les djebels
que s'ennuyer en France dans une garnison de province. Du Mexique au Honduras, de Guyane au
Groenland, il pec he le saurnon, charge des bateaux bananiers et s'exerce a temps perdu a la profession de
chercheur d*or.
Journaliste, il couvre le front franqui&te espagnol en 1936, Inoccupation de TAlbanie par les Italiens
en 1937, F affaire des Sudetes en Tchecoslovaquie. Prisonnier des Allemands, il tente quatre evasions. La
derniere, la bonne, lui permet de gagner le maquis ou, devenu sergent, il ecrira Le Caporal epingle et
Bande a part. De 1947 a 1958, il tire de ses experiences une ceuvre qui le situe parmi les oiseaa\ rares
de la litterature tres francaise. "Ce n'est pas seulement contre les vert-de-gris qu'il prit le maquis, a eerit
Nimier, mais en homme des cavernes contre les seides de ralurninium et du Nylon" De ses
peregrinations, il rapporte une langue qu'il enrichit de trouvailles lexicales, et son catalogue de bordees
d* injures, "Bogomites, Teutophanes, Aristopitheques.. .", eblouiratt le capitaine Haddock lui-meme. »
Jacques Perret avait le sens de la mystification, et son \ivre Le Machin devrait etre au programme
des ecoles. C'est rhistoire de Marcel qui herite de sa tante un objet dont il ne comprend pas 1'utilite, et il
va done faire le tour de Paris pour interroger tous les professionnels susceptibles de Feclairer, un chef-
d'eeuvre d'humour, car chacun possede son avis, sa version et son langage technique.
« Nous sommes, dit M. Guesdon, dans les salons de TOffice international de 1* objet. \bus voyez que
je n'y vais pas avec le dos de la cuiller. [...] Le but de cet organisme, a vrai dire, je F ignore, mais je
suppose qu 7 a 1 4 image de beaucoup d'organismes, il se contente de fonctionner en tant qu 1 organisme. »
A r image de ce vieil anarchiste de droite, son ecriture etonnante avec ses longues phrases
enchevetrees semble dater d'une autre epoque, certes, mais quel talent ! II flirte avec la preciosite en
celebrant les mots qui ne sont plus de mise et se moque bien sur deja du franglais. en orthographiant a sa
maniere « coquetele, bifeteque et Nouillorque ».
II tente de resister au progres en imaginant des neologismes truculents dignes d'une autre epoque.
comme Tun de ses personnages dont l'eloquence, disait-il, etait faite d'un « galimatias gendarmique
rehausse d'une diction jacobine ».
II aimait Blondin et Nimier, avec qui il partageait r amour de la belle ouvrage et... des blancs limes.
II n'aimait pas Sartre, on s'en serait doute, qu'il traitait de « savant bigleux qu'on soup9onnait
conditionne par Tassouvissement d'obscures vengeances ».
Je Iaisse a Patrice Delbourg le soin de resumer Ie vagabondage litteraire de ce vieux reac attachant :
« Dame, ce paysan de Paris a tant roule sa bosse au-dela des oceans que la Patagonie lui est aussi
familiere que le quartier des Gobelias. Ses Iivres ressemblent a des malles au tresor qu'on trouvait jadis
au grenier et qui livraient au petit bonheur un sabre rouille, un bateau dans une bouteille, des li asses
d'emprunt russe, le violon de grand-pere, reventail d'une coasine. Transversal, prehistorique,
intemporel, Tecrivain oppose aux lendernains qui chantent une tres ancienne musique dont, selon lui.
s'inspirera Favenir. C'est a peine si Jacques Perret revendique la paternite de son ceuvre, tant il est
etranger aux devoirs afferents a la cliarge d'ecrivain. »
Plonk et Replonk
Encore un univers dejante coinme je les aime. Encore un coup de cceur que j'aimerais vous faire
partager si j'y arrive, car il faut, comme pour The New Yorker ou Glen Baxter, faire un bel effort
d'imaginatioa Chez les freres Plonk et Replonk, de leurs vrai noins Jacques et Hubert Froidevaux, cet
univers est essentiellement graphique. Leur technique ? Le detournement de cartes postales. Une
merveille du genre. On leur doit plusieurs albums dont Les Plus Beaux Dimanches apres-midt du mcnde.
La Face cachee du Leman etLes J000 et i lundis, Tun de mes preferes. Imaginez quelque cent vingt
cartes postales numerotees du lundi 5 decembre au lundi 117 Janvier... Toules aussi belles et droles les
unes que les autres, sepia ou colorisees, le resultat est etonnant et surtout detonnant. \bus pouvez y
admirer, au choix :
— Le soldat inconnu posant sous V Arc de Triomphe avec sa femme et ses cinq enfants.
— Un livreur d'atome brut en 1890.
— Un atelier clandestin d'affinage d'aspirine pendant la prohibition (1920-1934).
— Le secouage des cocotiers en Haute-Marne.
— La mere du pere Noel en promenade.
— Deax membres benevoles de Douaniers sans frontieres (entoures de pingouins) apportant Tordre
et la securite aax populations du Pole Sud.
— Un panneau de signalisation routiere conviviale de TA45 (sic) : « Prudence. X^us roulez
actuellernenta contresens. »
Sachez aussi que Ton apprend dans cet album que Robinson sur son lie etait certes seconde par son
fidele serviteur, Vendredi, lequel n* etait pas le seul compagnon de Robinson. II y avail aussi Lundi,
Mardi, Mercredi. Jeudi, Samedi et Dimanche. Samedi par ailleurs etait une femme, et on suppose qu'elle
tut sa concubine.
NOYADE
INTERDITE
En 2009, nos deux comperes, « marchands de Fabsurde », declaraient a la jounialiste de L 'Express
Celine Rouzet qu'ils etaient connus pour leurs photomontages : « Mais nous utilisons aussi d'autres
techniques telles recriture, la betonneuse et la meditation aperitive. » Plonk qui etait dans une vie
anterieure « moniteur de ski dans le Sahel » rappelle que leurs debuts ont ete tres durs car : « Les petits
enfants nous jetaient des pierres quand ils nous voyaient dans la rue. Par la suite, nous leur avons renvoye
de plus grosses pierres et tout s'est arrange dans la bonne humeur. »
lis detournent des images parce que, disent-ils : « C'est plus facile a detoumer qu un avion de ligne
ou qu'un sous-marin de combat », et ils songent a mettre sur Ie marche « des bons du Tresor mangeables
en ltiie de pain agglomeree ».
Ah ! j'oubliais : nos deux hurluberlus sont jeunes, nes respectivement en 1964 et 1966, et ils sont
suisses. Ce qui explique pourquoi Pierre Tchernia, en prefacant un de leurs ouvrages, rappelait ce mot de
Pierre Dae : « Dans ces temps difficiles, nous devons lutter pour que, tous les maiins, chaque petit
Francais puisse manger un petit Suisse et... reciproquement. »
Ponge, Francis (1899-1988)
Si vous ne connaissez pas Francis Ponge, je n'ai pas a me justifier d'imposer sa presence dans ce
recueil dedie a rhumour. mais si vous Ie connaissez bien. vous serez probablement d'accord avec moi
pour afflrmer que Ponge merite d'etre considere comme un humoriste, ne serait-ce que pour avoir imagine
ses fameux Proemes, ce neologisme imagine par lui, pour marquer la double appartenance a la poesie et a
la prose, et pour avoir ecrit sonceuvre majeure, Le Parti pris des chases,
Ponge est ne a Montpellier dans une famille bourgeoise, ce qui ne l'empeche pas apres de brillantes
etudes de lettres d'adherer au parti communiste. En 1920, il contribue a quelques revues litteraires et
surrealistes. Remarque par la NRF (Nouvelle Revue franeaise), il devient un ecrivain passionne du
langage qu'il manipule avec panache. En 1942, alors qu'il travaille aux Messageries Hachette, « une
sorte de bagne », mais qui lui permet de « sauver vingt minutes Ie soir pour ecrire », il publie Le Parti
pris des chases. Un choc pour Braque, Picasso et bien d'autres, dont je suis. Pourquoi de tels peintres
furent-ils si seduits par ce texte ? Sans doute parce qu'il y apparait comme le champion de Pecriture
descriptive,
Ponge s'y affirme comme le poete des choses et des objets, qui! dit lui-meme « vouloir elever a la
dignite de heros ».
Ce recueil de trente-deux poemes en prose doit-il etre considere comme de la prose ou de la poesie ?
A vous de j uger :
La cruche est consideree comme stupide ?
« Certaines precautions sont utiles pour ce qui la concerne. II nous faut Tisoler un peu pour qu'elle ne
cheque aucune autre chose. Pratiquer avec elle comme le danseur avec la danseuse et eviter de heurter les
couples voisins. »
La cheminie d 'usine ?
« Quoi de plus ravissant que ces simples filles longues et fines mais bien rondes, pourtant, au mollet
de briques roses bien tourne, qui, tres haut dans le cieh murmurent du coin de la bouche, comme les
figures de rebus, quelque nuage nacre. »
La valise ?
« II suffit de lui flatter Ie dos, Fencolure et le plat. . .
Elle est comme un cheval fidele contre mes jambes que je selle, je harnache, bride et sangle ou
dessangle dans la chambre de Thotel proverbial. »
Le savon ?
« II ecume, jubile, et plus il bave, plus sa rage devient volumineuse et sacree. Qu'il Ie dise avec
volubilite, enthousiasme, quand il a fini de le dire, il n'existe plus... »
Uabricot?
« Deux cuillerees de confiture accolees ; la palourde des vergers ; nous mordons ici en pleine realite
accueillante et fraiche. »
Ce qui est tres interessant aussi, c'est qu'il est sensible a la typographic, aux lettres et a leurs
formes :
« Le lezard dans le monde des mots rf a pas pour rien ce zede ou zele tortillard, et pas pour rien sa
desinence en ard, comme fuyard. flemmard, musard, pendard, hagard. II apparait, disparait, reapparaiL »
Ons'y croirait !
Philippe Sollers lui decerne, pourLc Parti pris des chases, une des premieres places dans le
panorama litteraire du sieele. Pour ceux qui douteraient encore du cote ludique de cet ecrivain
exceptionnel, Patrick ICechichian, journaliste au Monde des iivres, devrait pouvoir Ies convaincre avec
cet article de 1999:
« II y a une hygiene, une sante Ponge. Lire Le Parti pris des choses, ou tout autre livre de Ponge,
c'est eprouver au bout de quelques pages ce bienfait, savourer ce reconfort. C'est respirer un air
vivifiant, et constater qu'il ne souffle guere ailleurs dans la litterature contemporaine. Comme si le monde
se trouvait soudain nettoye, eclaire, rendu a une sorte de printemps perpetuel. »
Prevert, Jacques (1900-1977)
Meme s'il avait fmi par dire que « rhumour est enfant de nos haines », Jacques Prevert refiisait
toujours de definir rhumour, il ne le fit qu'une fois, en 1950 :
« Depuis trop longtemps on prenait trop souvent rhumour a la legere, il s'agit maintenant de le
prendre a la lourde. Alors messieurs definissez-le,. expliquez-le cataloguez-le. contingentez-Ie, prouvez-
le par Tceuf, dissequez-le, encensez-Ie, recensez-le, engagez-le, rempilez-le, encagez-le dans la marine,
encadrez-le, hierarchisez-le, arraisonnez-le, beatiflez-le, polissez-le sans cesse et le repolissez »
Ne curieuseirent a Neuilly-sur-Seine, et pas a Pantin ou a Aubervilliers, son pere est un modeste
employe qui aime le theatre et sa mere est toujours souriante el chantante, alors que r argent peine a
rentrer au foyer. II joue au gendarme et au voleur avec un certain Aragoa C'est un vrai gamin de Paris,
qui aime s'accrocher « au cul » des bus et des tramways et qui connait par leurs petits noms les vieilles
peripateticiennes des rues chaudes de la capitale. Apres son certificat d'etudes, il multiplie les petits
boulots, notamment au Bon Marche. Au cours de son service militaire, il est envoye a Istanbul ou il
rencontre Marcel Duhamel. En 1965, il participe au mouvement surrealiste qui se retrouve a Paris, rue du
Chateau, dans un logement collectif ou habitent Duhamel et Queneau, mais. trop independant pour
participer a un groupe, il les quitte.
Tres engage politiquement, il rencontre Renoir, compagnon de route du parti communiste, avec qui il
travaillera sur Le Crime de Monsieur Lange, un des seuls films sur le Front populaire. II devient le
scenariste et dialoguiste de grands films fran^ais entre les annees 1935 et 1945 : Drole de drome (1937),
Quai des brumes (1938), Lejour se leve (1939). Les Enfants duparadis (1945).
Jacques Prevert savait dire « non », pour lui, c'etait un mot merveilleux, le premier qu'un enfant
prononce dans son Youpala.
II detestait la lachete de ses contemporains devant lesquels il n" 1 avail que « le debarras du choix ».
Lorsqu'il ecrit en 1932 pour la troupe de theatre Groupe Octobre, il en profite pour tirer sur tout ce qui
bouge... mal : Citroen, Ies Croix-de-feu, Saint-Cyr et la bourgeoisie en general. C'est lui qui trouve le
litre <:< Serie Noire » pour la collection de Georges Duhamel.
Pour lui. la vie serait libertaire ou ne serait pas. Lorsque Paroles sort en collection de poche en
1957, il devient a cinquante-sept ans « le poete le plus populaire du siecle ». Ce triomphe laissa Breton
perplexe : « Dans ce succes, il y a du meilleur et du pire », declara-t-il. Certains jaloux pretendent qu"il
n"a rien invente et qu'il est plutot du genre bricoleur des mots que genie du verbe. Ses copains au
contraire pensent qu'« il ne s'est jamais trompe sur Tessentiel des choses ». Je pense qu'il avait le genie
absolu du verbe pour ses formules irremplacables : « II faudrait etre heureux, ne serait-ce que pour
donner l'exemple. » Plus legerement, il ne donnaii pas vraiment dans la dentelle de chasuble, lorsqu'il
laissait libre cours a son anticlericalisme visceral dans Fatras :
— « Dans chaque eglise, il y a toujours quelque chose qui cloche. »
— « Je vous salis ma rue et je m'en excuse. »
— « La theologie, c'est simple comme Dieu et Dieu font trois. »
Dans Paroles, il va encore plus loin : « II nous Iisait toujours la meme histoire, triste et banale d'un
homme [Jesus] d'autrefois qui portait un bouc au menton, un agneau sur les epaules et qui inourut cloue
sur deux planches de salul apres avoir beaucoup pleure sur lui-meme dans un jardin, la nuit. C'etait un
ills de farrrille qui parlait toujours de son pere - rnon pere par-ci, mon pere par-la_ le royaume de mon
pere — et il racontait des histoires aux malheureux qui l'ecoutaient avec admiration, parce qu'il parlait
bien et avait de Finstruction. [...] II guerissait aussi les hydropiques, il Ieur marchait sur le ventre en
disant qu'il marchait sur 1'eau, et l'eau qui leur sortait du ventre, il la changeait en vin ; a ceux qui
voulaient bien en boire, il disait que c'etait son sang. »
U homme etait fou de tabac, d'alcool, de jeunes femmes. de poesie, damages de collages, mais chez
lui la rebellion couvait toujours sous la tendresse.
Breton et Eluard dans le Dictlonnalre abrige du surrealisme le definissaient en 1938 d'une facon on
ne peut plus concise : « Celui qui rouge de cceur. » En fait, les rapports entre Breton et Prevert vont vite
s'envenimer. Prevert souffre du rigorisme que Breton pretend imposer a ses amis. La vraie rupture sera
consomrnee en 1930, mais leur brouille tut passagere et les deux hommes resterent lies par une amitie
reciproque. Prevert nereniera jamais ce qu'il doit au surrealisme : «De tous les mots en "isme" c'etait le
meilleur », ecrira-t-il dans Hebdomadaires, Et quand Breton meurt en 28 septembre 1966, tout le monde
se souvient des larmes de Prevert dans les couloirs de I'hopital Lariboisiere : « Je suis alle le voir quand
il est mart, je lui ai parle. Je parle toujours aux morts. C'est tres mysterieux de voir un mort, C'est deja si
mysterieux de voir un vivant. »
Si je ne devais retenir qu'une seule pensee de Prevert, ce serait celle-ci, qui maintenant est mon
maitre mot quotidien : « J'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en partant ! »
II s'eteint... sans bruit, le II avril 1977.
Proust, Marcel (1871-1922)
Paradoxalement, bien que F observation comique ne soit pas la specificite des romanciers du
xx° siecle, nous devons un vrai roman comique a eel immense ecrivain que ses biographes nous ont decrit
comme un personnage souffreteux et sinistre, travaillanl sans relache jour et nuit, dans un lit encombre de
cahiers et se nourrissant a peine de quelques madeleines. C'est vite oublier que Marcel Proust eut une
jeunesse joyeusement ernaillee de sorties, de fetes, de rencontres, de voyages, de diners ou il regalait ses
amis de ses imitations drolatiques et de ses histoires cocasses.
« II etait d'une gaite verbale etourdissante qui divertissait sans jamais fatiguer », pour Mme de
Clerrnont-Tonnerre et, « dans nos rares entretiens, disait Reynaldo Hahn, j'avais admire 1'amabilite
ingenieuse de Marcel, sa miraculeuse comprehension, son sens du comique ».
Le temoignage de Lucien Daudet dans Ant our de soixante letires de Marcel Proust nous en dit
encore plus. II note par exemple que Marcel se sentait oblige de prevenir ses holes qu'il etait sujet aux
fous rires :
« Le comte Robert de Montesquiou avait decouvert une personnalite "geniale" chez qui il faisait a
Marcel Proust et a moi Thonneur de nous inviter. Marcel, imprudent et scrupuleux, ecrivit a M. de
Montesquiou pour le mettre au courant du fou rire et le prevenir d'avance qu'il faudrait l'excuser aussi
s'il nous voyait rire betement et sans raison, que e'etait une espece de maladie, et qu'enfin il le suppliait
de ne voir la aucune moquerie ni quoi que ce soit d'impoli... L'aspect severe et soupconneux de M. de
Montesquiou quand nous entrames provoqua bientot ce que Marcel Proust craignait, et apres quelques
essais de gravite apparente nous ne pumes que nous sauver en cachette, etoufFant de rire et courbes en
deux... » et Daudet de poursuivre : « Helas ! Le fler comte n'echappera jamais au fou rire de Marcel
Proust, il deviendra, un jour, le baron de Charlus. »
Marcel Proust ne cherchait pas le rire comme une fin mais sa vision des gens de son epoque et de son
propre milieu etait une source inepuisable :
« L 1 essence du comique proustien : le comique pur se realise lorsque rhornme est observe de si pres
que son absurdite est eclatante, lorsqu'il est isole de sa situation et prend les proportions d'un animal ou
d'une marionnette », ecrit Lester Mansfield.
Jean Cocteau, qui Tavait rencontre, faisait d'ailleurs de ce rire ['element fondamental de A la
recherche du temps perdu :
« Que Swann parle, ou Bloch, ou Albertine, ou Charlus, ou les Verdurin, j'ecoute cette voix
profondement rieuse, chancelante, etalee, de Proust Iorsqu'il racontait, gemissait de raconter, organisant
le long de son recit un systeme d'ecluses, de vestibules, de fatigues, de haltes, de politesses, de fous
rires, de gants blancs ecrasantla moustache en eventail sur la figire... Les faux geniescraignentle rire. II
ouvre un homrne a deux battants. On voit le tresor ou le vide... Marcel Proust y baignait comme daas un
revel aleur. »
L'humour chez Proust est a la fois familial, heritier des moralistes du xvn e siecle et de r esprit de la
Belle Epoque. Un de ses premiers livres, Pastiches et Melanges, publie chez Grasset en 1919, etait deja
plutot du genre ludique. DansZ,a Recherche, Phumour s'observe dans la satire sociale de la comedie
mondaine, dans un comique de situation vaudevillesque, dans les caracteres mais aussi dans des formes
plus elementaires du risible, Ie calembour et le « malapropisme », cette volonte d'ernployer des mots
savants mal a propos, particuliere aux gens poseurs mais incultes. Proust a exploite cette veine comique
dans Sodome et Gotnorrhe, lorsque le narrateur note les fautes de langage du directeur du Grand Hotel de
Cabourg qui dit que « le ciel est parchemine d'etoiles ».
Autre ressource comique, la parodie scientifique. quand il sous-entend, en nous decrivant
minutieusement la fecondation de la fleur par l'abeille, le theme delicat de Phomosexualite, de meme le
decalage entre Ie langage pedant et le sujet :
« Disons en un mot que madame verdurin, en dehors meme des changements inevitables de 1 'age, ne
ressemblait plus a ce qu'elle etait au temps ou S wann et Odette ecoutaient chez elle la petite phrase. Sous
Paction d'innombrables nevralgies que la musique de Bach, de Wagner, Vinteuil, Debussy, lui avaient
occasionnees, le front de madame Verdurin avait pris des proportions enormes, comme les membres
quun rhumatisme finit par deforrner. Ses tempes, pareilles a deux belles spheres brulantes, endolories et
laiteuses, ou roule immortellement r'Harmonie, rejetaient de chaque cote des meches argentees, et
proclamaient pour le compte de la patronne, sans que celle-ci eut besoin de parler : "Je sais ce qui
m' attend." »
II adorait jouer de la metaphore, par exemple lorsque le narrateur compare le rabachage de sa brave
gouvernante Fran^oise a une fugue de Bach. Ce qui fait que Proust peut etre considere comme Tun des
romanciers comiques duxx^ siecle, c'est sans doute le choix incongru de sujets recurrents, cornme des
classes sociales peu compatibles entrainant des quiproquos divers et varies, riches enpotentiel comique.
II n'est pas non plus de personnage dans La Recherche qui ne soit pas ridiculise, nez de Cambremer, fous
rires simules de N4me Verdurin et la fameuse fraisette de Charlus !
Le genie de Marcel Proust, c'est aussi d'avoir reussi a canper des personnages « comiques
inconscients », comme aurait dit Bergson, qui mettait aussi dans cette categorie le Homais de Flaubert et
le Tartarinde Daudet.
Queneau, Raymond (1903-1976)
« Je naquis au Havre un vingt et un fevrier en mil neuf cent et trois.
Ma mere etait merciere et rnon pere mercier : ils trepignaient de joie »■ (Chene et Chien, 1937).
HeureusemenL. le petit Raymond ne en 1903 va ignorer Ies rubans et les aiguilles et se plonger des
l'enfance dans la lecture et recriture. A treize ans, il a deja ecrit plus de vingt romans et une quantite
impressionnante de poemes. A dix-huit ans. il rnonte a Paris pour preparer une licence de philosophic,
mais tout Pinteresse, Phistoire, la litterature, la langue, le cinema, les mathemaiiques, et son parcours,
completement atypique, fera de lui. cornme le dit Jean d'Orrnesson : « Le plus, savant des mystificateurs,
le plus gai des erudits. »
II y a de quoi en effet se Iaisser intimider par celui qui a suivi les cours d'Alexandre Kojeve sur
Hegel, d'Henri Puech sur la gnose et le manicheisme, qui lors d'un voyage en Grece a decouvert qu'il y a
deux langues distinctes : « Tune qui est le francais qui, vers le xv e siecle, a remplace le francien [...],
Tautre. que Ton pourrait appeler le neo-francais, qui n'existe pas encore et qui ne demande qu'a naitre ».
II a dirige l&Nouvelle Encyclopedic de la Pleiade che2 Gallimard, est entre en 1948 a la Societe
mathematique de France et a ete membre de la prestigieuse American Mathematical Society.
En 1924, il frequente les surrealistes avant de rompre avec Breton et de participer au violent
pamplilet de douze anciens surrealistes attaquant leur pape en 1930. II ne gardera de ce groupe que
Finvention verbale et le gout des jeux de inots : « Je suis inculte, parce que je n'en pratique aucutt »
Son premier roman Le Chienderu, paru en 1 933, lui vaut le premier prix des Deux-Magots. On y voit
deja sa fascination pour la langue et ses mysteres, et il en fait un objet d'experimentation tant dans la
construction du roman que dans des trouvailles de ce genre : « Alibiforains et Iantiponnages que tout cela,
ravauderies et billevesees, battologies et trivelinades. aneries et calernbredaines, radotages et
fariboles ! »
Publies en 1947. les fameux Exercices de style , qui nous racontent quatre-vingt-dix-neuf fois la rnerne
anecdote insignifiante, est un pur exemple de son aisance a se jouer des contraintes qu'il s"impose :
« Cest effectivement et tres consciemment en me souvenant de Bach que j'ai ecrit Exercices de style.
C*est en mai 42 que je composais les douze premiers. »
II se souvient que c'est apres avoir assiste a un concert, salle Pleyel, dans les annees 1930. qu*il
avait eu Tidee de transposer sur le plan litteraire L'Ari de la fugue , en creant une ceuvre au moyen de
variations sur un theme donne. II fallait y penser. Beaucoup plus tard, en 1961, il nous epoustouflera avec
Cent Mi He Milliards de poemes. Cent mille milliards etant le nombre de sonnets que Ton peut obtenir en
combinant dix sonnets aux rimes identiques decoupes en quatorze bandes horizontales, il nous precise que
cette « sorte de machine a fabriquer des poemes [...] fournit de la lecture pour pres de deux cenls
millions d'annees (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre) ». Qui dit mieux ? En 1950, il est elu a
la tres serieuse Academie Goncourt et entre au College de 'pataphysique ou les adeptes de l'absurde le
nomment « Transcendani Satrape ». En 1959, c'est la publication de Zazie dims le metro, dont le succes
popuiaire va l'agacer, et voici d'ailleurs ce qu'il ecrivait, a propos des chefs-d'ceuvre qu'il comparait a
un oignon, « dont les uns se contentent d'enlever la pelure superficielle, tandis que d'autres, rnoins
nombreux, I'epluchent pellicule par pellicule ».
Avec son ami Francois Le Lionnais, c'est lui qui fonde, en 1960, I'OuLiPo.
Pour moi, la langue de Queneau, qu'il est convenu d'appeler maintenant « la quenelle », est
incomparable : « Parler, c'est marcher devant soi. » Simple, evocatrice et tres inventive. J'ai dit que le
succes de Zazie l'agacait. Mais comment ne pas s'incliner devant le neo-francais de
« Douquipudonktan ? », et Zazie n'a pas forcement tort lorsqu'elle lui demande : « DIs done tonton, quand
tu deconnes comme ca, tu le fais expres ou c'est sans le vouloir ? »
J'airne Queneau parce qu'il etait insaisissable, et parce qu'il a inpose un style original sans se plier
a une seule des modes qu'il a cotoyees, que ce soit le surrealisme ou le Nouveau Roman. J'airne Queneau
pour son amour des fous litteraires qu'il baptise « enfants du Hmon », ces droles d'ecrivains qui publient
a Ieurs frais des livres illisibles que personne de lira jamais, sauf lui. J'airne Queneaupour sa passion du
savoir encyclopedique : « Quelle satisfaction on peut bien eprouver a ne pas comprendre quelque
chose ? » Enfin, j 'airne Queneau parce qu'un homme qui ecrivait : « C'est en lisant qu'on devient liseron,
et en ecrivant qu'on devient ecriveron », avait compris que les plus grands evenements n'ont pas
seulement lieu au coin de la rue, mais aussi dans le dictionnaire.
Raymond Queneau disparait en 1976, range par un cancer du poumoa II aurait pu transformer en
epitaphe un de ses petits envois tendre et malicieux : « C'est la vie, Poiseau fait cui-cui. Uoiseau cuit ne
le fait plus. »
Rabelais (v. 1494-1553)
Les bons peres chez qui j'ai siiivi une partie de ma scolarite ne m'avaient evidemment montre de
Rabelais que ses aspects les plus raisonnables, sa lutte conlre une education scolastique absurde, son
ouverture vers les textes grecs et ses connaissances encyclopediques. Les textes que nous etudiions
etaient soigneusement aseptises, Gargantua a la rigueur petait mais ne chiait pas et Panurge ne poursuivait
pas de ses assiduites perverses les belles dames a la messe en les aspergeant d' urine de chienne en
chaleur pour qu'elles se fassent assaillir (et saillir) par tous les chiens de la ville... Mais je redecouvris
un tout autre Rabelais trente ans plus tard grace au professeur de francais d'un de ines enfants qui ne
craignait pas de choquer ses eleves avec la langue pleine de verdeur du vrai Rabelais, enfin debarrasse
des voiles pudiques des bons peres. Heureuse fin des annees 1970, ou noinbre d'enseignants, aspires par
la vague de Mai 68, avaient secoue Ie joug du politiquement correct C*est ainsi que grace a un
enregistrement etonnant de grands acteurs de la Comedie-Francaise qui interpretaient un episode de la
« Guerre picrocholine », je decouvrais la force cornique de Rabelais et comprenais enfin la puissance de
sa phrase celebre : « II vaut mieux traiter du rire que des larmes, parce que rire est le propre de
Thomme. »
Ce rnaitre inconteste de la fantaisie verbale - il ne faut pas oublier qu'il est le pere des premieres
contrepeteries telles que « la femme folle a la messe » - est aussi rinventeur de centaines de mots, pi as
droles les uns que les autres : le stupide Picrochole ne gagnera la guerre que lorsque les « coquecigrues »
voleront. Le pretentieux Philippe des Marais est vice-roi de « Papeligosse », les protestants et les
catholiques enrages sont ranges dans le meme sac des « Papefigues » etdes « Papimanes », les pretres de
la Sorbonne, tenant de l'orthodoxie et maniant I' excommunication a tout-va, deviennent des
« Sorbonagres », des « Sorbonicoles » ou des « Sorboniqueurs », et quand les mediants prets a mourir ne
savent plus a quel saint vouer leur ame, Rabelais les confie aux bons soins de « sainte Nitouche ».
Meme au simple niveau de 1' invention verbale, le burlesque cache souvent une intention serieuse.
Rabelais est un humoriste qui nous invite a chercher, sous la plaisanterie, une pensee profonde. Comme
Pecrivait Victor Hugo :
« Et son eclat de lire enorme
Est un ties gouffres de I 'esprit. »
Dans ce fameux enregistrement, on entend aussi les pillards du belliqueux Picrochole, « a l'humeur
bilieuse », arriver a l'abbaye de « frere Jean des Entommeures », I'un des personnages recurrents de
Rabelais. Ce moine « etait jeune, hardi, aventureux, bien fendu de gueule, bien avantage en nez, beau
depecheur d'heures. beau debrideur de messes, beau decrotteur de vigiles, pour tout dire sommairement
vrai moine si un jour il en tut depuis que le monde moinant moina de moinerie, au reste clerc jusqu'aux
dents en matiere de breviaire ».
Mais voici que Les ennemis saccagent « leur clos oil etait leur boire de tout Tan fonde ». Tandis que
les autres moines, terrorises, ne savent qu'anonner des prieres, frere Jean s'inquiete : les degats causes
par les pillards risquent de supprimer toute vendange pendant au moins quatre ans. Et lui de s'exclamer :
« Seigneur Dieu, donne-moi a boire ! »
Le prieur s'indigne : « Qu'on me le mene en prisoa Troubler ainsi le service divin !
— Mais, dit le moine, le service du via faisons de sorte qu'il ne soit trouble, car vous-meme,
monsieur le prieur, aimez boire du meilleur. »
II appelle les autres moines a la rescoasse, en les menacant de les priver de vin s'ils ne viennent pas
defendre « les biens de TEglise ». Tous obtemperent avec zele ! Et les voici a Touvrage : « Aux uns
ecrabouillait la cervelle, aux autres rompaitbras et jambes, aux autres delochait les spondyles du col. aux
autres demoulait les reins, avalait le nez, pochait les yeux, fendait les mandibules, enfoncait les dents en
la gueule, decroulait les omoplates, degondait les hanches, debezillait les faucilles...
Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir, les uns mouraient en parlanl, les
autres parlaient en mourant. »
Certains moines, restes charitables, confessaient les mourants, mais frere Jean se contentait
d'assommer ceux qui voulaient s^echapper, disant : « Ceux-ci sont confesses et repentante et ont gagne les
pardons. lis s'en vont au paradis aussi droit qu'une faucille. »
Rabelais conclut ainsi l'episode guerrier : « Par sa prouesse. turent deconfits tous cea\ de Farmee
qui etaient entres dans le closjusques au nombre de treize mille six cent vingtet deux, sans les femmes et
les petits enfants, cela s'entend toujours », melangeant avec un art consomme rexageration des cliifttes,
pour parodier un ton epique, et des bribes irreverencieuses de TEvangile. II faudrait certes moult
volumes pour faire Teloge de ce geant. Je m'entiendrai ici a en sucer la « substantifique moelle ».
Rambaud, Patrick
Encore un garcon a qui je voue une certaine admiration, ne serait-ce que parce qu'il a obtenu dans la
foulee, en 1997, le grand prix de TAcademie francaise et le prix Goncourt pour son roxmn La Bataille.
Du jamais-vu pour un sujet qu'il ne maitrisait pas du tout, puisque, lorsque son editeur Jean-Claude
Fasquelle lui proposa de se pencher sur rhistoire de la bataille d'Essling, il la connaissait a peine. Elle
se solda en mai 1 809 par la defaite de Napoleon contre les Autrichiens avec des pertes enormes (vingt et
un mille hommes) et la mort du marechal Lannes. \bila qui introduit bien ce personnage assez doue, et
noas allons le voir, dote d'un humour solide, qu'il cache sous sa barbe et son eternel air de vieux
gauchiste, revenu de tout.
Patrick Rambaud est ne en 1946 a Neuilly-sur- Seine. D'origine plutot bourgeoise, « une dynastie
lyoraiaise de notaires, echevins, soyeux », du cote de son pere, comme il se presente dans son autoportrait
tel qu'il l'avait imagine pour Jerome Garcinen 1986 :
« Ainsi, Patrick Rarnbaud va passer resolument a cote des principaux courants de son epoque. SMI Ies
observe par force, il n'y participe que par hasard et comme a regret. II n'a jamais defile dans la moindre
manifestation, jamais vendu de journaux militants a la criee, jamais signe une petition. II se flatte de
n' avoir jamais possede que deux, cartes : celle de l'Association francaise des artistes prestidigitateurs (il
exerce un temps dans un cabaret) et la carte de presse 46 004. Les annees 1960 restent pour lui celles de
la Cinematheque ou il voit au moins trois filins par jour, celles d"Aden Arabic et du Voleur de Dariea Un
moment, il se croit surrealiste, ce qui ne Fempeche pas de lire Drieu et Vaillant a la fois, de venerer
W. C. Fields, Jean Renoir et Leo Ferre. Etudiant episodique a Nanterre, il ne reussit pas a assimiler la
phraseologie politique. En 1967 il gagne le concours du '"Masque et la Plume", remission de Michel
Polac, bredouille a la radio, regoit ses premieres Iettres d'iasultes et publie son premier texte dans la
revue de cinema Positif. [...]
Avec Michel-Antoine Burnier, son complice, il s*enferme dix jours par mois dans la grosse maison
de Marsinge (Haute-Savoie). La, ils concoctent des romans historiques el des livres de parodies,
notamment le celebre Roland Bardies sans peine, qui s'attaque au jargon principal de Theme. Lecture,
ecriture a deux, cuisine, billard, cette periode de travail et de reflexion restera benie dans le souvenir de
Patrick Rarnbaud. »
II est vrai que le Roland Barthes sans peine est un chef-d'ceuvre de parodie, qui prouve allegrement
que tout le monde parle le « Roland Barthes » sans s'en rendre compte. Dieu sait si la parodie n'est pas
mi genre facile, et Reboux et Muller, Ies parodieurs du debut du XDf sieele, en savent quelque chose. Le
tandem Rambaud-Burnier fera des ravages en utilisant une irnpressionnante serie de pseudonymes comrne
Bernard de Burnebise, Olympe Ramburne, Roger Piploch, Francisque Trognon, Anatole de
Concheburland et le celebre Wao-le-Laid. J"ai un faible aussi pour Le Journalisme sans peine (1997),
dans lequel ils relevent Ies tics journalistiques ou la metaphore boiteuse est reine et F apparition de la
« novlangue » : « Aujourd'hui les mots qui heurtent par trop de realisme doivent etre adoucis. On ne
parlera plus de mort mais de non-vie, d'aveugle mais de non-voyant. La non-volonte du gouvernement
marque mieux en douceur un refus. Mal-comprenant passe mieux que con. »
Sous le pseudonyme de Marguerite Duraille, Rarnbaud a parodie Duras a deux reprises : Virginie O.
en 1988 et Mururoa man amour en 1996. Desopilants.
Ce qui fait I'originalite de Patrick, avec qui j'ai quelques affinites que nous partageons des que j "ai la
chance de le coincer entre Paris et son joli pavilion de Trouville, c'est sa culture universelle et sa
capacite de s'adapter a tous Ies sujets, et il Fa prouve en etant l'un des plus celebres negres litteraires de
la place de Paris, avant que le succes ne le condamne a ecrire ses propres livres. Le devoir de reserve
nfinterdit de livrer ici le nom de ses command itai res. mais la liste est edifiante. Apres le succes de La
Bataille, Rarnbaud dut recidiver trois fois pour donner des suites aux aventures napoleoniennes, dont il
devint lui aussi, a Finsu de son plein gre, un specialiste. II faut en effet Tentendre commenter le courrier
de vibrants fanatiques de Napoleon le chatouillant sur la couleur d'un bouton de guetre, page 248 ou
page 862 !
C'est ensuite pour « lutter contre la depression qu"a causee en lui la victoire de Nicolas Sarkozy en
2007 » qu'il a ecrit Chronique du regne de Nicolas I er . Beau succes qui sera suivi jusqu'en 2012 de cinq
autres volumes.
Rarnbaud a done comrnis officiellement une quarantaine de livres sans compter les « batards », et il
est aussi l'un des prestigieux membres de FAcademie Goncourt depuis 2008.
Patrick va bien, et c'est tant mieux, a Fheure ou j'ecris ces Iignes, mais voici comment, dans son
autoportrait, il imaginait la fin de cette existence bien remplie : « A sa mort, les cinquante-trois mille
volumes de sa bibliotheque sont attribues a la municipal ite de Blonville-sur-Mer (Calvados) ou, enfant
aux seances "Jeunesse et famille", il avait decouvert Scaramouches Quo vadis ? etLes Mines du roi
Salomon. Ses cendres et celles de sa compagne sont acluellement au Pere-Lachaise, a Paris, entre les
umes de Pierre Dae etd'Isadora Duncan. »
Raynaud, Fernand (1926-1973)
Dans les annees 1960, ce fils d'un conlremaitre des u&ines Michelin a Clermont-Ferrand faisait se
gondoler la France entiere. \fotre serviteur, qui coimaissait par cceur son repertoire et imitait pas trop
iral, parait-il, son accent trainant, faisait lui aussi se gondoler quelques adolescentes, qui ne dedaignaient
pas offrir leurs Ievres rosissantes a Tadolescent boutonneux que j'etais... \bila pourquoi, ne serait-ce
que pour avoir ainsi participe avec Pierre Repp et Dairy Cowl a Peveil de ma puberte, Fernand Raynaud
restera une idole de mes vertes annees.
Nceud papillon, chapeau mou et manteau trop grand, Fernand Raynaud a ete Tun des premiers
comiques a stigmatiser la franchouillardise et les mutations economiques industrielles ou paysannes et,
comme il le disait Iui-meme : « £a eut paye, mais ca paye plus. »
L'homme souhaitait « faire pianiste », mais un accident de train lui ayant fait perdre a dix-sept ans
l'annulaire et le petit doigt de la main gauche, il se retrouve chez Michelia Pas pour longtemps, car il
decide d'ernpoigner sa celebre future valise en carton et de partir pour la capitale, a bicyclette, saas
derailleur, s*il vous plait.
Les premieres annees seront tres dures. Rien de plus frustrant que de se produire a l'entracte dans des
cinemas minables. Mais la chance va lui sourire, grace a la star de la television balbutiante, e'est le cas
de le dire, de Fepoque, Jean Nohain, qui l'engage dans sa celebre emission « Trente-six chandelles ».
Deuxieme coup du sort, il se fait voler son rnaigre bagage dans un train et deboule sur scene, desespere
avec sa demarche de canard, son chapeau cabosse, sa paupiere aftaissee et ses grimaces. C'est ce jour-la
que son destin bascule. Desormais, e'est la contorsion et le mime qui demeureront la meilleure part de
son art avec les mots en prime, et quels mots ! glanes ca et la par distraction, presque par hasard chez le
boucher, le tailleur ou la cremiere. C'est le triomphe du pauvre type avec des formules devenues cultes :
« Bourreau d'enfant ! », « C'est etudie pour ! », « Les gens sont mechants ! », « Restons francais ! »
C'est un guignol ambulant a lui tout seul, coco, marchand de Iacets, tour a tour M. Chalamont
Balandar, Tonton qui tousse, le plombier, « qui c'est ? » et T incontournable Mile Lelongbec et sa chorale
des « Joyeax Pinsonnets du dimanche ».
Fernand Raynaud se reconnaissait un inaiU"e, Jean de La Bruyere, et ca n'etonnera personne. Comme
lui. il puisait dans la vie quotidienne, pour s'imbiber de la preoccupation de ses semblables : « Une
situation, un mot, une altercation, un quiproquo, un canevas que Ton rode un soir, lorsque le public
semble plus disponible que d'habitude. On etudie ses reactions... le rire. c'est Poxygene ducomique. »
Sous ses dehors de paysan roublard et bon enfant, ses personnages sont des faux nai'fs, a la fois
humbles et obstines, comme lui, qui refusera toute sa vie d'avoir un impresario : « Je prefere gagner
50 % de moins sur un gala, plutot qu'un inconnu gagne 10 % de plus sur mes cachets. »
Vbila, c'est dit, il n^etait pas auvergnat pour rien. Sa bete noire, e'etait le spectateur qui n'a pas paye
sa place et il s'en expliquait avec sa logique auvergnate : « II n'est pas oblige de rire puisqu'il na pas a
se rembourser. »
Au debut de sa carriere, lorsquMl n'etait pas aussi celebre que Tetaient deja Dairy Cowl, Roger
Pierre ou Jean-Marc Thibault, il leur confiait : « \feus en avez de la chance, vous, de faire voire nuniero
pendant le dessert, quand les gens mangent leurs glaces. Moi, je dois monologuer au moment des plats de
viande, avec tous les bruits de fourchettes, de couteaux et de craquements d'os de poulet sous les dents a
pivots. Quand je serai star, je demanderai toujours a passer apres le sorbet. »
Apres avoir joue avec succes plus de quatre cents fois le role d'Auguste dans une piece de Raymond
Castans, il realise son reve en enfilant l'habit de Sganarelle dans Don Juan. Malgre les critiques parfois
assassines, il connait enfin la gloire, mais il en veut toujours plus. Devenu rnilliardaire, ses demeles avec
les impots commencent : « Les gens celebres ont toujours tort devant un tribunal. Je n'ai jamais reussi a
faire gondoler un juge. » Perpetuellement angoisse par l'echec, il est ronge a 1'idee de ne pas faire rire.
Quand il sort de scene, il est vide et ravage de tics, avec une seule obsession : « Est-ce qu'ils ont ri
autant que la veille ? »
Chaque representation peut se transformer en drame : « Laissez-moi travailler, lance-t-il a un
braillard au balcon. J'ai une demi-heure pour faire Fimbecile. \bus, vous avez toute la vie ! » Un soir, a
la Villa d'Este, il avise dans la salle un groupe de spectateurs qui ne rient pas. Agressif, il les
apostrophe : « Pourquoi etes-vous done venus si vous ne m'aimez pas ? » Ce sont des Allemands qui ne
parlent pas un mot de francais. Pour les seduire, il decide de decomposer ses gags en saynetes muettes.
lis s'esclaffent. II a gagne. On a frole la crise de nerfs. Mais les faux pas s'accumulent. Toujours cette
peur panique de « se ramasser ». Fernand force un barrage de police, moleste une commercante. Son
caractere soupe au lait se radicalise. Quand on lui dit : « Qa va Fernand ? », il repond : « £a bricole. »
Uhomme adule ne se sent pas vraiment respecte. Celui qui s'etait lance a la poursuite du grand art de la
comedie craint toujours d'etre pris pour un gugusse.
« Les comiques sont des excommunies. Nous ne sommes jamais contents de nous. Nous sommes des
cabots qui en faisons des tonnes pour decrocher un baillement a une duchesse. » Contre ce mal de vivre,
l'amuseur triche aux cartes, picole sec. Whisky, porto. gin, vin, biere, vodka, indifTeremrnent et a toute
heure. A Londres, deprime, perdu, il rencontre xm policeman qui, verifiant ses papiers, lui demande quel
est son metier : « I am a comic ! », repond-il en bornbant le torse. « Prouvez-Ie-moi. Faites-moi rire ! » Et
comme il n'y arrive pas, le flic rembarque pour verification d'identite.
Le siecle va trop vite, et comme 1'ecnvait Alexandre Vialatte, son compatriote : « II faut aujourd'hui
etre celebre avant d'etre connu. »
Le 28 septembre 1973, il roule vers Clermont-Ferrand au volant de sa Rolls-Royce blanche
decapotable. II va officiellement annoncer au public qu'il decide d"abandonner le show-business pour se
retirer enNouvelle-Caledonie, pour echapper a cette anxiete generalisee qui le ronge. Pres de Riom. daas
un virage sinueux, il pilote trop vite, percute une betaillere et va terminer sa course dans un mur. Y avait
comme un defaut.
Renard, Jutes (1 864-1910)
\* H*
« Ah ! Que Vauvenargues avait raison quand il ecrivait que c'est une grande preuve de mediocrite
que d'admirer toujours moderement », nolait Sacha Guitry, en denoncant les critiques qui, a Pepoque,
avaient boude la parution en 1927 du Journal de Jules Renard (1 257 pages dans Tedition de « La
Pleiade »). Sacha Guitry lui ne s'y trompe pas : il y decouvre tout ce que le cceur d'un homme peut
contenir de grandeur et de bassesse, de haine et d"amoiir.
Jules Renard etait en efFet sans illusions quant a la nature humaine et il avait subi tres tot les
humiliations quotidiennes et la haine de sa mere, la fameuse Mme Lepic de son Poll de carotte. (Test
sans doute dans sa douloureuse enfance qu'il puise ce qui deviendra son ironie et sa balise de survie. Le
« chieur d'encre », comme Tappelait sa genitrice, definit ainsi rhumour :
« Humour : pudeur, jeu d'esprit. C'est la proprete morale et quotidienne de Tesprit. Je me fais ime
haute idee morale et litteraire de rhumour. L'imagination egare. La sensibilite afFadit. L ? humour, c'est, en
somme, la raisoa L'homme regularise. »
Son humour a lui variait au gre de ses humeurs :
Tantot timer :
« La posterite ? Pourquoi les gens seraient-ils moins betes demain qu'aujourd'hui ? »
Poete ;
« Les crabes sont des galets qui marchent. »
Desespere :
« Surmenons-nous ! Vivre plus vite, c'est mourir plus tot »
Leger :
« Le soleil se leve avant rnoi, moi je xvc couche apres lui : nous sommes quittes. »
Cynique :
« La mort des autres nous aide a vivre. »
Pragma! ique :
— « Nous ne pardonnons jamais qu'a ceux auxquels nous avons interet a pardonner. »
— « Pourquoi les hommes de lettres ne font-ils pas, de leur vivant, les discours qu'ils desirent
entendre apres leur mort ? Cela leur prendrait cinq minutes de leur vie, avant la mort. »
Premonitoire :
« Beaute de la litterature. Je perds une vache. J'ecris sa mort et pa me rapporte de quoi acheter Line
autre vache. »
Et toujours misogynepur et dur :
— « Ah ! Faire son voyage de noces tout seul. »
— « II n'y a pas de remedes de bonne femme contre les mauvaises. »•
— « Si l'homme a ete cree avant la femme, c'etait pour lui permettre de placer quelques mots. »
Ce Nivernais se mefiait de r existence factice de Paris : « (Test dans les cafes de la capitale qu'il
taut voir la hideuse humanite. » Ce qui ne Tempeche pas de guigner les honneurs : membre de la Societe
des gens de lettres, et lorsqu'il est candidat a rejection a l'Academie Goncourt, au fauteuil de Huysrnans.
il ne desarrne pas : « Je ne m'interesse comme futur membre qu'a la sante de ces messieurs. N'y en a-t-il
pas un qui soit malade ? »
Mai informe enfin, lorsqu'il ecrit : « Je ne suis plus capable de mourir jeune », puisqu'il meurt
prematurement a quarante-six ans, non sans avoir eu un dernier eclair de lucidite : « Le paradis n'est pas
sur la terre mais il y en a des morceaux. II y a sur terre un paradis brise. »
Ainsi mourut celui qui voulait comme epitaphe : « A Jules Renard, ses compatriotes indifferents. »
Repp, Pierre (1909-1986)
En voila un qui m'a fait beaucoup rire, et qui m'a aide a faire rire les autres. II me suffisait de
1'imiter pour faire vibrer les foules et declencher de memorables fous rires, surtout, encore une fois* chez
les jeunes filles enamourees de mon adolescence. Un true infaillible pour essayer de les seduire. Et <pa
marchait ! Pas facile pourtant d'imiter Pierre, Alphonse, Leon, Frederic Bouclet, alias Pierre Repp,
pietre comedien, ne en 1909 dans le Pas-de-Calais, mauvais acteur, mais bafouilleur excepuonnel. Pour
les plus jeunes d'entre nous qui n'auraient jamais entendu parler de lui, imaginez un petit bonhomme au
museaude musaraigne qui surgissait Fair ebahi sur scene, pour vous expliquer « la recette des crepes »,
les fameuses « crepes a la ficonnire » et qui commentpait a s'emmeler dans ses explications, en multipliant
borborygmes, onomatopees et embrouillaminis drolissimes, mais toujours tres habilement maitrises.
C^etait sa grande force. Unique en son genre, il ne se contentait pas de buter sur les mots, il en proposait
d'autres, souvent des synonymes, et s'arrangeait meme a produire parfois des contrepeteries.
Repp ne begayalt que sur scene, contrairement a Sagan ou Blondin. qui eux begayaient aussi dans la
vie. Malgre une importante filmographie ou il n'apparaissait jamais en pole position, il ne reussit pas a
s'imposer au cinema ou a la television, surtout lorsqu'il s'obstinait a jouer des roles oil il ne devait pas
bafouiller, puisque le public n'atiendait qu'une chose de lui, qu'il fasse « le begue ».
Certes, le cornique de repetition est un artifice tlieatral connu, mais dans le cas de Repp, cela releve
du grand art, car il ne se contente pas de repeter, il invente un langage qu'il fait mine de decouvrir a la
seconde. Des qu'il s'agit de nouveaux mots, de langage insolite et impromptu, je suis evideinment de la
partie, et cela explique ma tendresse pour ce petit homme discret et efface, surtout lorsqu'il se presentait
comme « premier sinistre ».
Pierre Repp est rnort le l er novembre 1986.
Ribes, Jean-Michel
Reconnaissable entre mille, Fhomme avec ses lunettes rondes, son crane degarni et son petit bouc
dirige le theatre du Rond-Point depuis 2002. II est auteur et metteur en scene d'une vingtaine de pieces,
dont mes preferees : Les Praises musclees (1970), Un garcon impossible (2009), Les Diablagues
(2009) de Roland Dubillard et Les Nouvetles Bre\>es de comptoir (2010) de Jean-Marie Gourio.
Homme de television, il ecrit et realise de nombreux telefilms et les deux series decapantes Merci
Bernard (1982) et Palace (1988) avec Roland Topor, Jean-Marie Gourio, Francois Rollin et Gebe.
Pour le cinema, il ecrit et realise entre autres La Galette du rot (1986) txMusee haut, musee has
(2008). Acteur. il joue aussi daas une vingtaine de films. Bref, Jean-Michel Ribes est un hoinme coinplet.
Fils de Pierre Ribes et de Jeanne Bernardet, il fonde en 1966 la compagnie du Pallium, avec le
peintre Gerard Garouste et le comedien Philippe KJiorsand. 11 cotoie a celte epoque Roland Topor,
Jerome Savary, Fernando Arrabal, Copi. Des jeunes acteurs comme Andrea Ferreol, Roland Blanche,
Gerard Darmon. Daniel Prevost, Roland Giraud, Michel Elias rejoignent sa compagnie. II a fait du Rond-
Point une rnaison de creation qui a fete en 2012 son dixieme anniversaire. C'est un grand marche du
theatre avec des centaines de spectacles et trois cents auteurs joues dans un grand desordre tres organise.
Pour moi, Ribes est celui qui a imagine les deux volumes duRire de resistance qui sont des
manifestes d'insolence libertaire pour saluer ceux qui, de « Diogene a Charlie Hebdo » (tome I) et de
« Plaute a Reiser » (tome 2), ont resiste a tous les pouvoirs par le rire et F humour.
Riche idee que d'oser iinaginer cette salutaire petite encyclopedic : « Ou sont, comme le dit Ribes,
rassembles tous ceux et celles qui nous ont liberes du poids du serieux et de Fhegemonie du
raisonnement. w
On savait que le rire pouvait etre une arme offensive d'une remarquable efficacite pour bousculer
Fordre etabli, mais Ribes a eu rnille tbis raison de rappeler comment le rire peut etre aussi capable de
nous proteger pour resister face a ^oppression ou au tragique de notre condition.
C'est ainsi que Rabelais, Jarry, \bltaire. Picabia, Duchamp, Coluche et d'autres sont celebres dans
cette encyclopedie duRire de resistance pour rappeler que ceux qui onl choisi de rire pour nous liberer
des pesanteurs du monde sont plus nombreux qu' on ne le pense, ce qui me permet de rappeler a quel point
le rire doit etre pris au serieux.
Certains se sont pose la question face a la demarche de Jean-Michel Ribes : est-ce bien necessaire de
vouloir mettre Faccent sur le « rire de resistance » dans un pays liberal et democratique comme le notre ?
La situation ne s'est pas a ce point degradee pour que seul le rire puisse nous sauver.
Non. bien sur, chez nous le « rire de resistance » n'est pas vraiment de mise, il est, et c'est domrnage,
plutot remplace par un rire tiedasse de pur divertissement. On trouve le vrai « rire de resistance » dans
les pays oil la liberte est bafouee : « En Iran, la population s'envoie des blagues par SMS », confirrne
Jean-Michel Ribes, et il ajoute : « Le rire est une boufPee d'oxygene qui permet de tenir le coup, une
boule de cyanure a l'envers, qu'on avale au dernier moment pour survivre. Historiquement, r humour a
loujours cree des espaces de liberie. II place une faille dans le couvercle du consensus etouffant »
En 2007 dans Teferama, Erwan Desplanques et Michel Abescat citaient r excel lent livre de
l'historienne Amandine Regamey, dont la couverture exhibait un Karl Marx afllible d'un nez rouge, avec
en litre une blague tres en vogue a l'epoque sovietique : « Proletaires de tous les pays, excusez-moi ! »
Pour elle, cet humour etait le seul moyen de souder clandestinement la population et produire une sorte
d'exorcisme collectif : « Humour (noir) contre tyrannie (rouge). » Et elle cite ce que proposaient les juifs
d'Allemagne apres 1933 : « Echange une peinture de Van Dyck contre une grand-mere aryenne... »
Reste a savoir si le « rire de resistance » doit desamorcer ou cogner ? Vaste debat que Jean-Michel
Ribes a eu le courage d'initier, et qui merite vraiment d^etre prolonge. Pour Philippe Tesson, Ribes est
d'abord un poete, done un resistant : « On aimerait qu'il le soit davantage encore, qu'il casse toute la
baraque et qu'il elargisse le champ de son impertinence, jusqu'a le pratiquer aux depens de ses amis. »
Message transmis...
Rire, Le
Est-ce bien raisonnable de disserter. de raisonner, de deraisonner, d'ergoter, d'epiloguer, de
chicaner, d'induire. de deduire, de retorquer, de demontrer, de prouver, bref d'argumenter autour d'un
sujet aussi grave que le rire dans un ouvrage d'humour ?
« Rien n T est plus serieux dans ce bas monde que le rire », ecrivait Flaubert en enurnerant la quantite
d'eeuvres qui ont inspire le sujet. Je nVinterroge, est-il bien « serieux » d' essayer d'en debattre dans la
legerete ? Je ne vois qu'une solutioa essayer d'en rire comme Louis Scutenaire, pour qui « le rire est une
facon de se tirer d'embarras sans se tirer d'affaire ».
Mais avant de rire du rire, on peut se demander pourquoi des ecrivains ou des philosophes comrne
Baudelaire, Bergson, Freud, Jeanson ou Jankelevitch se sont autant penches sur la question. Plus pres de
nous. Dominique Noguez pretend que Ton emploie ce mot pour designer « toutes sortes de choses qui ont
ires peu a voir avec lui, sourire, gaiete, comique, ridicule, grotesque, satire, raiLlerie, ironie, sarcasme,
derision, plaisanterie, farce, canular, caricature, pastiche, parodie, esprit, saillie, pointe et rnerne
humour ». Pour lui, te rire est un faux ami, mais est-il oui ou non le propre de rhomme ? En clair, est-il
Fapanage de notre espece ? Pour Aristote e'est evident, « aucun animal ne rit, sauf rhomrne ». \bila un
probleme regie, bien que Rabelais tienne a preciser que si la « beste » ne rit pas, e'est parce qu'elle ne
possede pas d^ame rationnelle « en la teste » et que la vocation de rhomme est de rire et non de pleurer.
n n'empeche qu'au Moyen Age, on ne rigolait pas avec Le rire qui etait d"incitation salanique, et le
meilleur moyen de s'en proteger etait : « une saine hygiene de la bouche pour le reprimer », comme le
rappelle Thistorien Jacques Le GofTqui, au passage, pose la vraie question : « Jesus a-t-il ri ? »
D'apres Jean Chrysostome, le rire etant a condamner au meme litre que le peche, Jesus n'aurait
jamais ri et Gerard Genette d'en rajouter une drole de couche : « Selon le meme principe on pourraitdire
qu'il n'a jamais eternue, tousse ni meme respire. »
En 1900, Bergson publiait son livre essentiel Le Rire, essai sur la signification du comique. ou il
s'attachait a rechercher le caractere commun de tous les objets dont on rit : « Que signifie le rire ? Qu'y
a-t-il au fond du risible ? Que trouverait-on de cornmun enlre une grimace de pitre, un jeu de mots, un
quiproquo de vaudeville, une scene de fine comedie ? Quelle distillation nous donnera l'essence, toujours
la meme, a laquelle tant de produits divers ernpnmtent ou leur indiscrete odetr ou leur parfiim delicat ? »
11 demontre qu'on ne peut rire qu'en groupe, car « le rire cache une arriere-pensee d'entente et de
complicite avec d'autres rieurs reels ou imaginaires », et le psychanalyste Daniel Sibony pense que « le
rire a une portee symbolique transmetteuse de vie qui engage notre rapport a l'etre, aux autres et a nous-
memes. Le rire libere ou plutot decharge une curieuse charge signifiante dont on a rec-u le choc ».
Pour s'en tenir a des considerations moins philosophiques et plus terre a terre, je pense que le rire est
une exceptionnelle experience de liberie, et la reponse a la fameuse question de Desproges : « Peut-on
rire de tout ? Oui, mais pas avec n'importe qui », la tarte a la creme des medias, n'est pas evidente.
Je rejoins sur ce point Francois Roll in qui repond : « Oui, on peut rire de tout pourvu que ce soit
drole pour soi, et personne ne peut decider a notre place si Ton est en droit de rire ou pas. » En clair, il
est interdit de discipliner le rire et le codifier serait liberticide, comrne le montrent ces quelques
definitions qui me font « rire de rire » cornme disait Prevert :
— « Nous sommes ici-bas pour rire. Nous ne pourrons plus rire au purgatoire ou en enfer, et au
paradis ce ne serait pas convenable » (Jules Renard).
— « Qui donne aux pauvres prete a Dieu. Qui donne a l'Etat prete a rire » (Tristan Bernard).
— « Qui prete a rire n' est jamais sur d'etre rembourse » (Raymond Devos).
— « Lorsqu'un humoriste declenche des rires imprevus, sa premiere reaction est dc verifier si sa
braguette est ouverte » (W. C. Field).
— « L'hornme souflre si profondement qu'il a du inventer le rire » (Frtedrich Nietzsche).
— « Un oignon suffit a faire pleurer les gens mais on n*a pas encore invente le legume qui les ferait
rire » (Will Rogers).
— « Jamais nous ne sommes plus heureux que quand nos plaisanteries font rire la bonne » (Jules
Renard).
— « Si l'homme des cavernes avaitsurire. le cours de l'Histoire eut ete change » (Oscar Wilde).
— « Dis-moi de quoi tu ris. et je te dirai qui tu es » (Marcel Pagnol).
— « Les mots en ont toujours un pour rire » (Bernard Pivot).
Et j^ajouterai pour terminer sur une note franchement gaie : « Mourra bien qui rira le dernier »
(Jacques Prevert).
Rivarol, Antoine (1753-1801)
Antoine Rivarol, ne au cours du xvin c siecle qui s'est si mal termine pour les aristocrates, n'avait pas
eu une tres bonne idee en decidant de devenir comte de Rivarol, chevalier de Parcieux. Comme Chamfort
son contemporain, il avait frequente les memes salons et usurpe ses titres de noblesse. C'est a Berlin
qu'il fut nomrne membre associe de l'Academie pour son Discours sur I'universalite de la langite
francaise, ou il insistait sur ce qu'il considerait comme la principale qualite du rrancais, la clarte : « Ce
qui n"est pas clair n'est pas francais. »
En fait, Rivarol etait d'abord un homrne d'esprit, et son Petit Almanack des grands homines (1788)
est un florilege de vacheries. II se moque de tout, des ringards de la litterature et de la politique, ce qui
lui attire une collection d'ennemis qui Iui meneront la vie dure. II denonce aussi la noblesse et les
intrigants, ce qui ne rernpeche pas d'etre promis a la guillotine. II Tevite de peu en s'exilant en 1792 a
Bruxelles oil il restera deux ans.
Lorsqu'on lui dit : « Ces mots ont depasse ma pensee », il repond : « lis n'ont pas du aller bien
loin. » A un autre qui lui annonce qu'il « lui ecrira sans faute », il n'hesite pas : « Mais non, ecrive2-moi
comme a votre ordinaire. » II disait du Ills de Buffon : « C'est le plus pauvre chapitre de rhistoire
naturelle de son pere. » De Mirabeau : « II est capable de tout pour de Targent, meme d'une bonne
action. » De Marat : « Le pauvre, il n'a pas eu de chance, pour une fois qu'il prenait un bain. »
En 1797 il decide de se consacrer a un dictionnaire de la langue fran9aise, dont il ne publiera en fait
que Ie Discours preliminairt *. II voyage en Hollande., en Angleterre, en Allemagne, a Hambourg puis a
Berlin, ou il meurt brusquement en 1801, non sans avoir redige son epitaphe : « La paresse nous Pavait
ravi avant la mort. »
En 1808 paralt un premier recueil de bons mots, L' Esprit de Rivarol r puis, beaucoup plus tard, en
1836. ses Pensees inedites.
II est injuste d'associer Rivarol a Textreme droite, sans doute parce qu'un hebdomadaire proche de
cette mouvance (entre 195 1 et 2008) portait son nom, en reference a son engagement antirevolutionnaire
et anticonformiste. II etait certes royaliste, mais avant tout il detestait la betise. On le disait pretentieux
mais il avait de grandes qualites litteraires, et ce visionnaire ecrivait en 1790, en prefigurant Napoleon :
« Quand on succede au peuple, on est despote. »
Rollin, Francois
Encore un qui, bien que nous soyons amis, continue a m'impressionner. Ne en 1953 a Dunkerque et
diplome de l'ESSEC, il n'avaitdufait meme aucune raisonparticuliere de « faire clown ».
D'abord journaliste au Monde puis a Fhtide glacial^ c'est la serie televisee Palace qui va asseoir sa
notoriete. Depuis, on Le retrouve partout avec ses propres textes, mais aussi avec ceux, et ils sont
nombreux, qu'il a ecrits, coecrits et souvent mis en scene pour ses camarades : Jean- Jacques \fonier,. Guy
Carlier, Arnaud Tsarnere ou Vincent Roca.
Rollin, c'est aussi Tun des complices des Guignols (la « boite a coucou » de Johnny, c'est lui). Mais
c'est avant tout le professeur Rollin qui lui inspire par exeirple, en 2007, Les Belles Lettres du
professeur Rollin. Un regal ! Imaginez cinquante-neuf modeles de lettres supposees etre utiles en toutes
circonstances, et qui vont d'une demande de causerie au roi d'Espagne a la recette du gaspacho, en
passant par les traditionnelles lettres d'amour et de rupture. Hilarant, surtout parce que ce malade de la
langue, et c'est la-dessus que nous nous rejoignimes, fait suivre ces lettres de diverses explorations
lexicologiques autour de mots aussi austeres que « petaouchnok », « gougnafier » ou a cenobite ».
Francois a fait des apparitions remarquees., selon la formule consacree, dans plusieurs films, dont
Fauteuils d'orchestre de Daniele Thompson, pour ne citer que celui-la. Mais il est avant tout rhomrne de
theatre, seul en scene avec son spectacle phare et dejante Coleres, ou il incarne le personnage de Jacques
Martineau, reac et conservateur, si je peux me perrnettre encore ce pleonasme, terrifiant et attachant a la
fois, paranoi'aque ordinaire, hermetique a toute espece d'humour et fmalement hors de lui, mais plus
pathetique que redoutable.
A ne pas manquer non plus son role du roi Loth d'Orcanie, dans la serie televisee Kaamelott* ou il lit
un discours de politique militaire mais n' arrive jamais a le finir, car il ne cesse de s'interrompre pour
critiquer son contentL Dans cette serie, une de ses grandes compositions est son poerne de huit lignes,
Vertiges, sur lequel il brode un sketch qui lui servira de base pour le discours en question :
« Hier matia ma mere est allee au marche.
Maman a du marcher pour aller au marche.
Elle y a achete un petit potiron pour la somme de seize francs soixante-quatorze tout rond.
Quand elle a eu reinpli son panier a pro'sions, elle etait ra-vi-vie et prit une decision : Puisqu'on
trouveau marche de si beaux potironsj' vais le dire a tous mes potes, et ils vonttousy aller »...
Mais, le plus drole, c'est Texplication qui en est faite par le professeur Rollin, face a un presentateur
qui lui demande quelques eclaircissements sur les rimes ; « Parce que je comprends ce qui vous fait
ricaner, c'est que je dis "seize francs soixante-quatorze tout rond", hein, alors que seize francs soixante-
quatorze ce n'est pas tout rond, c'est 9a ? Alors, simplement, je vous ferais observer une chose, c'est
qu'il fallait que je fasse la rime avec potiron, et je rfavais pas un choix infini, parce que j'ai regarde
nalurellemenl, je ne suis pas si fou, eh bien j'avais : aileron, aviron, biberon, baron, clairon, environ,
fanfaron. forgeron, macaron, marron, percheron, puceron et vigneron [...].»
Voila ungarconqui ira loin... entoutcas je Tespere, pour lui, et surtout pour nous.
Romains, Jules (1885-1972)
Ce serait une grossiere erreur de ne pas mentionner ici le succulent Louis Farigoule, alias Jules
Romains, ne en 1885 dans le Velay de ses ancetres. Pour les plus jeunes qui n'ont peut-etre jamais
entendu parler du pere de Knock, c'est le moment de faire connaissance.
Cet agrege de philosophie et normalien n'en etait pas moins un homme d'humour qui le prouva en
commettant des 1913 Les Copains, 1'histoire d'une joyeuse bande d'amis qui monte un enorme canular,
en tirant de leur torpeur deux vieilles sous -prefectures d'Auvergne.
Poete et romancier, il est aussi un auteur de theatre fecond avec Monsieur Le Trouhadec saisi par la
debauche et Knock ou le Triomphe de la medecine. Une farce satirique mise en scene et interpretee par
le grand Louis Jouvet en 1923. Encore un canular, mais qui tourne cette fois au grandiose dans la plus
grande tradition molieresque, lorsquMl vise le charlatanisme de certains medecins et Tinsondable
credulite de leurs clients. C'est 1'histoire du bon vieux docteur Parpalaid qui a vendu a Knock sa
clientele d'un village de montagne, Saint-Maurice. Mais Knock decouvre vite qu'il n'a pas fait une bonne
affaire, car la clientele en question est presque inexistante. De son cote, Parpalaid a des doutes sur les
pretetidus diplomes de Knock, qui afifirme etre « doctoral ement docteur »... Aussitot arrive a Saint-
Maurice, Knock passe a Taction ; le tambour de ville annonce une consultation gratuite pour appater une
population avare. Aussitot dit, aussitot fait, et « la dame en noir », une solide paysanne de quarante-cinq
ans, se presente a la consultation. Knock Tausculte d'abord financierement et decouvre qu'elle a de quoi
payer, il lui annonce que ca lui en coutera environ « le prix de deux cochons et deux veaux ». II Lui
apprend ensuite, sur le ton d'une voyante extralucide, qu'elle a du etant petite tomber d'une grande
echelle et que c'est sans doute « la fesse qui a porte ». Arrive le moment du diagnostic :
« la dame : Mais qu'est-ce que je peux done avoir de si terrible que 9a ?
K.NOCK (avec une grande courtoisie) : Je vais vous l'expliquer en une minute au tableau noir. (II va
ait tableau et commence un croquis.) \foici une moelle epiniere, en coupe, tres schematiquement, n'est-
ce pas ? \bus reconnaissez ici votre faisceau de Tiirck et ici votre colonne de Clarke. \bus me suivez ?
Eh bien ! quand vous etes tombee de Techelle, votre Tiirck et votre Clarke ont glisse en sens inverse (il
trace des jleches) de quelques dixiemes de millimetre. \bus me direz que c'est tres peu evidemrnent.
Mais c'est tres mal place. Et puis vous avez ici un tiraillement continu qui s'exerce sur les multipolaires.
(11 s 'essuie les doigts.) »
La meme scene se reproduira avec d'autres patients : « la dame en violet » ou encore « les deux
gars » venus pour se moquer. et qui ressortent avec des mines hagardes et terrifiees.
Quand Parpalaid revient trois rnois plus tard, il trouve Saint-Maurice transforme en hopital. Knock
est devenu un heros et un bienfaiteur. II arrive meme a persuader son confrere qu'il est malade !
Franchement, si vous n'avez pas encore lu Knock, il n'est pas trop tard, et vous ne le regretterez pas.
Du vrai Moliere, vous dis-je !
Le portrait de Jules Romains ne serait pas complet si je ne mentionnais pas son ceuvre rnaitresse et
grandiose, Les Homines de bonne volonte\ dans laquelle il brosse en vingt-huit volumes (!) une vaste
fresque de la vie politique, economique et sociale entre 1908 et 1933. Cette saga fait furieusement penser
a Balzac et a sa Comedie humaine.
Jules Romains, qui flit elu en 1946 a PAcademie franchise, est mort a Paris en 1972.
Roussel, Raymond (1877-1933)
II parait que cet homme etrange et excenlrique etait milliardaire. Dans son premier poeme ecrit a dix-
sept ans, il note : « Mon ame est une etrange usine. »
Ne a Paris, dans une famille ostensiblement riche : Torpedo, yachts, somptueuses villas sur la Cote
d'Azur, Ie jeune Raymond s'ennuie, mais il decide d'ecrire des livres... si bizarres et si peu
commerciaux qu'il doit les editer lui-meme. Cet echec le rendra neurasthenique jusqu'a sa fin tragique a
Palerme, en 1933, dans la chambre 224 du Grand Hotel, les veines ouvertes au fond d 1 une grande
baignoire en fonte. Mais pourquoi le faire figurer dans le ci-present ouvrage ? Parce que Roussel, malgre
son faible succes aupres de ses contemporains, etait un inventeur de genie, non seulement a cause de son
ecriture, on Ie verra plus loin, mais aussi dans d'autres domaines bien difFerents : depot d'un brevet sur
l'utilisation du vide, formulation aux echecs « d'une methode de mat dans le cas de la finale roi, fou et
cavalier contre roi seul », decouverte d'un theoreme mathematique, etc.
Fan de Pierre Loti et de Francois Coppee, il eut le privilege de rencontrer Proust et Jules Verne, il
s'essaya sans succes au theatre, puis, apres avoir visite l'Egypte de fond en comble, il met cinq ans, en
travaillant jour et nuit, pour commettre ses Impressions d'Afrique (1910). Encore un echec, mais
Apollinaire. Ducharnp et les surrealistes coinmencent a s'interesser a lui parce que son style est
deconcertant. Plus tard, dans Comment j 'm ecrit certains de mes iivres, il expliquera les mecanismes de
cette curieuse ecriture imaginaire.
C'est la premiere fois que, dans rhistoire litteraire, un auteur utilise seulement les mots el jamais les
sentiments. II se fout des personnages et de r intrigue, rien que des mots nus pour developper le recit. D
joue sur la confusion possible entre deux phrases et les manipule. Ainsi : « Les letlres du blanc sur les
bandes du vieux billard » et « Les lettres du blanc sur les bandes du vieux pillard. »
On peut le considerer comme un precurseur des surrealistes et des oulipiens, et il sera considere
comme rnembre des fameux « fous litteraires » repertories par Andre Blavier en 1989.
Roussel avail une jolie maitresse, Charlotte Dufrene, qui n'etait en fait qu'un paravent, car il etait
homosexuel et friand d'ephebes et de mar ins en goguette. Ses repas duraient cinq heures et conprenaient
une vingtaine de plats. II entretenait trois cuisiniers, trois jardiniers, trois Rolls-Royce, deux valets de
pied, une lingere et une gouvernante.
A partir de 1925, il se deplace dans une roulotte automobile, une espece de Nautilus terrestre de neuf
metres de long, avec cuisine, chambre a coucher, logement de domestiques et salle de bains. Son cliien
fiime la pipe et il recommande aiix lecteurs de ses Impressions- d'Afrique qu'« ils ont avanlage a lire ce
livre d'abord de la page 212 a la page 455, ensuite de la page 1 a la page 21 1 ».
Son ceuvre breve, dont je vous propose un exlrait, je le reconnais assez hermetique, a parait-il suscite
des dizaines de volumes de commentaires a rimage des plus grands (Rabelais, Flaubert, Queneau). C'est
plutot bonsigne :
« L 'ombre, vers midi sur le cadran solar re
Mont ran f que I 'estomac reclame son salaire
Par le gel, le nidt-on, le metre etalon
Defiant la crotte un retrousse pantalon
Un journal sur la planche a trou d 'un edicule
La hotte a reiaper dont le talon s 'ecule
Ce qu 'atteniifdecoiffe a coups d' angle un rabbin
Lorsqu 'il met le convert la pile d 'un larbin
Mu par un barbier, un dossier de fauleuii tiede
Le metre, an reveii qu 'un soldat ancien possede
Juliette, au gala d 'Ejur, et Romeo
Par deux mimes enfants faits gratis pro Deo... »
Saki (1870-1916)
On a ecrit que Saki elait sans conteste Tun des ecrivains les plus originaux, les plus droles et les plus
noirs duxx? siecle. Rien que 9a ! Raison de plus pour le saluer Ici, car il merite en eifet ce concert de
louanges au me me titre que son contemporain Wodehouse. On dit aussi que ses ecrits rappellent le
fanlaslique de certains contes de Kipling. Gilles Barbedette disait de lui dans Le Monde : « Ce qui tient
le lecteur rive a cette ecriture au vitriol, c'est Paudace des personnages de ses nouvelles. II nous fait en
effet traverser des jungles mondaines et cocasses grace a de merveilleux guides. »
Mais qui etait Saki (de son vrai nom Hector Munro) ? Ne en 1878 en Birmanie, il perd sa mere tres
jeune ainsi que son pere, colonel de Parmee des Indes. II sera alors eleve par deux vieilles tantes
autoritaires ; resultat : une enfance triste et morne. II devient journaliste et ecrivain en Angleterre sous le
pseudonyme de Saki, en reference a un personnage du poete persan Omar Khayyam Apres avoir ete
correspondant a Petranger, il frequentera surtout les salons londoniens, y rassemblant la matiere de ses
« croquis » publics dans la Westminster Gazette entre autres. Un humour devastateur, mordant, centre les
extravagances et les hypocrisies de la bonne societe edwardienne, ou les femmes en particulier ne sont
pas menagees. C'est en lisant77;f Chronicles of Clovis, publiees en 191 1, que j'ai pu apprecier et
admirer son talent pour saisir les conversations sur le vif.
A quarante-cinq ans, il sera tue au front en 1916, apres s'etre engage volontairement. Ses nouvelles
ecrites pendant la guerre seront publiees en 1924 sous le titre The Square Egg.
Saki tenait sans doute son gout pour les plaisanteries macabres et les farces et attrapes de son enfance
epouvantable, ou il s'est forge cet humour cruel et glace qui jalonne son ceuvre. On retrouve toujours daas
ses nouvelles des jeunes gens qui echangent des repliques empoisonnees avec P accent d'Oxford et des
petites filles qui jouent d'horribles tours a des grandes personnes agees. Le tout dans un decor de joueurs
de tennis et de maisons de campagne aisees. Par exemple, la petite Matilda qui essaie d'expliquer a une
vieille dame pourquoi elle est punie :
« \bus comprenez, reprit Matilda, je suis un peu en disgrace. Je sejourne chez ma tante, et on m'a dit
que je devais me conduire particulierement bien aujourd'hui. car des tas de gens doivent venir pour une
garden-party ; on m'a recomrnande d'imiter Claude mon jeune cousin qui ne fait jamais de betise sinon
accidentellement, et alors il s'en excuse toujours. On a estime, paralt-il, que j'avais mange trop de
marmelade de framboises, alors que Claude, selon eux, n ? en mange jamais trop, lui. Or Claude dort
toujours une demi-heure apres le dejeuner parce qu'on le lui dit ; alors j 'ai attendu qu'il soit endormi, je
lui ai ligote les mains et j "ai commence a lui faire avaler de force tout un compotier de marmelade de
framboises qu'on gardait pour la garden-party. »
C'est Saki qui est a Torigine de cette jolie reflexion : « L'imaginauon a ete donnee a rhomme pour
compenser ce qu'il n'est pas. L* humour pour le consoler de ce qu'il est. »
Satie, Erik (1866-1925)
Apprecierais-je autant la musique d'Erik Satie et ses sublimes Gymnopedies si, en Ies ecoutant, je
n'avais en memoire le destin et 1 "humour de ce personnage qui se presentait en disant : « Quand j'etais
petit, je m'appelais Erik Satie, comme tout le monde » ?
Comment n'etre pas fascine par cet homme qui. bien qu'ayant pris « en haine et la musique et le
conservatoire », des ses huit ans, passera les trente-neuf annees de sa courte vie a composer et a
frequenter les musiciens de son epoque. qu'il a si souvent influences ?
Comment ne pas se laisser seduire par un pianiste qui recommandait de « ne jamais accorder son
piano : on entend moins bien les fausses notes », et un compositeur qui donnait a ses ceuvres des litres
aussi delirants que Airs a faire fuit% Dames de t ravers, Morceaax en forme de poire \ Sonatine
bureaucrat ique, Vieux Sequins et Wei I les Cuirasses., Prelude en tapisserie, Preludes flasques (pour un
ehien). Trots Valses distinguees du precieux degoute ? Des titres qu'il defendait avec ferveur dans un
dialogue extravagant avec Claude Debussy :
« Dis-moi, Satie ! Pourquoi viens-tu d'appeler ton dernier cahier Veri tables Preludes J las ques ?
— Mon cher Debussy, on trouve bien dans tes Preludes « la terrasse des audiences au clair de lune »
et « la cathedrale engloutie ». ..
— Mes titres veulentdire quelque chose !
— Je t'assure que les miens aussi veulent dire quelque chose : les Croquis et Agaceries d r un gros
honhomme en hois plaisent beaucoup au fils de ma concierge. Tu as bien dedie ton "Children's corner" a
ta fllle Chouchou, je peux bien dedier les Croquis et Agaeeries au fils de ma concierge, c'est un petit qui
a beaucoup de gout !
— Je n-y vois aucun inconvenient, mais je prefererais de beaucoup que tu ne m'appelles plus "rna
bonne dame" quand je recois Ravel et Stravinski... »
Comment ne pas se demander ce qui se passe dans la tete des pianistes qui jouent une paru'tion sur
laquelle « vivache » remplace vivace ou qui annoncent a un public distingue que la piece qu'ils vont
interpreter s'appelle Embryons desseches ?
Comment ne pas partager Tadmiration de Roland Manuel qui, s'enthousiasmant pour la comedie
[yriqueXe Piege de Meduse^ composee par Satie en 1921, rend a celui-ci la place de visionnaire et
d'inventeur de genie qui lui revientdans Phistoire de la musique etde la litterature ?
« Que Ton songe que Le Piege de Meduse precede de beaucoup les manifestations du mouvement
Dada, qu'il fut ecrit et represente dix ans avant le Manifeste du sur real isme, trente ans avant le theatre de
Ionesco (qu'il annonce par tant de traits), en un temps ou personne, sauf Satie lui-meme (et peut-etre
Alfred Jarry avant lui), ne s'etait avise que l'absurde put qualifier une philosophic et done une sagesse. »
Comment rarnoureux des mots et de Tabsurde que je suis pourrait-il rester insensible a ses ecrits ou
il joue aussi bien avec la langue etles idees qu'il le fait avec les notes ?
Un extrait pour en juger :
« L' artiste doit regler sa vie.
Voici Fhoraire precis de mes actes journaliers :
Mon lever : a 7 h 18 ; inspire : de 10 h23 a 1 1 h47. Je dejeune a 12 h 1 1 etquitte la table a 12 h 14.
Salutaire promenade a cheval, dans le fond de mon pare : de 1 3 h 19 a 14 h 53. Autre inspiration : de
15 h 12 a 16h07.
Occupations diverses (escrime, reflexions, immobilite, visites, contemplation, dexterite, natation,
etc.) :de 16h21 al8h47.
Le diner est servi a 19 h 16 et termine a 19 h 20. Viennent des lectures symphoniques, a haute voix :
de20h09a21h59.
Mon coucher a lieu regulierement a 22 h 37. Hebdomadairement, reveil en sursaut a 3 h 19 (le
mardi). [...]
Je ne dors que d'un ceil ; mon sommeil est ires dur. Mon lit est rond, perce d'un trou pour le passage
de la tete. Toutes les heures, un domestique prend ma temperature et m'en donne une autre. Mon rnedecin
m'a toujours dit de turner. 11 ajoute a ses conseils :
— Fumez, mon ami : sans cela, un autre furnera a votre place. » (Extrait de « Memoires d'un
amnesique. La journee d'un musicien », Revue musicale S.I.M., n° 2, l er fevrier 1914.)
Satie disait : « Je suis ne si jeune daas un monde si vieux. » II collectionnait les parapluies et les faux
cols, faisait parti e de I'ordre kabbalistique de la Rose-Croix, crea sa propre « Eglise metropolitaine
d'art de Jesus Conducteur », entama en 1893 une courte relation avec la peintre Suzanne Valadon, herita
la me me annee d'une somme d'argent qu'il dilapida avant de s ''installer a Arcueil dans un placard a
balais, tout en denoncant les mefaits de la capitale : « Lair de Paris est si mauvais que je le fais toujours
bouillir avant de respirer. »
En 1919, il rencontre Tristan Tzara et d'autres dadaistes comme Picabia, Man Ray ou Ducharnp. avec
qui il fabriquera unready-made.
Avec Page, sa misanthropie se radicalise : « Plus je connais les hommes, plus j'aime les chiens », et
aussi : « L'humour est la derniere tristesse. »
II meurt en 1925 non sans avoir fait remarquer, quand il avait cinquante ans : « Quand j'etais petit on
me disait : "Tu verras quand tu auras cinquante ans" ; j'ai cinquante ans etje n'ai rien vu. »
Scutenaire, Louis (1905-1987)
\feila un homrne qui avait Irouve la quadrature du cercle : « Je resous maintes questions en ne me les
posant pas », avait-il coutume d'affirmer.
Ne en 1905, il s'etait mis en 1940 a noter des « choses vues », aphorismes. conversations, rencontres,
historiettes, petits riens et grands touts : « J'ecris pour des raisons qui poussent les autres a devaliser une
banque, un bureau de poste, abattre un gendarme ou son maitre, detruire un homtne social. » Et pour etre
sur qu'on comprenne bien ou il voulait en venir, il avait fait ajouter un bandeau sur le premier des cinq
volumes de Mes inscriptions, son ceuvre majeure : « J'ose m'exprimer ainsi. »
\b\\A un homme « concu par faineantise probablement », mais beige de nationalite qui se decrivait
« marxiste tendance Groucho ». II etait contre tout mais proalbanais et probolchevique. Et quand je dis
contre tout, e'etait vraiment tout : Dieu, les femmes, les blindes, les oiseaux, les amis, les oignons, les
triglycerides, le pape et les pretres : « La plus ancienne profession du monde est helas celle de pretre. »
\bila un homme dont Frederic Dard disait « qu'il avait fait davantage pour la Belgique que le roi
Baudouin et Eddy Merckx reunis et, qui sail, la vie, la mort, r avant, Tapres, Tainere patrie, le
surrealisme, Ies frites, les cons, les mceurs, les larmes et la facon dont chez lui il doit eteindre au rez-de-
chaussee avant l'eclairer au premier pour ne pas faire sauter le compteur electrique », et qui ajoutait : « D
est une fois Scutenaire, et les Beiges n'en savent rien. »
Vbila un homme qui pretendait : « Avoir trop d'ambition pour en avoir », qui « ne pli[ait] le genou
devant rien ni personne parce [qu'il avait] de Tarthrose, ne cherch[ait] qu'a regarder la vie en farce,
n'[avait] aucune envie de se suicider parce [qu'il passait] sa vie a le faire, et qui [pensait] que tout
homme a droit a vingt-quatre heures de lucidite par jour ».
Voila un homme qui etait capable de fbrmules superbement senties :
— « "Je Tai echappe belle" est un idiotisme de la langue francaise et de P esprit humain. »
— « Le temps n' a jamais pris son vol. »
— « Le surdoue : on lui montre un poil, il voit le pubis. »
— « Je ne mens pas, je juxtapose. »
Vbila enfin un homme qui conchiait le surrealisme en general, parce qu'il detestait Breton : « S'il est
un mouvement qui fait penser a r Industrie sucriere, c'est bien le surrealisme ; peu de sue, beaucoup de
pulpe ». mais qui etait quand meme foncierement surrealiste, cornme ses amis Blavier. Chavee et
Dotremont, meme s'il arrivera a s'en detacher, trouvant Pinstitution empesee et commerciale.
11 etait toujours reste tres proche de Magritte pour les tableaux duquel il avait imagine certaias titres.
C*est en regardant un film a la television sur son ami qu'il meurt le 15 aout 1987.
« Une fois mort on se nourrit de soi-meme », disait-il.
Sedans, David
Quand j'ai decouvert David Sedaris, il etait deguise en elfe, tout habille de vert, chez Macy's a New
York, ou il s'etait fait embaucher dans les annees 1990 pour seconder Le pere Noel. II etait le heros de
SantaLand Diaries, la compilation de ses experiences dans ce grand magasin, lues a la radio en 1992,
qui Font revele cornme un humoriste hors pair. Depuis. il a enchaine les succes litteraires a tel point
qu'en 2008 il avait vendu plus de sept millions de livres.
Jeune, facetieux, il associe avec talent autobiographic et autoderision. Tous ses livres sont de la
meme veine, parsemes de reflexions sur sa famille, son enfance, les pays ou il a vecu, France et Japon,
entre autres, et Hugh son ami de cceur. Sans oublier ses autoportraits qui nous laissent hi lares et attendris.
Ma premiere lecture a ete When You Are Engulfed in Flames (2008), devenu par je ne sais quelle
prouesse de traducteur : Je suis tres a chevaf sur les principes (2009).
Dans cette galerie de portraits foisonnante, on rencontre Mrs Peacock, nounou de depannage pour les
enfants Sedaris. Cest elle qui I'a initie a la laideur : « Ce sont ses cheveux que j'ai remarques en
premier, ils etaient de couleur margarine et tombaient en vagues jusqu'au milieu du dos. [...] Seulement
vetue de son jupon. Comme sa peau, il etait couleur vaseline, une non-couleur, en fait. »
Parmi les femmes qui lui ont fait preferer les hommes, il y a aussi la vieille Helen qui flit plus tard sa
voisine. Grossiere, vulgaire, mais avec un cceur gros comme 9a. C'est David qu'elle charge d'aller
ramasser son dentier qu'elle a perdu alors qu'elle invectivait un voisin. HeureiLsement, il y a Hugh, qui
n'a que des qualites. En face de lui, David fait pietre figure, avec ses crises d'angoisse qui le paralysent :
« Des que je discute argent au-dela de 60 dollars, je commence a transpirer. Pas juste du front, mais de
partout. Au bout de cinq minutes a la banque, ma chemise me colle a la peau. Au bout de dix minutes, je
ne peux plus me lever de mon siege. J'ai perdu six kilos pour le dernier appartement,. et encore, je n'ai eu
qira signer. »
Ses fesses plates le desesperent : « Je n'ai pas de cul. D'autres, dans ma famille, sont plutot bien
pourvus a ce niveau, mais le mien consiste en a peine plus qu'une peche fletrie. » Le faux derriere
rembourre qu'il recoil pour Noel lui convient, meme si c^est un « popotin de femnie ». D'ou la deception
des inconnus qui croyaient suivre la doublure de Pamela Anderson...
Persuade que la meilleure facon d'arreter de flimer est de changer d'environnement, il choisit le
depaysement total. A Tokyo pour trois mois, il fait Tapprentissage de la difference a la piscine : « De
tous les gens presents, j 'etais le seul a avoir des poils sur la poitrine. »
Parrni ses autres livres, je me suis delecte avec Je purler franqais (2000), impregne de ses souvenirs
de jeunesse. On le voit adolescent, avec sa voix de fille et son cheveu sur la langue, dont rnerne
rorthophoniste ne pourra venir a bout, le condamnant a s'appeler « David Thedarith ». Et j'ai aussi un
faible pour son ultime tete-a-tete avec Neil, son vieux chat qui a ete incinere et dont il vient de recevoir
les cendres. Comme Neil etait du genre casanier, il lui rend rhommage qu'il merite : plutot que de
disperser ses cendres dans le jardin ou il ne s'aventurait jamais, il les repand sur le tapis du salon, puis
passe I'aspirateur. II fallait y penser... Ce nettoyage a sec effectue des potron-minet prend une dimension
biblique car, c'est bien connu, nous retournerons tous en poussiere. Meme les chats.
Sempe, Jean-Jacques
« Beaucoup d'elegance, un certain moralisme, une melancolie aux tons pastel, un arislocratique desir
de legerete, la douceur de sourire, le gout casanier du silence. Tart de la litote, le "mettons que je n'aie
rien dit" de Paulhan, une sensibilite a fleur de peau et une absolue indifference aux modes », tel est le
portrait delicat que fait de lui Jerome Garcin.
II n'y a pas plus francais que Jean-Jacques Sempe, mais d'un autre tenps, lui qui met encore une
plate-forme aux autobus parisiens ne sait pas dessiner une Smart, ce qui pourrait laisser penser qu'il est
inactuel, alors que le desarroi de ses petits bonhommes dans des villes gigantesques est on ne peut plus
contemporain. Le monde de Sempe est peuple d'individus qui nous ressemblent, tirailles que nous
sommes entre nos reves impossibles, nos angoisses et les mille tracas de notre quotidien. Tendre
chroniqueir de notre temps, il pretend detester le ricanement. Ce qu'il veut, c'est faire sourire avec des
personnages dont il se sent proche : « Ils sont mes semblables. En me moquant d'eux, je me moque de
moi-rnerne. C'est la difference entre rhumour et l'esprit : Tesprit consiste a rire et faire rire des autres,
rhumour a rire de soi. fl est tres rare que je trouve les gens ridicules. lis font ce qu'ils peuvent pour s'en
tirer dans la vie. »
L'un des dessinateurs les phis celebres du monde est en effet Tun des seuls Frangais a contribuer au
magazine The New Yorker. II Test devenu a la fois par hasard, il n'a jamais frequente la moindre ecole
artistique, etpar necessite : « Parce qu'il fallait bientravailler. £a n'a jamais ete facile. »
Sa vie de gamin est perlurbee par la mesentente de ses parents et Jean-Jacques murit avanl l'age, en
subissant un quotidien tres rude a Bordeaux, ou son pere adoptif, pelit representant en epicerie, peine a
boucler Ies fins de mois, car en plus il depense ses maigres emoluments dans les bistrots. On peut
imaginer que c'est parce qu'il a souffert pendant les premieres annees de sa vie que Sernpe a toujours ete
fascine par le monde des enfants. Dans un magnifique livre illustre sobrement intitule Enfances (201 1), il
se confiait a son ami de toujours. Marc Lecarpentier : « Mon enfance n'a pas ete follement gaie. Elle etait
meme lugubre et un peu tragique. » Mais il etait toujours soucieux de sauver les apparences, et reconnait
aussi qu'« il lui est arrive de devenir par moments raisonnable, mais jamais adulte ».
L'ecole ou il se montre chahuteur, rnais bon en francais, est un refuge. La radio lui assure une survie.
11 y apprend que Ton peut s'exprimer d'une autre facon que dans son milieu et ecoute des six ans
1'orchestre de Ray Ventura qui I'enchante. Vers onze ans, il lit des rornans policiers de Maurice Leblanc,
des magazines comme L 'Illustration, Confidences, Nous Deux auxquels les voisines de sa mere sont
abonnees ; tout ce qu'il trouve lui perrnet de ne plus faire de fautes d'orthographe, parce qu'il veut s'en
sortir, gagner sa vie et dormer de l'argent a ses parents. C'est vers douze ans qu'il commence a realiser
des dessins sans legende. Apres avoir quitte Bordeaux en 1951, il va vivre chichement a Paris en vendant
quelques dessins a la presse : « Quand je suis arrive a Paris, j'ai trouve les Parisiens tres gais. A
Bordeaux, les gens n'etaient pas naturellement souriants. J'ai ete tout de suite enchante par le metro, les
autobus, la fievre de la ville. Et surtout j'ai fait beaucoup de velo. Pendant trente ans, je suis alle partout
en bicyclette. » Sempe propose en 1952 de nouveaux dessins avec un petit garcon qu'il appelle Nicolas,
se souvenant d'une publicite de vins vue dans l'autobus. Rene Gosctnny, a qui on 1'a presente,
rencourage a reprendre son personnage et lui propose de travailler avec lui. Goscinny signe ainsi en
1954 vingt-huit gags, un par semaine, sous le pseudonyme d'Agostini alors que Sempe garde son nom :
« Le Petit Nicolas, c'est d'abord une histoire d'amitie. Nous avons mis nos souvenirs d'enfance en
partage. Je racontais a Rene mes histoires de football, de colonies de vacances, mes chahuts a l'ecole. Et
Rene Goscinny adorait interpreter ces souvenirs. Partant de ce que disais, il a brode tout autour, invente
tous les personnages, imagine des situations. »
Sempe qui s'avoue paresseux. mais qui continue a soixante-dix-sept ans a explorer la vie quotidienne
des gens, n" est jamais mechant. Rien ne lui echappe et, surtout, il s'arrange pour que tout le monde puisse,
en se reconnaissant dans ses dessins, se sculpter soi-meme. 11 jongle avec le trait, mais aussi la gouache,
l'aquarelle, la plume et 1'encre de Chine. Sempe n'est pas seulement un dessinateur, et surtout pas un
caricaturiste, c'est un veritable artiste.
Comme les oulipiens, il lui faut une « contrainte » et, pour lui, c'est le quotidien des gens, qu'ils
soient consommateurs ou musiciens, etc., a condition de rester dans l'intemporalite. Et lorsque Nathalie
Crom de Telerama lui demandait en 201 1 si pour lui « dessiner c'est saisir un instant ou raconter une
histoire », il repondait : « C'est une question terrible ! En fait, quand je commence un dessin je n'ai pas
d'idee preconcue sur ce qu'il doit etre. C*est lorsque j'y travaille qu'il se revele, s'il doit etre en
plusieurs images, ou pas. S'il a besoin d'etre accompagne d'un texte, ou pas, mais je n'ai pas d'idee
predefinie. » II ajoute aussi, que s'il s'escrime a decrire cette vie quolidienne derisoire, c'est pour rnieux
rire de lui-merne et de ses peurs.
L'oeuvre de Sempe est considerable, elle se compte en dizaines et dizaines d* albums, et des niilliers
de dessins que Ton pouvait admirer en 2012 a r Hot el de Ville de Paris, sans compter Ies films et les
docurnentai res consacres a sa vie.
« Mes personnages ne sont pas minuscules, a-t-il coutume de preciser. C'est le monde qui est grand. »
Bien vil
Sharpe, Tom
Brillant observateur de ses pairs et de leurs folies, Tom Sharpe. ne en 1928, fait ses etudes a
Cambridge, puis sert dans Ies Marines avant de s' installer en Afrique du Sud. II en est expulse pour avoir
ecrit une piece contre F apartheid. De retour en Angleterre, il enseigne l'histoire a Cambridge. Toutes ces
experiences ont fait de ce bourlingueur un expert en sciences humaines, car ses livres, faits d'outrances et
de delires, mettent en scene tous les falots, Ies frustres et les tordus qu'il a cotoyes.
Leurs rnanies et leurs defauts sont grossis jusqu'a rextrerne et eux-memes ont des comporternents
tellernent absurdes qu'on arrive a trouver une logique a Ieur invraisemblance. Leurs fantasmes les plus
fous sont suivis de passages a Facte a la fois insenses et coherents. Avec son regard impitoyable et sa
plume corrosive, Sharpe seduit et perturbe. II n'a pas son pareil pour decrire des personnages tout aussi
deranges que brillants. La demi-teinte ? II ne connait pas. Sa plume ignore Fesquisse et le subtil, se
nourrit du burlesque, du delirant, voire du vulgaire. Ses livres les plus celebres sont la collection des
Wilt qui lui valut le Grand Prix de r humour noir en 1986. Son dernier livre, redige dans sa Catalogne
d'adoption, estde la meme veine delirante : Le Gang des megeres inapprivoisees (2009).
Ma premiere lecture de Wilt ou Comment se sortir d'une poupee gonfiable m'a deroute. Situations
invraisemblables, heros dejantes, reactions excessives, c'etait/oo much. Du Benny Hill en livre de
poche. Je me suis done penche sur cette creature de caoutchouc et sur sa victime. Et j'ai eu la revelatioa
Revelation comico-absurde, of course. Henry Wilt est M. Tout-le-Monde, professeur desenchante, loser
absolu dont Texistence monotone est ponctuee de corvees. Un jour, alors qu'il sort le chien, ou que le
chien le sort, il decide que seul le meurtre de sa femme le Iibererait de sa vie minable. Eva, son epouse,
est une femme frustree « qui ne peut rester tranquille une minute sans ranger, nettoyer, faire briller et
laver ». La cuvette des WC, qu'elle inonde regulierement de Harpic, est sa fierte. Dans ses moments de
repit, cette desperate housewife cherche Tabsolu dans le judo, la danse orientale et la meditation
transcendantale. Mais, comme elle met autant d'energie dans la confection des bouquets japonais que
dans le maniement du balai, ses tentatives pour trouver Pepanouissement sont vaines.
Pour connaitre la suite de cet ouvrage extravagant, lisez-le ! Je ne voudrais pas vous priver du plaisir
de decouvrir vous-meme la fin de cette intrigue desopilante. Laissez-vous embarquer dans rimagination
debridee de Sharpe, en vous gaussant avec lui de ses cibles preferees : professeurs, flics, parvenus et,
surtout, les femmes.
Sliarpe est Fequilibriste de Tabsurde. II empile les situations qui ne tiennent pas debout avec une rare
maestria. II deboulonne la logique et donne une coherence a la folie. II nous fait rire de tout, rnanies,
obsessions, certitudes auxquelles on aime s'accrocher. Mais, a mon avis, il joue dans un registre si
particulier qu'un seul Wilt devrait suffire, car son dernier opus, Le Gang des megeres inapprivoise.es,
cite plus haut, m'a donne une legere impression de deja-vu-deja-lu, a Fexception de quelques mechantes
fonriules comme celle-ci : « Si les pauvres existent, c'est parce qu'ils ne font pas d'economies. » Les
femmes y sont toujours des fees du logis, Ies hommes toujours faibles, jusqu'a ce que tout s'agite et que Ie
delire chamboule leurs vies.
Puisse ce fringant octogenaire nous amuser encore longtemps.
Shaw, George Bernard (1856-1950)
En bon Irlandais, Shaw etait contre a peu pres tout, surlout Ies Anglais : « Je n'ai jamais admire le
courage des dompteurs, dans la cage lis sont a I'abri des Anglais. » Mais contrairement au proverbe :
« L'Anglais pense assis, le Francais debout, l'Americain en marchant, l'lrlandais a retardement », son
esprit etait particulierement vif.
Eleve par une mere incapable, dont il disait que : « Techniquement, elle etait la pire mere que Ton
put irnaginer. Elle avait deux servantes souillons, et on n'aurait pas pu leur confier trois chats, et encore
moms des enfants. » Ses annees de scolarite a Dublin sont des annees d'humiliation et de douleur.
Ne en 1856 dans une famille de petite noblesse protestante, il quitte a vingt ans Flrlande pour
Londres. Travailleur acharne et autodidacte opiniatre. il fait ses premieres armes en qualite de critique
musical, litteraire, artistique et theatral (il a ecrit soixante-trois pieces et vingt-cinq mille lettres...).
Activites qui lui convenaient parfaitement et qui servaient sa verve eblouissante et sa fantaisie naturelle,
avant de se tourner ensuite vers la politique. Apres avoir lu Karl Marx, une veritable revelation, il
denonce : « Le seul vrai peche a combattre : la misere. Le plus grand des maux et le pire des crimes, c'est
la pauvrete », en masquant la gravite de sa satire sous son esprit irresistible, ce qui donnera ses deux
ceuvres majeures, Pygmalion (1913) et Sainte Jeanne (1923).
II se plut aussi a faire descendre des piedestaux sur lesquels FHistoire Ies avait hisses certaias heros,
Napoleon dans The Man of Destiny ou Cesar dans Caesar and Cleopatra, mais aussi 1* amour et le
manage : « Le manage, c'est Phistoire d'un jeune homrne et d'une jeune fille qui cueillent une fleur et
recoivent une avalanche sur la tete. »
II recut le prix Nobel de litterature en 1925 et un oscar pour le scenario adapte au cinema de sa piece
Pygmalion, la celebreA/y Fair Lady. Sa correspondance pendant quarante ans avec I'actrice Stella
Campbell Lui donna le pretexte d'ecrire une autre piece, Cher merueitr, clin d'ceil aux caprices des
artistes, une piece grave, mais desopilante.
Ce vegetarien, au physique redoutable, etait un seducteur. Avait-il neglige de lire Shakespeare ?
« Mefie-toi des veuves. » Toujours est-il que Tune d'entre elles, Jenny Patterson, « Torageux cotillon »,
lui mit le grappin dessus. Ce n* etait que le debut de ses aventures amoureuses, car : « Les femmes se
jetaient a son cou et certaines, disait-il, pesaient cent kilos... » Malgre sa misogynie, il epousa a
quarante-deux ans une femme riche, Charlotte Payne-Townshend.
Etsi, comrne moi, certains aiment Shaw, je vous en propose un petit florilege :
— « Si les Anglais peuvent survivre a leur cuisine, ils peuvent survivre a tout. »
— « Ma man! ere de plaisanter, c'est de dire la verite, c'est la blague la plus drole du monde. »
— « Quand une femme du monde dit non, cela veut dire peut-etre ; quand elle dit peut-etre, cela veut
dire oui ; et quand elle dit oui, ce n'est pas une femme du monde. »
— « Le seul sport que j'aie jamais pratique* c'est la marche a pied, quand je suivais les enterrernenls
de mes amis sportifs. »
— « On peut beaucoup plus largement se passer des hommes que des femmes, c'est pourquoi c'est
eux qu'on sacrifie dans la guerre. »
— « Le whisky est une mauvaise chose, surtout le mauvais whisky. »
— « De toutes les perversions sexuelles, la chastete est la plus dangereuse. »
— « La mort ne m'impressionne pas, j'ai moi-meme, en effet, Pintention bien arretee de mourir un
jour. »
Ce jour-la tomba en 1950, un 2 novembre, a Ayot St Lawrence, le jour des defunts, et il legua une
partie de son heritage a une fondation chargee d 1 imaginer un nouvel alphabet phoneuque francais.
Splendid, Le
II semblerait que I'histoire de ce cafe-theatre ait commence en 1968-1969 au lycee Pasteur de
Neuilly-sur-Seine, plus precisement en classe de troisieme, ou trois eleves, Michel Blanc, Thierry
Lhermitte et Christian Clavier, ont. avec un eleve de seconde, Gerard Jugnot, monte une troupe de theatre
amateur, pour jouer une piece de Michel Blanc La concierge est dans I'escalier. Les quatre larrons sont
fans du Cafe de la Gare imagine en 1966 par Romain Bouteille, Henri Guybet et Coluche, dans une
ancienne fabrique de ventilateurs de la rue d'Odessa pres de la gare Montparnasse, a Paris, ou ils
installment leur petite troupe, Patrick Dewaere, Gerard Depardieu, Renaud et Sylvette Henry, alias
Miou-Miou. L'aventure ne durera que deux ans, mais elle donnera des idees a la bande du lycee Pasteur,
qui reve de les imiter. Pour apprendre le metier, ils suivent des cours d'art dramatique avec Tsilla
Chelton, l'actrice de Ionesco, et en 1972 ils se produisent au cafe-theatre du Poteau avec Non Georges,
pas ici. En 1975, ils s'installent dans une arriere-salle de bistrot qu'ils baptisent Le Splendid et jouent
une piece de Marie-Anne Chazel, encore une copine de lycee, avec Je vais craquer. Les rejoindront aussi
Josiane Balasko. Bruno Moynot Anemone, Dominique Lavanant el Martin Lamotte. Entre-temps, ils ont
emigre rue des Lombards.
Leur avenir va vraiment se jouer, e'est le cas de le dire, lorsque le producteur Yves Rousset-Rouard.
entliousiasme par leur piece Amours, Coquillages el Crustaces, inspiree par leurs sejours au Club Med,
leur propose de r adapter au cinema dans une realisation de Patrice Leconte, sous le litre Lev Bronzes
(1978). On connait la suite, succes phenomenal, suivi par Le pere Noel est une ordure. Le secret de la
bande du Splendid, qui compte dans I'histoire de I'humour francais conternporain, e'est une conjoncuon
de talents multiples, des heros passe-partout, ou chacun peut se reconnaitre. Le succes des Bronzes va
marquer la fin de Fepoque du Splendid, mais ils auront beaucoup appris ensemble, en pratiquant une
ecriture communautaire exigeante, et en reussissant a faire rire sans scenario ou presque, mais avec un
incroyable talent pour traasformer chaque sketch en une veritable scene. Stephane Germain, auteur du
Dico Splendid des Bronzes, resume ainsi le cocktail magique de la troupe : « Une dose de realisrne
italien, une rasade de gauloiserie, le tout lie avec un ingredient secret : leur sens du rythme et leur
complicite, rodes a la rude ecole du cafe-dieatre. »
Uhistoire du Splendid, c"est aussi celle d'un vivier d'acteurs qui vont compter, Gerard Jugnot, ne en
1951, qui poursuit une jolie carriere de comedien et de realisateur avec Pi not simple flic en 1984, et une
belle prestation entre Ie rire et le drame, Phumanisme et la farce dans Monsieur Batignole (2002).
Michel Blanc, le Jean-Claude Dusse des Bronzes, maigrichon a la calvitie precoce, qui va au Club pour
jouer les Don Juan et qui n' arrive jamais a « conclure ». L'hypocondriaque, a la fois pleurnichard et
agressif de Marche a I 'ombre ( 1984), c'est toujours lui. Un etonnant comedien qui, comme nombre de
comiques, se dit qu'il ne sera reconnu qu'en faisant ses preuves dans le drame. Nous le retrouvons daas
Monsieur Hire (1989) et Tenue de soiree (1986). Thierry Lhermitte, c'est le beau Popeye des Bronzes,
alors que Christian Clavier joue dans le meme film le bellatre pretentieux, docteur je-sais-tout qui
devient une vedette a part entiere et Tidole des cours de recres, en incarnant Jacquouille la Fripouille
dans Les Visiteurs (1993).
Le Splendid a ete une belle ecole, certes, mais aussi pour nous, spectateurs, une belle decouverte. Un
genre nouveau qui a marque cette generatioa Uun de leurs grands merites ayant ete de nous faire
comprendre comment, en enfoncant des portes ouvertes et en debitant des platitudes, on peut declencher
le rire le plus enorme.
Sterne, Laurence (1713-1768)
Je n'ai lu qu'un livre de lui, mais quel livre ! La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, gentleman ,
publie en neuf petits volumes a York, de 1 759 a 1767, et ce, apres avoir lu, je ne sais oil, que Jacques le
Fataliste de Diderot lui devait beaucoup, quant a cette technique de narration differee, consistant a
repousser sans cesse le deroulement de Phistoire. Sensible a rhumour de Diderot je ne fus pas decu par
celui de Sterne, ecclesiastique britannique et petit-fils d'archeveque, ni par sa philosophie sans amerturne
qu'il appelait lui-meme « shandysme » : « Le vrai shandysme dilate le crew et les poumons et, comrne
toutes les affections du meme genre contraignant le sang et les autres fluides a circuler plus librement
dans les vaisseaux, active joyeusement le sang. »
Aucune intrigue a proprement parler. Le roman. derriere la peinture fine de quelques personnages, le
pere de Tristram, Toncle, le serviteur de Toncle, la mere, le docteur de famille et le pasteur, n'est qu'un
enorrne enchevetrement de digressions qui procedent de l'association d'idees souvent saugrenues et
pourtant toujours rattachees a l'histoire en cours, meme si c'est parfois de facon tenue, comme Sterne
Tecrit lui-meme :
« Car la digression ou je viens d'etre conduit par accident et en verite toutes rnes digressions sont
marquees par un trait de magistrale habilete digressive dont je crains que le lecteur ne se soil pas avise...
Cet ingenieux dispositif donne a la machinerie de mon ouvrage une qualite unique : deux mouvements
inverses s'y combinent et s*y reconcilient quand on les croit prets a se conlrarier. Bref, mon ouvrage
digresse, mais progresse aussi, et en meme temps. »
L'avantage, pour le lecteur paresseux et reveur que je suis, est qu^on peut ouvrir son Tristram
Shandy au hasard. On est toujours sur d^tre accroche par une anecdote drole, un foisonnement lieteroclite
a la Rabelais ou a la Cervantes.
Voici comment, par exemple, Tristram flit accidentellement circoncis :
« Ce ne flit rien, je ne perdis pas deux gouttes de sang dans Toperation ; quand un chirurgien eut
habile la maison voisine. il n'eut pas valu la peine de Tappeler, des milliers d'homines s'offient par
choix a ce qui tut pour moi un accident. La chose ne meritait pas le dixieme du bruit qu'en fit le Dr Slop.
Certains hommes ont developpe Tart d'accrocher de grands poids a de petites ficelles : je paie a ce jour
(10 aout 1761), pour une part du moias, le prix de cette invention. La fagon dont les choses vont en ce
monde indignerait une pierre. La femme de chambre n'avait pas mis de pot de chambre sous le lit.
NTaurez-vous pas Tobligeance, mon petit homrne, dit Susannah en relevant d'une main le chassis de
la fenetre et en me hissant de r autre jusqu'au niveau de Pappui, n'allez-vous pas vous debrouiller pour
faire vos petits besoins ?
J'avais cinq ans. Susannah avait oublie que rien ne tenait dans notre fainille : le chassis tornba comrne
un eclair.
La bonne s'enfuit dans la maison voisine, celle de l'oncle Toby, ancien rnilitaire a demi impotent,
dont le dadaestde reconstituer en miniature les champs de bataille qu'il avait connus dans sa jeunesse. »
A Tannonce de la catastrophe survenue sur le membre viril de Tristram, le caporal Trim, en vrai
soldat, ne cache pas sa responsabilite initiale. L'oncle Toby fait de meme, suivi par le pasteur, et tous
vont affronter le pere du petit blesse. Je vous passe les innombrables peripeties cocasses qui emaillent
cet episode.
Cette succession d^evenements a la fois loufoques et pourtant logiques me fait penser bien sur a
Swift, qui nous avait deja habitues a ces digressions sans queue ni tete, et, plus pres de nous, aux Monty
Python et a Un poisson nomme Wanda de Charles Crichton. Sans doute influence par la fantaisie de
Sterne qui trouve en lui une joyeuse descendance. C'est Nietzsche qui voyait en Laurence Sterne
« Tecrivain le plus libre de tous les temps, a cote de qui tous les autres paraissent guindes et sans
finesse ». Et si ces arguments ne suffisaient pas a vous convaincre, je ne peux que vous conseiller de vous
procurer r -edition de poche de ce chef-d'oeuvre de loufoquerie disponible depuis juin 2012, et dont
Roger-Pol Droit ceTebrait en ces termes, la sortie, dansZe Monde : « Cette ceuvre interminable et
irresistible est un seisme litteraire, un gigantesque tremblement de texte. C'est le texte le plus fou de la
litterature europeenne. »
Surrealisme en Belgique, Le
U humour « a la beige » est une longue histoire. II existe une vraie tradition contestataire qui
remonterait. dit-on, a Till TEspiegle, ce Robin des bois, figure de la resistance flamande contre
Inoccupation espagnole auxvi e siecle, et qui trouve de nos jours son prolongement dans les attentats
patissiers de Noel Godin. Que s'est-il passe d'important pour que les Beiges entretiennent ainsi une telle
reputation de badinage, de gaudriole, de folatrerie, de paillardise, bref de bonne humeur ? Uavenement
du regne de la bande dessinee, bien sur, ou ils se sont affirmes comme les mattres du monde, Les
specialistes dont je ne suis pas, helas, s'accordant a dire qu'entre les Beiges LagafFe et Tintin et le
franchouillard Asterix, il n'y aurait pas photo. C'est aussi r explosion d'un surrealisme detonnant a cote
duquel la bande a Breton faisait pale figure.
Contrairement a ce qui se passait en France, il n'existait pas en Belgique de grande aventure
collective. L'histoire du surrealisme dans ce pays se resume a un morcellement caracterise entre deux
groupes distincts, le groupe de Bruxelles autour de Paul Nouge et Rene Magritte et le groupe du Hainaut
autour d'Achille Chavee et Fernand Dumont. On notera 1' apparition d 'autres petits groupes plus ou rnoins
proches de I 'esprit surrealiste, CoBrA, Les Levres nues, Phantomas, Temps Meles ou Le Daily Bid. Tous
les impetrants de ces groupes ou groupuscules se retrouvaient dans la meme veneration pour la farce, le
canular et un gout prononce pour la contestation.
Leurs armes ? D'abord et toujours les aphorismes.
Pour Andre Stas, c'est une saine maniere de « retoumer la realite comme un gant en caoutchouc, une
facpon d*arriver a Tinconnu bouifon cache derriere lui ». Pour Louis Scutenaire, ce sont ses fameuses
Inscriptions, alors qu'Achille Chavee, un des membres les plus actifs du groupe, prefere parler de
Decoctions : « Je suis un vieux Peau-Rouge qui ne marchera jamais en file indienne ►>, repetait ce militant
forcene du proletariat, fondateur du Groupe Rupture puis du Groupe Hainaut avec Albert Lude, Marcel
Parfondry et le poete Fernand Dumont.
Le Groupe de Bruxelles, anime par le compositeur Andre Souris, Magritte, Scutenaire, Nouge et
Marcel Marien, n'arretait pas de se dechirer et de se retrouver autour de questions fondamentales :
« Dada or not Dada ? », ou encore : « L'ecriture automatique est-elle negligeable ? »
Le Groupe de Bruxelles se retrouvera presque au complet dans une passionnante revue, La Carte
d'upres nature, dirigee par Magritte. SMI me fallait faire un choix entre les differents animateurs du
mouvement surrealiste beige, j'opterais, en dehors de Scutenaire deja cite, pour Magritte bien sur, mais
aussi pour Marcel Marien et le groupe Le Daily Bui et son fondateur Pol Bury. Magritte, avant de se
laisser gagner par F esprit Dada. etait tres influence par le cubisme et le ftiturisme. Les toiles de De
Chirico et les collages de Max Ernst lui revelent ce qu'il faut faire en peinture, « des effets pochons
bouleversants », ainsi son tableau Querelle des universaux (1928) qui represente des mots. On y voit une
etoile a cinq branches entouree de quatre formes arrondies semblables a des pierres r sur lesquelles on lit
« feuillage », « cheval », « miroir », « canon ». Magritte, avec une telle representation, s'amuse
evidemment a nous egarer. II en va de meme avec son fameux Ceci n' est pas une pipe ou il joue sur le
decalage entre un objet et sa representation. II s'en explique : « La fameuse pipe, me Ta-t-on assez
reprochee ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer, ma pipe ? Non, n'est-ce pas, elle n'est qu'ime
representation. Done si j'avais ecrit sous mon tableau "Ceci est une pipe", j 'aurais menti ! »
Passionne de litterature et de poesie, ecrivain a ses heures, il cherche a defendre les mots par les
images : « Je ne peins pas des idees, je decris au moyen d'images peintes des objets, des rencontres
d'objets qui empechent la raison d'advenir. » Magritte. non content de peindre des tableaux parfois
sublimes, se revele on ne peut plus surrealiste en juxtaposant des elements incompatibles. Je pense a
L'Empire des lumieres . C'est la nuit, les lumieres allumees d'une maison Tattestent et pourtant, le ciel
bleu clair et nuageux evoque le jour. Trop fort ! Trop fort aussi Magritte le roi des canulars, qui avec son
complice Marien edite des tracts mystificateurs et subversifs, L'Imbeeiie, L'Emmerdeur eiL'Enculeur.
Ces deux derniers furent saisis par la poste. La morale est sauve ! Marcel Marien, anarchiste communiste
ne en 1920 a Anvers, proche de Magritte, se revelera le roi du collage sur papier. Dote d'un humour
ravageur, il est capable de tout pour ecraser ce qui est reactionnaire, corrompu et droitier, tout en
multipliant ses eloges au camarade Staline. H voyage beaucoup, monte des maisons d'edition, ecrit des
dizaincs d*ouvrages percutants, it\sA I 'ombre de la proie (1968), Les Couilles de Bilitis (1976),
Bruxelles et Gomorrhe (1976) et surtout ses (feroces) souvenirs dans Le Radeau de la memoire (1983).
Auteur de slogans memorables : « Unijambistes, Lourdes vous fera une belle jambe », ou « Mesdames, si
on vous embrasse sur le sein gauche, tendez le droit ». II n'a qu'un principe, « imiter les degats ». Marien
proposait aussi que Ton verse de Tacide sulfurique dans les benitiers et il ecrivait de sa main : « La loi
punit le contrefacteur », sur des faux billets dessines par Magritte. Yves Fremion voit en lui un « genie
absolu, buvant, baisant, divorcant, plaidant, creant des scandales comme celui qui provoqua une erneute
en 1974 a la biennale de la Poesie de Knokke-le-Zoute ou il distribuait des "bons pour sauter une
poetesse" ». II nieurt en 1993 a BriL\elIes. sans doute epuise mais reconnu, celebre et expose. Pol Bury,
peintre ne en 1922, membre successif de la plupart des differents groupes surrealistes beiges, est aussi un
sculpteur reconna Son succes est universel et ses ceuvres cinetiques se retrouvent dans le monde entier.
Illustrateur de livres. Bury commet aussi des ouvrages d' humour detonnant. II adore les faux traites sur
Fart avec un serieux imperturbable, en utilisanl des pseudonymes, Ernest Pirotte entre autres. Auteur
memorable de : L'Art a bicyclette et la Revolution a cheval (1972), Le Pouvoir erect ionnel (1974), Le
Se.xe des anges et celui des geometres (1976), Le Velo de Staline et le Circuit ideologique (1976),
Leon III t'Isatirien (1976), Les Horribles Mouvements de Vimmobilite (1977). L'Art inopine dans les
collections publiaues (1982), dans lequel on retrouve par exemple la biographie d'un certain Wassily
Dubois, auteur de La pantomime du paralytique et de Gelee de prunes sur bois au Musee de la mimique a
Los Angeles (sic). « Dubois fut le premier peintre a parvenir a ce qui etait pour beaucoup une
inebranlable obsession, la veritable gesticulation. C*est en 1910 qu'il agita les bras pour la premiere
fois, dans cette direction. Ses compositions, ou le clin d'reil alterne avec le hochement, sont tres
demonstratives de sa degaine. »
A un moment de sa vie, Bury tenait une librairie et c'est la qu'il rencontra Andre Balthazar, jeune
surrealiste ne en 1934, poete, auteur de textes animaliers amusants, Buffomieries, et d'un catalogue
farfelu d'objets quotidiens. Bury et Balthazar creent les editions de Montbliart en 1957 et Le Daily Bui* a
la fois groupe et revue, oil ils editent les fameuses Poquettes volantes entre 1965 et 1979, des petits
ouvrages bon marche. Pourquoi ce nom « Daily Bui » ? Parce que Bury sculpte des boules chromees. Le
Daily Bui, qui multiplie les manifestations, les expos et les banquets, est un point de passage oblige pour
tous les surrealistes ethumoristes beiges. Non contents de decerner le prix de la « plus mauvaise critique
d'art », ils essaient de developper la « pensee Bui » a travers des tracts plus ou moins hermetiques :
« \fous qui avez de I'argent, ceci vous interesse. \fous qui aviez de Fargent, ceci vous interessait. » S'il
ne fallait retenir qu'une publication du Daily Bui, ce serait le cahier Autot ornhes, veritable ceuvre d'art
au graphisme flamboyant. Nos deux complices avaient imagine en 1979 d'envoyer une Iettre a quatre-
vingts personnalites du monde des arts et de la litterarure. en les interrogeant sur « le type d'habitat
qu['ils souhaitent] reserver a [leur] corps apres [leur] mort (reponse limitee a une page dactylographi ee
ou a un dessin, souhaitee... avant la Toussaint) ». Bury et Balthazar fiirent combles au-dela de Ieurs
esperances. Sur le plan graphique, Alechinsky : (« Le dernier qui meurt ferme la porte »), Christo. Ronald
Searle ou Zao Wou-Ki firent aussi preuve d'une belle creativite qui n'eut d'egale que rimagination de
quelques ecrivains ravis d'en decoudre avec un sujet aussi morbide :
— « Mon mausolee ? Ni le plus grand, ni le plus beau, mais le plus tard » (Franpois Baschet).
— « Je voudrais finir en poussiere d'ego » ( Ben).
— « Apres ma mort j'aimerais que mon cadavre soit cremate et les cendres distribuees a mes amis en
autant de petits sabliers que possible, le genre de sabliers dont l*ecoulement correspond a la cuisson
parfaite d'un ceuf a la coque » (Robert Fillion).
— <« Je suis trop superstitieux pour pouvoir repondre a votre Iettre. J'espere ne jamais rnourir »
(lone sco).
— « Je m'estimerais heureux d'etre reduit en poudre et serre dans une tabatiere ornee d'un motif
romanuque. Je risquerais enflnd' , etre prise par quelques-uns » (Francois Jacquin).
— « Mon voisin le charcutier preleverait les chairs de mon cadavre. II les melerait a des viandes de
faisans, d'oies. de pores. les disperserait dans des petils pates, des bouchees a la reine et des tomates
farcies... Mon corps serait alors dissemine en des tombeaux pluriels vivants et inconnus de moi »
(Gilbert Lascault).
— « Ma depouille serait deposee dans un compotier geant et au cceur d'un amas en dome constitue
par une cinquantaine de jolies mortes, toutes nues, agees de moins de vingt ans et gauchistes de
preference » (Marien).
— « Des deux sens du mot ^biere" je deteste la boite, mais je goute fort la boisson [...], celle que
Ton boit chez vous et qui se nomme precisement "mort subite" sans doute a cause de son pouvoir
d'eni vrement souvent meurtrier ! » (Jean Tardieu).
Ainsi les humoristes beiges souvent decries, car trop associes aux navrantes histoires beiges,
trouveront je Fespere ici la rehabilitation qu'ils meritent, et comrne l'ecrit Philippe Geluck : « Le Beige
se delecte d'etre pris pour un con par tin imbecile... »
Swift, Jonathan (1667-1745)
Lorsque Andre Breton ecrit dans son Anthologie que tout le designe en matiere d "humour noir comrne
le veritable initiateur, il a certainement raison. Historiquement parlant d'abord, car Swift ecrase tous ses
predecesseurs, et meme Rabelais et \bltaire n'ont plus qu'a aller se rhabiller. \bila un hoinme qui
meprise plus que personne le genre humain et qui deteste « toutes les nations, professions ou
communautes ». Bien qu'irlandais, il est toujours pret a dire du mal de son pays et, marie trois fois, n'en
reste pas moins un farouche misogyne.
Taine disait de lui : « LT esprit positif et Porgueil lui ont forge un style unique, d'une vehemence
terrible, d'un sang-froid accablant trempe de mepris, de haine et de verite. »
Jonathan Swift est ne a Dublin. Orphelin de pere, abandonne par sa mere, ordonne pretre a vingt-sept
ans, diplome d'Oxford, il obtient une modeste cure aux environs de Belfast, s'essaie assez vite a quelques
pamphlets polemiques et frequente le monde politique a l'occasion de missions diplomatiques a Londres
pour son protecteur, un aristocrate anglais.
En dehors des Voyages de Gulliver et de ses diverses reflexions a propos de la Philosophic des
vetements et de la Meditation sur un balai,]e retiendrai chez lui deux ceuvres majeures.
Je commencerai par ses Instructions aux domestiques, ou il les incite carrement - en plein
xvil e siecle ! — a se revolter :
« Tous les bons morceaux que vous pouvez derober dans la journee, serrez-les de cote pour vous
regaler le soir en cachette avec vos carnarades et mettez le butler de la partie, pourvu qu'il vous donne de
quoi boire. Ne venez jamais que vous n'ayez ete appele trois ou quatre fois, car il n'y a que les chiens qui
viennent au premier coup de sifflet, et quand le maitre crie : "Qui est la ?", aucun domestique n'est tenu
d'y aller, car qui est la n'est le nom de personne. »
Ou, mieux ;
« S' il vous faut du papier pour flamber un poulet, dechirez le premier livre que vous verrez dans la
maison. Essuyez vos souliers, a defaut d'un torchon, avec le bas d'un rideau, ou une serviette damassee.
Arrachez le galon de voire livree pour faire des jarretieres. Si le butler a besoin d'un pot de chambre, il
peut se servir de la grande tasse d'argent. »
Mais le pire ou le meilleur est atteint avec la Modeste Proposition pour empecher les enfants des
pauvres en Iriande d'etre a la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au
public :
« L' Iriande souffrant de trois plaies qui sont le manque de produits alimentaires. la pauvrete de ses
habitants et la surpopulation due a la forte natalite de la classe pauvre, done il faut que les pauvres
vendent leurs enfants comrne viande de boucherie, ce qui fournira une source inepuisable de nourriture,
procurera des ressources aux pauvres et fera diminuer la population » !
On a dit de Swift qu'« il provoquait le rire mais sans en participer ». Je ne sais pas tres bien ce que
cela signifie mais, ce qui est sur, e'est qu'il est bien Tinventeur de la plaisanterie feroce et llmebre. Ce
n'est pas generalement mon genre de beaute sauf, et e'est semble-t-il son cas, lorsque Ton est possede
par un besoin frenetique de justice.
Si j'etais Stephane Hessel. je le considererais sans doute comrne le pere fondateur des Indignes. La
preuve, l'epitaphe qu'il composa lui-meme : « Ici repose la depouille de Jonathan Swift, D. D.. doyen de
cette cathedrale, qui desormais n'aura plus Ie cceur dec hire par 1" indignation farouche. Va ton chemin,
voyageur, et imite si tu Ie peux rhomme qui defendit la liberte envers et conlre tout »
Talleyrand (1754-1838)
Charles-Maurice de Talleyrand-Peri gord, Tun des personnages les plus contestes et les plus
remarquables de la Fin du xvm e siecle, a traverse Thistoire en soutane de pretre et d'eveque, en uniforrne
d'ambassadeur sous la Revolution et de ministre des Affaires etrangeres sous le Directoire, Ie Consulat,
r Empire et la Restauration. Les monarques et les regimes passaient, mais pas lui. Un jour, Louis XVH1
lui demanda comment il avait pu voir la fin de tant de regimes : « Mon Dieu, Sire, je n'al vraiment rien
fait pour cela, c'est quelque chose d'inexplicable que j'ai en moi et qui porte malheur aux gouvernernenls
qui me negligent. » Victor Hugo en fait une description impitoyable dans Chases vues : « C'etait un
personnage etrange, redoute et considerable. [...] II etait noble comme Machiavel, pretre comme Gondi,
defroque comrne Fouche, spirituel comme \bltaire et boiteux comme le diable. On pourrait dire que tout
en lui boitait comme lui, la noblesse qu'il avait faite servante de la Republique, la prelrise qu*il avait
trainee au Champ-de-Mars, puis jetee au ruisseau, le manage qu'il avait rompu par vingt scandales et une
separation volontaire. r esprit qu'il deshonorait par la bassesse. » Et le ministre des Affaires etrangeres
pendant le Congres de Vienne, M. de Jaucourt, d'en rajouter : « On tient a M. de Talleyrand comme on
tient a une catin que Ton prend pour ce qu'elle vaut et dont on ne peut se passer. » Alors que Balzac, plus
indulgent, le definit comme : « Le prince qui n'est manchot que du pied. »
Lorsque Talleyrand parte d'un ecrivain :
« II croit qu'il devient sourd parce qu'il n'entend plas parler de lui. »
De I 'ami tie :
« Ne dites jamais du ma! de vous, vos amis en diront toujours assez »
De la politique :
« Si les gens savaient par quels petits hommes ils sonl gouvemes, ils se revolteraient vite », « Agiter
le peuple avant de s'en servir, sage maxime. »
Des grands :
« On connait, dans les grandes cours, un autre moyen de se grandir : c'est de se courber. »
Des petits :
« Les mecontents, ce sonl des pauvres qui reflechissent. »
A Tissue d'un conseil qui avait dure trois heures, on lui demande : « Le roi est reste trois heures en
son conseil, que s'est-il passe ? — Trois heures. » Son infirmite n'a jamais perturbe son persiflage : « Ma
jambe. c'est ma carriere », ainsi, quand une dame qui louchait lui demande : « Comment allez-vous ? -
Comrne vous voyez. » II a seduit aussi les plus belles femmes de son temps. « On avait beau s'etre arrne
de toutes pieces contre son immoralite, sa conduite, sa vie, il vous seduisait quand meme comine Toiseau
qui est fascine par le regard du serpent » T confessait la marquise de La Tour du Pin. Ces femmes qui
l'entouraient avaient elles-memes de Tesprit. La comtesse de Flahaut, dont il eut un fils adulterin,
Charles, lui-meme amant d'Hortense de Beauharnais dont il aura aussi un fils, le due de Morny, ce qui lui
faisait dire : « Dans la farnille, on est batard de pere en fils ! » A quelqu'un qui lui demanda quel etait
pour lui le comble de roptirrrisme,, il repondit : « Commencer ainsi son testament : "Si par hasard je
meurs." » Thiers, en conversation avec lui, lui dit un jour : « \fous me parlez toujours des femmes,
j'aimerais bien mieux parler de la politique », et Talleyrand lui repond : « Mais les femmes, c'est la
politique. » Et Napoleon en parlant de lui : « II a toujours les poches pleines de femmes. » A une femme
laide qui lui declare : « 11 parait, monsieur, que vous vous etes vante devoir obtenu rnes faveurs »,
Talleyrand repond : « Oh non. madame. surernent pas vante. Accuse, peut-etre ! » Mrne de Stael. Mine de
Flahaut et Mine de Gand, toutes passees par son lit, se retrouverent un jour ensemble et Mrne de Stael de
demander au prince : « Si nous tombions a Teau toutes trois, a laquelle porteriez-vous secours d'abord ?
- Oh ! Baronne, je suis sur que vous nagez comme un ange ! » Au matin du 1 7 mai 1 838, a Paris, dans son
hotel de la rue Saint-Florentin, le prince de Talleyrand agonise. II a alors quatre-vingt-quatre ans. Sur son
lit de mort, cet homme d'Eglise defroque ne se resolut a se faire assister par un pretre que dans sa
derniere demi-heure. tout en n"oubiiant pas de preciser a Pabbe que lui est eveque ! Un dernier peche
d'orgueil, chez celui qui ne s'etait pas confesse depuis quarante-neuf ans.
Vigny ecrivit dans son Journal, le 20 mai 1838 : « M. de Talleyrand est mort. II n'y a en France
qu'un malhonnete homme en moins. » Louis-Philippe, pensif, aurait dit : « Etes-vous bien sur qu'il est
mort ? C'est qu'avec Talleyrand^ il ne faut jamais juger sur les apparences, et je me demande quel interet
il pouvait bien avoir a mourir en ce moment. »
Celui qui avait ecrit unjour : « Je veux que pendant des siecles on se dispute sur ce que j'ai ete, sur
ce que j'ai pense et sur ce que j'ai dit » ne croyait pas si bien dire.
Tardieu, Jean (1903-1995)
Pour ceux qui ne le connaitraient pas, je vous propose une mise en bouche :
— « Prenez un mot usuel. Posez-le sur une table bien en evidence et decrivez-Ie : de face, de profil.
de trois quarts. »
— « Repetez un mot autant de fois qu' il faut pour le volatiliser et analys-ez le residu. »
— « Trouvez un seul verbe pour signifier I'acte qui consiste a boire un verre de vin blanc avec un
camarade bourguignon, au cafe des Deux-Magols, vers 6 heures, un jour de pluie, en parlant de la non-
signification du monde, sachant que vous venez de rencontrer votre ancien professeur de chimie et qu'a
cote de vous une jeune femme dit a sa voisine : "Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, tu sais !" »
Des l'enfance, le petit Jean a eu la chance d'etre berce par un pere peintre et une mere musicienne.
\foila une vie qui debutait sous les meilleurs auspices. 11 travaille d'abord aux Musees nationaux puis
chez Hachette. Mais la poesie le taraude et il « se demande sans fin comment on peut ecrire quelque
chose qui ait du sens ». II participe tres tot a I'activite Iirteraire clandestine de la Resistance, aux cotes de
Paul Eluard, Pierre Seghers et Pierre Emmanuel, rencontre Queneau et, en 1944, entre a la radio comme
chef des emissions dramatiques pour le directeur du « Club d'Essai ». On lui doit la creation de « France
Musique » et L'invention des ateliers d'ecriture. Taraude par le doute existentiel et le questionnement du
Sphinx, il est persuade que la realite du monde ne reside pas dans les apparences mais dans un arriere-
planqu'il s'agitdedevoiler, etque les mots portent des fauxnez.
Meme s'il est d'abord un immense poete, c'est le theatre qui le fera connaitre : Tonnerre sans orage,
Les Amants du metro, Une soiree en Provence, et des chansons dont la fameuse « Fourmi de dix-huit
metres » chere a Juliette Greco.
Tardieu passe le plus clair de son temps a se mystifier lui-meme avec une belle complaisance,
comme dans les premiers textes du Fleuve cache : « Qui est ici ? Quel est cet inconnu ? De moi a moi,
quelle est cette distance ? »
Dans le celebre Monsieur Monsieur, il previent lui-meme qu'« il entend sa propre voix interieure
moduler des accents grotesques, irreels, a force de niaiserie, et s'il sent son masque parcouru de tics
nerveux annonciateurs d'une gesticulation idiote et liberatrice, alors il aura gagne ».
Et un peu plus loin, dans le meme recueil, on trouve cette emblematique Mome neant :
« Pourquoi qu'a dit rin ?
Pourquoi qna fait rin ?
Pourquoi qu'a pense a rin ?
— A'xiste pas. »
La force de Tardieu, c'est de defricher Tindistinct en s'amusant : « Quelle joie d'accoupler les mots
sans lien logique et d'accoupler Ieur assemblage cocasse comme le legendaire garnement parigot qui
attacliait une casserole a la queue d'un chien et le faisait courir sur le trottoir. »
Alors, surrealiste, Tardieu ? Pas vraiment : « L'aile du surrealisme m'a frole. Mais je ne suis pas un
homme d'appareil. Ponge, Queneau, Frenaud ou moi-meme, nous aurions pu faire ecole, mais par un
souci forcene de la matiere lie au renouvellement du langage, nous avons prefere derneurer des isoles
voisins [...]. Le surrealisme, comme le pangolin, allongeait une langue emrniellee, et les images-fourmis
venaient s'y coller d'elles-inemes. »
Voila qui en dit long sur ce qu'il pensait de Breton et de ses camarades.
J 'adore ses petits problemes et travaux pratiques de Un moi pour un attire. Une petite comedie jouee
dans le monde entier, et on comprend pourquoi :
L 'espace ?
« Etant donne un mur, que se passe-t-il derriere ? », « Quel est le plas long cherrrin d'un point a un
autre ? »
Le temps ?
« Etant donne deux voyageurs, dont Pun est ne en 1903 et 1* autre en 1890, comment feront-ils pour se
rencontrer en 1 944 ? »
La geographic ?
« Oil la Seine se jetterait-elle si elle prenait sa source dans Ies Pyrenees ? », « Deployez a plat le
relief de la Suisse et calculez la superficie ainsi obtenue. »
Et, si vous avez encore un peu de temps, n'oubliez pas de lire un jour La Part de J 'ombre ou
L 'Jnvenfeur distrait, si vous ne Pavez pas encore fait : « Avant d'avoir fait naurxage, je jouissais d'une
imagination debordante. . . »
« A peine eveille, j^inventais un homme, c'etait moi. A partir de ce moment tout devenait possible. »
Tardieusoitloue !
Tati, Jacques (1907-1982)
SMI y en a un qui a pris son temps, c'est bien lui, en cinquante ans de cinema, seulement six longs
metrages, sans doute parce qu'il n'a jamais voulu jouer le jeu du cinema dit « comique >\ avec ses gags
appuyes et telephones. Lorsque, dans Jour de fere, une guepe poursuit le facteur a velo, on ne la voit
jamais. Tati se contente de faire monter ou descendre le bruit selon qu'elle s'eloigne ou s'approche. On
rit immediatement des gestes desarticules du facteur. Rien de spectaculaire, mais tout est suggere, sans
aucun dialogue. Meme trait de genie dans Les Vaeances de M. Hulol, un groupe de plagistes, un maitre
nageur qui donne des ordres au sifflet, « inspiration, expiration, inspiration », Hulot passe par la,
demande un renseignement au maitre nageur qui s'interrompt, et Ies autres restent gonfles comme des
outres. On a souvent compare Jacques Tatischeff a Chaplin, puisque. comme lui, il interpretait le
personnage de ses propres films, mais il s'en defendait : « M. Hulot est a l'oppose des personnages de
Chaplin et notamment de Chariot Hulot rC est jamais dans le coup. En revanche, si Chariot se trouve
devant quelque chose qui le gene, il a des idees, rnodifie ou interprete la difficulte a laquelle il est
confronte. Hulot n'endosse rien, ne construit rien. »
II preparait chaque gag avec une precision meticuleuse, chaque gestuelle etait travaillee avec la
rigueur d'un danseur classique et le son utilise comme un vrai ressort comique. Total nonsense, comme
dans cette scene de Playtime oil plus le personnage se rapproche du premier plan, plus le bruit de ses pas
diminue.
Dans ses films, il detourne Ies objels de leur quotidien pour nous laisser entrevoir l'absurdite de
noire monde. Dans Playtime^ un embouteillage devient un manege pour adultes, dansMo/r oncle^ Ies
fenetres d'une villa suggerent un regard qui louche. « Grace a un pouvoir d'observation marque qui est
peut-etre plus fort comme mon sens de rhumour, je voudrais souligner la survie de l'individu dans un
environnement qui devient de plus en plus inhumain. » « Je suis, disait-il, un peu comme Don Quichotte.
Les moulins a vent, ce sont Ies feux rouges, feux verts, fleches, traces, transferts et tunnels, tours et
sorties. »
Quelques critiques de l'epoque ne l'appreciaient guere :
— « Jour de fete est tout au plus un petit sketch et, de surcroit, pas drole du tout » (Claude Lazurion,
1949).
— « A quoi bon prendre des gants, s'attendrir sur le souvenir des Vacances de M. Hulot, et ne pas
dire a ce faux monument national qu'est M. Jacques Tati que Playtime est un navet monstrueux ?
Depenser plus d'un milliard pour reconstruire une realite qui creve les yeux, perdre deux ans de sa vie
pour exprimer laborieusement ce que Louis Malle dans Zazie dans le metro ou Godard dans Alphaville
font comprendre en cinq ou six plans rapides, c'est non seulement inadmissible, mais encore scandaleux »
(Henry Chapier, 1967).
Mais a part ces empecheurs de rire en rond. la presse etait unanime. Au sujet de Playtime :
— « Chef-d'ceuvre du rire » {France- Soir).
— « Chef-d'ceuvre d'ironie souriante » (Le Pupulaire).
— « Reussite complete d'un film gagne par la beaute. rhumour » {Le Figaro litteraire).
— « Si le comique kafkaien restait a creer, c'est chose faite » (Le Figaro).
— « Chef-d'ceuvre sans precedent qui oblige chaque spectateur a etre son propre psychiatre et a
reinventer a son tour le comique » (Telerama).
— « Le rire d'abord. Playtime est un vivier de gags » (Le Monde).
Et Max Favalelli d'en rernettre une couche : « C'est bien vrai que j'ai ri comme un fou pendant deux
heures, comme je n'avais pas ri depuis ma naissance. Mais Mon onele n'est pas seulement un chapelet de
gags. C'est bien autre chose. C'est un film qui va beaucoup plus loin. C'est la satire la plus aigue, la plus
incisive que Ton ait faite de notre temps. »
Interroge lors du tournage des Vacances de M. Hulot sur la plage de Saint-Marc, Tati disait avec
simplicite : « Je traiterai d'un theme general. Je veux que tout citadin qui regardera mon film pour
150 francs se paie une heure de vacances. »
On a dit et ecrit qu'Hulot etait une espece de cassure dans le cinema francais d'humour, qui jusque-la
n' etait que verbal et theatral. C'est exactement <;a, l'homme a la pipe, au pantalon court et chaussettes a
rayures, ne disant jamais rien de comprehensible, sauf quand on lui faisait repeter son nom. Pour moi,
Buster Tati ou Jacques Keaton, c'est selon, reste Fun des pionniers incontestes du cinema.
Television, La
II faut rernonter, je crois, en 1955 pour trouver la trace de la premiere veritable emission de
television hurnoristique, presentee par Jacques Grello, Robert Rocca et Pierre Tchernia : « La Boite a
sel », oil on retrouvait Paul Preboist et la troublante Dora Doll. C'etait aussi la premiere emission
satirique qui dut se saborder en I960, pour avoir refuse la censure qu'on lui imposait, guerre d'Algerie
oblige.
En 1964, c'est la « Camera invisible » de Jacques Rouland, avec le sympathique moustachu Jacques
Legras. De grands moments de television amusants, inspires par le succes de la serie americaine Candid
Camera creee en 1948. C'est au debut des annees 1960, dans les premieres emissions dites de
« varietes », que Ton voit apparaitre un trublion qui fera parler de lui : Jean-Christophe Averty. Ne en
1928, passionne par la 'pataphysique, il ne cesse de braver 1 'opinion publique et le patron de l'ORTF, en
passant par exemple un bebe a la moulinette dans sa serie Les Raisins verts. Critique comme « rnaboule
de la tele », ou « zinzin » du petit ecran. il reussit a inventer une nouvelle ecriture televisuelle qui sera
reconnue et consacree par de nombreux prix, dont le fameux Emmy Award aux Etats-Unis.
De 1967 a 1970, c'est la television de divertissement qui prend le relais, sous la houlette du couple
Mari tie et Gilbert Carpentier. Les invites, parmi lesquels Jacqueline Maillan, Dairy Cowl, Roger
Carel ou Jose Artur, jouent des sketches souvent improvises. C'est une premiere.
On entre ensuite dans le vif du sujet humoristique, avec « Le Petit Rapporteur », cree par Jacques
Martin, entre Janvier 1975 et juin 1976, le dimanche a 13 h 20 sur TF1. Ce sera ensuite « La Lorgnette »
sur Antenne 2, de 1977 a 1978, mais cette fois sans Desproges. Le concept de ce vrai-faux journal
televise, dont rhymne de reconnaissance etait « La peche aux moules » et le slogan du Beaumarchais. revu
et corrige par Martin : « Sans la liberte de flatter, il n'est pas d'eloge blameur. » L'equipe est composee
de joyeux drilles, dont Stephane Collaro, Pierre Bonte, Piem, Pierre Desproges et Daniel Prevost, un
exceptionnel comedien, pour lequel j'ai un vrai penchant. J'ai appris a le connaitre dans les Salons du
livre, car, meme s'il n'a que peu ecrit (cinq livres), c'est un vrai ecrivain, ne serait-ce que pour Le Pont
de la revolte (1995), oil il devoile avec pudeur ses racines kabyles qui lui viennent de son pere et qu'il a
decouvertes sur le tard. Daniel, ne en 1939, a veritablement explose dans ses premieres apparitions au
« Petit Rapporteur », apres des etudes dans un lycee « qui ne se souvient pas de son passage », un
premier prix de comedie au Centre d'art dramatique et des apparitions chez Jean-Christophe Averty et
dans des sketches de la « Camera invisible ».
Le tandem qu'il forme avec Desproges dans remission de Jacques Martin est cocasse : une bataille
de boudins blancs dans une charcuterie, la visite du village de Montcuq, qu'il prononce « Mon cul », et
l'irresistible interview de Francoise Sagan, a qui les deux larrons demandent d'entree de jeu :
« Coinment ga va la petite sante ? » Autre moment de gloire, la chansonnette poussee sous les fenetres du
ministre de l'lnterieur Michel Poniatowski, leur tete de Turc : « Adieu Ponia, on t'aimait bien. » Daniel
Prevost a tourne dans des dizaines de films, dont quelques-uns assez serieux, Uranus ouLe Colonel
Chaheri, meme si Ton retient avant tout sa prestation dans Le Diner de eons de Francis Veber, ou il
campe un inoubliable controleur des impots, Lucien Cheval. On dit de Prevost que son humour a froid est
inquietant et qu il est d'un abord difficile. Je pense plutot que c'est un grand sensible qui se protege
comme il peut, derriere une sournoiserie de fagade.
En 1982, Jean-Michel Ribes imagine sur FR3 Merci Bernard. Gros succes de ce format de vingt-six
minutes, qui inspirera Palace* dans un univers kitsch et decale, truffe de situations absurdes, qui, d'apres
Le Nouvel Ohservatew\ font « hurler, hoqueter et pleurer de rire ».
A la meme epoque, toujours sur FR3, c'est « La Minute necessaire de M. Cyclopede », de Desproges
et Fournier, et autre innovation, cette fois sur Antenne 2, « Le Petit Theatre de Bouvard », en concurrence
sur TF1 avec « Le Bebete Show » de Stephane Collaro. D'un cote. Bouvard proposait un banc d'essai de
jeunes comediens, dont certains ont fait grace a lui de brillantes carrieres : Les formidables Inconnus,
Chevallier et Laspales, Jean-Frangois Derec, Bruno Gaccio, Didier Benureau ou Gustave Parking, de
r autre, chez Collaro, c^est une equipe de comediens de qualite, dont Jean Roucas et Claire Nadeau, que
Ton decouvre avec plaisir.
Quant a « La Classe » de Guy Lux, animee par Fabrice, elle a permis comme chez Bouvard a des
eleves huinoristes de faire « Ieurs classes », et de se faire connaitre : Pierre Palmade, Jean- Jacques
Vanier, Anne Roumanoff, Elie Kakou ou Didier Gustirt
Nous sommes en 1987, et Ton decouvre sur Canal + un quatuor de zozos particulierement doues, qui
vont nous faire rire tous les soirs, avec le « JTN, Journal Televise Nul », dans « Nulle part ailleurs ».
Les Nuls debordent d'imagination avec leurs fausses nouvelles, leurs fausses pubs et leur fausse meteo.
Le regrette Bruno Carette, la piquante Chantal Lauby, le meteorologue Dominique Farrugia et le
presentateur Alain Chabat, qui ponctue les reportages bidons par « de bien belles images que Ton
aimerait voir plus souvent », sont de vrais innovateurs, meme s'ils se croient parfois obliges d'user un
peu trop de « foufounes » et de « bites », en precisant en outre qu'il ne faut pas confondre « tourte aux
cailles » et « larte auxcouilles »... Scatos ounon, ils accumulent les recompenses, dont un Septd'or.
Un an apres Les Nuls, on decouvre, toujours sur Canal +, celui avec lequel le PAF va devoir
compter. Karl Zero, que Ton retrouvera presque partout, que ce soit dans « Nulle part ailleurs », ou il
realise de nombreux sketches, « avec trucages », et ou il egratigne souvent avec fracas et en plein delire
les grands de ce monde. Karl Zero, e'est rhomme de « Zerorama », en 1988, ou il pastiche avec talent
des actualites en noir et blanc des annees 1950.
Quand il est question de l'ami Zero, de son vrai nom Marc Tellenne, ne en 1961, il est difficile de ne
pas citer le reste de la famille, Bruno Tellenne, altos Basile de Koch, Eric Tellenne, alias Raoul Rabut,
Daisy d'Errata, epouse de Karl, et Frigide Barjot, epouse de Basile, une joyeuse bande a l'origine d'un
groupe politico-deconnant, Jalons, cree en 1970. Bien que ce « groupe d'intervention culturelle », issu de
Septembre nul, n'ait presque rien a voir avec la television, e'est F occasion de saluer leurs travaux et
leurs parodies de haul niveau.
Basile de Koch, proche de Charles Pasqua et de Poniatowski, cultive un cote vieille France
anarchiste de droite, parfois derangeant, mais son veritable engagement parait beaucoup plus
humoristique que politique, et ce n'est pas plus mal. De Koch a imagine pour sa bande des pseudonymes
farfelus : Freddo Man Non Troppo, Dr Sam Bloch, Harry Vederchi, I'abbe Noragy ou Tony MozzarelLa.
Specialistes des parodies de la grande presse : Franche-Demence, Coin de Rue-Images Immorules, Le
Figagaro, Le Monstre... Ils sont aussi imbattables pour creer des associations qu'ils sont censes
soutenir : Medecins sans scrupules ou la Ligue pour la propagation du cancer, et pour organiser des
actions coups de poing originales. En 1988, par exemple, e'est une « manifestation contre le froid au
metro Glaciere » a Paris, aux cris de : « Verglas assassin, Mitterrand complice », ou contre le film Roger
Rabbit : « insultant pour les rongeurs », le tout sur fond d'« Internationale », chantee sur Fair de « La
Marseillaise », ou de leur groupe rock Les Dead Pompidou's, a moins que ce ne soit avec la chorale
maison, Hoquet Chorale.
Enfin. rhumour a la television francaise ne serait pas ce qu'il est sans les deux grands viviers de
Laurent Ruquier, d'une part, et Canal +, d 1 autre part.
Les complices de Ruquier sont si nombreux qu'il est difficile de les citer, que ce soient ceax issus de
« Rien a cirer », sur France Inter, ou « On a tout essaye », sur France 2. On doit beaucoup a ce Lucky
Luke du calembour, ne a Rouen en 1963. Un bourreau de travail et un formidable entraineur d'hommes et
de femmes, sachant miea\ que personne deceler les nouveaax talents, grace a un flair incomparable et un
sens aigu de la derision, lui qui se dit admiratif de Pierre Doris et de Jean Yanne.
C'est sans doute grace a Andre Rousselet, son fondateur, que Canal + est devenue en 1984 la
championne des chaines, en y insuftlant, avec Taide de Pierre Lescure, une vraie liberte d^invention ;
pour lui, une chaine payante se devait d'etre differente, face a des chaines publiques croulant sous les
lourdeurs administratives.
Le premier grand succes de Canal +, ce sont bien sur « Les Guignols de Pinfo », en 1988. Les
celebres marionnettes en latex voulues par Alain de Greef. dont de redoutables imitateurs prennent !a
voix, pour parodier le monde politique et les people, sont aussi craintes que Le Canard enckatne. Jean-
Eric Bielle, puis Beatrice Belthoise, Jean-Luc Reichmana Sandrine Alexi, rhomme aux cent voix Yves
Lecoq, Nicolas Canteloup, Thierry Garcia et Marc-Antoine Le Bret font un tabac. II faut dire quils ont a
leur disposition un trio d'auteurs de choc, Bruno Gaccio, Benoit Delepine et Jean-Francois Halin, grace a
qui, eta leurs successeurs, remission est encore tres tendance en 2012.
C'est une veritable institution pour mesurer la temperature de Topinion publique, tout en n'hesitant
pas a ironiser sur Ie sac a main de Bernadette Chirac ou a « guignoliser » des personnalites qui
apprecient plus ou moins : Jacques Calvet, le P-DG de Peugeot, ou Richard Virenque, « a l'insu de son
plein gre ». Mais la « guignolisation » n'est pas toujours negative, puisqu'il paraitrait que la marionnette
de Jacques Chirac, en 2002, ridiculise en « Super Menteur », aurait contribue a son election, tant le
personnage apparaissait sympathique, sans doute aussi « a l'insu de son plein gre »...
Canal +, c'est egalement une des meilleures cellules de reperage de talents. Depuis des annees,
Christelle Graillot veille au grain et va denicher ou qu'elles se trouvent les forces vives, pour nourrir
cette antenne, ou rhumour est prioritaire au meme titre que le cinema ou Ie fool : Jamel Debbouze,
Edouard Baer, Francois Damien, Louise Bourgoin, Julie Ferrier, qui assurait des chroniques aux cotes de
Stephane Bern, Michel Hazanavicius et des auteurs a la plume tres aceree, Alexandre Chariot, Franck
Magnier, Lionel Dutemple, Ahmed Hamidi. Julien Herve et Laurent Vassilian.
Canal +. c'est aussi Kami Raphael Mezrahi, Omar et Fred, Jules-Edouard Moustic et son equipe de
Groland, et meme un societaire de la Comedie-Francaise, Guillaume Gallienne, qui s'est laisse seduire
pour notre bonheur dans « Les Bonus de Guillaume ».
Last but not least, Les Robins des bois : de grands ados a l'humour plutot pipi-caca, mais parfois
gentiment caustique, avec deux comediens qui ont depuis explose, a juste titre, Marina Fo'is et Jean-Paul
Rouve, et « Bref », un bon programme court, avec un comedien qui est une revelation, Kyan Khojandi.
Bref, c'est le cas de le dire, je pense qu*en matiere d'humour a la television. Canal + tient la corde.
Reste a savoir si la chaine cryptee pourra rester longtemps la championne de rhiunour corrosif. Pour
1" instant, cela semble en bonne voie, malgre la concurrence de la tele numerique, meme pour « Le Grand
Journal », dont le peu d'insolence est largement compense par Tirreverence de Yann Barthes et de son
« Petit Journal ».
Thackeray, William (1811-1863)
William Thackeray, ne a Calcutta, renffe au Royaume-Uni apres le deces de son pere. U passe
quelques annees au Trinity College de Cambridge et part rouler sa bosse en Europe continentale avant de
cumuler des experiences professionnelles et universitaires malheureuses. II s'epanouit enfin, grace au
magazine Punch, pour lequel il redige une chronique sur les snobs. Perturbe par Tetat depressif de sa
femme, qui finira ses jours dans un hopital psychiatrique, il se lance avec succes dans la redaction de
fresques satiriques. La societe victorienne, ou Ton « donne de l'importance aux choses sans
importance », y est vivement critiquee.
Parrni ses romans, outre les fameux Memoires de Bar/y Lindotu La Foire aux Vanites s'impose avec
ses sept cents pages qui en ont fait bailler plus d*un. Pourtant, William Thackeray a des circonstances
attenuantes, son pave a d'abord ete ecrit sous forme de feuilleton pour Punch. Resultat : soixante
chapitres et une foison de personnages qui, en sitcom, auraient fait un beau record d'audience, car malgre
sa longueur, il s"agit d'un rotnan passionnant et extremement moderne, en tout cas beaucoup plus que ceux
de son contemporain Charles Dickens.
Le titre choisi par Thackeray est inspire par le roman allegorique The Pilgrim s Progress de John
Bunyan (1628-1688) ou le pelerin traverse la ville de Vanite. La il peut se procurer chateaux, titres de
noblesse, royaumes, bijoux, etc. Comme sur eBay. Son sous-titre : Un roman sans hems, des
personnages aussi futiles les uns que les autres qui se complaisent dans un rnonde de faussetes,
d'apparences et de flatteries. Obsedes par la reconnaissance sociale et par Targent, ils n'aiment qu'eux-
memes et sont prets a balayer vraies valeurs et principes moraux pour briller. II n'y a pas de gens bien,
sauf peut-etre William Dobbin, le seul a « regarder les gens en face avec la meme bienveillance et la
meme humanite, qu'ils soient importants ou modestes ».
Parmi les autres, imbus d'eux-memes, on trouve : un obese, Joseph Sedley, qui comprime son
embonpoint dans des gilets barioles trop etroits, un egoTste, George Osborne, qui emprunte de l'argent
pour s'acheter une epingle a cravate au lieu d'ofirir un cadeau a sa fiancee, un vieillard sale et vulgaire,
sir Pitt Crawley, qui a besoin de trois valets pour lui servir son maigre repas de mouton bouilli, et un bel
hypocrite, son fils, Pitt Crawley Jr.
Les femmes ne sont pas epargnees, sauf la terne Amelia, enfant docile puis epouse effacee, en qui
Thackeray voit « un charmant petit parasite ». Quant a Rebecca Sharp, Becky, arnbitieuse et sans
scrupules, qui cherche a se placer dans la high society, elle pourrait etre la cousine de Rastignac. Sans
naissance ni fortune, elle manipule les hommes et les creanciers de son rnari, joueur malheureux. Dans ce
monde ou on ne cherche qu'a garder ses privileges ou a les acquerir, on triche, on s'acoquine, on se
desherite et on se trahit. Sans violence, sans eclats de voix. On ne crie pas, on ne se laisse jamais aller.
La vanite n'aime pas la franchise. Les evenements majeurs de Fhistoire anglaise sont relegues au second
plan pour devenir un simple element du decor, quoique George Osborne, le mari d' Amelia, meure quand
meme a Waterloo.
Et puisque toute satire est accompagnee d'un message, Thackeray intervient frequemment aupres du
lecteur, ce qui me semble indispensable vu Tepaisseur du Iivre. II montre ainsi son degout pour une
societe qui vante la debrouillardise a tout prix. Et ce monde, « miroir qui renvoie a chaque homme le
reflet de son propre visage », est reste le meme. Uunivers impitoyable de la corruption n^a pas change.
Cest pour cela que Becky Sharp est devenue Thero'ine du film Vanity Fair, sorti en 2005. La Foire anx
Vanites a la tele ou au cinema ? Je vous disais bien que Thackeray etait le roi des sitcoms.. .
Thurber, James (1894-1961)
James Thurber est un homme pluriel, chroniqueur, editorialiste, illustrateur, il a cumule les talents qui
ont fait de lui un vrai humoriste. Je regrette qu'il soil peu connu en France.
II a travaille quelques annees a Paris, a Pambassade americaine. Pendant la meme periode (1918-
1921), il etait egalement correspondant pour 77/e Chicago Tribune. Ses qualites de journaliste y fiirent
vite appreciees, completees par la redaction de textes pleins d'hurnour. Ajoutons a son palmares un coup
de crayon tres sur, qui a fait de lui un precurseur de la caricature. Recrute des 1927 par Jlie New Yorker,
il devint Tun des piliers du magazine auquel il fournit nouvelles humoristiques et croquis pendant plus de
vingt ans. II y decrit des gens ordinaires. englues dans leur quotidien, qui ont seulement leurs fantasmes
pour survivre. Les animaux aussi Pinspirent, probablement parce quails ont les rnernes reves que nous :
un phoque attire par les feux de la rampe, un corbeau amoureux d'un moineau ou un loup qui essaie de
pieger une petite fille.
Lorsqu'il etait enfant, son frere Pa rendu borgne en jouant a Guillaume Tell. Malvoyant de Poeil
restant, on peut se demander comment sa carriere de dessinateur a pu etre possible. II a tout de rnerne
reussi a sublimer sa vision floue des choses, et dans un de ses Y\vres 9 L'Amiral sur fa bicyclette (1937),
on lit que : «Celui dontla vision est parfaite est enferme dans le monde de tous les jours, ilestprisonnier
de la realite, aussi perdu que Robinson Crusoe sur son ile deserte. » Quand il eut trop de problemes pour
dessiner, il continua en dictant ses nouvelles.
Fin observateur de ses proches, la vie de couple et ses aflres a alimente la plupart de ses textes.
Lorsque la mono tonic des relations conjugales devient insupportable, seule la flute dans Pimaginaire
permet de survivre. On peut partir dans les reves les plus loufoques, Walter par exemple (dans La Vie
secrete de Waller Mitty, 1939) se jette dans des divagations les plus folles. II suffit que sa femme aille
chez le coiffeur ou au supermarche pour qu'il decolle, et il devient tour a tour capitaine de navire,
chirurgien, pilote, prisonnier devant un peloton d'execution... Que du grandiose, que de Pexceptionnel.
Parfois Pantiheros ne se contente pas de fabuler et son imagination devient alors une arrne pour se
debarrasser de sa femme. Dans La Licorne aujardin (1940), il ne garde pas ses hallucinations pour lui.
c'est a son epouse qu'il decrit P animal a la corne d'or qui mange les roses, les tulipes et les lis de son
jardia Sa femme. pour qui tout reveur est un fou, veut le faire interner, mais quand il niera avoir vu un
animal qui n'existe pas, c'est elle qui aura droit a la camisole de force.
Dans un de ses croquis. House and Woman, la maison et la femme ne font qu^un. El les sont enormes,
effrayantes. Le bonhomme miniature semble paralyse. II recule. II n'ose pas entrer dans ce sanctuaire
surdimensionne, domine par un visage enonne au regard mechant
II est evident que pour Thurber toutes les femmes sont des megeres. Quant aux petites filles. leur
naivete n'existe que dans les contes de fees. D'ou cette histoire du Petit Chaperon rouge revue et
corrigee. La Petite Fille et le Loup ( 1940), ou la jeune heroine s'apercoit tout de suite de la supercherie :
« Car meme avec un bonnet de nuit un loup ne ressemble pas plus a votre grand-mere que le lion de la
Metro-Goldwyn ne ressemble a Calvin Coolidge. » La fillette sort un pistolet de son panier et tue le loup.
La morale ressemble a un avertissement : on ne peut plus faire croire n'importe quoi aux petites filles.
Je ne terminerai pas cet hommage sans evoquer cette remarquable Parahole en image, La Derniere
Flew (1939), traduite en 1952 par Albert Camus. Une histoire sans fin, de guerre devastatrice, de
survivants desesperes et d'une fleur, sauvee par une jeune fille. Peu a peu la nature renait, on redecouvre
P amour, on fait des enfants, on construit des maisons puis des villes, mais la jalousie prend le dessus.
D'ou une autre guerre. Qui detruit tout. Sauf une fleur.
On a dit a juste titre que son style repute difficile a definir se rapprochait de celui d'Alexandre
Vialatte. Et c'est ainsi que Thurber est grand.
Titres
C'est la denomination que l'auteur d'une ceuvre choisit pour designer sa production. Jusque-la, rien
d'anormal, mais lorsque ce titre est aussi excentrique, bizarre, imprevu, extravagant, baroque, cocasse
que saugrenu, il peut vous laisser hebete, mais aussi fou de bonheur, si Ton se plait comme moi a traquer
1'insolite ou qu'il se trouve. Ainsi, voici mon florilege personnel, minutieusement constitue au gre de mes
recherches enbibliotheques :
— Plaidoyer contre I 'introduction de codettas ou ceintures de chastete, 1750.
— Dii soulevement et de la cauterisation profonde du cul-de-sac retm-uterin dans les
retroversions lie la mat rice ; 1858.
— Trait e de la dissolution du man age pour cause d'impuissance, avec quelques pieces curieuses
sur le meme sujet, 1735.
— De ia guerison des fievres intermittentes et larvees au moyen de I 'os de seiche et de I 'ecaifle
d'huitre, 1864.
— Playsant quaquet et resjuyssances desfemmes pour que leurs maris n 'aillent plus ivmgner en
taverne, 1553.
— Almanach des cocus ou Amusements pour le beau sexe, 1 74 1 .
— Le Devoir de I armee dans la lutte contre I 'alcool, 1 90 1 .
— L'Histoired'un giant, ecrite par tin nam, 1755.
— L'Homme, singe degenere, notes et impressions d'un singe a travers le monde ancien et
moderne, 1893.
— La Vie d'Adam, traduction du chevalier de Mailly, 1695.
— L'Aine humaine et sa demonstration clinique ou medicale mise a la portee des gens du monde,
1874.
— Essai sur les moyens de procreer des en/ants d f esprit, 1810.
— De I 'influence des queues de poisson sur les ondulalions de la met\ 1895.
— Le Plaisir ineffable de la comptabilite, 1966.
— Etude sur la crampe des ielegraphistes, 1927.
— Le Sexe apres la mort, 1 983 .
— Pourqttoi Jesus etail-ll un homme et pas unejemme, 1914.
— L 'Heure des marees dans la mer Rouge comparee avec le passage des Hebreux, 1 755.
— Des merveilleux ejfets de la vis d'Archimede, 1820.
— De la cottrbe que decrit un chien courant apres son maitre, 1927.
— Le Sadisme oral et la Personnalite vegetarienne, 1926.
— Le Guide du pickpocket (Tfieorie et pratique), 1946.
— Heureuse bien que mariee, 1922.
— Le diahle existe-t-il et que fait-il ?, 1 863.
— L 'Eloge du sein desfemmes^ 1801 .
— La Pogonotomie ou I 'Art d 'apprendre a se raser soi-meme, 1 769.
— Comme quoi Napoleon n 'a jamais existe, 1827.
— Guide a I 'usage des chiens ampules, 2002.
— La Vie et I 'Amour dans I 'aquarium, 1 934.
— Comment profiler de son camel eon, 1938.
— Construisez voire cercueil en kit, 1997.
— Pourquoi Jesus n 'a jamais ecrit de livre, 1932.
— La Vierge Marie est-elle morte en Angleterre ?, 1985.
Topor, Roland (1938-1997)
II parait que le petit Roland, oui, il avail un prenom, des Page de irois ans, gravait dans la puree, a la
fourchette, des repliques de tableaux de Paul Klee, ce qui laissait sa famille emerveillee. Elle avait
raison, car celui qui allait se rendre celebre en etant a la fois dessinateur, peintre. ecrivain, poete,
ehansonnier et cineaste n'allait pas la decevoir. Le denominateur commun de toutes ces activites :
montrer cornbien Punivers est mal fait.
J'ai decouvert Topor dans les annees 1980 en lisant Les Memoires d'un vieux con, une parodie aussi
delicieuse que vache de ce genre litteraire qui est une veritable plaie : les memoires pretentieux.
Jusqu'alors, je pensais qu'il n'etait que ce dessinateur de talent, certes, mais dont le trait faussement naif
qui rendait Timage inquietante avec ses monstres graphiques, souvent grotesques, ine mettait mal a 1'aise.
N'enpeche que rhomme au chapeau melon et aux yeux en « asteroi'des » restera pour moi ce genial
« vieux con », qui raconte « avoir couche avec Sarah Bernhardt, bu des coups avec Lenine, papote avec
Levi-Strauss et invente le cubisme sous le nez de Picasso ». II hai'ssait la lettre « p », qu'il considerait
comme la bete noire de 1'alphabet. Jugez plutot : politique, police, pouvoir, poubelle, public, pollution,
pourriture, pompes funebres, pretre, prix, paiernent, protocole, peine de mort, punition, prepose,
parlement, prison, peche, pestilence, patrie, pape, patron, promotion, publicite, possession, piege, parti,
puritain, potence, procession, pruderie, procureur. partouze, piete, percepteur, progres, etc. Seul le « p »
de poesie trouvait grace a ses yeux.
Peu de temps avant la fin de sa vie assez breve, il avait commis un recueil inedit de trente-trois
nouvelles, Vaches noires, oil il se concentrait, comme Texpliquait son editeur, sur tous les themes qui lui
etaient chers : « Talienation par les choses et Targent, la monstruosite et la decheance physique, la
hantise du temps qui file et de la mort qui rode. Le tout baigne dans cet humour noir grincant, ce sens inne
du grotesque, cette fantaisie tantot potache, tantot inquietante, qui furent la marque de Tauteur ».
Francois Rollin, qui fut son ami et coauteur, en 1996 a la television, d'une sequence d'une minute
pour exprimer une pensee personnelle et originale, se souvient : « Topor prenait acte de Timpatience que
nous avions tous de Fannee 2000. II s'avouait lui-meme inpatient et proposait que, pour gagner du temps,
pour tromper rintenninablc attente, on saute sans vergogne les annees 1997, 1998 et 1999. qui ne
serviraient manifestement a rien, qui ne presentaient aucun interet particulier et qu'on aille directement en
2000, C'etait bien une idee de gosse, une idee libre et magique a la Topor. Et visionnaire,
malheureusement. Parce que si on avait ecoute Topor, il aurait eu le plaisir de saluer l'annee 2000. Mais
il est mort en 1997, la premiere de ces annees terribletnent superflues. »
Et pourquoi avait-il choisi ce titre pour ce recueil de nouvelles ? Parce qu'il detestait les vaches
noires, et il avait ses raisons : « On pretend qu'elles regardent passer les trains d'un air idiot, \fous
croyez que c'est par hasard que les trains deraillent ? Que les gens se jettent sous les locomotives ? Qu'il
y a des retards inexplicables a la SNCF ? Des greves ? Qu'il faut faire des heures de queue pour acheter
un malheureux billet ? Le vrai probleme des chemins de fer, ce sont les vaches, surtout les vaches
noires. »
Twain, Mark (1835-1910)
Ne en 1835 dans le Missouri, avec le passage de la comete de Halley, il est mort coirure il en avait
fait le vceu, avec le « repassage » de la comete. Ce qui expliquait pourquoi il se disait « mysterieux et
peut-etre surnaturel visiteiir venant d'autres lieux ». Et lorsque Ton parle de Iui, on peut se demander s'il
ne s'agit pas de quelqu'un d'autre : « Mon berceau, dit-il, flit place a cote de celui d'un autre enfant. Et
Tun de nous est mort. Je n'ai jamais su lequel est vivant, si c'est moi ou si c'est lui... » En fait, il ne
s'appelle pas Mark Twain mais Samuel Langhorne Clemens. II doit son pseudonyme a son sejour dans un
show boat sur le Mississippi. « Mark Twain ! », criaient Ies pilotes en lancant la sonde pour verifier la
profondeur de I'eau, ce qui signifie : « Marques-en deux ! »
Apres avoir ete typographe, chercheur d'or, pilote de steamer, negociant en bois et conferencier :
« Mesdames, messieurs, Shakespeare est mort. Swift est mort, Moliere est mort. Et moi-meme je ne rne
sens pas tres bien ! », Mark Twain debute dans le journal isme et, des la publication de son premier texte.
La Celebre Grenouille sauteuse du comte de Calaveras, c'est le succes.
C'est surtout grace a ses deux romans, Les Aventures de Tom Sawyer (1876) ciLes Aventures
d 'Huckleberry Finn (1885), qu'il connait ensuite la celebrite.
Pour Hemingway, Huckleberry Finn « est le meilleur livre que nous avons eu. Tout ce qui s'ecrit en
Amerique vient de la. II n' y a rien eu avant II n'y a eu rien d'aussi bon depuis ».
Cest dansLe? Voyage des Innocents qu'apparait veritablement Twain Thumoriste : une equipe de
touristes americains embarquent pour une croisiere de douze mois sur le Quaker City, premier voyage
organise de l'histoire du tourisme pour parcourir une partie de TEurope, Constantinople, la Crimee et
TEgypte. Et voila que Ton assiste a un florilege d' anecdotes cocasses sur le Vieux Monde. Twain s'en
donne a cceur joie : les Francais sont sales, Ies Italiens sont fourbes, les Grecs voleurs, etc.
— « Le vin allemand se distingue du vinaigre grace a r etiquette. »
— « Les vaches sacrees font les meilleurs hamburgers. »
— « La France rTa ni hiver, ni ete, ni principes ; mais exception faite de ces trois inconvenients, c'est
un beau pays. »
Rien ne lui resiste, ni les grands maitres ni les grandes figures du passe, pas meme Michel-Ange :
« A ce propos je voudrais dire un mot sur Michelangelo Buonarroti. Autrefois, je venerais le grand
genie de Michel-Ange, cet homme qui fut grand en poesie, en peinture, en sculpture, en architecture, grand
dans tout ce qu'il entreprit. Mais je ne veux pas de Michel-Ange au petit dejeuner, au diner, pour le the,
au souper et entre les repas. J'aime changer de temps en temps. A Genes, il a tout dessine ; a Milan, tout a
ete dessine par lui ou par ses eleves ; il a dessine le lac de Come ; a Padoue, Verone, Venise, Bologne,
de qui nous ont parle les guides, sinon de Michel-Ange ? A Florence, il a tout peint, il a presque tout
dessine, et ce qu'il ne dessinait pas il le regardait assis sur une pierre et on nous a montre la pierre. A
Pise, il a tout dessine sauf la fameuse tour, et on la lui aurait attribute si elle n'avait pas ete si
effroyablement hors de la perpendiculaire. [...] Mais ici c'est effrayant. II a dessine Saint-Pierre ; il a
dessine le pape ; il a dessine le Pantheon, I'mriforme des soldats du pape, le Tibre, le Vatican, le Colisee,
le Capitole et la roche Tarpeienne, le palais Barberini, Saint-Jean-de-Latran, la campagne romaine, la
voie Appienne, les Sept Collines, les thermes de Caracalla, Taqueduc de Claude, le Grand Cloaque [...].
Assez, assez, assez ! N'en dites pas plus ! Resumez ! Dites que le Createur a fait l'Etalie d'apres des
plans de Michel-Ange ! »
Que les guides soient egyptieas ou italiens, les joyeux croisieristes les surnomment tous Ferguson,
ceux a qui ils posent toujours la meme question : « Est-il mort ? »
Les mythes illustres y sont decrits comme des mensonges : bains turcs, barbiers parisiens et vendeurs
de morceaux de la vraie Croix et des veritables clous que les eglises de tous pays proposent aux
touristes. Cinq cents pages de bonheur, un « pique-nique dans TAncien Monde », ou la description plutot
sympathique des employes de Cheminde fer francais de I'epoque a encore de quoi faire rever.
Mark Twain, c'est aussi une plethore de savoureux aphorismes :
— « Octobre est un mois particulierement dangereux pour speculer en Bourse. Mais il y en a
d'autres : juillet, Janvier, septembre, avril, novembre, mai, mars, juin, decembre, aout et fevrier. »
— « Le fait de turner trf a sauve la vie, Chaque fois que je vais rnal, le medecin me supprime le
cigare. Et je gueris ! Oil en serais-je si je n'avais pas fume le cigare ? »
— « On pourrait citer de nombreux exemples de depenses inutiles. Les murs des cimetieres : ceux qui
sont dedans ne peuvent pas en sortir, et ceux qui sont a Texterieur ne veulent pas y entrer. »
— « Quelle est la difference entre un taxidermiste et un percepteur ? Le taxidermiste ne prend que la
peau. »
— « Je choisirai le paradis pour le climat, et 1'enfer pour la compagnie. »
— « Le Francais est le chainon manquant entre rhomme et le singe. »
— « Le lit est Fendroil le plus dangereux du monde, quatre-vingt pour cent des gens y meurent. »
— « Une heroine est une jeune fille avec qui il est parfaitement agreable de vivre dans un Iivre. »
Apres des episodes farrriliaux douloureux, mort de sa femme et de deux de ses filles. arrive a la fin de
sa vie « courbe cornme une parenthese », £1 n'ecrivait plus que dans son lit sans perdre son humour
legendaire : « Je n'ai pas toujours ete indulgent. Et si vous trouvez dans mes ceuvres des attaques
personnelles, lisez-les avec prudence. (Mais lisez-les : une rosserie fait toujours plaisir !) »
Mark Twain se defendait d'etre un humoriste, il voulait apparaitre coinrne un ecrivain, en cherchant a
depasser la chronique journal istique ou il excellait pourtant. Obsede par un certain pessimisrne social et
du fait meme par Dickens, il decrit parfaitement les problemes de rAmerique preindustrielle. Mais chez
lui, le discours incongru retrouvait toujours ses droits.
Tom Sawyer souhaitait pouvoir « mourir temporairement ». Mark Twain, lui, souhaite une mort
definitive : « Je suis venu avec la comete de Halley et j'espere qu'elle nvemportera avec elle. »
II ne croyailpas si biendire et meurtla veille du passage de la comete, le 21 avril 1910.
Vialatte, Alexandre (1901-1971)
Quelques jours apres sa mort, le 3 mai 1971, Jean Dutourd ecrivait : « La mort d'un des plus grands
ecrivains de notre temps, Alexandre Vialatte, est passee completement inaper9ue. Stendhal est mort ainsi,
et Flaubert, et Gobineau. et vingt autres. Pendant qu'on les enterrait a petit bruit, les journaux litteraires
etaient pleins d'auteurs dont les noms ont sombre aujourd'hui. Et quand ces noms-Ia sont restes, c'est
pire : une gloire excessive se paie par beaucoup de ridicule posthume. [...] Dans une trentaine d'annees,
le modeste, l'obscur Vialatte sera mis a sa place, qui est immense, et divers grands hommes d'a present
paraitront bien incroyables. Toute epoque a mauvais gout, la notre comrne les autres. Mais on ne le sait
que trente ans plus tard. »
Pour moi, Vialatte. que Desproges considerait comme Tun des ecrivains « les plus doues de sa
generation, voire duxx^ siecle », est Phornme qui nva le plus inspire, celui pour Iequel j *ai de la
veneration et que j'ai toujours reve d'imiter, en vain. Vialatte, qui disait de lui qail etait « notoirement
meeonnu » et qui definissait rhomme comme « un animal a chapeau mou qui attend r autobus 27. au coin
de la rue de la Glaciere », est la preuve incontestable que \e nonsense n'est pas une exclusivite anglo-
saxonne. Non, messieurs les Anglais, vous n'avez pas le monopole du nonsense ! Ce personnage bien
francais, auvergnat et amoureux de Tetrange et du saugrenu, est probableinent Tun des meilleurs
observateurs de son epoque, tout en faisant croire qu'il n'y comprenait rien.
Ce fils de militaire dont les ancetres etaient agriculteurs. originaires du hameau de la Vialatte pres
d'Ambert en Auvergne, est ne en 1901. Jeunesse vagabonde au gre des lieux de garnison de son pere,
etudes « a la Dickens » dans un college a Arnbert avec un professeur « philosophe de specialite et
ivrogne de vocation ». A seize ans, sous I' influence d'Henri Pourrat, son maitre, il devore Rimbaud,
Francis Jammes et Dickens. Pourtant, il opte pour les mathematiques et la langue allemande, ce qui le
menera en Allemagne, a Mayence, en 1922, oil il deviendra redacteur en chef de la Revue rkenone
jusqu'en 1927, et ou il commet en quinze jours son premier roman. Battling le tenebreux, qui sera publie
chez Gallimard avec la benediction de Paulhan et de Malraux. Suivront une douzaine d'autres tomans
dont Les Fruits du Congo et Le Fidele Berger. Traducteur de Nietzsche et de Thomas Mann, il iut aussi
celui qui traduisit et fit connaitre Kafka en France.
En 1933, sa femme Helene est nominee a Paris pour diriger TEcoIe des surintendantes d'usines. lis
s'installent en face de la prison de la Sante et Alexandre ne manque pas de tancer la devise de la
Republique qui orne le portail de la maison d'arret : « UEgalite et la Fraternite regnent peut-etre en ces
murs, mais la Liberte passe devant. »
II doit gagner sa vie, ses romans se vendent peu et ses traductions sont mal payees. II se tourne alors
vers le journalisme, mais pas n'importe Iequel, le « journalisme d'ecrivain ». C'est ce Vialatte-la et
surtout celui-la, le chroniqueur de Paris Match, Le Spectacle du Monde, Adam, Arts menagers, etc., qui
va m'eblouir.
Ce Vialatte-la, qui, comme disait Yves Fremion, est « capable a propos de tout et de rien de sortir de
superbes observations, aneetre de tous les Barthes ou Morin, mais quand rneme plus drole. Vialatte
disposait d'une sagesse exemplaire, absurde, ahurissante, le plus placidement du monde. Un style simple,
lirnpide - si simple qu'on n' arrive pas a le refaire — , capable de faire saisir Fimparfait du subjonctif a un
analphabete. Un ton unique. Reconnaissable entre mille. Profond et leger a la fois. La classe ».
« Chroniqueur », j'ai dit « chroniqueur » ? Parmi les genres Htteraires francais, la chronique est Fun
des plus difficiles a definir. A priori, comme dit Ferny Besson, amie et biographe de Vialatte. « la
chronique n'a pas toujours la rneme signification et indique souvent une specialite : chronique fmanciere
ou chronique mondaine. Les chroniques d'Alexandre Vialatte ont leur style propre. L'ecrivain semble
toujours, en apparence, y raconter n'irnporte quoi. Supreme politesse. En fait, sous des airs frivoles, il
nous dit Fessentiel : rhomme, avec sa brouette, ses bouts de ficelle, ses reves telleinent demesures au
coeur de ses aventures fatalement - quoi qu'il fasse - tellement mesurees. Cependant, au-dela de ses
etroites frontieres, rinfini. Ueternite. Qu'il trouve ou il peut : dans les spectacles quotidiens ». Ferny
Besson fait ici allusion^ je pense, a sa chronique qui durera pres de vingt ans dansZtf Montagrre, et j'y
reviendrai.
J'aimerais nrarreter d'abord sur ses chroniques plus legeres, comme celles publiees dans Marie-
Claire, ou ses almanachs drolissimes rendaient son patron furieux, car il n'y comprenait goutte, ainsi ses
faineux vrais-faux proverbes bantous :
— « D n'y a pas de bas morceau dans le gros ethnologue. »
— « Qui rit sous 1'okoume pleure sous Tacajoa »
— « Ne pile pas ton mil avec une banane mure. »
— « C'est se conduire en rekeke que d'etouffer le roukoukou dans sa coquille. »
Ou, toujours dans le rneme Marie-Claire, I'horoscope de ces dames :
« La femme Capricorne : Elle paie le beurre moins cher que les autres. Comme les hommes, elle
adore le marbre et Facajou, mais tout specialement le marbre blanc legerement persille de gris-vert qui
fait penser au fromage de brebis. Elle est frequemment veuve d'un general allemand et fonde dans son
grand age des religions etranges, d'une grande precision folklorique. »
C'est pendant les dix-huit dernieres annees de sa vie que, tous les dimanches soir, Vialatte porte sa
copie a la gare de Lyon et la depose au wagon postal du train de 23 h 15. Ainsi, jusqu'en 1971 , date de sa
disparition, Alexandre (le grand) Vialatte a commis pour le grand quotidien auvergnat 898 textes dont le
journal en a publie 888. Et de quoi parle-t-il semaine apres semaine ? De tout et de rien : « Une
chronique, il faudrait la faire pousser comme une herbe dans la fente d'un mur, dans les pierres de
Femploi du temps. »
Cet exercice de style particulier, qui demande acuite et concision, date de la plus haute antiquite.
comme « rhomme, car rhomme remonte a la plus liaute antiquite », selon lui.
Vialatte rfa jamais traite, et c'est tant mieux, des grands problemes du monde, mais plutot du
homard ; il preferait le homard au chien parce qu'il n'aboie pas et « qu'il n'aspire a la cuisson que
comme le Chretien au ciel ». II disait du chien : « Ce qu'il y a de meilleur dans rhomme, c'est le chien. »
De Tours : « Uours est fldele, monogame et bisannuel daas ses devoirs conjugaux. » Du kangourou :
« Sans le kangourou, rhomme n' await jamais su qu'il ne possede pas de poche rnarsupiale. » De
l'ecrevisse : « La douleur embellit l'ecrevisse », et de l'imparfait du subjonctif: « Que serait la vie sans
Timparfait du subjonctif... ? »
Les seuls titres de ses chroniques sont une invite a la lecture : « Magie de la bascule compensee »,
« Elasticite de la punaise », « L'Auvergnat est-il une mamelle ? », « Enfants cuits, enfants frits »,
« Grand-pere danois en loterie », « Chien tournant autour du soleil ». « Evidence du Gaiacum »,
« L'elephant est irrefutable », « Progres de la science : rhomme descendrait de rhomme », « Hitler et
fleur en pot », « Dames a vapeur ou bateaux a voiles et voiles de vapeur ».. .
C'est une sorte de rneli-melo, une galerie de portraits, une encyclopedic ou, comme il le dit lui-
meme, « un bric-a-brac oriental, un nceud de ficelles de toutes couleurs, un Luna Park, un marche aux
puces, im palais des merveilles du Facteur Cheval ».
Philippe Meyer, qui en a fait la lecture sur l'antenne de France Inter, ecrit dans une preface :
« Alexandre Vialatte est un eveilleur, ceux qui frequentent ses livres ont l'oeil. Ou plutot, ils n'ont pas le
rnerne ceil apres avoir lu Vialatte et laisse murir en eux ses proverbes bantous, ses fulgurances arvernes,
ses regrets des morts, ses miniatures des vivants, ses comptes rendus de lecture, ses meditations sur les
ogres et ses considerations imprevisibles sur toute chose, grande, moyenne, ou petite. »
Lisez Vialatte, il n'a pas pris une ride, vous y trouverez aussi de bonnes recettes : « Pour faire
r omelette aux champignons, achetez une grande maison rustique exposee aux vents de la tempete, essayez
les champignons veneneux sur un cousin pauvre avant de servir. » Des conseils pour enfoncer un clou
sans s'abimer les doigts : « J'achete done une escalope et je continue a taper sur mon clou. » Des verites
premieres que nous n'avions pas percues : « Le cheval est beau, mais la pantoufle est grande »,
« L'homme n'est que poussiere, c'est dire rimportance du plumeau. » Et des evidences qui nous ont
echappe : « Le temps perdu se rattrape toujours. Mais peut-on rattraper celui qu'on n'a pas perdu ? »
Jamais Vialatte ne m'ennuie. D'aucuns ont une bible sur leur table de nuit, rnoi c'est Vialatte, dont
j'aime lire une chronique ou deux avant de m'endormir. J'aime sa facon de manier 1' emotion sans pathos
et de faire rire sans vulgarite. Qu'il nous entretienne de petits pois, de la brievete de l'existence, de la
beaute des Alpes-Maritimes, « le departement des Alpes-Maritimes est peuple d'Alpins-Mari times », de
l'etat bien triste du foie et des bretelles de rhomme au milieu de sa vie ou de la necessite de
l'orycterope, Vialatte s*affirme comme le maitre de « Tincongruite et de la bizarrerie phenomenale ». Ce
n'est pas moi qui le dis mais Amelie Nothomb, avec qui je partage au moins ce point de vue.
Je ne resiste pas au plaisir de vous faire « gouter » un zeste d'une de ses meilleures chroniques :
« Eloge du homard et autres insectes utiles.
Au contraire de rhuitre et de la moule, le cheval ne se mange que mort. Avant de le hacher on le
deferre <les fers emoussent le tranchant du hachoir). Apres quoi on en fait du saucisson pur pore. Pour
manger du cheval mort, on l'achete chez le boucher. A la boucherie cheval ine. Elle est tenue par un
boucher chevalin [...]. Le cheval n'ecrit jamais. Jamais. II parle peuetn'ecrit jamais. »
Ah ! j'oublais, Vialatte terminait toujours ses chroniques par cette phrase : « Et c'est ainsi qu' Allah
est grand. »
Puissent le Prophete et ses millions de fideles ne pas oublier dans lews soutras celui qui les a si bien
celebres pendant 898 jours.
Vian, Boris (1920-1959)
C'etait un vrai fils de famille, qui pour faire plaisir a ses parents n'hesita pas a s'inscrire a l'Ecole
cenlrale (promotion 39) malgre sa passion, des l'age de dix-sept ans, pour la musique et parti culierement
la trompette qu'il appelle affectueusement sa « trompinette ».
Fan du trompettiste Bix Beiderbecke, de Dizzy Gillepsie et de Charlie Parker, il organisait avec ses
freres de grandioses surprises-parties ; c*etait Fepoque des zazous et des premiers cabarets de Saint-
Germain-des-Pres, ou la jeunesse insouciante de Papres-guerre venait s'eclater. Vian ouvre en 1947 un
minuscule club, Le Tabou, a Tangle de la rue Christine et de la rue Dauphine. Cet endroit deviendra le
rendez-vous mythique de toute rintelligentsia germanopratine qui refait le monde en pronant cette
nouvelle religion denoncee par les bien-pensants : Fexistentialisme. Pensez done, une theorie qui ose
pretendre que « l'absurde, la peur, r ennui et le neant sont les elements fondamentaux de 1' existence de
rhomme ! » et que « r existence precede F essence », e'est-a-dire que I'etre huinain formerait lui-merne
l'essence de sa vie... un comble ! Le Tabou est le seul bar du quartier a ne pas fermer a minuit. On y
rencontre des poetes : Toursky, Camille Bryen, et des ecrivains : Queneau, Sartre, Merleau-Ponty,
Camus, Kaplan ou Roger Vail land. On y danse le mambo et le boston ; on y boit des cocktails magiques :
« Le Saint-Germain (3/8 vermouth, 1/2 vodka, 1/8 Cointreau ou le "sperme de flamant rose", 1/3 crerne
fraiche ou lait concentre Nestle, 1/3 creme de fraise, 1/3 cognac) » ; on y organise des fetes rnemorables
dont l'electionde « Miss Vice » entre autres.
\fcila pour le decor, mais Boris Vian n'est pas seulement un pilier de bar et un trompettiste
talentueux, e'est aussi un compositeur tous azimuts : javas mondaines, cha-cha-cha militaires, « blouses »
de dentiste et rock alimentaire. Curieusement, lui qui deteste le rock et qui compose des parodies pour le
denigrer deviendra initiateur du rock fran^ais des annees 1950 avec « Rock and Roll Mops » ou « Fais-
moi rnal Johnny ».
Un soir de juillet 1959. sur la scene du casino de Dinard, Man se fait ejecter manu miliuui apres
avoir ose chanter son fameux « Deserteur », pour denoncer la guerre en Indochine. On le taxe
d'antimilitarisme et il retorque aux journalistes - qu'il abhorre et qui ne sont pour lui que des « pisse-
copies » - que « r usage d'une chanson est aussi correct que celui d'un rusil ». A partir de la tout
s'accelere ; Boris compose plus de cinq cents chansons reprises par Magali Noel, Philippe Clay, Dario
Moreno et, plus lard, par Higelin et Gainsbourg. Sa rencontre avec Henri Salvador sera decisive, car
e'est lui qui enregistrera « C'est le be-bop », sa premiere chanson a apparattre sur un disque ( 1950).
Malgre une sante fragile (une malformation cardiaque depuis Tenfance), Boris Vian brule la vie par
tous les bouts, et les mises en garde des deux femmes successives de sa vie, Michelle puis Ursula, n'y
feront riea
II se noie dans I'ecriture, devient un ecrivain exceptionnel, capable d'alterner la farce et le macabre,
le pathetique et l'ironie pour exorciser et dominer son angoisse.
Les Pataphysiciens ne s'y trompent pas : il est nomme « equarrisseur de premiere classe » au College
de 'pataphysique le 22 merdre 1970 (8 juin 1952). II est aussi le prince des neologismes : « antiquitaire,
biglemoi, doublezon » et surtout le « pianococktail », heros de son celebre roman L 'Ecume des jours,
dans Iequel oncroise uncertain Jean-Sol Partre, symbole de rhomme face a sondestin
C'est une histoire assez simple. Colin et Chloe s'aiment, mais Chloe tombe rnalade et Colin fait tout
pour la sauver. Le tout dans un univers surrealiste ou les anguilles jaillissent des robinets, oil les
apparternents retrecissent et ou les nenuphars poussent dans les poitrines.
Michelle, sa premiere epouse entre 1941 et 1952, a ete le temoin privilegie de la genese de ce Hvre.
En juin 2012, elle racontait dans une interview auMonde que Vian ne pensait pas elre publie ; il P avait
ecrit « pour les copains », en deux mois et demi, en 1946. Michelle reconnait que ce livre est une
declaration d'amour qui lui est destinee, que la Chloe du roman, c'est bien elle, et que Colin est bien
Vian. Sartre, que Van ne connaissait pas, mais dont il etait inconditionnel, avait trouve son portrait
« extremement drole » et il etait « ravi et flatte ». Avant de devenir le best-seller et le classique que Ton
connait, le livre a sa sortie est passe inapercu : trois cents exemplaires vendus.
Disciple de Swift et de Kafka, il flirte avec la science-fiction et ne cesse de publier sous des
pseudonymes differents. On en comptera jusqu'a vingt-sept parmi Iesquels Baron Visi, Brisavion,
Butagaz, Amelie de Lambineuse, Agenor Bouillon, etc.
Mais le plus connu est sans doute Vernon Sullivan, le soi-disant auteur de J'irai cracker sur vos
toinbes (1947) dont Vian pretendait etre le traducteur. Un livre violent et cm, ou Vian denonce le racisme
et la condition precaire des Noirs aux Etats-Unis. Considere comme immoral, voire pornographique, ce
livre fut interdit en 1 949 et son auteur fut meme condamne pour outrages aux bonnes rnceurs.
Comme un malheur n* arrive jamais seul. c'est au cours de la premiere projection de Tadaptation
cinematographique par Rene Gast, que Van desapprouvait totalement, qu'il eut une crise cardiaque qui
remporta. C'etait le 23 juin 1959 a 10 h 10 du matin. Vian avait ete en effet tres choque par ce qu'il
considerait comme un navet, avec un scenario inepte et des dialogues falsifies. La veille de sa mort, il
avait dit a sa compagne Ursula : « Je n'aurai jamais quarante ans. »
II y aurait encore tellement a dire et a retenir de cet homrne-orchestre qui a tant marque son epoque, et
qui a le mieux ceuvre pour faire de Saint-Germain-des-Pres Tun des quartiers les plus embletnatiques de
la capitale. Son Manuel de Saint-Germain-des-Pres, qui ne sera publie qu'en 1974, est a la fois un guide
pratique et historique, dans Iequel il demande a des personnalites locales d'endefinir les habitants :
— Paul Boubal : « des tralne-patins » ;
— Louis Barucq : « des semper-clubistes » ;
— Annet Badel : « des Germainophiles » ;
— Claudine Cheret : « des extravagantialistes » ;
— Madame Cordonnier : « des rongeurs » ;
— Louis- Armand Fevre : « naturels le jour et fort droles la nuit » ;
— Max Geraud : « des decaves » ;
— Juliette Greco : « des gens comme les autres » ;
— Henri Leduc : « pas d'habitants, ou plutot on ne les voit pas » ;
— Claude Luter : « les premiers comrnuniants » ;
— Edith la Rosiere : « des cerveaux » ;
— Gabriel Pomerand : « des Pratigerminois » ;
— Romi : « la definition depend de la date a laquelle ils se sont installes dans le quartier » ;
— Pierre Vone : « des cloportes nyctalopes ».
Vian. qui adorait les femmes, pretendait quand meme qu'il ne faut pas « courir deux levres a la fois ».
II n' avait pas une sympathie particuliere pour le grand docteur de Lambarene, heros des annees 1950 :
« Qu^il soit minuit ou midi, vous me faites chier docteur Schweitzer. » \bila qui resume bien le caractere
de ce fimambule toujours pret a ironiser sur les beni-oui-oui et le conformisme de son epoque.
Villers, Claude
Je ne sais plus comment nous sommes devenus complices, cela remonte assez loin, mais quand rneme
pas a Tepoque ou le jeune Claude etait catcheur professionnel. Eh oui ! Avant de devenir journaliste
correspondani de France Inter aux Etats-Unis, puis producteur, realisateur, animateur de je ne sais
combien d'emissions, a travers lesquelles on a pu partager avec lui sa passion pour les voyages, avec une
mention particuliere pour les trains et les voitures, Claude etait catcheur. . .
C'est un conteur-ne. Quand il ne recitait pas par cceur les horaires de I'indicateur Chaix de la SNCF,
il fallait l'entendre raconter Francis Blanche, sur lequel il a beaucoup ecrit, ou la fabuleuse histoire de
France Inter, dont je dirais presque qu'il est 1 'un des peres fondateurs avec son comparse Jose Artur.
Derriere l'ceil petillant et la legere surcharge ponderale (sic), il y a non pas Thumoriste, mais
Thomme d'esprit fin et delicat, qui a eu Fidee geniale en 1980 de renouveler le genre de I'interview, en
rernettant au gout du jour le vieux concept du tribunal radiophonique. Autre idee remarquable, demander a
Pierre Desproges d'en etre le procureur, charge de demasquer la betise urbi et orbi, et a Luis Rego de
jouer Favocat commis d'office.
Claude, le president, inaugurait chaque audience avec la traditionnelle phrase qui tue : « Tout
innocent est presume coupable », alors que Rego demarrait sa plaidoirie par : « De quoi t*est-ce qu'on
accuse-t-on mon client ? » Lorsque Daniel Cohn-Bendit se retrouva sur le banc des accuses, Desproges
n'hesita pas : « Permettez que je vous appelle Cohn ? » et il ajoutait sans rechigner : « Qu'on puisse etre
a la fois juif et allemand me depasse, c"est vrai, faut savoir choisir son camp ! »
Oe tres grands moments de radio et de fous rires, grace a ce cher Claude, qui reconnaissait d'ailleurs
s'etre inspire d'un autfe « Tribunal », celui de Pick et Ferrarry, qui faisait un malheur sur Radio-
Luxembourg des 1947, le dimanche apres-midi.
Voltaire (1694-1778)
Je ne peux passer sous silence ce pamphletaire eblouissant et ce virtuose de la formule qui ecrasait
son adversaire et le laissait sans voix. Ainsi I'obscur poete Freron, qui avait voulu riposter aux
moqueries de Voltaire, n'a du sa survie dans la posterite qua ce quatrain connu mais remarquable :
(T L' autre jour au fond d'un vidian
Un serpent piquu Jean Freron.
Savez-votts ce qui arriva ?
Cefut le serpent qui creva. »
Autre exemple, la lettre qu'il envoya a J.-J. Rousseau apres que celui-ci lui eut fait passer son
Discours sur i'inegalite, dont la teneur s'opposait diametralement aux idees qu'il pronait : « J'ai re9u,
monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous enremercie.. . On ne peut peindre avec des
couleurs plus fortes les horreurs -de la societe humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se
promettent tant de consolations. On n'a jamais employe tant d'esprit a vouloir nous rendre betes, il prend
des envies de marcher a quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de
soixante ans que j'en ai perdu rhabitude, je sens malheureusement qu'il irTest impossible de la
reprendre, et je laisse cette attitude naturelle a ceux qui en sont plus dignes que vous et moi... »
Vbltaire termine sa lettre par une ultime impertinence : « M. Chappuis m'apprend que votre sante est
bien mauvaise, il faudrait la venir retablir dans 1 'air natal [alors que Rousseau a ete chasse de Geneve, en
raison de ses idees, ce que Xbltaire sait ires bien], jouir de la liberie, boire avec moi du lait de nos
vaches, et [ultime moquerie] brouter nos herbes. »
Mais ses meilleures piques sonl celles qu'il reserva au Journal de Trevoitx et a son redacteur, le
frere Berthier, qui denoncait les hardiesses de V Encyclopedic a laquelle participail activemenl \bltaire.
Ce dernier imagine un voyage que fail le frere Berthier en compagnie de frere Coutu el de quelques
exemplaires du Journal de Trevoitx :
« Berthier sentit en chemin quelques nausees, sa tete s'appesantit, il eut de frequents baillements.
— Je ne sais ce que j'ai, dit-il a Coutu, je n'ai jamais tant bailie.
— Mon reverend pere, repondit frere Coutu, ce n'est qu'un rendu.
— Comment ! que voulez-vous dire avec votre rendu ? dit frere Berthier.
— C'est, dit frere Coutu, que je bailie aussi, et que je ne sais pourquoi, car je n'ai rien lu de la
journee, et vous n'avez point parle depuis que je suis en route avec vous.
Frere Coutu, en disant ces mots, bailla plus que jamais. Berthier repliqua par des baillements qui ne
finissaient point Le cocher se retourna, et les voyant ainsi bailler, se mit a bailler aussi, le mal gagna tous
les passants, on bailla dans loutes les maisons voisines, tant la seule presence d'un savant a quelquefois
d* influence sur les homines ! »
Une sueur froide s'empare des deux hommes, puis ils tombent en lethargic
« Quelques medecins de la cour, qui revenaient de diner, passerent [...] on les pria de dormer un
coup d'ceil au malade. Fun d'eux, Iui ayant late le pouls, s'en alia en disant qu'il ne se melait plus de
medecine depuis qu'il etait a la Cour. Un autre, l'ayant considere attentivement, declara que le mal venait
de la vesicule du fiel qui etait trop pleine, un troisieme assura que le tout provenait de la cervelle qui
etait trop vide.
[L'etat du patient empirait,] lorsqifun medecin principal [...] prononca qu'il etait empoisonne. A ce
mot, tout le monde se recria :
— Oui, messieurs, continua-t-il, il est empoisonne, il n'y a qu'a tater sa peau pour voir que les
exhalaisons d 1 un poison froid se sont insinuees par les pores, et je maintiens que ce poison est pire qu'un
melange de cigue, d'ellebore noire, d'opium, de solanum et de jusquiame. Cocher, n'auriez-vous point
mis dans votre voiture quelque paquet pour nos apothicaires ?
— Non monsieur, repondit le cocher. voila l'unique ballot que j'y ai place par ordre du reverend
pere. Alors il fouilla dans le coffre et en lira deux douzaines d'exenplaires du Journal de Trevoux.
— Eh bien ! messieurs, avais-je tort ? dit ce grand medecin. »
On dit que \bltaire est devenu le symbole de son siecle et meme la veritable incarnation de la culture
francaise. Longlemps considere comme un genie tragique et epique, il est peu a peu devenu un vrai
conteur ou chaque type de Iecteur peut prelever ce qui lui convient. II faut savoir que Francois-Marie
Arouet, dit Voltaire, a comrrris une centaine de volumes, rnais lesquels retenir dans un livre sur
rhumour ? En priorite son Candide paru a Geneve en Janvier 1759 et reedite plus de cinquante fois, ou
Ton voit Pangloss, te rnaitre de Candide, lui enseigner que tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes avant que la situation ne degenere en aventures abracadabrantesques et que Candide ne se voie
contraint d'epouser rhorrible Cunegonde.
Candide est un chef-tTceuvre d* humour, parce que c'est un des premiers modeles de parodie. La
philosophic de Leibniz y est caricaturee a travers le personnage de Pangloss et la succession
d'enlevements, de duels, de nauirages et de malheurs de toutes sortes fait indeniablement penser au roman
picaresque, tres en vogue a l'epoque. Quant aux femmes, elles sont a la lete : bafouees. humiliees et
objets de toutes les derives des hommes. J'en conviens, ce n'est pas drole, mais c'est de la parodie.
Voutch
Olivier Ybuktchevitch. qui atone aussi se faire appeler Olivier Chapougnot, est le dessinateur francais
qui, en dehors de mon ami Cabu, me fait litteralement exploser de rire chaque fois que je tombe stir Tun
de ses dessins.
Ce jeune homme ne en 1958 a tout pour lui, parce que ses gouaches qui ne se contentent pas d'etre
droles sont de petits objets d'art que Ton a presque envie d'encadrer. 11 a un vrai talent de coloriste pour
croquer ses personnages au nez epais et au corps tout en longueur. II pratique V observation appliquee des
comportements de 1'espece hurnaine, dans des univers qu'il connait bien. telles 1'entreprise et la
communication, ou i] a travaille comme directeur artistique avant d'en etre licencie, pour s'adonner son
sport favori, la peche en riviere. Si je vous dis que rami \butch-Chapougnot a ete champion de France
de boomerang de 1988 a 1991, vous n'en serez pas etonne, car r homme aime surprendre et il suffit de
lire ses biographies sur les jaquettes de ses livres pour en etre convaincu.
Dans Les Myster tenses Alchimies de I 'amour parues en 2010, il nous apprend par exemple qu'en
1966 il a « offert un Carambar a Delphine Boutboul en grande section de maternelle », qu' en 1979 « il a
eu une liaison torride avec Claudia Cardinale » avant de faire Tacquisition en 1989 « d'une R5 GTL ».
Nous voila bien avances pour tout savoir sur cet homme faussement timide, qui, dans Les Joies tin monde
moderne (2011), nous propose une autre pirouette avec une « recette de la tanche de la Saone au
beaujolais » en guise de biographic
V)utch a realise une vingtaine d'albums et publie regulierement ses dessins dans Lire, Le Point,
Psychologies ou Madame Figaro* II aime Pierre Etaix et Jacques Tati, et emporterait des livres
d'Echenoz et de Houellebecq sur une ile deserte, sans oublier des albums de Sempe qu'il considere
comme Tun de ses peres.
Difficile de me livrer ici a une description de mes dessins favoris, mais faites quand rneme un effort
pour imaginer un homme et une femme face a face dans une espece de jungle :
« Premier homme, enchante !
— Premiere femme. enchantee ! »
Ou un bobo-dragueur dans un cocktail :
« C'est completement dingue : on s'est rencontres il y a une minute et j'ai Fimpression de vous
connaitre depuis une minute trente. »
Ou encore, une scene dans Ie cabinet d' une juge d' instruction oil F accuse se defend en ces terrnes :
« Moi, obsede sexuel ? Cette accusation est ridicule, madame la juge ! Comment peut-on dire des
enormites pareilles quand on possede une exquise petite poitrine. Laissez-moi deviner, 90 B. 90 C ? »
A moins que vous ne preferiez ce dialogue entre deux mouettes dont Tune s'appelle Anne-Sophie et
qui regrettent de ne pas pouvoir avoir des rapports homme/femme mais seulement des rapports
« mouette/mouette », ou cet avocat qui annonce a son client : « II y a quand meme une bonne nouvelle :
vous etes nomine cornme "homme de Fannee" dans la categorie serial-killer. »
\butch vous suggere aussi de gouter « un reblochon fermier re-designe par Philippe Stock », « un
sorbet antidepresseiir vanille ou antidepresseur fraise », d'assister a « une manifestation d'eleclriciens
chauves et bisexuels du Gers en colere » et d'ecouter « une clianson qui parle de la difficulte de rester
Fidole des jeuncs quand on a quatre-vingt-douze ans, du cholesterol, de Farthrose et un anus artificiel ».
Merci, monsieur Chapougnot.
Wilde, Oscar (1854-1900)
« Ou c'est ce papier peint qui disparatt, ou c'est moi. » C"est le papier peint qui a remporte le
combat et Oscar Wilde a rendu Tame, le 30 novembre 1900. quand ce siecle etait encore trop jeune pour
l'apprecier, dans une charnbre d'hotel au decor miteux de la rue des Beaux-Arts a Paris. Cet homrne
quittait la vie, « une affaire trop importante pour etre prise au serieux », de la meme facon qu'il Tavait
vecue. apres avoir mis, comme il le confia a son ami Andre Gide, « tout son genie dans sa vie et tout son
talent dans son ceuvre ».
Doue d'un esprit etincelanL, fin lettre, ce cadet d'une famille irlandaise ne en 1854. fils d'une
poetesse chantre de la cause irlandaise et de sir William Robert Wilde, eminent chirurgien anobli par la
reine, subjugua la societe londonienne de Tepoque. Son proces et sa condamnation a deux ans de travaux
forces pour outrage aux mceurs entrainerent sa decheance et, apres sa liberation en 1897, c'est un etre
brise qui quitta TAngleterre pour 1'exil et Terrance.
Tres. franchement, je me suis dernande s'il etait bien necessaire de mentionner Wilde dans ce
dictionnaire subjectif, oil je suis suppose n'y faire figurer que mes coups de caur. Or. je tourne depuis
longtemps autour de r ceuvre de ce cher Oscar sans y trouver le declic qui pourrait me le rendre
inconsumable. Certes, voila unhomme qui excellait aussi bien dans les pieces de theatre, les romans, Ies
essais que dans la poesie. C'etait un grand provocateur de son temps qui pratiquait l'irreverence avec
Mgurance : « II semble parfois que Dieu en creant rhomme ait quelque peu surestime ses capacites »,
avait-il coutume de dire. Une phrase comme celle-ci justifie a elle seule la qualification d'homme
d'esprit exceptionnel. On con^rend alors que les personnes qu'il frequentait aient pu se delecter de sa
conversation et de ses saillies Iegendaires :
— « Je vis tellement au-dessus de mes revenus qu'en verite nous menons, eux et moi, une existence
entierement separee. »
— « Ne jamais remettre a demaince que Tonpeut faire apres-demain. »
— « Je peux resister a tout, sauf a la tentation. »
— « Je deteste les gens qui parlent d'eux-memes quand j 'ai envie de parler de moi. »
— « Tuer est une faute : il ne faut jamais rien faire dont on ne puisse parler apres le diner. »
— « Les amateurs de musique ont ceci de penible qu'ils nous demandent toujours d'etre totalement
muets au moment meme ou nous souhaiterions etre absolument sourds. »
— « II est parfaitement monstrueux de s'apercevoir que les gens disent dans notre dos des choses qui
sont absolument et entierement vraies. »
— « Lameilleure fagondese conduireavec une femmeest de lui faire 1* amour si elle est belle, de le
faire a une autre si elle est laide. »
— « Notre vraie vie est si souvent celle que nous ne tnenons pas. »
— « La sincerite a petites doses est dangereuse ; a fortes doses, elle est carrement fatale. »
— « Les Anglais ont le pouvoir miraculeux de transformer Le vin en eau. »
— « Dans la vie moderne, rien ne fait autant d'efiet qu'une bonne platitude. Aussitot, tout le monde a
l'impression d'etre en famille. »
Mais pour moi Oscar Wilde n'est pas un humoriste, meme si cet imrnense auteur de theatre, et nul ne
peut le contester, est un genie dans Tart de la replique. En particulier dans Un mari ideal ou dans Le
Portrait de Dorian Gray.
Ce qui fascine chez Wilde, et j'y souscris totalement, c'est F extravagance de sa vie, son
immoral isme, la virulence avec laquelle il denonca Phypocrisie de la societe victorienne. On dit aussi,
sans doute a juste titre, qu'il est un des quatre grands Irlandais qui donnerent a la litterature anglo-
saxonne du tournant du XX? siecle fantaisie et vigueur, avec Bernard Shaw, Synge et Yeats.
Ce qui me gene, et qui n'en fait pas forcement le prince des humoristes, c'est une prise de conscience
pessimiste et recurrente dans son ceuvre qui fait que la societe qu'il denoncait finirait un jour par
l'abattre. II n'avait pas tort. Bien au contraire.
Wodehouse, P. G. (1881-1975)
Quand on se decouvre afruble d'un drole de prenom : Pelham Grenville, on ne peut qu'en vouloir a
ses parents ou decider de se faire appeler Plum. C'est ce que fit P. G. Wodehouse, joyeux trublion
britannique du XX? siecle.
Amoureux de la vie. farceur, il tornbe sous le charme de la France ou il aime sojourner. Et c'est la
que les Allemands viendront rarreter pour Tenvoyer en Pologne en 1940. Prisonnier, il ne perd pas son
temps : les sketches qu'il met au point alimenteront plus tard des emissions de radio que les Allemands
lui permettront de realiser a Berlin. Accuse par les Anglais de collaboration avec les nazis, il part vivre
a New York et deviendra citoyen americain en 1955. Sa carriere litteraire commence tot, un premier
romana vingt ans, des clironiques dans le journal londonien The Globe, suivis de Pimpressionnante serie
des Jeeves. C'est d'ailleurs grace a ce heros fetiche que Ton parle encore de Wodehouse aujourd'hui, en
qui les plus erudits et les plus lettres de mes contemporains voient un humoriste inegale.
La premiere histoire de Jeeves date de 1917, la derniere de 1974, avec une quinzaine de litres
consacres a ce valet extraordinaire. Car Jeeves est d'abord un domestique irreprochable au service d'un
aristocrate oisif et fortune. Ce dernier, Bertram Wooster, n'irnpressionne ni par sa culture ni par son
intelligence, et dans ce duo maitre-valet, c'est Jeeves qui brille par ses qualites. Tout ce qu'il entreprend
est parfait, que ce soit la cuisson des ceufs au bacon ou la confection de boissons contre la gueule de bois.
SMI est Indispensable a Bertie, ce n'est pas seulement pour ses talents culinaires. Omniscient, doue d'un
bon sens excepuonnel, c'est vers lui que Bertie se tourne quand il est dans le petrin, car sa vie est
eneornbree de tantes redoutables. de jeunes filles faussement honnetes, de jumeaux roublards, et d'un ami
qui conibnd histoires d'amour et imbroglios inextri cables. Bertie, dont la vie personnelle ressemble a un
desert, est toujours pret a voter au secours des autres. Mais comme sa bonne volonte n'a d'egale que sa
naivete, il s'enlise dans des situations compliquees, dont seule Tintervention de Jeeves peut le sauver. Et
contrairement a ses amis dont les valets ne servent qu'a repasser les pantalons, il reconnait : « Des notre
premiere rencontre j'ai vu en lui une sorte de guide, de philosophe et d'ami. » Jeeves est le confident, le
complice, qui ecoute avec deference, pour ensuite conduire son maitre vers le bon sens. Discret, il reste
toujours a sa place et ne donne son avis que lorsque Bertie le lui demande, et c'est avec une grande
modestie qu'il cite quelques vers du poete romain Lucrece, Medio de fonte leporum.
Cette finesse d'esprit et cette disponibilite intellectuelle font de lui un personnage seduisant Et bien
que sa reserve et son elegance morale soient typically british, il appartient a la grande famille des
domestiques sans qui les puissants et les nantis n'existeraient pas. Jeeves est a Bertie ce que Figaro est au
comte Almaviva, Sganarelle a Don Juan, Sancho Panca a Don Quichotte et M. Stevens a lord Darlington
dans Les Vestiges du jour . Et c'est parce qu'il le voulait immortel que Wodehouse a tant ecrit sur lui,
pour le plus grand bonheur de ceux qui, comme Jean d'Ormesson, aiment qu'un livre les surprenne :
« Cet auteur est absolument irresistible. Je le relis sans cesse. Une histoire de Jeeves, ca vous remet
de bonne humeim La tante Agathe est d'une formidable drolerie. Et pourtant, les romans de Wodehouse
ne sont pas tres Iitteraires, ce sont plutot des romans de delassement. Mais ils finissent par trouver leur
place tellement c'est amusant et brillant. En France, dans le meme genre, nous avons eu Courteline,
Labiche, Feydeau, Allais. Malheureusement, cette veine a completement disparu chez nous. » (Cite par
Delphine Peras.)
Ces nouvelles, avec leur air de journal intime, se ressemblent tellement qu'il m'est impossible d'en
preferer une, mais vous y trouverez toujours des phrases pleines de sagesse : « Carpe diem, monsieur,
comme Ta chante le poete romain Horace », ou encore : « Votre coude trempe dans le beurre, monsieur. »
Quelle cliance il avail, ce Bertie ! Jeeves lui evitait les reponses trop maladroites, les tautes de gout,
les taches disgracieuses. Quant a nous, pauvres de nous, nous sommes condamnes a choisir nos cravates
et nos chaussettes tout seuls. Et a reviser nos classiques.
Wolinski, Georges
Ne a Tunis en 1934, fils de Ziegfried, assassine par un ouvrier quand il avait deux ans, et de Lola,
peu presente, car exilee a Briancon pour soigner une tuberculose, le petit Georges n*a pas eu une enfance
tres chaleureuse. Un de ses souvenirs les plus anciens : des femmes arabes dans la patisserie du grand-
pere, qui se devoilent pour manger des gateaux.
Avant d'etre porte sur « la chose », c*est le moins que Ton puisse dire, il rut parait-il « tardivemenl
depucele et obsede* textuel. plutot que sexuel, contemplatif et melancolique ». II dit d'ailleurs de lui :
« Tout petit je savais que je ne serais pas precoce. »
Inspire par Chaval et Sine, il debarque a Paris en 1949 et entre kHara-Kiri en 1960. Ce sont
essentiellement ses dessins pendant les evenements de 1968 qui le feront connaitre du grand public.
Redacteur en chef de Charlie Hebdo en 1970-1971, il collabore kL'Humanitd, au Native/ Ohservateur,
dirige meme L 'Echo des savanes en 1982, et participe maintenant au Journal du dimanche et a Match. D
est partout.
Wolinski n'est pas seulement un homme du « trait », c'est aussi un ecrivain brillant. auteur de pieces
et de rornans, tres sollicite par les publicitaires, car il excelle dans les formules lapidaires :
— « Seul un gouvernement a poigne evitera a la France d'avoir un regime autoritaire. »
— « Je ne pense qu"a ga, mais le probleme, c'est que je n ai pas que ga a faire. »
Ou encore :
— « Quand j'einprunte une idee a un autre, j 'oublie souvent de la lui rendre. »
Pour la psychanalyste Elisabeth Roudinesco, Wolinski a un « genie du desir sexuel ». Et pour le
journaliste Patrice Trapier : « La femme est l'avenir de Georges, la condition de sa survie, Terection
plutot que la disparitioa »
Cela explique pourquoi son univers est envahi de jeunes femmes legeres et aeriennes, qui semblent
etre la pour le Iiberer sans doute du poids ecrasant de la vie et de son angoisse de la mort. D'ailleurs, il
verrait bien grave sur sa tombe ce mot de Cavanna : « Wolinski, on croit qu'il est con parce qu'il fait le
con, rnais en realite, il est vraiment con. »
On dit qu'il ne refuse pas les honneurs ; il n'a pas renvoye sa Legion d"honneur et s"est trouve a juste
titre flatte par rhommage national qui lui tut rendu Pete 2012 a la BNF, alors que paraissaient
simultaneinent deux anthologies de son ceuvre.
Ce vieux gaucho, toujours en train de raler, est un homme fragile qui cache bien son jeu, car il airne
profondement les gens. Derriere sa timidite, il a comme son ami Cabu toujours un carnet de dessins a
portee de main pour croquer les siens ou des silhouettes de passage. Contrairement aux apparences, son
humour n'est pas noir. mais tendre. La preuve, le Candide de Voltaire est son Iivre de chevet.
Yanne, Jean (1933-2003)
L'homme qui pretendait toujours « se marrer » mfa, je dois Favouer, toujours fait marrer. Je ne me
lassais jamais, des que je le pouvais, d'ecouter ses emissions sur les radios dites peripheriques dans les
annees 1970-1980.
J'airnais sa gouaille parisienne, son humour grincant mais jamais mechant. J'airnais Fhomme raleur,
vachard, egoi'sie et roublard, le « beauf » de service qui savait si bien se moquer de ses congeneres : « A
Bali, ils laissent faire les ploucs, ils ont besoin de leurs sous. J'ai vu des trues incroyables a Bali :
"Mernene, monte sur Bouddha, assieds-toi entre ses cuisses, e'est rigolo." Je me demande ce qu'ils
diraient si des mecs montaient sur les epaules des Christ perches sur les calvaires bretons. »
J'airnais Fhomme qui se moquait aussi bien du « chobizenesse » : « J'ai connu un temps ou les
chanteurs essayaient de devenir celebres. Aujourd'hui, ce sont les celebrites qui essaient de devenir des
chanteurs. »
J'airnais celui qui atfirmait :
— « Les homines naissent libres et egaux et peuvent obtenir n'irnporte quoi. a condition d'avoir du
pognoa »
— « Je preiere les douzaines d'huitres aux douze apotres. »
— « V amour, e'est un sport. Surtout s'il y en a un des deux qui ne veut pas ! »
— « Si le gouvernernent creait un impot sur la connerie, il serait tout de suite autosuffisant. »
— « Ce n'est pas possible ! Pour etre aussi con, tu as appris. »■
— « Le jour oil le flagrant delit de connerie sera passible des tribunaux. il y a pas mal de juges qui
n'auront pas a quitter la salle. »
— « Le rnonde est peuple d'imbeciles qui se battent contre des derneures pour sauvegarder une
societe absurde. »
— « Ni Dieu ni rnaitre. meme nageur. »
11 est aussi Fauteur des celebres slogans : « II est interdit d'interdire » et « Quand j'entends le mot
culture, j'ouvre mon transistor ».
J'airnais Fhomme des ernbarras de Rome : «Merdum ! Crevam ! Appelare flicum ! Non mais
defoam », et celui de Tout le rnonde il est beau, tout le monde il est gen/iL film au succes phenomenal et
a travers lequel il narrait de facon romancee la maniere dont il Hit vire de la radio.
Jean Yanne etait un extraordinaire acteur de cinema qui se revela veri table ment dans Que la bete
meure ciLe Boucher, deux films de Chabrol, sans oublier Notts ne vielllirons pas ensemble, de Pialat,
en 1972. Des films oil il incarne des personnages insensibles et brutaux avec un talent fou, mais il refuse
le prix d' interpretation que lui decerne le festival de Cannes.
J'airne enfin celui qui avail imagine : « Le jour du Jugement dernier, Dieu comparaitra devant moi. »
Jean Gouye, alias Jean Yanne, attend ce jour « beni » depuis le 23 mai 2003 au cimetiere des Lilas, a
Paris.
Zouc
Ceux qui s'irnaginent que j'ai appele Zouc a la rescousse pour terminer ce livre, parce que j'avais
besoin d'un Z, ont tout faux !
La dame, au corps ample sous sa robe noire, ses cheveux tires et sa raie au milieu, m'a bouleverse
lorsque je l'ai decouverte par hasard dans un cafe-theatre, dans les annees 1970. Je suis alle la voir et la
revoir, la ou elle se trouvait Je m'en souviens cornme si c'etait hier, et je connais toujours presque par
cceur certains de ses sketches.
Jerome Garcin ecrivait en octobre 2010 : « Cela fait plus de vtngt ans que Zouc nous manque. Le vide
qu'elle a laisse est proportionnel a la place "henaurme" qu'elle a occupee. Ceux qui l'ont vue sur scene
n'ont jamais oublie son physique primitif, son cheveu noir et plaque, son regard hallucine, sa bouche
elastique, sa faculte effrayante et grotesque de se metamorphoser en nouveau-ne grimacant, en si gentille
petite fourmi, en vieillarde arlhritique. en Vierge Marie ou en folle enfermee a Fasile. »
Zouc, de son vrai norn, Isabelle von Allmen, est nee en Suisse en 1950, dans une famille
aristocratique. Internee a seize ans dans un asile psychiatrique, elle observe les malades, ]es infirmieres
et les medecins que Ton retrouvera dans ses futurs sketches. En 1966, elle entre au conservatoire de
Neuchatel et enchaine les spectacles en Suisse puis a Paris, au theatre du Vieux-Colombier, a Bobino, oil
elle croise Tania Balaclwva, Sylvie Joly et Josiane Balasko, qui l'aident a conposer son personnage
exceptionnel.
Maryline Desbiolles. fascinee par celle qui se considerait cornme « un steak hache suspendu a une
corde a linge par jour de grand vent », lui a consacre un livre, Unefemme drole, dans lequel elle justifie
sa passion : « Cette comedienne etrange, pourvue d'un accent Suisse et d'une voix capable de monter tres
haut dans les aigus lorsqu'elle se livre a Tune de ses incarnations : en scene > elle est a la fois la petite
fille capricieuse, la mere exasperee, la maitresse d'ecole, la paysanne du Jura. .. »
En 2006, Nathalie Baye a repris au theatre la Iongue confidence de Zouc a Herve Guibert en 1974.
Guibert avait dix-neuf ans, elle vingt-quatre et il Fecouta, meduse, pendant de longues heures, parler de
son enfance etouffante, de sa fascination pour les morts, de ses complexes de ronde mal ilchue et de ses
dix-huit mois d'internernent qui Ton profondement meurtrie. Ce qui me captive le plus chez elle, c'est le
talent qu'elle deploie pour observer et restituer avec ses mots et ses mimiques a vous couper le souffle la
triste vie quotidienne.
II faut la voir et Tentendre pendant plus de sept minutes suspendue au telephone avec une madame
von Allrnea qui porte curieusement son nom de naissance, et qui signifie « paturages alpestres » en Suisse
allemand.
On rit et on trepigne, car chaque fois qu'elle est censee raccrocher, son interlocutrice relance la
conversation. Les « ecoutez ! », les « oui ! », « non ! », « bien sur ! » ? « mais je vous en prie ! » sont
distil les avec cet accent inimitable, tout en adressant des signes desesperes a son mari pour qu'il baisse
le gaz de la cuisiniere. II faut la voir imiter un nouveau-ne vagissant qui suce ses poings, il faut Tentendre
presenter dans le sketch du « paddock » des chevaux et leurs proprietaires en se trompant dans ses
fiches : « On me signale une erreur : Riquet est le nom du proprietaire et Jean-Claude est le nom de ce
magnifique etalon : Monsieur Riquet, faites trotter Jean-Claude, trotte... trotte... ! »
Malheureusement, Zouc a disparu de la scene en 1997, a la suite d'une maladie nosocomiale. Depuis,
elle survit en Suisse. II parait qu'elle a toujours ce besoin « d'exister dans la rnemoire des autres ». Pour
ce qui me concerne, elle peut etre rassuree.
Pantheon
— Absence : « Est-ce que je t'ai manque pendant mon absence ? - Quel le absence ? » Anonyme.
— Absinthe : « Je m' absinthe un moment. » Antoine Blondia
— Academic : « Un academicien, c'est un type qui a un pied dans la tombe et qui ecrit avec F autre. »
Anonyme.
« Academicien ? Non. Le costiune coute trop cher. J'attendrai qu'il en meure un de ma taille. »
Tristan Bernard.
« Un academicien est un homme qui se change en fauteuil quand il meurt. » Jean Cocteau.
« Si je suis elu, je serai "Immortel"... etsi je ne le suis pas,je n'en mourrai pas ! » Andre Roussin.
« L'Academie ? Avec une minuscule, c'est un corps de jolie femme. Avec une majuscule, c'est un
corps de vieux barbons. » Paul Morand.
— Accent : « C'est quand les accents graves tournent a l'aigu que les sourcils sont en accents
circonflexes. » Pierre Dae.
— Accord : « Un accord est la rencontre de deux arriere-pensees. » Paul Valery.
— Acteur : « Pourquoi les acteurs ne lancent-ils jamais de tomates au public ? » Jacques Sternberg.
— Ad hoc : « Locution d'origine latine signifiant : ce poissonest fame. » Raoul Lambert.
— Adolescent : « Si le fils d'Abraham avait ete un adolescent, on n'aurait pas parle de sacrifice. »
Scott Spendlove.
— Adulte : « Quand mon ills estne.j'ai revequ'il etaitadulte etqu'il recevaitleprix Nobel. Mais la
meme nuit, j'ai fait un autre reve ou il disait : "Les frites, vous les voulez sir place ou a emporter ?" »
Robin Williams.
— Adultere ; « Si le Christ a pardonne a la femme adultere^ c'est parce que ce n'etait pas la sienne. »
Anonyme.
« n paraitrait logique qu'un roman sur 1* adultere soit redige a la troisieme personne. » Gregoire
Lacroix.
— Age : « Impossible de vous dire mon age, il change tout le temps. » Alphonse Allais.
— Air : « Le corps humain est allergique a Pair : des qu'il en avale, il le recrache aussitot. » Jacques
Sternberg.
« Entre censeurs et encenseurs, Pair est irrespirable. » Frederic Schiffter.
— Alcool : « L'alcool tue lentement. On s'en fout. On n'est pas presses. » Georges Courteline.
— Allemand : « La vie est trop courte pour apprendre l'allemand. » Richard Porson.
— Ambiance : « C'est la lurniere qui baisse et les prixqui moment. » William Attwood.
— Ami : « Tout le monde veut avoir un ami — personne ne s'occupe d'en etre utl » Alphonse Karr.
— Amour : « Je me souviens tres bien de la premiere fois ou j'ai fait 1" amour. J'ai encore le recu. »
Groucho Mane
« Est-il plus important d'etre amoureux ou aime ? Question sans interet si votre taux de cholesterol
depasse six cents. » Woody Allen.
« Cela fait quarante ans que je suis amoureux de la meme femme. Si mon epouse Fapprend, elle va
me tuer. » Henny Youngman.
— Anarchic : « Le Christ est un anarchiste qui a reussi. C'est d'ailleurs le seul. » Andre Malraux.
— Anglais : « L'hiver anglais se termine enjuilletet recommence enaouL » George Gordon
« Je ne suis pas anglais. Aucontraire. » Samuel Beckett.
— Animal : « Un animal rnort n'est jamais dans son assiette. » SylvainTesson.
« Noe, dont 1'arche venait d'appareiller, se rendit compte que tous les animaux avaient des puces,
alors qu'il n'en fallait que deux. » Anonyms.
— Anniversaire : « La semaine derniere, Pusine de bougies a brule et tout le rnonde a chante "Joyeux
anniversaire" 3 » Steven Wright.
— Antiquaire : « \fous voulez rigoler ? Rentrez chez un antiquaire et dites : "Alors, quoi de neuf ?" »
Henny Youngman.
— Aperitif : « La suite au prochain apero ! » Francois Morel.
— Aquarium : « \bus voulez savoir pourquoi Jesus a ete crucifie plutot que noye ? \bus vous voyez
avec un aquarium au-dessus de votre lit ? » Jerome Hart.
— Arbre : « II y a deux sortes d'arbres : les hetres et les non-hetres. » Raymond Queneau
« Y a-t-il des arbres a pain dans les lies Sandwich ? » Jacques Meunier.
— Architecte : « On fait parfois des pendaisons de cremaillere. II vaudrait mieux, de temps en temps,
pendre un architecte. » Jean Mistier.
— Argent : « Uargent m'est preferable a la pauvrete, ne serait-ce que pour des raisons financieres. »
Woody Allen.
« II est agreable d'avoir de l'argent parce que cela permet de choisir la forme de misere qui vous
convient. » Orson Welles.
« Dans les fins de mois, ce qui est le plus dur, c'est les trente derniers jours. » Coluche.
« Tant que mes chefs font comme si je gagnais beaucoup, je fais comme si je travaillais beaucoup. »
Anonyme.
— Armee : « Engagez-vous dans 1'armee ! Venez rencontrer des gens passionnants... et tuez-les ! »
Anonyme.
— Assiette : « Piece de vaisselle dans laquelle le percepteur verse Timpot. » Raoul Lainbert.
— Athee : « Dieumerci, je suis athee. » Anonyme.
« J'ai failli devenir athee... mais ils n'ontpas assezde jours feries. » Henny Youngman.
— Au-dela : « Un au-dela ? Pourquoi pas ? Pourquoi les morts ne vivraient-ils pas ? Les vivants
meurent biea » Chaval.
— Australien : « Les Australiens sont la preuve vivante que les Aborigenes font 1' amour avec les
kangourous. » John Freeman.
— Automatique : « Automatique, ca signifie simplement que vous ne pouvez pas le reparer vous-
meme. » Jed Larson.
— Autopsie : « Elle permei aux autres de decouvrir ce qu'on n'a jamais pu voir en soi-meme. »
Maurice Ferrand.
— Avenir : « Je m'interesse a Tavenir parce que c'est la que j'ai decide de passer Ie reslant de mes
jours. » Woody Allen.
— Aveugle : « On n'a jamais vu un aveugle dans un camp de nudistes. » Woody Allen.
« Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi... J'aurais pu etre noir. » Ray
Charles.
— Avion : « J*ai trouve le true pour ne pas avoir peur en avion : je demande a voir la boite noire
avant. » John-Wolf Whistle.
— Avis : « Mais vous changez d'avis comme de chemise ? - Oui, c'est une question de proprete. »
Louis-Ferdinand Celine.
— Avocat : « Je devais etre fusille ce matin a 6 heures. Mais comme j'ai un bon avocat, le peloton
n"arrivera qu'a 6 h 30. » Woody Allen.
« Les avocats portent des robes pour mentir aussi bien que les femmes. » Sacha Guitry.
B
— Bac : « Bateau a fond plat servant a faire passer la riviere a Jean-Sebastien. » Raoul Lambert.
— Baignade : « II est dangereux de se baigner moins de trois heures apres avoir mange des
champignons veneneux. >> Francois Cavanna.
— Baignoire : « Tout corps plonge dans une baignoire recoit un coup de telephone. » Francis
Blanche.
— Baleine : « Je n'arrive jamais a me rappeler si Moby Dick c'est rhomme ou la baleine. » James
Thurber.
— Beaute : « Elle etait belle comme la femme d'un autre. » Paul Morand.
— Beethoven : « Beethoven etait tellement sourd que toute sa vie il a cru qu'il faisait de la
peinture. » Francois Cavanna.
— Belle-mere : « Pour dejeuner a Noel, on a eu ma belle-mere. Personnellement> je prelere le
poulet. » Mike Routch.
« Ma belle-mere est tellement obsedee par la proprete qu'elle met du papier journal sous le coucou
de Fhorloge. » Henny Youngman.
— Bible : « Mes personnages favoris dans la Bible sont le roi David, Samson et Charlton Heston. »
George Burns.
— Bicyclette : <:< II est idiot de monter une cote a bicyclette quand il suffit de se retourner pour la
descendre. » Pierre Dae.
— Biographe : « II est incroyable que la perspective d'avoir un biographe n'ait fait renoncer
personne a avoir une vie. » Emil Cioran.
— Bisexualite : « H est incontestable que le fait d'etre bisexuel double vos chances de rencontrer
quelqu'un un samedi soir. » Woody Allen.
— Boire : « J'ai arrete de boire mais seulernent quand je dors. » George Best.
« Je ne suis pas aussi pensez que vous le soul.. . » John Squire.
« Je ne bois jamais, sauf si je suis seul ou accompagne. » W. C. Fields.
« E ne faut jamais dormer a boire a un noye. » Tristan Bernard.
— Bonheur : « Si on batissait la maison du bonheur,. la plus grande piece serait la salle d'attente. »
Jules Renard.
« Le bonheur date de la plus haute antiquite. II est quand meme tout neuf car il a peu servi. »
Alexandre Vialatte.
« Les gens ne connaissent pas leur bonheur... rnais celui des autres ne leur echappe jamais. » Pierre
Daninos.
« II ne faut pas avoir peur du bonheur. C'est seulement un bon moment a passer. » Remain Gary.
— Borgne : « Les borgnes Iisent le braille a une main. » Philippe Geluck.
— Botanique : « La botanique est Tart de dessecher des plantes entre des feuilles de papier buvard et
de les injurier en grec et en latin. » Alphonse Karr.
— Bouquet : « Ensemble de grosses crevettes que Ton ofFre a Poccasion d'une fete, d'un
anniversaire. » Raoul Lambert
— Bourse : « Mon courtier en Bourse a ete elu homme de l'annee. C* etait en 1929. » Anonyme.
— Bridge : « La belote est F argot du bridge. » Henri Jeansoa
— Bureau : « J"arrive toujours en retard au bureau, rnais je me rattrape en partant plus tot. » Charles
Lamb.
— Cacahuete : « Je ne mange pas de cacahuetes parce qu'elles font grossir. E suffit de regarder les
elephants. » Anonyme.
— Cafe : « Le cafe est un breuvage qui fait dormir quand on n'en prend pas. » Alphonse Allais.
— Calendrier : « Je ne prendrai pas de calendrier cette annee, car j^ai ete mecontent de celui de
Tannee derniere. » Alphonse Allais.
— Cali fornie : « La Californie est un endroit merveilleux si vous etes une orange. » Fred Allen.
— Campagne : « Ce qu'il y a de bien a la canpagne, e'est que quand on sort, on est dehors. » Jean-
Marie Gourio,
— Cannibale : « Le vendredi, les cannibales convertis au catholicisme ne mangent que des
pecheurs. » Anonyme.
— Capote : « Couverture mobile d'une voiture. Les capotes anglaises roulent a gauche. » Raoul
Lambert.
— Carpe diem : « Chez les Romains, jour de rouverture de la peche a la carpe. » Raoul Lambert.
— Celebrite : « La notoriete, e'est Iorsqu'on remarque votre presence. La celebrite, e'est Iorsqu'on
note votre absence. » Wolinski.
— Cercueil : « Si vous n'aimez pas les cercueils, on vous fera monter de la biere. » Francis Blanche.
— Cerveau : « Son cerveau est aussi vide que le camel d'adresses d'un ermite. » Rowan Atkinson.
« Organe avec lequel nous pensons que nous pensons. » Ambrose Bierce.
« La liberte est une peau de chagrin qui retrecit au lavage de cerveau. » Henri Jeansoa
— Chaleur : « Jeanne d'Arc a ete la victime, a Rouen, d'une chaleur excessive pour la saison. » Jean
Dutourd.
— Chanteuse : ^< Elle chante tellement faax que meme les sourds refusent de regarder ses levres
bouger. » Woody Allen.
— Chasse : « Uengouement pour la chasse depend essentiellement du fait que vous soyez devant ou
derriere le fusil. » P. G. Wodehouse.
— Chat : « Avant d'appeler un chat un chat, il faut demander au chat. » Ylipe.
— Chercher : « Je trouve d'abord et je cherche ensuite. » Pablo Picasso.
— Cheval : « Les chevaux peuvent dormir debout. Mais je ne comprends pas pourquoi ils attendent
que j"aie parie sur eax pour le faire. » Anonyme.
« Les chevaux ont un sixieme sens qui les dissuade de parier sur les humains. » W. C. Fields.
— Cheveu : « Le meilleur moyen d'eviter la chute des cheveux, c'est de faire un pas de cote. »
Groucho Marx.
— Chien : « Les chiens ne font pas des chats, meme si le chat est consentant. » Ylipe.
« Pourquoi les chiens se precipitent-ils vers la porte quand on sonne, puisque ce n'est jamais pour
eux. >•> Harry Hill.
« Parce que je le sors tous les jours a la meme heure, mon chien est persuade qu'il m'a dresse. »
Vincent Haudiquet.
— Chinois : « J' adore la nourrilure chinoise. Mon plat prefere est le numero 27. » Clement Attlee.
— Choix : « Tout dans la vie est l'affaire de choix. Cela commence par : la tetine ou le teton ? et cela
s'acheve par : le chene ou le sapin ? » Pierre Desproges.
— Chose : « A force d'aller au fond des choses, on y reste. » Jean Cocteau.
— Chou-fleur : « Le chou-fleur n'est rien d'autre qu'un chou qui a fait des etudes superieures. » Mark
Twain.
— Chromosome : « Toute la nuit, j'ai cru entendre le chromosome en plus qui tournait en rond dans
ma case en mo ins. » Raymond Devos.
— Chute : « Toutes les chutes sont mauvaises... sauf les chutes de reins. » Anonyme.
— Ciel : « Aidez-moi, j'aiderai le ciel. » Jacques Rigaut.
— Cil : « Le cil est un poil qui a reussi. » Ylipe.
— Cimetiere : « Quand on se promene dans un cimetiere, on a des raisons de se demander ou sont
enterres les salauds. » Charles Lamb.
— Cinema : « En moins de cinquante ans, on est passe du cinema muet au cinema qui n'a rien a
dire. » Doug Larson.
— Clarte : « Cestaveuglant de clarte. » Woody Allea
— Classique : « Un classique est un auteur dont on peut faire Teloge sans Tavoir lu. » G. K.
Chesterton.
— Cleopatre : « Je crois que j'aimerais rrrieav que ce soil Cleopatre qui joue dans un film sur la vie
d'Elizabeth Taylor. » Earl Wilson.
— Cocu : « Les chaines du mariage sont si lourdes qu'il taut etre deux pour les porter. Quelquefois
trois ! » Alexandre Dumas fils.
« II vaut mieux etre cocu que veuf : il y a moins de formalites. » Alphonse Allais.
— Compositeur : « Mes deux compositeurs preferes sont les Bach : Jean-Sebastien et Jacques
OfFen. » Victor Borge.
Con ; « Les cons, 9a ose tout. C'est meme a ca qu'on les reconnait. » Michel Audiard.
Concombre : « Le concombre doit etre coupe en tranches fines, assaisonne avec du vinaigre, du
sel et dupoivre, puis jete a la poubelle. » Samuel Johnson.
— Conferencier : « Certains hommes parlent pendant leur sommeil. Les conferenciers parlent pendant
le sommeil des autres. » Alfred Capus.
— Confusion : « II ne faut pas confondre Saint-Antoine-de-Saindouxavec Saint-Jean-Pied-de-Port. »
Jacques Prevert.
— Conscience : « J'ai bonne conscience : je roule dans une voiture allemande, mais mon tailleur est
juif. » Jean Yanne.
— Contrepet : « Si les fils d'Hippocrate sont des hypocrites, faut-il en deduire que les fils de
Democrite sont des democrates ? » Jean Sauteron.
— Cornichon : « Coinme la chrysalide devient papillon, le cornichon devient concombre. » Alfred
Jarry.
— Coupable : « La seule difference entre les juifc et les catholiques, c'est que les premiers sont nes
coupables et que les seconds ont appris a 1'etre a 1'ecole. » Elayne Boosler.
— Couper : « Coupez, jeune homme ! Coupez ! N'hesitez pas ! Ce qui a ete coupe ne sera pas
siffle. » Eugene Scribe.
— Couple : « Quand vous voyez un couple dans la rue, celui qui marche trois metres devant, c'est
celui qui est en colere. » Helen Rowland.
« Quand je vois tous ces couples fideles, je me dis que tout le monde peut se tromper. » Roland
Bacri.
— Courage : « N'ecoutant que son courage qui ne lui disait rien, il se garda bien d'intervenir. » Jules
Renard.
« L'art d'avoir peur sans que cela paraisse. » Pierre Veron.
— Courbe : « Une femme met plus de temps qu'un homme pour s'habiller. parce qu'elle doit ralentir
dans les courbes. » Anonyme.
— Creme : « Neron, le plus cruel des empereurs romains, faisait toujours fouetter la creme avant de
la manger. » Raoul Lambert.
— Critique : « Un critique, c'est un joumaliste que sa petite amie a plaque pour un acteur. » Walter
Winchell.
« Demander a un ecrivain ce qu'il pense des critiques, c*est comme si vous demandiez a un reverbere
ce qu'il pense des chiens. » John Osborne.
— Croque-mort : « Le metier de croque-mort n a aucun avenir, Les clients ne sont pas fideles. »
Leon-Paul Fargue.
— Cuisine : « Les livres qui se vendent le mieux sont les livres de cuisine et les livres de regimes.
Les premiers vous expliquent comment faire la cuisine et les autres comment ne pas la manger. » Andy
Rooney.
— Culte : « Je suis inculte parce que je n'en pratique aucun. » Raymond Queneau.
— Culture : « La culture, c'est comme le parachute : quand tu n'en as pas, tu t'ecrases. » Anonyme.
— Cure : « Cure defroque vend petite eglise dans village. Prixsacrifie. » Pierre Dae.
— Cycle : « Le tour de France : la legende des cycles. » Antoine Blondin.
« Cyclistes, fortiflez vos jambes en mangeant des ceufs mollets. » Pierre Dae.
D
— Danger : « De toutes les perversions sexuelles., la chastete est la plus dangereuse. » George
Bernard Shaw.
— Danse : « Je ne danse pas mais je suis tout a fait d^accord pour vous tenir pendant que vous le
faites. » Anonyme.
« Quand je danse, les gens pensent que je cherche mes cles. » Ray Barone.
— Decision : « Une fois que ma decision est prise, j'hesite longuement. » Jules Renard.
— Delinquant : « II y a trente ans, un jeune delinquant c'etait un gamin qui n'avait pas rendu son livre
a la bibliotheque. » Harry Hershfield.
— Demon : « Le demon de inidi survient souvent a 14 heures. » Pierre Dae.
— Dent : « II vaut mieux se laver les dents dans un verre a pied que les pieds dans un verre a dents. »
Pierre Dae.
— Depens : « Je vis a mes depens. » Louis Scutenaire.
— Depute : « Un depute francais s'etait endormi pendant un debat. Quand il s'est reveille, il s'est
apercu qu'il avait ete deux fois Premier Ministre. » Oswald Lewis.
— Descendre : « Descendre a la cave pour prendre un remontant » Sylvain Tessoa
— Dene : « J'ai une dette envers mes professeurs et je compte bien leur faire payer un de ces jours. »
Stephen Leacock.
— Diable : « Certes, le diable a tente le Christ - rnais e'est le Christ qui a commence. » Samuel
Butler.
— Diagnostic : « Traiter son prochain de con n'est pas un outrage, mais un diagnostic. » Frederic
Dard.
— Dictionnaire : « Un chef-d'eeuvre de la litterature n'est jamais qu'un dictionnaire en desordre. »
Jean Cocteau
— Dieu : « Pas de nouvelles de Dieu. » Leon Bloy.
« Je crois en Dieu J'ai dit : je crois, j'ai pas dit que j'etais sur ! » Jean-Marie Gourio.
« Mais alors si Dieu n'existe pas, qui ouvre les portes automatiques dans les supermarches ? »
Patrick Murray.
« Eros, qui etait un dieu pour les Anciens, est un problems pour les Modernes. » Denis de
Rougemont.
« Mais que foutait Dieu avant la creation ? » Samuel Beckett.
« II me semble parfois que Dieu en creant rhomme ait quelque peu surestime ses capacites. » Oscar
Wilde.
« Au paradis on est assis a la droite, e'est normal, e'est la place du mort ! » Pierre Desproges.
« Je crois que je suis croyant. » Michel Bouquet
« Sans le diable, Dieu n'aurait jamais atteint le grand public. » Jean Cocteau
— Difference ; « La difference entre un maitre et son domestique ? Tous deux fument les memes
cigares, mais il n'yena qu'un qui les paie. » Tristan Bernard.
— Diplomate : « Un diplornate, e'est quelqu'un qui reflechit a deux fois avant de ne rien dire. »
Frederick Sawyer.
— Dispute : « Mes parents ne se sont disputes qu'une fois en quarante-cinq ans. Cela a dure
quarante-trois ans. » Cathy Ladman.
— Divorce : « Des vacances dans les Bermudes ca ne dure que deux semaines, mais un divorce, vous
en profitez toute la vie. » Woody Allen.
— Doigt : « Les cinq doigts de la main ne sont pas tous egaux. » Frederic Mistral.
— Droite : « Je me suis toujours demande si les gauchers passaient Tarme a droite. >> Alphonse
Allais.
— Dynastie : « Une dynastie est une collection de cadavres numerotes. » Achille Chavee.
— Dyslexique : « Quand j'etais petit, j'etais dyslexique, mais maintenant tout est KO. »■ Simon Leigh-
E
r »
— Echange : « Ecureuil edente echangerait panache contre casse-noiseltes. » Pierre Dae.
— Echecs : « L' autre jour, j'ai dejeune avec un type qui doit etre un champion d'echecs. II a mis
vingt minutes pour me passer la saliere. » Eric Sykes.
« Le joueur d'echecs, comme Ie peintre ou le photographe, est brillant. .. ou mat. » Vladimir
Nabokov.
r
— Ecologiste : « Je suis ecologiste. La plupart de mes blagues sont recyclees. » David Letterman.
— Ecossais : « Un Ecossais, c*est quelquun qui, lorsqu'il emmene un pantalon a la laverie
automatique, en profite pour mettre une chaussette dans chaque poche. » Ambrose Bierce.
— Ecrire : « Ecrire, e'est une facon de parler sans etre interrompu. » Jules Renard.
« Le Chateaubriand est un filet tellement exquis qu'il a donne son nom a un grand ecrivaia » Henri
Rochefort
— Egocentrisme : « Bon ! assez parle de moi. Parlons un peu de vous maintenant. Que pensez-vous
de moi ? » Ed Koch.
« Un egoi'ste. .. un homme qui ne pense pas a moi. » Eugene Labiche.
— Einstein: « La femme d'Einsteinn'etait pas la moitie d'un imbecile. » Yvan Audouard.
— Ejaculation : « Je suis alle a une conference sur F ejaculation precoce. Je suis arrive cinq minutes
en avance.. . mais e'etait deja fini ! » Bert Parson.
— Elephant : « J'ai une memoire d'elephant. D'ailleurs. les elepliants viennent souvent me
consulter. » Noel Coward.
« Si vous avez attrape un elepliant par une parte de derriere et qu'il cherche a s'enfuir. il vaut mieux
lacher prise. » Abraham Lincoln.
— Embrasser : « Je n'etais pas en train d'embrasser voire fille, monsieur, je lui chuchotais seulement
dans la bouche. » Chico Marx.
— Encyclopedie : « Une encyclopedie permet d'accurnuler la poussiere en ordre alphabetique. »
Mike Barfield.
— Enfant : « Un enfant prodige, e'est un enfant dont les parents ont beaucoup d'imagination. » Jean
Cocteau.
« Des enfants ! Je prefere en commencer cent qu'en terminer un seul. » Pauline Bonaparte.
— Erection ; « Ne se dit qu'en parlanl des monuments. » Gustave Flaubert.
« II n'existe pratiquement aucune difl^rence entre un Anglais en etat d'erection et un Italien
itnpuissant. » San- Antonio.
— Escargot : « Les escargots sont hermaphrodites. Les femelles aussi. » Raoul Lambert.
— Esperanto : « Je parle Tesperanto coinme un type du pays. » Spike Milligarx
— Et cceiera : «£f cietera est la formule qui fait croire aux autres que vous en savez plus qu'en
realite. » Herbert Prochnow.
— Evolution : « J'ai ma propre theorie sur revolution : Darwin etait un enfant adopte. » Steven
Wright.
— Exageration : « L' exageration est la forme la moins chere de r humour. » Elizabeth Peters.
— Existentialiste : « J'ai une carte routiere specialernent concue pour les existentialistes. II y a ecrit
"Vous etes ici" partout. » Steven Wright.
F
— Fecondation : « Le cornet a fistons, c'est Feprouvette ou se fait la fecondation in vit/v. »
Alexandre Breifort
— Femme : « Je sors depuis longtemps avec une femme qui, apparemment, n'est pas au courant. »
Garry Shandling.
« Les courtisanes sont des feinmes qui gagnent a etre connues. » Gavarni.
« Certains homines parcourent les femmes a viol d'oiseau. » Louise Leblanc.
« Etre une femme dispense au moins d'en avoir une. » Roland Dubillard.
« Ma femme ne me manque jamais. .. Elle vise trop bien ! » Anonyme.
« Pourquoi n*aimerait-on pas sa femme ? Onaime biencelles des autres. » Alexandre Dumas fils.
« La position preferee de ma femme, c'est dos a dos. » Rodney Dangerfield.
— Fidelite : « L' alliance n'est fidele qu'a un seul doigt » Woody Allen.
— Film : « Les films que j'ai realises sont surtout diffuses dans les avions et dans les prisons, parce
que personne ne peut quitter la salle. » Burt Reynolds.
— Fleur : « Dans son arriere-boutique, la fleuriste cuJtivait ses arriere-pensees. » Rene Fallet.
— Fortune : « La fortune vient en dormant, mais pas en dormant seule. >v La Belle Otero.
— Fraction : « Les quatre tiers de la population ne savent pas ce qu'est une fraction. » Steven Wright.
— France : « Y a-t-il dans la salle quelqu'un qui sache parfaitement le francais ? - Je ! » Anonyme.
« La France n'a ni hiver, ni ete\ ni principes ; mais exception faite de ces trois inconvenients, c'est un
beau pays. » Mark Twaia
— Frequentation : « II ne faut jamais juger les gens sur leurs frequentations : Judas, par exemple,
avait des amis irreprochables. » Paul Verlaine.
— Fromage : « Les poetes ont toujours ete tres discrets sur le probleme du fromage. » G. K.
Chestertoa
« Tant que vous n'etes pas un fromage, Fage importe peu. » Billie Burke.
— Garagiste : « Mon garagiste affirme que ma batterie a besoin d'une nouvelle voiture. » Anonyme.
« Mon garagiste n'a pas pu reparer mes freins, alors il m'a installe un Klaxon plus puissant. » Steven
Wright.
— Garcon : « Un garcon manque, c'estune fille reussie. » Jacques Prevert
— General : « Un general ne se rend jamais, meme a Tevidence. » Jean Cocteau.
— Gentleman : « Un gentleman, c'est quelqu'un qui, lorsqu'il propose a une femme de lui montrer ses
estampes japonaises... lui montre ses estampes japonaises. » Anonyme.
« Le vrai gentleman, c'est celui qui sait jouer de la cornemuse mais qui ne le fait pas. » Thomas
Beecham.
— Glasgow : « Ce qu'il y a de bien avec la ville de Glasgow, c'est que meme apres une attaque
nucleaire, elle serail exactement identique. » Billy Connolly.
— Goethe : « Parfois, quand je lis Goethe, j'ai un doute, je ine demande s'il n'essaie pas d'etre
drole. » Guy Davenport,
— Goncourt : « Quand on donne le Goncourt a un ecrivain, est-ce qu'il est oblige de le lire ? »
Laurent Ruquier.
— Gorge : « J'ai longtemps pense que Gorge prof "onde etait un film sur une girafe. » Bob Hope.
— Gouvemernent : « Monsieur le President, je retire ce que je viens de dire, a savoir qu'une moitie
du gouvernement est composee de cretins : une moitie du gouvemernent n'est done pas composee de
cretins. » Benjamin Disraeli.
— Grimace : « II etait si laid que lorsqu' il iaisaitdes grimaces, il P etait moins. » Jules Renard.
— Guerre : « Bo Derek ne sail pas reconnaitre les chiflres romains. Elle croit qu'elle a tourne un film
sur la 1 1° Guerre mondiale. » John Rivers.
H
— Heritier : « La barbe de Pheritier pousse plus vite que les ongles du mort. » Alexandre Vialatte.
— Heroisme : « Dans les villes qu'il traversait, Buffalo Bill faisait plumer tous les poulets pour etre
sur qu'il s'agissaitbien de poulets et nond'Indiens. » Raoul Lambert.
— Heure : « Une fois j'ai fait ramour pendant une heure cinq ! C'etait le jour du changement
d'heure. » Garry Shandling.
— Histoire : « Une histoire inventee doit paraitre vraie et une histoire vraie doit paraitre inventee. »
Cite par Jean-Claude Carriere.
— Hollywood : « A Hollywood, un mariage reussi, c'est quand les epoux sortent ensemble de
l'eglise. » Anonyme.
« A Hollywood, les manages sont si ephemeres qua la sortie de l'eglise, on jette du riz a cuisson
rapide. >•> Anonyme.
« On m'avait promis que mon partenaire serait le plus grand et le plus impressionnant d' Hollywood
et on ne m'a pas menu : j'ai joue avec King Kong. » Fay Wray.
— Homme : « J'aime les hommes qui ont un avenir et les femmes qui ont un passe. » Oscar Wilde.
« L'age critique pour un homme ? Celui de sa femme. . . » Anonyme.
« L'homme descend du songe. » Antoine Blondin.
« L'homme n'est que poussiere, c'est dire I'importance du plumeau » Alexandre Vialatte.
— Homosexuel : « Nous avons ete cambrioles par des homosexuels. lis ont fracture la porte et ils ont
change la disposition des meubles. » Robin Will iains.
« Si Michel-Ange n'avait pas ete homosexuel, la chapelle Sixtine aurait ete peinte en blanc au
rouleau, et en deuxjours 1* affaire aurait ete reglee. » Rita Mae Brown.
— Honnete : « Je suis trop honnete pour etre poli. » Louis Scutenaire.
— Hotel : « Dans certains hotels, les serviettes sont si moelleuses qu'on n' arrive plus a fermer sa
valise. » Anonyme.
« La nuit derniere, il y avait une femme qui n'arretait pas de frapper a la porte de ma chambre
d"hotel. Finalement, je I'ai Iaissee sortir. » Groucho Marx.
— Humour : « Je suis l'exemple classique des humoristes : settlement drole quand je travaille. »
Peter Sellers.
« L' humour juif, c'est comme F humour alleirand avec r humour en plus. » Anonyme.
« II y a des gens qui son* chauves au-dedans de la tete : ceux qui n'ont pas le sens de 1' humour. »
Francis Blanche.
« Je ne plaisante jamais avec l'humour. » Frigyes Karinthy.
« L'humour, c'est l'eaude Tau-dela melee au vind'ici-bas. » Jean Arp.
« L'humoriste, c*est un homme de bonne mauvaise huineur. » Jules Renard.
— Hypocondriaque : « Tout le monde pense que je suis hypocondriaque. Cela me rend malade. »
Felix Ungar.
— Idiot : « Idiot cherche village. » Pierre Dae.
— Imbecile : « Un concerne n'est pas obligatoirement un imbecile encercle. » Pierre Dae.
— Immobile : « Meme une pendule arretee a raison deux fois par jour. » Anonyme.
— Lmmortel : « Si j'etais immortel, jMnventerais la mort pour avoir du plaisir a vivre. » Jean Louis
Auguste CommersorL
— Impot : « C'est au moment de payer ses impots qu'on s'apercoit qu'on n'a pas les moyens de
s'offrir 1* argent que I'on gagne. » San- Antonio.
— Incineration : « Je desire etre incinere et je veux que 10 % de mes cendres soient versees a mon
impresario. » Groucho Marx.
— Infirmite : « J'entends bien que je pourrais devenir sourd, je sens que je pourrais perdre I'odorat,
maisje ne me vois pas aveugle. » Gabriel de Lautrec.
— Information : « Dans mon entreprise, les gens vont a la machine a cafe pour avoir des informations
et aux reunions d' information pour avoir du cafe. » Vincent Haudiquet.
— Ingenieur : « II faut se mefier des ingenieurs. ca commence par la machine a coudre et ca finit par
la bombe atomique. » Marcel Pagnol.
— Innocent : « Tout homme est presume innocent jusqu'a ce qu'il soit elu. » Laurent Ruquier.
— Intellectual ; « Un couvreur prend plus de risques qu'un intellectuel. » Jean-Paul Sartre-
« Un intellectuel est quelqu'unqui entre dans une bibliotheque publique meme quand il ne pleut pas. »
Andre Roussia
« Un intellectuel est quelqu' un qui, lorsqu'il regarde une saucisse, pense a Picasso. » Alan Patrick
Herbert
— Intelligent : « L'avantage d'etre intelligent, e'est qu'on peut toujours faire 1'imbecile, alors que
r inverse esttotalement impossible. » Woody Allen.
— Interet : « On place ses eloges comme on place de l'argent, pour qu"ils nous soient rendus avec les
interets. » Jules Renard.
— Invention : « Je ne saurais mieux coinparer ma femme qu n a une invention francaise : 0*651 moi qui
Tai trouvee et ce sont les autres qui en profitent. » Henri Duvernois.
— Japonais : « Pour se nourrir, les Japonais mangent du riz, sans blanquette. J'en ris encore ! »
Pierre Desproges.
— Jazz : « Le jazz, e'est quand cinq musiciens jouent ensemble un morceau different. » Steve
McGrew.
— Jesus : « Jesus etait juif, certes, mais seulement ducote de sa mere. » Archie Bunker.
« Depuis deux mille ans, Jesus se venge sur nous de ne pas etre mort sur un canape. » Emil Cioran.
« Si Jesus etait juif, pourquoi avait-il unprenomespagnol ? » Bill Maher.
— Jesuite : « Je n'ai rien contre les jesuites, mais je n"aimerais pas que ma fille en epouse un. »
Patrick Murray.
— Jeu : « Le jeu, c'est tout ce qu'on fait sans y etre oblige. » Mark Twain.
— Journaliste : « Le comble pour unjournaliste ? Etre a Particle de sa mort. » Jules Renard.
— Justice : « La justice, c'est comme la Sainte Vierge, si on ne la voit pas de temps de temps, le
doute s'installe. » Michel Audiard.
K
Kangourou : « La vie des kangourous est riche en rebondissements. »• Sylvain Tesson.
Kennedy : « La devise des Kennedy : ne pas se laisser abattre. » San- Antonio.
« Si Khrouchtchev avait ete assassine a la place de Kennedy, je ne suis pas sur qu'Onassis aurait
epouse Mme Khrouchtchev. » Sir Douglas-Home.
— Lait : « Je boirai du lait le jour oil les vaches mangeront du raisin. » Jean Gabin.
— Langue : « Un professeur de langues mortes s'est suicide pour parler les langues qu'il
connaissait. » L. Langanesi.
— Lapin : « A la chasse, je ne tire qu'en situation de legitime defense, par exemple si un lapin me
menace avec un couteau. » Johnny Carsoa
— Lecture : « On ne dit pas javellise, mais j "ai lu. » Anonyme.
« J'ai pris quelques cours de lecture rapide et j'ai lu Guerre el Paix en vingt minutes. Cela parle de
la Russie. » Woody Allen.
— Lego : « Comme tous ceux a qui il est arrive de rentrer pieds nus et tard le soir dans une chambre
d'enfants, je deteste le Lego. » Tony Kornheiser.
— Licorne : « II ne faut jamais jouer a saute-nwuton avec une licorne. » Michel Shea.
— Lion : « Les lions ont une grosse tete afin quils ne puissent pas passer entre les barreaux de leur
cage. » Pierre Doris.
— Litterature : « Beaute de la Iitterature. Je perds une vache. J'ecris sa mort et ca me rapporte de
quoi acheter une autre vache. » Jules Renard.
« Pour Noel, j'ai offert un livre a mon neveu. II a passe six mois a chercher oil mettre Ies piles. »
Anonyme.
— Loi : « II faudrait dans le code civil ajouter partout "du plus fort" au mot loi. » Alfred Jarry.
— Lune : « De deuxchoses rune. L'autre c'est le soleil. » Jacques Prevert.
M
— Manuscrit : « \btre manuscrit est a la fois bon et original. Mais la partie qui est bonne n'est pas
originate et la partie qui est originale n'est pas bonne. » Samuel Johnson.
— Manage : « \fous voulez savoir combien de maris j'ai eus ? En comptant le mien ? » Zsa Zsa
Gabor.
« Je ne pense pas que leur manage va durer tres longlemps. Deja a l'eglise, quand il a dit "oui'\ elle
a repondu : "Ne me parle pas sur ce ton." » Gary Apple.
« La seule chose que nous ayons en commun. mon mari et moi, c'est que nous nous sommes maries le
meme jour. » Phyllis Diller.
« Chaque fois que j*essaie de pimenter mon mariage, ma femme me surprend. » Bob Monkhouse.
« Un mariage rate est quand meme plus joyeux qu'un enterrement reussi. » Yvan Audouard.
— Masochisrne : « J'ai du laisser tomber le masochisme. Cela me plaisait trop. » Mel Caiman.
« Trouve dans le portefeuille d'un masochiste : "En cas d'accident, ne prevenez les secours que trois
heures apres." » Anonyme.
— Mayonnaise : « Les architectes cachent leurs erreurs sous le lierre, Ies medecins sous la terre, et
les menageres sous la mayonnaise. » George Bernard Shaw.
— Mechant : « J'aime mieux les mechants que les imbeciles, car parfois ils se reposent. » Alexandre
Dumas.
— Medecine : « J'ai explique a mon medecin que je nvetais casse la jambe a deux endroits. II m/a
interdit d'y retourner. » Henny Youngman,
« C'est un art qu'on exerce en attendant qu on le decouvre. » Emile Deschamps.
— Medium : « Medium demande esprit frappeur pour coups de pied occultes. » Pierre Dae.
— Mensonge : « Desole de ne pouvoir assister a votre reception. Le mensonge suit par courrier. »
Charles Beresford.
« Je ne mens pas. Je juxtapose. » Louis Scutenaire.
« Je fais collection de mensonges, mais ce n'est pas vrai. » Roland Topor.
« Les femmes sont tellement menteuses qu'on ne peut meme pas croire le contraire de ce qu'elles
disent. » Georges Courteline.
— Mercure : « II y a tellement de mercure dans cette eau que les poissons peuvent prendre eux-
memes leur temperature. » Diana Sears.
— Meteorologie : « Quand le barometre se passe la parte derriere roreille, c'est que le chat est a la
pluie. » Leo Campion.
— Micro-ondes : « Je viens d'acheter un poste de television a micro-ondes. Je peux regarder
remission tv Soixante minutes" en douze secondes. » Steven Wright.
— Mime : « Si Ton se trouve dans l'obligation de tuer un rnime, faut-il utiliser un silencieux ? »
Steven Wright.
— Miroir ; « Lorsqu'on casse un miroir, on dit que ca fait sept ans de malheur, mais mon avocat
pense qu"il peut reduire la peine a cinq ans. » Steven Wright.
— Missionnaire : « Un missionnaire est une personne qui apprend aax cannibales a dire le benedicite
avant de le manger. » Anonyme.
— Moi : « J'ai des fins de moi difficiles. » Alain Dantinne.
« J'ai peu de choses en commun avec moi-meme. » Kafka.
— Monocle : « Un monocle est un verre solitaire. » Leo Campion.
— Mort : « Je ne sens plus son pouls. Ou il est mort, ou c'est ma montre qui s'est arretee. » Groucho
Marx.
« La mort ne m'aura pas vivant. » Jean CocteaiL
« Je n'ai plus Page de mourir jeune. » Jules Renard.
« La mort ? Pourvu que j 'arrive jusque-Ia. » Jean Paidhan.
« La mort est un manque de savoir-vivre. » Alphonse Allais.
« Mourir est un acte de vieux. » Jean Cocteau
« Le premier homme qui est mort a du etre vachement surpris. » Wolinski.
« Partir, c'est mourir un peu, mais mourir, c'est partir beaucoup. » Alphonse Allais.
« Je voudrais mourir jeune le plus lard possible. » Marcel Prevost.
— Mot : « "Toujours" et "jamais" sont deux mots que vous devez toujours savoir ne jamais
employer. » Wendell Johnson.
— Mouche : « Mais pourquoi Noe n'a-t-il pas chasse Les mouches quand il en avait l'occasion ? »
Anonyme.
— Mouton ; « Pourquoi les moutons ne retrecissent-ils pas quand il pleut ? » Steven Wright.
— Muet : « II n'y a rien de plus reposant que de parler avec un muet. » Zoot Sims.
— Mur : « Homme mur cherche femme papier peint. » Anonyme.
N
— Naturisme : « Lun des avantages du naturisme, c'est qu'on n'a pas besoin de tendre le bras pour
savoir s"il pleut. » Anonyme.
« Je suis alle a une soiree dans un club naturiste, mais ce n'etait pas tres drole. Les gens etaient
tellement souls qu'ils se sont rhabilles. » Anonyme.
— Noel : « Ma farnille etait tellement pauvre qu'a Noel, alors que j'avais dernande un Yo-Yq, on
m' avait offert une ficelle. Mon pere m'a dit que ca s'appelait un Yo. » Brendan O* Carroll.
— Noir : « II vaut rrrieux etre noir qu' homosexuel parce que, quand on est noir, on n'a pas a le dire a
sa mere. » Charles Pierce.
— Nombril : « Je n'ai jamais pose pour la double page centrale de Playboy carje ne supporterais
pas d' avoir une agrafe dans le nombril. » Diana Rigg.
— Nourriture : « La nourriture anglaise ? C'est bien simple : quand c'est chaud, c'est de la biere, et
quand c^est froid, c'est de la soupe. » Anonyme.
— Nouvelle-Zelande : « Je suis alle en Nouvelle-Zelande, mais 9a avait Fair ferine. » Clement
Freud.
— Noyade : « II est mauvais de se noyer apres manger. » Erik Satie.
O
— Obscenites : « Quand un homme dit des obscenites a une femme, c'est du harcelement sexuel.
Quand c'est une femme qui dit des obscenites a un homme, c'est 3,95 dollars la minute. » Steven Wright.
— Obscurite : « On ne sail plus ce que c'est que I'obscurite. A force de vouloir faire la lumiere sur
tout, on ne distingue plus rien. » Raymond Devos.
— Omelette : « T*as un resto et tu detestes faire des omelettes ? Au lieu d'ecrire omelette sur le
menu, ecris avortements de poule. » Pierre Legare.
— Opera : « A r opera, quand on se faitpoignarder, au lieu de mourir, on chante. » Anonyme.
« Parsifal est le genre d'opera qui cominence a 18 heures et, apres trois heures, vous regardez votre
montre et il est 1 8 h 20. » David Randolph.
— Ophtalmo : « J'ai une tres mauvaise vue. Quand je vais chez Pophtalmo, le docteur montre Ies
lettres en les enoncant a voix haute, et ensuite il me demande : " Vrai ou faux 7" » Woody Allea
— Optimisme : « Elle est en retard. C'est qu'elle viendra. » Sacha Guitry.
« Un opumiste, c'est quelqu'un qui rentre au restaurant sans un sou et qui espere payer sa note grace
aux perles qu'il trouvera dans ses huitres. » Anonyme.
— Pacemaker : « Mon voisin a un pacemaker qui est rnal regie, quand il fait r amour, ca ouvre la
porte de mon garage. » Anonyme.
— Paix : « Je connais quelqu'un qui serait capable de tuer pour avoir le prix Nobel de la paix. »
Anonyme.
— Pamplemousse : « Je fais le regime "pamplemousse", c'est-a-dire que je mange de tout sauf du
pamplemousse. » Chi-Chi Rodriguez.
— Papa : « C'est maman qui nva eleve. Papa est mort quand j'avais huit ans, enfm, c'est ce qu'il dit
dans sa lettre. » Drew Carey.
— Papillon : « Et apres tout, qu'est-ce qu'un papillon ? Tout au plus une chenille qui a bien tourne. »
John Gay.
— Parachute : « A vendre parachute. Jamais ouvert N'a servi qu'une fois. » Steven Wright.
— Parallele : « Deuxparalleles s'aimaient... Helas ! » Andre Frederique.
— Paranoi'aque : « Je pense que je suis paranoiaque. Sur mon velo d'appartement, j'ai installe deux
retroviseurs. » Richard Lewis.
« Je connais quelqu'un qui est tellernent parano que meme son signe astral est sur Iiste rouge. »
Anonyme.
— Paresse : « Habitude prise de se reposer avant la fatigue. » Jules Renard.
— Parkinson : « J'ai la maladie de Parkinson, et il a la mienne. » Anonyme.
— Parler : « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et
rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l'ouvrir. » Pierre Dae.
« II faut parler de soi sans trop en avoir 1 'air : tirer son epingle du Je. » Sacha Guitry.
— Partouze : « II m'a fallu trois jours pour comprendre qu'il s'agissait d'une partouze. »
S. J. Perelman.
— Pauvre : « II etait tellement pauvre qu'il n'avait pas de subconscient. » Marcel Marien.
« Mes parents etaient tellenient pauvres qu'ils se sont maries pour le riz. » Bob Hope.
« On etaient tellement pauvres qu'avant de se coucher. mon pere debranchait les horloges. » Chris
Rock.
— Peche : « De tous les peches, l'avarice est le plus avantageux. » Marcel Ayme.
— Peinture : « Le violon d'Ingres ? Cest certainement la peinture. » Pierre Dae.
— Petit : « II est si petit qu'il est le seul homrne que je connaisse a porter des revers a ses slips. »
Jerry Lewis.
— Petrole : « La hausse du petrole entraine des inquietudes chez les handicapes rnoteurs. » Coluche.
« On ne dit pas faire tache d'huile. mais : commander un petrolier. » Anonyme.
— Peur : « La peur de tomber : voila ce qui fail grimacer les pendus ! » Pierre Dumayet
— Piano : « Quand je Ieur ai dit que je n'avais pas envie de jouer du piano parce que ma tante venait
de mourir, ils m'ont repondu : "Joue seulement sur les touches noires !" » Anonyme.
— Picasso : « Picasso a ete renverse par un chauflard dont il a fait un portrait-robot qui a permis
d'arreter trois suspects : un cure, la tour Eiffel et un televiseur. » Anonyme.
— Piedeslal : « II faut collectionner les pierres qu'on vous jetle. C'est le debut d'un piedestal. »
Hector Berlioz.
— Pipe : « C'est en 1967 que Magritte cassa sa pipe. » Alain Dantinne.
— Plaire : « Si vous voulez plaire aux femmes, dites-leur ce que vous ne voudriez pas qu'on dise a la
votre. » Jules Renard.
— Plaque : « Je ne sais pas ou est "la plaque" mais on me dit souvent que je suis "a cote". »
Anonyme.
— Pleonasme : « Fermer les maisons closes, c'est plus qu'un crime, c'est unpleonasme. » Arletty.
— Pluie : « Le parapluie est a toi, mais la pluie est a tout le monde. » Proverbe indien.
— Poireau : « L'asperge est le poireau du riche. » Francis Blanche.
— Policier : « Les policiers portent un numero, au cas ou on les perdrait. » Spike Milligan.
— Politesse : « J'ignore si ma premiere experience a ete heterosexuelle ou homosexuelle. J'etais trop
poli pour poser la question. » Gore Vidal.
— Politique : « Si vous n"avez pas d'opinionspolitiques, prenezdonc les miennes. » Edgar Faure.
— Ponctualite : « La ponctualite, e'etait la politesse des rois mais e'etait facile, y a qu'eux qui
avaient des montres. » Jean-Marie Gourio.
— Portable : « Au volant, y a du pour et du contre. D' accord on peut renverser un gamin mais d'un
autre cote, on peut tout de suite telephoner aux parents. » Herve Le Tellier.
— Porte-bonheur : « Si votre porte-bonheur est une parte de lapin, n'oubliez pas que ca n'a pas
forcement porte chance au lapin. » R. E. Shay.
— Posterite : « Invoquer sa posterite, c'est faire un discours aux asticots. » Louis-Ferdinand Celine.
— Post-scriptum : « L'appendice est le posi-scriptum de Forganisme. » Pierre Dae.
— Preservatif : « Les preservatifs ne sont pas toujours tres surs ; la preuve, un de mes amis qui en
porta it un a ete renverse par un bus. » Bob Rubin.
— Pretre : « Un pretre est un hoinme que tout le monde appelle pere sauf ses propres enfants, qui sont
obliges de Tappeler oncle. » Anonyme.
— Problerne : « Un probleme, e'est une solution qui sait se faire desirer. » Gregoire Lacroix.
— Progres : « Onn'arrete pas le progres, il s'arrete tout seul. » Alexandre Vialatte.
— Prostate : « La vie rn'a appris qu' il y a deux choses dont on peut tres bien se passer : la
presidence de la Republique et la prostate. » Georges Clemenceau.
— Prostituee : « Une prostituee a son client : "Un vrai travail que d'avoir du plaisir avec vous !" »
Anonyme.
— Psychiatre : « A Hollywood, soit on va chez un psychiatre, soit on est un psychiatre qui va che2 le
psychiatre. » Truman Capote.
« Un psychiatre, e'est quelqu'un qui, lorsqu'il va voir un strip-tease, regarde le public. » Mervyn
Stockwood,
— Publicite : « Dieu lui-meme croit a la publicite : il a mis des cloches dans les eglises. » Sacha
Guitry.
Q
Quasimodo : « Personnage de Victor Hugo qui bossait a Notre-Dame. » Raoul Lambert.
R
— Racine : « Les racines des mots sont-elles carrees ? » Eugene Ionesco.
— Reconnaissance : « La reconnaissance est une maladie du chien non transmissible a rhomrne. »
Anonyme.
— Reflexion : « Les miroirs feraient bien de reflechir avant de renvoyer les images. » Jean Cocteau.
— Regime : « Un regime equilibre ? Un sandwich au jambon dans chaque main. » Ian Healy.
— Reincarnation : « Je ne prends jamais un avion si je sais que le pilote est un adepte de la
reincarnation. » Spalding Gray.
— Relation : « Personne que nous connaissons sufiisamment pour lui enprunter de r argent, mais pas
assez pour lui en preter. » Ambrose Bierce.
— Relativite : « En fait, e'est tres simple. On croit que e'est le train qui avance et e'est la gare qui
recule. » Anonyme.
— Remede ; « II n'y a pas de remede de bonne feinme contre les mauvaises. » Jules Renard.
— Rengaine : « Une rengaine, e'est un air qui commence par vous entrer par une oreille et qui finit
par vous sortir par les yeux. » Raymond Devos.
— Renseignement : « Bien que nos renseignements soient faux, nous ne les garantissons pas. » Erik
Satie.
— Requiem : « II n'y a que le cadavre qui puisse supporter avec patience le Requiem de Brahms. »
George Bernard Shaw.
— Respirer : « Si tout le monde s'arretait de respirer pendant une heure, il n'y aurait plus d'effet de
serre. » Anonyme.
— Restaurant : « Quand vous allez au restaurant, choisissez de preference une table pres d*un
garcon. » Sam Goldstein
« Le secret de la longevite de notre manage ? Un bon restaurant deux fois par semaine. Diner aux
chandelles et musique douce.. . Elle le mardi, moi le vendredi. » Henny Youngman.
— Rhinoceros : « Si la corne de rhinoceros est un puissant aphrodisiaque, pourquoi cette espece est-
elle en voie d* extinction ? » Rory McGrath.
— Rhume : « J'ai pris monrhume en grippe. » Sacha Guitry.
— Rire : « Comment rira celui qui mourra le dernier ? » Jacques Sternberg.
« Le rire est le saut du possible dans Timpossible. » Georges Bataille.
« Le rire n' est jamais graruit : rhomme donne a pleurer mais prete a rire. » Pierre Desproges.
« vous, homines superieurs, apprenez done a rire. » Friedrich Niet2sche.
« Le rire ? Ne m'appelezplus pour ce sujet. Je n'y suis pour Bergson. » Francis Blanche.
« Qui rit vendredi, e'est toujours ga de pris. » Francois Cavanna.
« Le rire est a rhomme ce que la biere est a la pression. » Pierre Dae.
« Rions avec... unsumotori anorexique.
Rions avec... Marthe Richard.
Rions avec... Karl Lagerfeld.
Rions avec... Quasimodo.
Rions avec... la veuve de rayatollahKhomeyni.
Rions avec... le docteur Petiot.
Rions avec. . . un mormon.
Rions avec... Leonard Cohen.
Rions avec... Harpagon.
Rions avec... un restaurateur chinois.
Rions avec... untaliban.
Rions avec... Bernadette Soubirous.
Rions avec... Louis XI. » Jean-Louis Fournier.
— Robe : « Les femmes aiment mieux que Ton froisse leur robe que leur amour-propre. » Jean Louis
Auguste CommersorL
— Roi : « Les Rois mages etaient trois. II y avait Cesar, et pis Marius et pis Fanny. » Pierre
Desproges.
« Lorsqu'un commercant affinne que le client est roi, mefions-nous de la guillotine. » Robert
Sabatier.
— Rond : « La preuve que la Terre est ronde, e'est que les gens qui ont les pieds plats ont du rnal a
marcher. » Charles Bernard.
— Rose : « Faites porter une douzaine de roses a la chambre 424 et vous mettrez "Emily je vous
aime" au dos de la note. » Groucho Marx.
— Roseau : « Le roseau est un homme qui ne pense pas. » Roland Dubillard.
— Russe : « Tout le monde sait que le grand poete russe Mai'akovski s'est suicide. Ce que Ton sait
moins, e'est que ses derniers mots ont ete : "Ne tirez pas, carnarades !" » Fred Botten.
« Lorsqu'un Russe vomit sur la place Rouge a Moscou, il y a toujours quelqu'un pour venir lui glisser
a Toreille : *Tuas raison, camarade, je pense comme toi." » Alexis Hart.
— Salaire : « J'ai un salaire a sept chiffres. Malheureusement, c'est en comptant la virgule. » Robert
McFly.
— Salle de bains : « J*ai grandi avec six freres. (Test comme 9a que j'ai appris a danser, en
attendant que la salle de bains soit libre. » Bob Hope.
— Sante : « On a beau avoir une sante de fer, on finit toujours par rouiller. » Jacques Prevert.
— Savant : c< II y a deux sortes de savants : les specialistes, qui connaissent tout sur rien, et les
philosophes, qui ne connaissent rien sur tout. » George Bernard Shaw.
— Scepticisme : « Le scepticisme commence quand, assis dans une eglise entre un flic et une bonne
sceur, vous constatezque votre portefeuille a disparu » Colin Bowles.
— Sculpture : « Le moins que Ton puisse dernander a une sculpture, c'est qu'elle ne bouge pas. »
Salvador Dali.
— Secret : « Surtout, n'oubliez pas de rappeler a tout le monde que c'est un secret ! » Gerald
F. Lieberman.
— Serpent : « Si un serpent pue des pieds, c'est vraisemblablement un imposteur. » Vincent
Haudiquet.
« Certains serpents sont sourds au point d'ignorer qu' ils ont des sonnettes. » Vincent Haudiquet.
— Shakespeare : « C'est tres fatigant de jouer du Shakespeare. On n'a jamais le temps de s'asseoir,
sauf si on joue le roi. » Josephine Hull.
— Sieste : « Une petite sieste, et apres, hop ! au lit. . . » W. C. Fields.
— Singe : « II a bien fallu que le singe s'arrete quelque part pour que rhomme puisse en
descendre. » Sylvain Tesson.
— Sourd : « II ne faut jamais gifler un sourd. II perd la moitie du plaisir. II sent la gifle mais il ne
Tentend pas. » Georges Courteline.
— Statistiques : « II y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les gros mensonges et les
statistiques. » Mark Twain.
— Stupide : « Mieux vaut avoir l'air conditionne que l'air stupide. » Pierre Legate.
— Suicide : « Bien des fois j'ai pense mettre fin a mes jours, mais je ne savais jamais par lequel
commencer. » Jacques Prevert
« J'ai adore ce livre sur le pouvoir de la pensee positive, jusqu'au jour 011 j'ai appris que l'auteur
s'etait suicide. » Nick Job.
— Suisse ; « En trente ans de Borgia, de meurtres, de sang et de terreur, l'ltalie vit fleurir la
Renaissance, Michel-Ange et Leonard de Vinci. En cinq cents ans de paix et de democratie, que nous a
apporte la Suisse ? Le coucoil » Orson Welles.
— Superstition : « Je ne suis pas superstitieuse. Cela me porterait la poisse. » Babe Ruth.
— Suppositoire : « Je n'aime pas vos suppositoires. Cela n'est pas commode et puis ca laisse un
mauvais gout dans la bouche. » Roland Dubillard.
Surdoue : « Le surdoue : on lui montre un poil, il voit le pubis. » Louis Scutenaire.
Surnaturel : « Chassez le surnaturel, il revient au chateau. » Jean- Jacques Thibaud.
— Tact : « Le tact c'est de faire sentir a vos invites qu'ils sont chez eux, alors que vous souhaiteriez
qu'ils y soient vraiment. » Robert McFly.
— Talons : « Les talons hauts ont etc inventes par une femme qu'on embrassait toujours sur le front. »
Marcel Achard.
— Telephone : « Le telephone est une invention formidable, qui perrnet de parler a des gens sans etre
oblige de leur offrir a boire. » Fran Lebowitz.
— Television : « Si la TV n'avait pas ete inventee, on serait encore en train de se faire des plateaux
radio. » Johnny Carson.
« La television permet a des gens qui n'ont rien a faire de regarder des gens qui ne savent rien faire. »
Glenda Jackson.
— Temoin : « Etre temoin de Jehovah ? Impossible, je n'ai pas vu l'accident » Anonyme.
— Temps : « Le temps n'a jamais pris son vol. » Louis Scutenaire.
— Tennis : « Le tennis et le ping-pong, c'est pareil. Sauf qu'au tennis, les joueurs sont debout sur la
table. » Coluche.
— Tentation : « Depechez-vous de succomber a la tentation avant qu'elle ne s'eloigne. » Casanova.
— Terroriste : « La difference entre un terroriste et ma femme, c'est qu'avec un terrorists on pent
negocier. » Frank Carsoa
— Theatre : « Je fais des pieces et ma femme des scenes. » Eugene Labiche.
— Thermometre : « II faisait si chaud que sur le thermometre, on pouvait lire : voir colonne
suivante. » Anonyme.
— Titre nobiliaire : « II est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire : etre "de quelque
chose", 9a pose un homme, comme etre "de Garenne", 9a pose un lapin. » Alphonse Allais.
— Tolerance : « Tolerez mon intolerance. » Jules Renard.
— Top model : « L'autre jour j 'ai passe une soiree avec une top model. On a vu un film, puis on a
dine entete a tete. C'etait idyllique. Ensuite, F avion a atterri. » Dave Attell.
— Tourisme : « Le tourisme est r Industrie qui consiste a transporter des gens qui seraient mieux chez
eux, dans des endroits qui seraient mieax sans eux. » Jean Mistier.
« Un touriste, c'est quelqu'un qui fait des milliers de kilometres pour se faire photographier devant sa
voiture. » Robert Benchley.
— Tout : « Tout a ete dit, meme "Tout a ete dit." » Vincent Haudiquet.
— Tracteur : « Qui met la charrue avant les bceufs fait rigoler les tracteurs. » Raoul Lambert.
— Train : « Le meilleur moyen de prendre un train a l'heure, c'est de s'arranger pour rater Ie
precedent. » Marcel Ac hard.
— Travail : « Combien de personnes travaillent dans votre societe ? — Environ la moitie. » Gyles
Brandreth.
« Le travail c'est la sante... Mais a quoi sert alors la medecine du travail ? » Pierre Dae.
« Le travail acharne n'est que Ie refuge des gens qui n'ont rien d'autre a faire. » Oscar Wilde.
« J'aime le travail, il m'enchante. Je resterais des heures a le contempler. » Jerome K. Jerome.
« Le treizieme travail d'Hercule : trouver un emploi. » Roland Topor.
« Que veut la classe laborieuse ? La classe laborieuse veut simplement ne pas travailler. » Alphonse
Karr.
— Trefle : « Pour un trefle a quatre feuilles, la chance c'est quand personne ne le trouve. » Sylvain
Tessoa
— Trone : « Quel que soit Ie tronc, on est toujours assis sur son cul. » Rabelais.
— Tunnel : « Remercions Dieu qui a place les tunnels la oil passent les chemins de fer. » Henri
Rochefort.
U
— Urologue : « Si un urologue vous propose un verre, n'acceptez surtout pas ! » Jackie Vernon.
— Vacances : « Le probleme des vacances, c'est qu'on ne peut pas telephoner du bureau. » Jean-
Jacques Vanier.
— Vache : « D'apres les scientifiques, 1 "animal le plus rapide du monde serait une vache de 400 kg
lachee d'un helicoptere volant a 800 m, a la vitesse de 200 km/h. » Dave Barry.
— Valise : « Elle etait vraiment tres belle ; meme les valises qu'elle avait sous les yeux venaient de
chez Gucci. » Kenny Everett.
— Var : « Le Bas-Var aux Bas- Varois ! » Alphonse Allais.
— Vengeance : « A regard de quelqu'un qui vous prend votre femme, la pire vengeance est de la lui
laisser. » Sacha Guitry.
— Vent : « Qui seine le vent court vraiment tres tres vite. » Jean-Jacques Thibaud.
— Venus : « Un bon vendeur, c'est un type qui serait capable de vendre un stick deodorant a la Venus
de Milo. » Max Bera
— Verite : « Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la verite ne serait pas loin, »
Pierre Dae.
— Veuve : « II vaut mieux etre le second mari d'une veuve que le premier. » Anonyrne.
— Vicieux : « Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux. » Eugene lonesco.
— Vie : « La vie est ce que vous faites quand vous ne dormez pas. » Fran Lebowitz.
« La vie m'aura servi de lecoa Je ne recomrnencerai pas. » Frederic Dard.
« La vie, c'est de tenir, une fois degrise, ses serments d'ivrogne. » Gustave Thiboa
— Vieillesse : « Y a pas seulement cent ans, on mourait plus jeune de vieillesse. » Francois Caradec.
« Tout le monde peut devenir vieux. II suffit de vivre assez longtemps. »• Groucho Marx.
« II est tellement vieux qu'il possede un exemplaire dedicace de la Bible. » Anonyme.
« On est vraiment devenu vieux quand les bougies commencent a couter plus cher que le gateau. »
Bob Hope.
— Vierge : « Si j'avais ete la Vierge, j'aurais dit non. » Stevie Smith.
— Vison : « Pour avoir un beau vison, les femmes font exactement ce que font les mamans visons
pour avoir des petits. » Anonyme.
— Vitesse : « C'est parce que la vitesse de la lurniere est plus rapide que celle du son que certains
ont Fair brillants avant d'avoir Fair con. » Anonyme.
— Vivre : « II n'y a pas de raison de vivre, mais il n*y a pas de raison de mourir non plus. » Andre
Breton.
— Vol : « Qui vole un bceuf est vachement muscle. » Chaval.
— Vulgaire : «Onditdemoi quejesuis vulgaire. C'est de laconnerie ! » Mel Brooks.
W
— Western : « Quand on joue dans un western, on peut embrasser le cheval mais pas Factrice ! »
Gary Cooper.
— Zigzag : « Un zigzag est le chemin le plus court pour aller d'un bar a un autre. » Leonard Louis
Levinson.
— Zozo : « Uhomme est un zozo, le plus faible de la nature, mais c'est un zozo pensant. » Jean
TardieiL
Merci a...
Laurent Beccaria, pour m' avoir souffle une aussi bonne idee, et a Jean-Claude Simoen de l'avoir
validee.
A Anne Camberlin. Christiana Courbey, Ninon Signoret pour leur collaboration et a Magali Veyrier,
d'avoir si bien gere la logistique.
A Patrice Delbourg, Jean-Louis Fournier, Nathalie Kristy, Eric Bouhier, Yves Fremion, Pascal
Fioretto, Philippe Thuillier, Philippe Heracles et Chantal Desmazieres pour leurs conseils avises.
Et a Hugues de Saint Vincent, pour sa patience.
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Dans la me me collection
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